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Incorporation des questions liées à la sécurité alimentaire dans un accord révisé sur l'agriculture[4]


La présente étude souligne le rôle que peut jouer l'agriculture s'agissant de renforcer l'agriculture est très différent dans les pays en développement de ce qu'il est dans les pays développés, et que cette réalité n'est reflétée qu'en partie dans la manière dont l'Accord sur l'agriculture est structuré. Il faut par conséquent laisser aux pays en développement, et en particulier à ceux qui vivent dans l'insécurité alimentaire, une plus grande latitude en matière de modernisation de leur agriculture que celle qu'offre actuellement l'Accord si l'on veut qu'ils puissent garantir comme il convient leur sécurité alimentaire.

1. Le rôle que joue l'agriculture nationale dans le renforcement de la sécurité alimentaire dans les pays en développement

En 1996-98, la FAO estimait qu'il y avait dans le monde quelque 826 millions de personnes sous-alimentées, dont approximativement 792 millions dans les pays en développement. Bien que ce chiffre ait diminué de 40 millions entre 1980-82 et 1995-97, cette amélioration a été inégale: réduction de 100 millions dans 37 pays, mais augmentation de 60 millions dans les autres. Bien que les quantités d'aliments disponibles aux fins de la consommation humaine aient augmenté de 19 pour cent entre 1960 et 1994/96, elles restent très inégalement réparties. Dans les PMA, par exemple, la production agricole par habitant suit une tendance à la baisse depuis 40 ans tandis qu'elle a augmenté de 40 pour cent dans les pays en développement considérés ensemble[5]. Entre 1980 et 1996, la croissance de la production a été négative dans 29 des 42 PMA producteurs de céréales.

Des analyses détaillées des principaux facteurs qui sont à l'origine de ces tendances (sur la base de 14 études de cas) ont conduit la FAO à affirmer que "dans la plupart de ces pays, l'on ne pourra vraiment contribuer à promouvoir l'expansion économique, à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité alimentaire que si l'on s'attache à développer davantage la capacité potentielle du secteur agricole et sa contribution au développement économique d'ensemble"[6]. Cet avis est étayé par plusieurs études récentes[7] qui ont démontré que, dans nombre de régions rurales pauvres, une amélioration de la productivité de l'agriculture est souvent l'élément qui peut le mieux contribuer à la croissance et ainsi à une réduction de la pauvreté, soit en augmentant directement les revenus et indirectement les dépenses grâce à la production de denrées exportables, soit en améliorant directement le bien-être des consommateurs grâce à la production de biens et de services non exportables[8]. Par conséquent, les indicateurs de la sécurité alimentaire dépendent souvent directement du succès relatif des initiatives de développement rural pour ce qui est aussi bien d'accroître la disponibilité et d'améliorer la stabilité des approvisionnements alimentaires nationaux que d'améliorer l'accès à l'alimentation au plan individuel.

La libéralisation des échanges est justifiée en partie par l'amélioration qu'elle est censée apporter aux incitations offertes aux producteurs des pays en développement et partant par de meilleures perspectives de développement rural. Toutefois, pour quelques pays en développement, elle n'aura sans doute guère d'avantages immédiats en raison des contraintes qui existent du côté de l'offre et de l'incapacité de leurs producteurs de tirer profit des nouvelles possibilités commerciales et de soutenir, sur leurs propres marchés, la concurrence d'importations dont certaines demeurent encouragées par des subventions et d'autres pratiques contraires à la concurrence.

2. Politiques visant à améliorer la sécurité alimentaire

L'histoire du développement au cours des 50 dernières années a amplement démontré que, dans une large mesure, la pauvreté rurale et l'insécurité alimentaire généralisée qui sévissent dans les pays en développement ont été imputables à des stratégies de développement qui ont négligé l'importance du développement du secteur agricole, en particulier de la production de produits alimentaires de grande consommation[9]. L'expérience a montré aussi que, pour améliorer la sécurité alimentaire dans les pays en développement, il faut mettre en oeuvre une série de politiques bien conçues et souples qui tendent à résoudre de manière intégrée les problèmes qui se posent aux niveaux de l'approvisionnement, de la distribution et de la consommation.

