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Les offices nationaux de commercialisation de produits agricoles des pays en développement et leur rôle dans le contexte des négociations de l'OMC[50]


Cette étude examine le rôle que les pays en développement voudront peut-être conserver pour leurs offices nationaux de commercialisation de produits agricoles (ONC). Dans le cadre des négociations sur l'agriculture qui se poursuivent sous l'égide de l'OMC, quelques pays membres préconisent avec force de réduire encore plus le rôle des ONC, ce qui pourrait compromettre les intérêts des pays en développement, où ces entreprises jouent un rôle beaucoup plus large - et peut-être plus justifié - que dans les pays développés. L'étude examine comment l'OMC définit et réglemente le commerce d'État et les problèmes que semblent soulever les ONC et qui seront sans doute évoqués lors des négociations sur l'agriculture. Elle évalue le rôle actuel et potentiel des ONC dans les pays en développement et conclut que les pays en développement devraient être autorisés à les conserver.

1. Les offices nationaux de commercialisation de produits agricoles dans le contexte de l'OMC

Environ 75 pour cent des ONC notifiés à l'Organisation mondiale du commerce conformément à l'Article XVII du GATT opèrent dans le secteur de l'agriculture. L'importance du rôle qu'ils jouent dans ce domaine "tient à la conviction que le commerce d'État constitue pour les pouvoirs publics un moyen approprié de réaliser les objectifs des politiques agricoles" (OMC, 1995, paragraphe 5). La plupart des ONC qui jouent un rôle significatif sur les marchés mondiaux et presque toutes les entreprises orientées vers l'exportation sont basés dans des pays développés. Malgré la tendance à la privatisation de ces dernières années, les ONC demeurent d'importants agents économiques dans les pays en développement, mais rares sont ceux dont les dimensions leur permettent d'influencer les marchés internationaux.

Les principes du GATT concernant les ONC

L'interprétation de l'Article XVII du GATT arrêtée lors du Cycle d'Uruguay définit les ONC comme étant:

"Les entreprises gouvernementales et non gouvernementales, y compris les offices de commercialisation, auxquelles ont été accordés des droits ou privilèges exclusifs ou spéciaux, y compris des pouvoirs légaux ou constitutionnels, dans l'exercice desquels elles influent, par leurs achats ou leurs ventes, sur le niveau ou l'orientation des importations ou des exportations."

Aux termes de cet Article, les ONC doivent agir conformément aux principes généraux de non-discrimination prescrits dans l'Accord. En particulier, le paragraphe 1 b) stipule que les achats ou ventes à l'importation ou l'exportation doivent être effectués "exclusivement sur la base de considérations commerciales, notamment pour ce qui est du prix, de la qualité, de la disponibilité, de l'acceptabilité, du transport et des autres conditions d'achat ou de vente, et doivent donner aux entreprises des autres Parties contractantes une possibilité adéquate ... de participer à ces achats ou à ces ventes". Une exception est prévue pour les ONC ayant un monopole des importations auxquelles s'applique la Liste des concessions du pays considéré conformément à l'Article II du GATT. De même, les ONC exportateurs qui ont pour vocation de stabiliser les prix intérieurs des produits primaires sont exempts des droits compensatoires en vertu de l'Article VI du GATT. La plupart des ONC qui opèrent dans le secteur de l'agriculture peuvent bénéficier de l'une ou l'autre de ces exceptions ou des deux.

