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Les montagnes du monde en développement: des poches de pauvreté ou des pics de prospérité

H.R. Mishra

Hemanta R. Mishra est spécialiste
principal pour les ONG et travaille
auprès de la Banque asiatique de
développement (BAsD), Manille
(Philippines).

Les opinions exprimées dans le
présent article sont celles de
l'auteur et ne représentent pas
celles de la BAsD.

Cinq stratégies pour promouvoir la sécurité des aliments, de l'approvisionnement en eau, de l'environnement et de l'emploi chez les populations des montagnes et des plaines.

Les pays ne peuvent se permettre d'ignorer les liens qui unissent le développement économique des montagnes à celui des plaines. Dans ce marché à Guamote, Equateur (3 000 m), les marchands achètent chez les habitants de la montagne des produits qu'ils vendront dans les plaines, alors que les populations montagnardes peuvent obtenir dans les plaines des biens comme les vêtements et les bananes

- FAO/19280/R. JONES

Dans les pays en développement d'Asie, d'Afrique et d'Amérique du Sud et centrale, les montagnes sont des îles d'une beauté exceptionnelle, dotées d'abondantes ressources naturelles, mais qui baignent dans une mer de laideur due, dans une large mesure, à la pauvreté et à la marginalisation sociale et politique de leurs habitants. Cependant, en tant que châteaux d'eau et sites d'une importante biodiversité et de ressources naturelles et culturelles remarquables, les montagnes ne devraient pas rester nécessairement des îles de pauvreté mais pourraient devenir des instruments de prospé- rité. En incorporant des principes écologiques au développement économique on pourrait venir à bout de ce fléau.

Les montagnes peuvent contribuer de bien des façons à réduire la pauvreté et à réaliser le développement durable. Elles garantissent et protègent l'approvisionnement en eau. Elles renferment une im-portante biodiversité et donnent des pro- duits naturels comme le bois d'œuvre, les plantes médicinales et les minéraux. Elles assurent un revenu national et local par l'intermédiaire du tourisme. Leurs forêts permettent de conserver le sol et l'eau, de préserver l'intégrité de l'écosystème, de prévenir les risques propres à la montagne et les catastrophes naturelles comme les inondations et les glissements de terrain, et (à l'instar des autres forêts) de régulariser le climat et d'emmagasiner le carbone.

Le présent article recommande cinq mesures stratégiques visant à créer un cadre intégré de l'aménagement du territoire, apte à garantir la sécurité des aliments, de l'approvisionnement en eau, de l'environnement et de l'emploi:

Si l'on peut définir les parties prenantes comme des personnes qui auront à gagner ou à perdre quels que soient les politiques ou les programmes d'intervention et l'endroit choisi pour les mettre en œuvre, les montagnes en ont deux principaux types: les utilisateurs présents sur les lieux et les consommateurs extérieurs (Mishra, 2000). Les stratégies préconisées ici, en particulier les trois premières, favoriseront non seulement les populations habitant effectivement la montagne mais aussi celles des plaines. Promouvoir ces avantages extérieurs est un excellent moyen d'obtenir des populations de la plaine l'appui politique nécessaire pour valoriser la montagne.

LES MONTAGNES ET LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE - DANS LES MONTAGNES ET DANS LES PLAINES

Malgré la rareté de données empiriques il est notoire que la plupart des populations montagnardes du monde vivent en dessous du seuil de pauvreté. Sur les 7 millions ou davantage d'habitants des Andes, la plupart sont pauvres et subsistent dans des conditions âpres et inhospitalières. Dans l'Himalaya, au moins 118 millions de personnes luttent pour survivre en exploitant les ressources déclinantes des champs agricoles, des pâturages et des forêts (Denniston, 1993). Sur les 18 pays et régions identifiés par l'ONU comme nécessitant une aide humanitaire d'urgence, 11 sont des territoires montagneux (E. Byers, non publié) En outre, tant l'espérance de vie à la naissance que les taux d'alphabétisation tendent à être plus faibles dans les montagnes que dans les plaines des pays en développement.