La gamme de choix politiques qui s'offrent aux pays pauvres d'aujourd'hui est limitée par plusieurs facteurs, dont: a) le montant limité de ressources disponibles pour les programmes de dépenses publiques; b) le dilemme que représente le choix entre des prix rémunérateurs pour les producteurs et des prix qui soient à la portée d'un grand nombre de ménages pauvres, ce qui compromet l'attrait de l'option d'une protection à la frontière en dépit de droits consolidés élevés[10]; et c) un sérieux manque de devises, qui conduit à encourager la production de récoltes d'exportation. Toutefois, l'orientation des ressources vers les secteurs qui travaillent pour l'exportation peut ne pas toujours garantir des recettes en devises suffisantes pour payer les importations de denrées alimentaires[11]. Du point de vue de la sécurité alimentaire, par conséquent, une politique de remplacement des importations est souvent une option plus attrayante qu'une politique de promotion des exportations.

L'on trouvera ci-après une brève description de certaines des politiques auxquelles les pays ont eu recours pour améliorer la sécurité alimentaires des ménages ou des individus, aussi bien directement (au moyen de programmes tendant à accroître la consommation alimentaire et à fournir une assistance ciblée) qu'indirectement, par le biais de leurs programmes agricoles et de leurs politiques commerciales. Les plus importantes de ces politiques sont celles qui, parallèlement à un soutien des prix, affectent l'utilisation des intrants et tendent à accroître la consommation vivrière.

Soutien des prix

Les prix sont soutenus au moyen soit de mesures à la frontière exclusivement, soit de telles mesures conjuguées à des systèmes d'encadrement des prix intérieurs (par exemple prix d'achat, prix minimums garantis, prix indicatifs). Il arrive parfois qu'une mesure à la frontière (par exemple une limitation des exportations) ayant pour effet de réduire les prix à l'exportation et ainsi de maintenir les prix des produits alimentaires à la portée des consommateurs soit compensée en partie par une politique d'encadrement des prix autorisant une légère hausse des prix à l'exploitation. Habituellement, cependant, la mesure à la frontière (par exemple des droits de douane) complète le régime d'encadrement des prix de sorte que les prix à la consommation peuvent être plus élevés que les cours mondiaux des produits correspondants.

Les mesures à la frontière et l'encadrement des prix peuvent, selon leur combinaison, affecter différemment la sécurité alimentaire des différents groupes de la société. Ainsi, un système qui se traduit par une hausse des prix sur les marchés nationaux bénéficie aux agriculteurs et affecte les consommateurs. Cet effet peut être atténué au moyen de politiques d'aide alimentaire ciblée (par exemple rationnement, magasins à prix subventionnés, transferts de revenus aux pauvres), mais ces politiques coûtent cher à l'État et ne sont donc guère à la portée des pays pauvres menacés par l'insécurité alimentaire. Faire bénéficier le consommateur des cours mondiaux tout en versant des subventions à l'agriculture se traduit également par une ponction dans les coffres de l'État, qui peut être cependant compensée dans une certaine mesure, dans le cas des produits alimentaires importés, par les recettes provenant des droits à l'importation.

La situation en ce qui concerne les produits d'exportation est semblable à celle des produits importés. Par le passé, les exportations ont souvent été taxées pour aider à réduire les prix intérieurs (tel a été le cas, par exemple, de la politique appliquée par la Thaïlande en matière d'exportations de riz pendant les années 70 ainsi que de la taxe à taux variable imposée par l'Indonésie aux exportations d'huile de palme), mais habituellement aux dépens du bien-être des agriculteurs, lesquels sont souvent plus pauvres que les consommateurs urbains. En revanche, les politiques qui tendent à encourager les exportations au moyen de subventions peuvent privilégier les revenus agricoles, mais aux dépens aussi bien du budget de l'État que des consommateurs. Le subventionnement des exportations peut être utilisé pour développer l'accès aux marchés et est une formule utile pour écouler un excédent inhabituel lorsque les récoltes sont abondantes[12]. Bien que les subventions soient relativement généralisées dans les pays en développement, la plupart des pays en développement n'y ont pas recours.