Types d'ONC agricoles

Les offices de commercialisation ou offices de contrôle constituent le type d'ONC le plus fréquent dans le secteur agricole. Leurs objectifs peuvent être les suivants: stabiliser les prix intérieurs, réglementer les marchés et contrôler et promouvoir les exportations. Ils sont habituellement contrôlés par les producteurs et jouissent d'un monopole sanctionné par l'État ainsi que de pouvoirs exclusifs sur une large gamme d'interventions sur le marché, comme la régulation et l'achat de la production intérieure, la fixation des prix à la consommation et à la production, le contrôle des circuits intérieurs de distribution et le commerce extérieur. Habituellement, ils contrôlent le mouvement, les prix, les normes de qualité et la commercialisation des produits agricoles relevant de leur mandat. D'autres types d'ONC ont généralement des objectifs plus limités et interviennent moins sur les marchés. Les monopoles fiscaux, par exemple, s'occupent essentiellement de contrôler la production, la commercialisation et la distribution de produits qui sont taxés ou qui ont des incidences sur la santé publique, comme le sel, le tabac ou l'alcool. Les agences de canalisation ont le monopole de l'importation ou de l'exportation d'un produit spécifique dans le but de stabiliser les prix intérieurs ou les approvisionnements dans le pays ou de rationner les devises.

2. Les offices nationaux de commercialisation dans le contexte des négociations de l'OMC sur l'agriculture

Les principaux problèmes que posent les ONC dans le contexte des négociations sur l'agriculture tiennent au risque qu'ils ne compromettent les disciplines et la transparence établies par l'Accord sur l'agriculture. La critique la plus fréquemment adressée aux ONC exportateurs provient des entreprises et des gouvernements des pays qui opèrent sur les marchés d'exportation des produits de base et considèrent que les entreprises commerciales d'État sont utilisées pour tourner les engagements pris en matière de subventionnement des exportations. Les critiques dirigées contre les ONC importateurs proviennent principalement des exportateurs qui pensent que ces entreprises peuvent être utilisées pour tourner les engagements pris en matière d'accès aux marchés, particulièrement pour ce qui est de l'administration des contingents tarifaires. L'une des principales questions qui se posent est de savoir si les activités des ONC des pays en développement faussent nécessairement les échanges.

L'effet de distorsion du commerce pouvant être causé par un ONC dépend, entre autres: i) de l'étendue de l'influence qu'il peut avoir sur le marché; ii) de son indépendance, du point de vue réglementaire ou institutionnel, par rapport à l'État; et iii) de son orientation commerciale. C'est sur la base de cette typologie que l'on examinera certaines des questions qui risquent de retenir l'attention lors des négociations.

Influence sur les marchés

Pouvoir de monopole

Par influence sur le marché, l'on entend la capacité qu'a un agent économique d'exercer un pouvoir de monopole ou de monopsone sur un marché intérieur ou international. Comme indiqué ci-dessus, presque tous les ONC importateurs jouissant d'un monopole sont implantés dans des pays développés et la plupart des ONC importateurs dotés d'un monopole dont les dimensions sont suffisantes pour pouvoir affecter les marchés internationaux sont également établis dans ces pays. Dans les pays en développement, en revanche, le chiffre d'affaires des ONC est généralement réduit par rapport aux dimensions du marché mondial de sorte qu'ils ne peuvent généralement pas influencer les cours mondiaux ou les termes de l'échange des produits agricoles. Ils peuvent créer un effet de distorsion sur les marchés nationaux, mais leurs dimensions sont généralement trop réduites pour affecter les cours mondiaux.

Environnement politique

L'environnement politique à l'intérieur duquel opère un ONC reflète dans une certaine mesure l'étendue du pouvoir qu'il peut exercer sur le marché. Un ONC importateur qui ne contrôle pas les prix et les quantités des produits écoulés sur les marchés nationaux doit avoir recours à d'autres instruments d'intervention pour les réglementer. Dans ce contexte, l'instrument d'intervention privilégié par l'OMC est l'imposition de droits de douane plutôt que de restrictions quantitatives, l'idée étant que les premiers ont un effet de distorsion moindre et peuvent être réglementés plus facilement.