Le développement économique dans les régions montagneuses est plus lent que dans les plaines pour un grand nombre de raisons, dont les possibilités restreintes d'éducation et de spécialisation et la dépendance résultante vis-à-vis de la terre, l'émigration vers les plaines et les villes, l'isolement économique relatif, dû en partie à l'accès limité aux infrastructures et au coût élevé de leur installation, et le manque d'investissements adéquats dans la mise au point de technologies propres aux régions montagneuses.

C'est pour ces raisons que la faim et la malnutrition restent des maux chroniques dans de nombreux pays en développement montagneux. La sécurité alimentaire - l'accès matériel et économique aux aliments pour tous et en tous temps - dépend non seulement de la disponibilité de vivres mais aussi de leur coût. Une intervention stratégique clé pour garantir la sécurité alimentaire dans les montagnes serait d'offrir aux pauvres des débouchés économiques leur permettant de gagner plus d'argent grâce à des programmes à impact limité visant un développement réellement durable.

Les pays ne peuvent se permettre d'ignorer les liens complexes qui relient d'une part la conservation de l'environnement et le développement économique dans les montagnes et, de l'autre, l'atténuation de la pauvreté et le développement durable dans les plaines (Price et Butt, 2000; Messerli et Ives, 1997). Des problèmes comme les glissements de terrain, les inondations et les famines périodiques qui affligent les régions montagneuses se répercutent négativement sur le développement économique et humain dans les plaines aussi. L'émigration des populations montagnardes vers les villes à la recherche d'une meilleure qualité de la vie détermine non seulement des privations dans les lieux qu'elles quittent, mais accentue aussi la pauvreté et les problèmes urbains. En outre, pour les populations, où qu'elles soient, la sécurité alimentaire dépend de la conservation des sols et de l'eau dans les montagnes. La moitié au moins de la population du monde leur est tributaire pour l'approvisionnement en eau, l'électricité, le bois de construction, les minéraux, les terres arables et les aliments.

L'isolement matériel et économique limite les revenus et la sécurité alimentaire des populations montagnardes souvent tributaires de l'agriculture; ici, une famille d'agriculteurs au Tadjikistan

- FAO/20656/A. PROTO

LA MONTAGNE SOURCE D'OCCASIONS: CINQ MESURES STRATÉGIQUES

Les montagnes se distinguent par des paramètres géologiques, sociaux, économiques, culturels et biogéographiques différents, si bien que de nombreux choix stratégiques sont propres au lieu. Cependant, les cinq stratégies qui suivent se proposent de promouvoir des plans globaux d'aménagement des terres et des eaux . Ces stratégies relient aussi la mise en valeur des montagnes à la réduction de la pauvreté grâce à la sécurité des aliments, de l'approvisionnement en eau et de l'environnement.

Aménager les ressources en eau et les bassins versants pour assurer des disponibilités en eau plus adéquates

Les montagnes sont des réservoirs d'eau douce renouvelable toute l'année. Toutefois, la dégradation des bassins versants et la surexploitation de l'eau ont provoqué la rupture des cycles hydrologiques. En Asie, par exemple, plusieurs des principaux fleuves du monde comme l'Euphrate, le Tigre, le Gange, l'Indus, le Brahmapoutre, le Mékong, l'Angara et le Chiang-Jiang naissent dans les montagnes, et pourtant le continent fait face à de graves pénuries d'eau au plan de la quantité aussi bien que de la qualité. Dans un pays asiatique sur trois, les disponibilités en eau potable sont limitées. Ce déficit est souvent aggravé par les changements saisonniers dans les précipitations et le manque de structures correctes d'emmagasinage. Des projets d'infrastructures mal conçus et la mauvaise gestion des ressources en eau, conjugués au déboisement dans les montagnes, ont abaissé le niveau des fleuves et asséché les marais. Dans les années 50, le détournement à des fins d'irrigation des fleuves se déversant dans la mer d'Aral en Asie centrale - qui a réduit de façon draconienne l'étendue de la mer, abaissant son niveau d'eau, et provoquant la salinisation et la mort des poissons - est un exemple frappant de mauvaise gestion des eaux intérieures. Malheureusement, ces erreurs du passé ne paraissent pas avoir servi de leçon.