Bien que l'application d'une politique d'encadrement actif des prix en vue d'améliorer la sécurité alimentaire soit une entreprise extrêmement complexe, il y a lieu de noter que, dans le cas des produits alimentaires importés, l'utilisation simultanée de droits de douane pour soutenir les prix à l'exploitation et des recettes provenant des droits à l'importation pour financer des politiques nationales d'aide alimentaire peut être compatible avec les règles de l'OMC et peut contribuer efficacement à réduire la pauvreté en milieu rural et l'insécurité alimentaire. Il est cependant douteux que les sommes mobilisées au moyen des droits de douane suffisent à éliminer l'insécurité alimentaire des consommateurs dans les pays les plus pauvres, lesquels auraient vraisemblablement besoin de ressources supplémentaires pour parvenir à une situation d'équilibre. Toutes les autres politiques examinées plus loin risquent d'être prohibitives pour nombre de ces pays.

Subventionnement des intrants

L'on a souvent recours au subventionnement des intrants pour compenser la faiblesse des prix à la production. Ces subventions portent habituellement sur des éléments comme les engrais, les semences et les carburants. Si elles ne sont pas convenablement ciblées, toutefois, les producteurs pauvres risquent de ne pas pouvoir en bénéficier, de sorte que les ressources risquent d'être transférées à des exploitants plus aisés. L'évolution de la production de maïs au Malawi témoigne de l'efficacité d'un ciblage des subventions: au début des années 90, les prix à la production ont été désencadrés et le subventionnement des engrais a été rétabli, ce qui s'est traduit par un accroissement de 70 pour cent de la production de maïs dans le secteur des petites exploitations et par une augmentation substantielle de l'utilisation d'engrais[13].

Faciliter l'achat de biens d'équipement (comme machines importées ou installations de stockage à l'exploitation) peut à la fois améliorer la productivité et réduire les pertes après les récoltes. L'on peut en citer comme exemple le Programme zambien d'investissements dans l'agriculture qui fournit à des groupes d'agriculteurs (avec une assistance des donateurs) des subventions correspondant à leurs investissements dans l'infrastructure agricole.

Les investissements dans l'infrastructure, bien qu'actuellement exclus du calcul de la MGS, constituent souvent une forme de subventionnement des producteurs. À Sri Lanka, par exemple, les systèmes d'irrigation et leur entretien ne coûtent rien aux agriculteurs. L'on estime qu'en 1995, les subventions à l'irrigation ont représenté 3 pour cent de la valeur totale de la production de paddy. En Égypte, l'adoption de méthodes avancées d'irrigation est considérée comme essentielle à une utilisation plus efficace de l'eau[14]. Les investissements dans l'infrastructure peuvent également avoir des fins de conservation. C'est ainsi qu'en Afrique du Sud, des prêts bonifiés ou à faible taux d'intérêt ont été accordés conformément à la Loi relative à la conservation des ressources agricoles.

Interventions visant à remédier aux défaillances institutionnelles

Lorsque le fonctionnement des marchés est défaillant, par exemple lorsque les informations sur les marchés sont insuffisantes ou lorsqu'il existe une situation de monopole ou de monopsone ou des ingérences politiques, il se peut que l'offre ne réagisse pas comme elle le devrait. En pareil cas, la promotion et/ou le renforcement des institutions qui ont pour mission de permettre aux producteurs pauvres d'avoir accès aux marchés des intrants et de la production peut avoir un impact plus marqué, à un coût relativement modéré pour l'État. Consolider les institutions de crédit en agissant sur les incitations offertes aux intermédiaires sur les marchés et faciliter leur financement peut se traduire par une meilleure fiabilité des crédits de campagne[15]. Le régime foncier et les institutions de financement rural sont souvent des éléments fort importants, le premier en donnant accès à des terres plus productives, en permettant d'investir dans la terre, en rationalisant les décisions concernant l'utilisation des sols et en resserrant les liens avec la consommation, et les secondes en encourageant les investissements, particulièrement dans les intrants de campagne[16]. D'une manière générale, l'amélioration des institutions, la mise en place de cadres réglementaires plus rationnels et une formation sont possibles, mais peuvent exiger des subventions substantielles.