Gamme de produits

La gamme de produits dont l'ONC est responsable est un important élément déterminant de l'influence qu'il peut exercer sur le marché. Lorsque l'entreprise contrôle non seulement un produit spécifique mais aussi ses produits de remplacement, elle risque de fausser davantage le commerce du fait des possibilités qui s'offrent en matière de différenciation des produits. Il se présente des possibilités semblables de manipuler le marché si son contrôle s'étend aux produits en amont ou en aval. Cependant, il ne faut pas oublier qu'une intégration verticale ou horizontale est une caractéristique usuelle des entreprises privées et peut être motivée par des raisons commerciales justifiées ou par les pressions de la concurrence.

Nature des marchés

La nature des marchés sur lesquels opèrent les ONC constitue également un élément capital s'agissant de déterminer si un commerce d'État est justifié. La plupart des études des ONC supposent que les marchés internationaux des produits de base sont à tous autres égards caractérisés par une concurrence parfaite. Dans la réalité, sur la plupart de ces marchés opèrent de grandes entreprises qui traitent avec un grand nombre de pays et commercialisent beaucoup de produits dans le cadre de différentes activités intégrées verticalement. L'on est donc fondé à soutenir que des ONC qui opèrent sur un marché caractérisé par une concurrence imparfaite peuvent être justifiés pour des motifs économiques afin de contrer le pouvoir de monopole des agents qui opèrent déjà sur le marché. Chaque cas particulier appelle une analyse empirique pour déterminer si tel ou tel ONC nuit à la concurrence[51].

Indépendance par rapport à l'État

Dans le contexte de la propriété et de la gestion des offices nationaux de commercialisation, l'on a fait valoir que plus un ONC est indépendant de l'État, et plus il agira sur la base de critères commerciaux sans produire d'effet de distorsion du commerce. Manifestement, les ONC sont des entreprises extrêmement diverses de ce point de vue, la gamme s'étendant d'entreprises qui appartiennent directement à une institution de l'État et sont administrées par elle à des entreprises qui appartiennent à des intérêts privés mais qui opèrent en vertu d'un contrat avec l'État qui leur accorde des privilèges commerciaux. L'OCDE (2000) fait valoir que, le plus souvent, l'effet de distorsion du commerce tient au niveau des prix intérieurs et au choix des instruments d'intervention fixés par l'État et non par l'ONC proprement dit. Un ONC peut donc être considéré comme un instrument de la politique des pouvoirs publics et pas nécessairement comme une cause de distorsion. Il est donc permis de penser que des mesures tendant à garantir que les activités des ONC répondent à ces critères commerciaux pourraient limiter le risque qu'ils n'aient un effet de distorsion du commerce.

Orientation commerciale

La mesure dans laquelle un ONC s'occupe de l'importation ou de l'exportation de produits influe sur l'effet de distorsion qu'il peut causer sur le commerce. Quelque pays ont fait valoir que les disciplines actuellement appliquées par l'OMC aux importations des offices nationaux de commercialisation sont plus rigoureuses que celles qui concernent les exportations et qu'il faudrait remédier à ce déséquilibre.

ONC exportateurs

Dans le cas des ONC exportateurs, l'on se préoccupe surtout des avantages sur leurs concurrents qu'ils peuvent tirer de leurs droits et privilèges particuliers et de leur statut officiel. Les rentes que leur procure leur situation de monopole peuvent leur permettre de procéder à un subventionnement croisé des ventes à l'exportation et ils peuvent également, en opérant une péréquation des prix intérieurs, fixer plus facilement des prix arbitraires sur les marchés mondiaux. En outre, grâce à leur statut, leurs sources d'approvisionnement sont plus assurées et ils peuvent ainsi plus facilement conclure avec les pays importateurs des accords à long terme de nature discriminatoire; il leur est plus facile d'imposer des prix du fait de l'accès qu'ils ont à des subventions à court terme de l'État; et ils peuvent bénéficier de taux d'intérêt discriminatoires et d'autres subventions des pouvoirs publics. Comme les subventions à l'exportation sont déjà limitées par l'Accord sur l'agriculture, les activités des ONC orientés vers l'exportation n'auront guère d'effet de distorsion sur le commerce international[52], mais l'absence de transparence de leurs activités peut néanmoins leur permettre de tourner les disciplines établies à cet égard.