De même, les zones désignées comme aires protégées en Asie, qui sont la réponse aux problèmes de la conservation des terres et de l'eau dans ces bassins versants, sont comprises entre zéro et 6 pour cent environ - chiffre de beaucoup inférieur au minimum de 33 pour cent indispensable pour la préservation des bassins versants (WRI et al., 1998; Revenga et al., 1998).

Le rationnement de l'eau est pratiqué de plus en plus souvent dans certains pays, malgré la prolifération des grands barrages ces 50 dernières années. Bien que près de la moitié des 40 000 barrages qui dépassent 15 m de hauteur se trouvent en Chine, 100 villes chinoises environ imposent un système de rationnement de l'eau. Le pays atteindra le seuil du stress hydrique - moins de 1 700 m3 par habitant - dans les deux prochaines décennies. D'ici 2025, l'Inde souffrira de pénuries d'eau, la disponibilité par habitant passant du niveau actuel de 2 228 m3 à quelque 800 m3. L'Institut international de recherche sur les politiques alimentaires prévoit que les besoins d'eau domestiques et industriels des pays en développement s'accroîtront de 590 milliards de mètres cubes dans les 20 prochaines années. Cela exigera un volume d'eau équivalant à un débit annuel sept fois plus élevé que celui du Nil (Postel, 1999). Le monde devra affronter le problème d'aménager ses ressources en eau douce à des fins industrielles et domestiques sans pour autant diminuer la production alimentaire.

La lutte contre l'érosion par des pratiques agricoles durables dans le haut du bassin versant du fleuve Lempa au Honduras - sauvegarder l'eau en aval

- FAO/18884/G. BIZZARRI

Relier la conservation de la montagne à l'eau potable, l'industrie et la production de biens et services serait une façon pragmatique de concilier l'écologie, l'économie et la réduction de la pauvreté.

La plupart des initiatives qui associent la conservation des montagnes à la gestion de l'eau et des bassins versants ont été réalisées en Europe, en Amérique du Nord et dans quelques pays en développement d'Amérique du Sud et centrale. Le Costa Rica fournit le meilleur exemple pour le monde en développement d'une tentative réussie de lier la conservation des bassins versants de montagne aux disponibilités en eau et énergie des plaines grâce à des initiatives rentables. Les montagnes du Costa Rica produisent un tiers de son électricité et près de la moitié de son eau potable. En 1996, le Gouvernement du Costa Rica a promulgué une loi forestière novatrice qui prévoit des mécanismes de compensation pour les services environnementaux rendus par les forêts de montagne du pays. Ce système se fonde sur l'établissement d'un impôt sur les combustibles fossiles. Plusieurs études ont montré que les citoyens du Costa Rica sont disposés à payer pour renforcer ces services, reconnaissant ainsi la valeur des fonctions environnementales que remplissent leurs montagnes. En 1997, un montant de 14 millions de dollars EU a été versé à cette fin, montant qui a permis le reboisement de 6 500 ha de terres dégradées, l'aménagement durable de 10 000 ha de forêts naturelles et la préservation de 79 000 ha de forêts naturelles privées. Ces programmes non seulement assurent la continuité de l'approvisionnement en eau et en énergie mais créent aussi des emplois locaux, réduisant par là même la pauvreté tant dans les montagnes que dans les plaines (Action pour les montagnes, 2000).

Un autre exemple concerne l'Equateur. Perchée sur les versants des Andes à 2 850 m, la ville de Quito est la capitale de l'un des pays les moins développés d'Amérique du Sud. Au titre d'un programme de collaboration entre Nature Conservancy, l'Institut équatorien des forêts et des aires naturelles et la Compagnie municipale des égouts et des eaux de la ville de Quito, les citadins versent une redevance qui est utilisée pour la conservation des fleuves Quijos, Tumiguina et Blanco et leurs bassins hydrographiques, notamment le bassin versant supérieur (UICN, 2000).