Politiques concernant la consommation vivrière

L'une des politiques les plus communément utilisées par le passé pour améliorer la sécurité alimentaire a consisté à appuyer la constitution par l'État de stocks de produits alimentaires. Pour être compatibles avec l'Accord sur l'agriculture, les volumes et les modalités d'accumulation de ces stocks doivent correspondre à des objectifs prédéterminés liés exclusivement à la sécurité alimentaire. L'État ne doit acheter les produits alimentaires qu'aux prix du marché, et les quantités prélevées sur les stocks ne peuvent être vendues qu'à des prix au moins égaux aux prix pratiqués sur les marchés intérieurs du produit dont il s'agit et de la qualité considérée. Pour les pays en développement, cette règle est tempérée pour leur permettre d'acheter et d'écouler des stocks à des prix réglementés, à condition que la différence entre les prix réglementés et les prix extérieurs de référence soient pris en considération dans la MGS.

De tels systèmes entraînent pour l'État des coûts supplémentaires: accumulation, entreposage, suivi des prix et distribution. L'on peut cependant répercuter ces coûts en encourageant l'entreposage et la commercialisation des produits par le secteur privé, par exemple en réduisant les obstacles qui entravent l'implantation sur les marchés et en améliorant l'infrastructure et la diffusion d'informations commerciales.

Bien qu'elles aient été largement utilisées par le passé, ces politiques ont été remises en question récemment en raison de leurs coûts relativement élevés. Cependant, lorsque la disponibilité matérielle d'aliments est menacée, la constitution de tels stocks, jointe à des politiques commerciales appropriées, peut avoir un rôle précieux à jouer.

La fourniture de produits alimentaires, ou la fourniture de moyens visant à permettre aux bénéficiaires d'acheter des aliments aux prix du marché ou à des prix subventionnés, n'entre pas, à l'heure actuelle, dans le calcul de la MGS, mais les subventions non ciblées sont souvent inévitables étant donné que les pauvres ne sont pas les seuls à en bénéficier. Bien que les fuites puissent être réduites au moyen d'un ciblage plus précis, celui-ci entraîne généralement des frais d'administration plus élevés. L'efficacité des subventions à la consommation dépend souvent du type de produits dont il s'agit. Par exemple, au Brésil, 1 dollar EU de subventionnement du pain représentait environ 0,18 dollar EU de transfert aux consommateurs pauvres, tandis qu'un subventionnement égal des légumineuses se traduisait par un transfert d'approximativement 0,39 dollar EU[17]. L'efficacité du subventionnement d'un produit peut également être accrue lorsqu'elle porte sur des qualités secondaires.

Plusieurs autres politiques peuvent être utilisées pour ménager des filets de sécurité alimentaire dans les pays en développement. L'on peut en citer comme exemple des programmes ciblés de promotion de l'emploi ou des programmes vivres-contre-travail, qui offrent un filet de sécurité tout en créant un capital, par exemple des routes rurales d'accès, des installations d'entreposage ou des systèmes d'irrigation. Néanmoins, ces programmes sont souvent coûteux, et il ne faut pas perdre de vue, lors de la définition des critères appliqués pour mettre en oeuvre des programmes de soutien des revenus, que les pays en développement ne disposent que de ressources financières très limitées.

3. Les objectifs de la sécurité alimentaire: distorsions et efficacité

L'on a vu plus haut que l'on peut avoir recours à divers instruments d'intervention pour accroître la production et améliorer ainsi la sécurité alimentaire des pays en développement. Ce qu'il faut par conséquent, c'est identifier des mécanismes qui permettent de mieux soutenir la production interne compte tenu des contraintes nationales existantes, tout en préservant la possibilité d'appliquer des mesures plus coûteuses si des ressources deviennent disponibles à l'avenir.

Les critères au regard desquels doivent être évaluées les différentes politiques pouvant être envisagées peuvent être, en gros, rangés en plusieurs catégories, selon qu'ils concernent l'efficience, l'efficacité, le coût ou l'équité. L'efficience tient à la variation du volume des échanges résultant d'une augmentation ou d'une diminution de la production intérieure ainsi qu'à l'impact, le cas échéant, sur le niveau et la variabilité des prix intérieurs ou des cours sur les marchés mondiaux. L'efficacité tient à l'impact de la mesure considérée sur la sécurité alimentaire au plan national et au niveau des ménages dans l'immédiat et à la mesure dans laquelle elle favorise le développement rural en général et par conséquent la sécurité alimentaire à longue échéance. Les coûts des différentes politiques peuvent être évalués en fonction de la charge qu'elles représentent pour l'État et pour les consommateurs. L'impact d'une politique sur l'équité dépend de la mesure dans laquelle les mesures envisagées peuvent cibler les producteurs et consommateurs pauvres.