ONC importateurs

S'agissant des ONC importateurs, la principale crainte tient à la mesure dans laquelle ils peuvent fausser ou restreindre l'accès aux marchés. Du fait du monopole dont jouissent certains ONC, il peut être difficile de déterminer si les importations sont dictées par la demande sur le marché ou par les politiques ou les contraintes de l'État. Il risque ainsi d'y avoir une discrimination, par exemple en ce qui concerne l'allocation de contingents tarifaires ou le contrôle des qualités et des normes. Lorsque la même entreprise a la capacité d'influencer les prix et les quantités écoulées sur les marchés aussi bien nationaux qu'internationaux, il existe un sérieux risque de dissimulation des coûts et des rendements réels de ses activités et par conséquent une possibilité de déguiser le degré de distorsion des marchés. Des réformes tendant à réduire le pouvoir de monopole des ONC importatrices et à améliorer la transparence de leurs opérations pourraient remédier à ces problèmes.

3. Le rôle des ONC dans les pays en développement

Dans les pays en développement, les objectifs et les activités des ONC vont bien au-delà du contrôle du commerce extérieur et s'étendent à des objectifs plus larges comme le développement rural ou la sécurité alimentaire. Souvent, les ONC tendent à remédier aux défaillances des marchés, plus fréquentes dans ces pays. L'insuffisance du développement de l'infrastructure physique et de l'infrastructure de l'information et - particulièrement dans certaines de l'Afrique subsaharienne - l'absence de classes commerçantes autochtones sont d'autres éléments qui ont encore encouragé le commerce d'État. Historiquement, ces objectifs étaient considérés comme exigeant l'intervention d'un office national pour procéder aux achats et aux ventes nécessaires. C'est ainsi que, dans les pays en développement, des offices nationaux se sont occupés de fournir des services de commercialisation, de gérer les risques et de fournir des intrants de production comme des crédits et des engrais lorsque le secteur privé ne le pouvait pas. Les raisons données dans les notifications que les pays en développement ont adressées à l'OMC pour expliquer le rôle de leurs offices nationaux de commercialisation peuvent être résumées sous les rubriques suivantes.

Réduction de la pauvreté

Les raisons habituellement invoquées dans ce contexte sont liées au souci de promouvoir la sécurité alimentaire et le développement rural, particulièrement en élevant et en stabilisant les revenus agricoles. Les efforts déployés dans ce domaine portent notamment sur la stabilisation des prix à la production et la réglementation des prix des produits alimentaires sur les marchés urbains afin de garantir des approvisionnements adéquats à des prix abordables. Dans sa notification, par exemple, la Namibie a indiqué que "les offices de contrôle ont été établis ... pour promouvoir la production intérieure et accroître ainsi l'emploi et la sécurité alimentaire des ménages". Le soutien d'un prix plancher peut constituer un filet de sécurité important pour les revenus ruraux et encourager aussi une augmentation des approvisionnements alimentaires sur les marchés nationaux. Dans les pays importateurs de produits alimentaires, les mesures de contrôle à la frontière sont un mécanisme fréquemment utilisé pour la régulation des approvisionnements et la protection des producteurs nationaux.

Efficience opérationnelle

La rationalisation des opérations commerciales peut améliorer l'efficience, particulièrement sur les marchés d'exportation, où le secteur privé national ne peut pas opérer efficacement. En outre, du point de vue des économies d'échelle et de la réduction des coûts institutionnels, les ONC peuvent regrouper les efforts d'exportateurs ou importateurs potentiels et améliorer l'efficacité du commerce d'exportation et d'importation en réduisant les frais généraux et les dépenses de manutention. Dans sa notification, la Trinité-et-Tobago a souligné que les principaux atouts de ses moulins nationaux, le National Flour Mill, tiennent à une direction compétente et novatrice appuyée par un personnel qualifié et dévoué; des compétences en matière de gestion et de traitement des céréales et ses aptitudes spécialisées dans des domaines spécifiques; et des installations et un matériel modernes situés dans une localité stratégique.