Arrêter le déboisement et la dégradation des terres en faveur des secteurs agroéconomiques

La lutte contre la dégradation est la clé de la sécurité alimentaire. Cette dégradation ne se limite pas aux montagnes, mais assume une importance particulière dans les terrains rocailleux. En Inde, 27 pour cent des terres arables sont l'objet d'une forte érosion, notamment dans les montagnes (CESAP et BAsD, 1995).

Les forêts de montagne dans les pays en développement subissent de fortes pressions dues à la surexploitation pour le bois de feu et le bois d'œuvre, en particulier dans les forêts tropicales montagnardes et de brouillard. Celles d'Asie tropicale disparaissent très rapidement - comme le montrent les versants dénudés des montagnes de Luçon aux Philippines - car la plupart des forêts de plaine ont déjà été dévastées. Les dommages varient en fonction de la déclivité des pentes, de l'étendue du couvert forestier restant et des perturbations causées par les techniques d'abattage. La surexploitation n'a pas seulement ravagé l'écosystème montagneux mais a été aussi à l'origine de tensions sociales (dans le nord-est de l'Inde, par exemple).

Pour quelque trois milliards de personnes dans le monde entier, le bois de feu est la principale source d'énergie, et sert en particulier pour cuisiner (Sharma et al., 1992). A mesure que s'accroissent les populations, les besoins d'énergie tant des résidents que des touristes dans les montagnes iront en augmentant. Le manque de disponibilités adéquates de bois de feu ou de sources d'énergie bon marché de rechange continuera à entraver le développement durable des montagnes.

Les infrastructures touristiques, les autoroutes et d'autres activités de développement ont aussi affecté les forêts de montagne. L'abattage des forêts de brouillard pour faire place aux casinos, hôtels et terrains de golf dans les montagnes de Genting et Cameron en Malaisie péninsulaire et sur le mont Kinabalu au Sabah traduit l'ampleur des pressions et de l'impact du développement économique axé sur les mécanismes du marché.

La destruction des forêts est responsable non seulement des inondations mais aussi de la sécheresse et de la famine dans les plaines. Le déboisement et la dégradation des terres dans les montagnes, l'érosion du sol, la réduction des débits des fleuves et la perte de productivité agricole dans les plaines ont été mis clairement en relation (Hamilton, 1987; Bruijnzeel et Bremmer, 1989). Cependant, le manque de données mondiales interdit de clarifier ces rapports, notamment en raison du temps qui s'écoule entre les processus d'érosion en montagne et l'envasement des barrages, des réservoirs et des canaux d'irrigation dans les plaines. Quelques études ont associé la dégradation des terres et les sédiments charriés par les cours d'eau à la diminution des avantages procurés par les barrages et l'énergie hydroélectrique, l'irrigation et les mécanismes de maîtrise des crues, montrant que l'envasement raccourcit effectivement la durée d'infrastructures coûteuses. Le coût total de la perte de capacité d'emmagasinage des réservoirs est estimée à 6 milliards de dollars EU par an (Mahmood, 1987). Celle des réservoirs d'eau en Chine est évaluée à 2,3 pour cent (Hu, 1995).

Réduire la vulnérabilité aux changements climatiques et aux cycles d'inondation et de sécheresse dans les plaines

Le déboisement réduit les précipitations et détermine des changements dans la température. Comme élément dynamique et vertical du paysage, les montagnes sont plus vulnérables aux effets des changements climatiques que les plaines. Dans les montagnes, ces changements menacent la sécurité des habitants et de leurs avoirs lorsque se manifestent des catastrophes naturelles comme les inondations, les glissements de terrain, les avalanches et la sécheresse (Watson, Zinyowera et Moss, 1995). Certains de ces dangers ont été démontrés par l'amenuisement des glaciers du monde à la suite du réchauffement de la planète.