La plupart des politiques auront un impact sur le volume des échanges, soit directement, soit en améliorant les incitations qui s'offrent aux producteurs nationaux. Pour déterminer l'effet relatif des différentes politiques sur le commerce, toutefois, il faut tenir compte de la place occupée par un pays ou un groupe de pays sur les marchés mondiaux. Or, il y a lieu de supposer que les pays qui vivent dans l'insécurité alimentaire, y compris les PMA, seront généralement trop petits pour produire un effet de distorsion sur la plupart des marchés des produits agricoles. Lorsque cette hypothèse n'est pas vraie, l'on pourrait avoir recours au type de limitation de la part de marché envisagée à l'article 27 de l'Accord sur les subventions et mesures compensatoires.

Indépendamment de la limitation des parts de marché du type susmentionné, il faut également s'interroger sur le point de savoir si les pays en développement autres que les pays qui sont menacés par l'insécurité alimentaire et les pays les moins avancés ayant de vastes secteurs agricoles compétitifs qui produisent une proportion significative de leurs exportations ou des produits de remplacement de leurs importations devraient être exclus des exemptions accordées sur la base de considérations liées à la sécurité alimentaire. Il a été élaboré plusieurs classements des pays en développement en fonction de l'impact des mesures de libéralisation des échanges, mais aucun d'entre eux ne tient compte de la structure du secteur agricole dans ces pays[18]. Comme démontré ci-dessus, la contribution de l'agriculture au développement rural, et par conséquent à la sécurité alimentaire à longue échéance, est importante, de sorte que l'on peut soutenir que les exemptions devraient être accordées sur la base non pas de la position commerciale nette ou de la structure agraire d'un pays mais plutôt du niveau de développement qu'il a atteint, tel que défini par son indicateur de sécurité alimentaire.

Comme on l'a vu ci-dessus, les politiques d'encadrement des prix peuvent avoir des effets divers sur la sécurité alimentaire selon que les populations menacées par l'insécurité alimentaire sont principalement producteurs nets ou consommateurs nets d'aliments, et concilier des intérêts divergents suppose souvent des dépenses budgétaires considérables. Les mesures de nature à encourager une amélioration de la production sans avoir d'effets néfastes pour les consommateurs devront donc être privilégiées. Le subventionnement des intrants, spécialement s'il est ciblé, peut être administrativement moins coûteux mais fausser l'utilisation des ressources. Les interventions tendant à remédier aux défaillances du marché pourraient être un moyen peu coûteux d'améliorer la sécurité alimentaire au niveau des ménages et au plan national aussi bien dans l'immédiat qu'à plus longue échéance, particulièrement si elles ont pour effet d'éliminer les distorsions qui découragent la production. Les mesures à la frontière et les mesures de soutien des prix risquent d'être relativement inéquitables en ce sens que la politique commerciale favorise les produits exportables et par conséquent les exploitants les plus aisés. Le subventionnement des produits non exportables et des intrants a, au niveau micro, un impact plus équitable sur la sécurité alimentaire.

En résumé, les mesures utilisées pour renforcer les institutions qui ont pour mission de faciliter l'accès aux intrants, ce qui suppose parfois un subventionnement des intrants, peuvent souvent être les plus économiques et les plus efficaces et celles qui causent le moins de distorsions. Les politiques mises en oeuvre pour soutenir la production nationale de denrées alimentaires de grande consommation seront sans doute préférables à celles qui mettent l'accent sur les produits exportables. En cas de besoin, des mesures et politiques tendant à améliorer les incitations offertes aux producteurs par le biais de prix à l'exportation plus attrayants pourront généralement être appliquées plus efficacement au moyen de mesures à la frontière que par un subventionnement des prix à la production, système dont l'administration est plus complexe. Toutefois, comme les mesures du premier type ont un impact plus prononcé sur les prix à la consommation, leur utilisation peut être limitée si elles ne sont pas compensées par des subventions ciblées à la consommation. Une combinaison judicieuse de ces mesures peut être la formule la mieux appropriée si l'on veut obtenir les meilleurs résultats en termes d'efficience, d'efficacité, de coût et d'équité.