Considérations stratégiques

Il peut s'agir de considérations tenant à la santé publique, à la gestion des ressources naturelles, à l'accès aux capitaux et au contrôle des investissements. Les risques sont une manipulation des termes de l'échange ainsi que la possibilité d'avoir accès directement à des capitaux grâce à une taxation directe des importations et des exportations.

Les résultats des réformes des ONC

En Afrique subsaharienne, des politiques d'ajustement structurel menées au cours des 20 dernières années ont généralement eu pour effet de réduire considérablement l'étendue de l'intervention et de la réglementation des marchés. En Amérique latine, les réformes économiques ont généralement été mises en oeuvre plus tôt et ont été plus profondes, ayant été motivées davantage par un désir d'ouvrir davantage le commerce multilatéral que par les conséquences de crises économiques internes. En Asie, la mesure dans laquelle la privatisation et la libéralisation ont avancé au cours des dix dernières années a beaucoup varié. D'une manière générale, la tendance a été à une plus grande ouverture et à l'élimination des pouvoirs de monopole plutôt qu'à l'abandon du principe de l'intervention de l'État sur les marchés des produits. Ainsi, bien que les pays en développement se soient orientés vers une réduction du contrôle de l'État et une plus grande transparence, les ONC continuent souvent de jouer un rôle important.

L'on a fait valoir que l'atténuation du rôle des ONC que les programmes d'ajustement structurel ont entraînée en Afrique a eu un impact négatif sur la disponibilité d'intrants agricoles, en particulier de crédits, dont la fourniture n'a pas été assumée par des intermédiaires privés[53]. D'un autre côté, lorsque tel a été le cas, surtout en Asie, leurs activités ont réduit les marges et accru les rendements pour les producteurs. Cela a été démontré par plusieurs études de cas de développement agricole réussi, qui sont parvenues à la conclusion que l'effet d'entraînement des prix était plus marqué en l'absence d'offices de commercialisation[54].

Les exemples de réforme des ONC dans les pays en développement (voir l'encadré) montrent clairement que si l'élimination de l'intervention de l'État dans la distribution et la commercialisation des produits agricoles peut améliorer la performance de ce secteur dans certaines circonstances, réduire le rôle des ONC n'est pas toujours approprié, particulièrement lorsque des contraintes limitent une participation accrue du secteur privé. Les pays en développement devront donc s'interroger sur le point de savoir si les ONC constituent ou non l'instrument le mieux approprié pour atteindre les objectifs qu'ils se sont fixés. S'il s'agit là d'une question qui peut susciter des avis divergents, la décision relève des gouvernements nationaux, sauf en cas de risque de conflit avec des obligations multilatérales ou régionales. L'on peut également soutenir que les avantages que les pays en développement tirent des activités des ONC peuvent, en eux-mêmes, justifier un degré limité de distorsion des échanges en guise de traitement spécial et différencié.

4. Le rôle futur des ONC dans les pays en développement: conclusions

Les préoccupations que soulèvent les ONC dans le contexte des négociations de l'OMC sur l'agriculture ont pour l'essentiel trait à l'impact négatif qu'ils peuvent avoir sur les disciplines prévues dans l'Accord sur l'agriculture en matière de subventions à l'exportation et d'accès aux marchés et sur la transparence du système commercial. La capacité d'un office national de commercialisation de fausser les échanges dépend essentiellement de l'influence qu'il peut exercer sur les marchés, de son indépendance à l'égard des pouvoirs publics et de la nature du marché sur lequel il opère. L'on a mis en relief ci-dessus plusieurs points qui militent en faveur de l'argument selon lequel les pays en développement devraient continuer d'avoir le droit de commercer par l'entremise de l'État:

L'on peut débattre de la question de savoir si un commerce d'État constitue pour un pays en développement le mécanisme le mieux approprié pour faciliter la réalisation de ses objectifs dans le secteur agricole. Les études de cas ont mis en relief différentes situations dans lesquelles un tel commerce d'État a été bénéfique, bien que cela n'ait manifestement pas toujours été le cas. En fait, une moindre intervention de l'État dans la commercialisation des produits agricoles sur les marchés intérieurs a amélioré la performance du secteur agricole dans certains pays. Toutefois, ce serait une erreur que de vouloir appliquer la même approche dans tous les cas ou aux marchés internationaux, sur lesquels le potentiel de développement des petites entreprises privées est sans doute bien moindre. Comme l'on ne peut pas tirer de conclusions catégoriques quant aux avantages d'un commerce d'État, le choix doit continuer de relever des pays en développement, spécialement si ce type de commerce n'a pas d'effet significatif de distorsion des échanges. Cela étant, il serait bon que les règles de l'OMC continuent de laisser aux pays en développement la latitude d'utiliser des ONC.

Encadré 1. Exemples de réforme des ONC dans les pays en développement

Indonésie: Le Badan Urusan Logistik (Bulog) a pour double objectif de stabiliser les prix intérieurs de plusieurs produits alimentaires, en particulier le riz, à des niveaux abordables pour les consommateurs mais suffisants pour stimuler la production. Par le passé, le Bulog avait le monopole du commerce international du riz mais n'a jamais contrôlé plus de 10 pour cent du marché intérieur. S'il est devenu un exportateur intermittent et continue de stabiliser les prix intérieurs, il n'est plus l'importateur et/ou l'exportateur exclusif de riz, de sucre, de blé et de farine de blé, de soja et d'ail et ne jouit donc plus de privilèges exclusifs ou spéciaux au sens de l'Article XVII du GATT de 1994.

Inde: La Food Corporation of India est investie d'un large mandat en ce qui concerne la plupart des céréales (à l'exclusion du maïs destiné à l'alimentation pour le bétail) et a pour mission de stabiliser les prix intérieurs et de contrôler le commerce extérieur. Elle n'a plus le monopole des achats sur le marché intérieur mais a celui du contrôle des importations de céréales afin de réaliser des économiques d'échelle dans les opérations commerciales et de garantir des approvisionnements adéquats. Les négociants privés peuvent opérer sur les marchés étrangers sous réserve d'obtenir une licence.

Éthiopie: Les possibilités de manipulation des marchés ont beaucoup diminué et l'on a constaté une nette tendance à une plus grande ouverture, mais l'État conserve un rôle dans la commercialisation et la stabilisation des prix sur les marchés intérieurs, en concurrence avec le secteur privé. Il gère également une réserve stratégique de céréales et constitue un moyen d'exporter les excédents, nouvellement réapparus, de la production céréalière.

République-Unie de Tanzanie: Le principal ONC qui opère dans le secteur des céréales, la National Milling Corporation (NMC), a été réformé depuis la fin des années 80. Désormais, les seules activités de la NMC sont la meunerie, mais elle n'en a plus le monopole et elle peut être privatisée. La gestion de la réserve stratégique de céréales a été transférée à l'Unité de la sécurité alimentaire du Ministère de l'agriculture. Le gouvernement n'est pas autorisé à intervenir pour stabiliser les prix, bien qu'il procède à des achats dans les régions les plus désavantagées où les négociants privés sont moins actifs. Les importations et exportations relèvent du secteur privé.