Le tourisme durable peut jouer un rôle crucial dans la réduction de la pauvreté en montagne - un camp dans la région des lacs Gokyo au Népal

- S.K. NEPAL

Les montagnes contribuent aux changements climatiques et en sont affectées à leur tour. Elles présentent différentes ceintures de biotes suivant l'altitude. Tout réchauffement du globe produira des perturbations écologiques graves car les habitats de la flore et de la faune se déplaceront vers le haut, formant une strate de plus en plus restreinte, avec des impacts négatifs sur la densité des populations végétales et animales. Les essences situées à la limite de la végétation arborée sont particulièrement sensibles aux changements climatiques. Les montagnes isolées ou sans possibilité de migration horizontale seront les plus sérieusement touchées et l'impact sur les plaines sera très négatif.

Les mesures d'atténuation de ces phénomènes comprennent l'établissement de couloirs écologiques reliant les aires protégées montagneuses à l'ensemble des terres productives (Hamilton, 1997). Les bienfaits durables qu'offrent les forêts grâce à leur rôle de puits de carbone et de gardiennes des ressources en eau, ainsi qu'à leur contribution à la maîtrise des crues et à l'atténuation de la sécheresse dans les plaines, sont bien supérieurs aux avantages économiques de l'extraction de leur bois (Action pour les montagnes, 2000).

Faire du tourisme en montagne un outil pour réduire la pauvreté

Les valeurs spirituelles et esthétiques font partie intégrante du développement humain durable. Les montagnes renferment certains des sites d'intérêt religieux, culturel et spirituel les plus importants du monde (Bernbaum, 1990). C'est en partie sur ce patrimoine culturel - en même temps que sur le paysage naturel - que repose le commerce touristique de montagne dans le monde entier, faisant du tourisme une importante source d'emploi et de revenus.

Le tourisme est la plus grande industrie du monde, produisant un revenu estimé à 3,4 trillions de dollars EU et procurant des emplois pour 212 millions de personnes. C'est aussi l'industrie qui connaît la croissance la plus rapide du monde: il est estimé qu'elle emploiera 338 millions de personnes et produira un revenu de 7,2 trillions de dollars EU d'ici 2005 (Price, Moss et Williams, 1997).

On reconnaît de façon croissante que le tourisme peut jouer un rôle clé en réduisant la pauvreté dans les zones montagneuses reculées (Sharma, 2000). Il est estimé, par exemple, qu'au Népal un seul alpiniste assure un emploi à cinq personnes, en particulier les individus les plus pauvres et les femmes vivant dans les régions montagneuses distantes et isolées (Mishra, 2000). Le projet népalais de conservation de l'Annapurna a montré que le tourisme est une source de revenus qui profite surtout aux femmes et aux groupes défavorisés (Mishra, 1989; Gurung et De Coursey, 1994). Toutefois, le tourisme n'est un outil de développement économique efficace que s'il est pratiqué en respectant l'environnement.

Promouvoir l'utilisation durable de la biodiversité et de l'agrobiodiversité à des fins autres que la production de bois

Les montagnes hébergent de nombreuses espèces présentant un grand intérêt pour les industries pharmaceutiques et agricoles. Certaines de leurs espèces endémiques sont les ancêtres des cultures agricoles modernes. La moitié des 90 000 espèces de plantes supérieures du monde présentes dans les zones néotropicales se rencontrent dans les montagnes (Churchill et al., 1995). Le nombre total d'espèces végétales existant dans l'Himalaya seulement est estimé à plus de 25 000. En outre, les forêts et les formations herbeuses de cette région abriteraient 75 000 espèces d'insectes et d'invertébrés et plus de 1 200 espèces de mammifères et d'oiseaux. Il est estimé qu'une seule montagne - le mont Kinabalu au Sabah, en Malaisie - contient de 4 000 à 4 500 espèces végétales (Hamilton, 1997). Les montagnes sont des îles écologiques d'endémisme en raison de leur isolement et de leur verticalité. C'est ainsi que 13 pour cent de la flore de la toundra du mont Peaktu, situé entre la République populaire démocratique de Corée et la Chine, ne se rencontrent que sur ce pic (Jenik, 1997).