4. Assouplissement de l'utilisation des instruments d'intervention par les pays en développement

L'analyse qui précède montre qu'il y aurait lieu, à première vue, d'avoir plus largement recours à différentes mesures pour développer l'agriculture des pays en développement et améliorer ainsi leur sécurité alimentaire. Cependant, de telles mesures pourraient-elles être compatibles avec une version renégociée de l'Accord sur l'agriculture?

Dans plusieurs propositions récentes, les pays développés ont suggéré un resserrement des critères d'exemption. Selon les États-Unis, il faudrait différencier simplement les mesures de soutien selon qu'elles causent ou non des distorsions du marché et perfectionner les critères applicables aux mesures de soutien exemptes pour veiller à ce qu'elles soient ciblées et transparentes et ne faussent pas les échanges. La Norvège considère que les politiques prises en compte pour le calcul de la MGS devraient être subdivisées en deux catégories: i) mesures de soutien de la production destinée au marché intérieur, lesquelles seraient sujettes à des engagements de réduction moins rigoureux; et ii) mesures de soutien de la production destinée à l'exportation, entrant dans le calcul de la MGS, lesquelles devraient être sujettes à de nouvelles réductions. En revanche, la plupart des pays en développement, en particulier l'Inde, préconisent actuellement des exemptions qui soient mieux adaptées aux besoins spécifiques des pays en développement[19].

Bien qu'un classement des mesures dans le sens proposé par les États-Unis ou la Norvège puisse garantir plus de clarté et réduire les possibilités de violation des mécanismes actuellement prévus par l'Accord sur l'agriculture, l'on peut valablement défendre pour les pays en développement un mécanisme plus souple qui tienne compte des différences fondamentales qui caractérisent leurs objectifs en matière de sécurité alimentaire. Les pays en développement ne peuvent certes pas tous être considérés comme menacés par l'insécurité alimentaire, mais l'on peut considérer que tous les pays en développement ont besoin d'accélérer leur développement rural, de sorte que l'on peut envisager deux types différents de positions dans le contexte des négociations de l'OMC:

a) Dans le cas des pays en développement menacés par l'insécurité alimentaire, il s'agirait d'étendre les exemptions dont bénéficient actuellement les PMA à tous ces pays et de leur permettre d'accroître leur MGS pour les produits qui revêtent une importance critique pour leur sécurité alimentaire, à moins que cela n'ait pour effet de porter leur part du marché mondial de l'un quelconque des produits considérés au-dessus d'un certain niveau, comme prévu par l'article 27 de l'Accord sur les subventions et mesures compensatoires;

b) dans le cas de tous les autres pays en développement, il s'agirait de relever le niveau de minimis (peut-être uniquement pour les produits qui revêtent une importance critique pour la sécurité alimentaire); d'inclure dans la catégorie verte le subventionnement des intrants et des investissements pour tous les agriculteurs qui produisent des denrées d'importance vitale pour la sécurité alimentaire et soit de renégocier les consolidations de droits pour les cultures vivrières sans les assortir de concessions correspondantes ailleurs, soit de prévoir une clause de sauvegarde spéciale pour les denrées alimentaires.