Malawi: L'État ne conserve en matière de commerce extérieur qu'un rôle de réglementation, alors qu'il avait jadis le monopole du contrôle de tout le commerce de maïs et d'engrais. Pendant une difficile période de transition qui dure depuis dix ans, les responsabilités de cette entreprise paraétatique ont été considérablement réduites et elles se bornent maintenant à gérer la réserve stratégique de céréales et à jouer un rôle d'"acheteur en dernier ressort" de maïs, rôle qui devrait se réduire progressivement à mesure que l'activité du secteur privé se développe.

Tunisie: L'Office des céréales a le monopole de l'importation de blé et d'orge. En outre, il achète du blé sur les marchés locaux à des prix fixés par l'État et le revend aux consommateurs à des prix subventionnés. Les négociants privés peuvent, dans certaines circonstances, importer des céréales pour le compte de l'Office, auquel cas les prix à l'importation sont déterminés à la suite de négociations commerciales. Le prix de revente des céréales importées est identique à celui que paie la population locale.

Mali: L'intervention de l'État par l'entremise de la Compagnie malienne pour le développement des textiles (CMDT), entité paraétatique, a favorisé le développement rapide du secteur du coton. La CMDT contrôle la production de coton et gère tous les approvisionnements d'intrants, y compris semences, engrais, pesticides et services de vulgarisation. Deux caractéristiques de cette société paraétatique ont contribué à ce succès: i) elle bénéficie d'une participation prioritaire d'un conglomérat français de textiles qui a intégré les opérations de recherche, de production et de commercialisation et constitue des débouchés stables, et ii) depuis 1988, elle opère en tant qu'organisation commerciale du secteur privé dans le cadre d'un contrat de performances avec l'État. Ce contrat prévoit notamment l'établissement de contingents de production et de commercialisation tendant à maximiser l'utilisation de la capacité des installations de la CMDT; des incitations au niveau des prix à l'exploitation pour faire en sorte que les contingents soient atteints; et des mesures de maîtrise des coûts et notamment l'octroi de crédits de campagne et de crédits à la production. Ces mesures aident également le gouvernement à atténuer l'impact sur le secteur de l'instabilité des marchés mondiaux.

Références

Dorward, A. et Morrison, J.A. 2000. The agricultural development experience of the past 30 years: lessons for LDCs. Document d'information préparé pour la FAO.

Kydd, J., Dorward, A. et Poulton, C. 2000. The baby and the bathwater: agricultural parastatals revisited. (miméographié). Imperial College, University of London.

OCDE, 2000. State trading in agricultural markets: a conceptual framework. COM/AGR/APM/TD/WP(2000)17.

OMC, 1995. operations of state trading enterprises as they relate to international trade. Document d'information établi par le Secrétariat, 26 octobre, G/STR/2.

Paddock, B. 1998. State trading and international trade negotiations. Trade Research Series. Economic and Policy Analysis Directorate. Agriculture and Agri-Food Canada.

Veeman, M., Fulton, M. et B. Larue. 1999. International trade in agricultural and food products: the role of state trading enterprises. Economic and Policy Analysis Directorate. Agriculture and Agri-Food Canada.

Young, L. 1999. Prevalence and reform of state trading importers in world grain markets. Research Discussion Paper No. 32. Montana State University.

Notifications adressées au Groupe de travail de l'OMC sur les entreprises commerciales d'État:

Inde: 15 janvier 1996
Indonésie: 26 juin 1995; 11 juillet 1997, 16 novembre 1998
Namibie: 28 février 1997, 5 juillet 1999
Trinité-et-Tobago: 17 novembre 1998
Tunisie: 15 juin 1997


[50] Document fondé sur une étude préparée par R. Pearce et J.A. Morrison pour la Division des produits et du commerce international de la FAO.
[51] OCDE (2000).
[52] Ce point est développé par Dixit et Josling (1997).
[53] Par exemple, Kydd et al (2000).
[54] Dorward et Morrison (2000) ont étudié au plan national et au plan infrasectoriel plusieurs cas de développement agricole réussi des 30 dernières années.

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