Bien que l'on ne dispose que de rares données commerciales sur l'importance économique de la biodiversité de la montagne, il est clair que les différentes ressources biologiques montagneuses contribuent de façon considérable aux moyens d'existence et à la sécurité alimentaire. Dans la province du Yunnan en Chine, 550 espèces de plantes médicinales et des centaines d'espèces alimentaires sont commercialisées par les habitants des montagnes qui ont encore des connaissances traditionnelles bien ancrées (Pei, 1996). Au Népal, au moins 510 espèces de plantes médicinales et aromatiques, provenant en majorité des forêts de montagne, sont consommées par l'homme (Mishra, 1998).

La valeur des produits non ligneux tirés des écosystèmes montagneux pourrait être exploitée plus pleinement, notamment dans les forêts tropicales de montagne. Certaines incohérences dans les politiques et les pratiques relatives à l'utilisation durable et à la conservation sont imputables à des lacunes dans la recherche scientifique. Parfois les normes qui régissent la cueillette des plantes médicinales ont limité les revenus qu'auraient pu en tirer les communautés montagnardes (Olsen et Helles, 1997). Ces contraintes devraient être levées.

DÉBAT ET CONCLUSIONS

Lier la conservation de la montagne à la sécurité des aliments, de l'approvisionnement en eau et de l'environnement suscite de nombreux problèmes. L'un d'eux est de savoir comment conserver et aménager les biens décroissants de la montagne face à la complexité des pratiques conflictuelles auxquelles obéissent la consommation des ressources et l'utilisation des terres. L'agriculture, la foresterie et le tourisme présentent à la fois des problèmes et des solutions. Comment intégrer les pratiques traditionnelles et les valeurs culturelles dans la vision moderne de la conservation et les techniques guidées par les mécanismes du marché? Comment satisfaire les besoins de tous les intéressés lorsque tous aspirent à un traitement de faveur?

C'est le niveau de participation des habitants des montagnes et des plaines qui détermine le succès ou l'échec des programmes nationaux et de donateurs visant la réduction de la pauvreté et la promotion du développement durable (Mishra, 2000). La plupart du temps, le coût de la conservation de l'écosystème montagneux est supporté par les populations locales, alors que la majorité des services écologiques procurés par les montagnes favorise les intervenants extérieurs et la communauté internationale. Or, dissocier les intérêts des utilisateurs locaux et ceux des consommateurs extérieurs ne sera ni productif au plan politique ni le gage d'un programme durable. Les questions socioéconomiques et écologiques des écosystèmes des montagnes et des plaines sont interdépendants.

Un défi important consiste à fournir des incitations tangibles aux utilisateurs locaux pour qu'ils protègent les sources d'eau. Ces incitations pourraient comprendre une compensation directe sous la forme d'une redevance ou d'un «loyer» pour les services écologiques à partir des recettes tirés de l'énergie hydroélectrique, de l'eau potable et de l'irrigation. Les gens qui vivent dans les montagnes sont les gardiens de l'environnement montagnard. Leur mode d'utiliser ou de surexploiter les habitats de montagne influence non seulement leur propre existence mais aussi celle des habitants des plaines. Il serait donc dans l'intérêt de tous de fournir des incitations aux populations montagnardes pour qu'elles conservent et aménagent les bassins versants de manière judicieuse.

Le deuxième défi consiste à internaliser les coûts et avantages des services de l'écosystème que les montagnes fournissent, aussi bien aux utilisateurs montagnards locaux qu'aux consommateurs des plaines extérieurs, sous des formes et suivant des modalités qu'ils comprendront et accepteront. Celles adoptées au Costa, Rica, en Equateur et dans plusieurs pays développés d'Europe sont des exemples des meilleures pratiques.

Le troisième défi est de tirer parti de l'effet de levier du patrimoine naturel et culturel pour en tirer des revenus en espèces et faire participer les habitants de la montagne à l'économie monétaire en vue de satisfaire leurs besoins de nourriture et d'abri, ainsi que d'autres biens essentiels. Un tourisme respectueux de l'environnement et de la culture peut assurer un revenu aux pauvres et garantir ainsi la sécurité alimentaire et environnementale.

Les cinq mesures stratégiques décrites ici sont à la fois souhaitables et réalisables. Elles sont aussi acceptables au plan politique et économiquement viables.

Bibliographie


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