[4] Document préparé par la Division des produits et du commerce international de la FAO sur la base d'une étude plus longue de Richard Pearce et Jamie Morrison en vue de la Table ronde organisée par la FAO à Genève le 20 juillet 2001 au sujet de la sécurité alimentaire dans le contexte des négociations de l'OMC sur l'agriculture.
[5] OCDE (2000). Issues at Stake in Agriculture for Emerging and Transition Economies in the Multilateral Trade Negotiations. (COM/AGR/APM/TD/WP (2000)24), Paris.
[6] FAO (2000), Synthèse des études de la situation des différents pays: Colloque de la FAO sur l'agriculture, le commerce et la sécurité alimentaire: problèmes et options dans les futures négociations de l'OMC du point de vue des pays en développement, Genève, Vol. II, études de cas, première partie, p. 5.
[7] Kydd, J., Dorward, A., Morrison, J.A. et Cadisch, G. (2001), The Role of Agriculture in Pro Poor Economic Growth in Sub-Saharan Africa. Document préparé pour le DFID du Royaume-Uni.
[8] La capacité de poursuivre des objectifs de développement rural afin d'améliorer la sécurité alimentaire est l'un des fils conducteurs de nombre de propositions récentes. Dans sa proposition, l'Inde fait valoir qu'il faut ménager davantage de souplesse pour que les pays puissent subventionner les intrants agricoles "dans les cas où les niveaux de production sont inférieurs à la moyenne mondiale". Dans les propositions formulées, il a été souligné en outre que "les mesures adoptées par les pays en développement membres pour atténuer la pauvreté, promouvoir le développement et l'emploi en milieu rural et diversifier l'agriculture devraient être exemptées de tous engagements de réduction" (voir le document G/AG/NG/W/102 de l'OMC du 15 janvier 2001, p. 3-41). De même, Cuba et d'autres pays ont proposé "des mesures de soutien pour améliorer la compétitivité et accroître la capacité nationale de production des pays en développement". En demandant la création d'une "catégorie développement", la proposition de Cuba et d'autres pays tend à ce que les mesures visant à protéger et à accroître la capacité nationale de production vivrière des pays en développement, particulièrement s'agissant des produits de grande consommation, soient exemptées de tous engagements.
[9] Voir FAO (2000), La situation mondiale de l‘alimentation et de l’agriculture 2000, Rome.
[10] Il y a en fait une grande différence entre les droits appliqués et les droits consolidés dans les pays en développement. Voir par exemple OMC (2000), Comité de l'Agriculture (Sessions Ordinaires), Examen des Activités de lÓMC par le conseil général

(G/L/417), Genève, p. 52.
[11] Il a été prouvé que les pays doivent accroître leurs recettes en devises de plus de 1 pour cent pour financer une augmentation de 1 pour cent de leurs importations alimentaires. Voir par exemple Food Security Assessment, Economic Research Service du Ministère de l'Agriculture des États-Unis, Situation and Outlook Series GFA-11, Washington, 1999.
[12] Le Maroc, par exemple, s'est heurté à une difficulté dans le contexte des engagements concernant les MGS en accordant une subvention à l'entreposage des excédents agricoles qui auraient pu être rendue inutile par un subventionnement des exportations.
[13] Pearce R. (1997). Incentive policies for domestic small-scale agricultural production. dans: Konandreas, Lindland, Pearce et Wilkin (eds) The Uruguay Round and Agriculture in Southern Africa: implications and policy responses. FAO, Rome.
[14] Voir le document de la FAO cité à la note 3, deuxième partie, p. 106.
[15] Pour un examen détaillé, voir Dorward, A. R, Kydd, J et Poulton, C. (1998), Smallholder cash crop production under market liberalisation: a new institutional economics perspective. Wallingford, CAB International, p. 56-112.
[16] Dorward, A. et Morrison, J. (2000). Lessons for LDCs on agricultural development experience of the past 30 Years. Imperial College at Wye. Document préparé pour la FAO.
[17] Reutlinger, S. (1987), The nutritional impact of agricultural projects. In Gittinger, J.P., Leslie, J et Hoisington, C. eds. Food Policy: Integrating supply, distribution and consumption. EDI series in Economic Development. Johns Hopkins Press, Banque mondiale, Washington DC.
[18] Voir par exemple: Diaz-Bonilla, E, Thomas, E., Robinson, S. et Cattaneo, A. (2000). Food Security and Trade Negotiations in The World Trade Organization: A Cluster Analysis of Country Groups, Trade and Macroeconomics Division, Discussion Paper No. 59, Washington; et Valdes, A. et McCalla, A. (1999); Issues, Interests and Options of Developing Countries, document présenté à la réunion intitulée Agriculture and the New Trade Agenda from a Development Perspective: Interests and Options in the WTO 2000 Negotiations, Genève (Suisse).
[19] Voir les déclarations faites par ces pays dans les documents G/AG/NG/W/32, 182 et 114 respectivement de l'OMC.


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