0172-B1
Maurice GOMA 1
Dans le sud-ouest du Congo, sur les vastes savanes sableuses très pauvres de la plaine côtière, à partir des années 1978, des plantations industrielles d'Eucalyptus ont été développées.
Ce développement a été rendu possible grâce:
Ces plantations ont aussi la particularité d'être à proximité d'un port à eau profonde de la deuxième ville du Congo, Pointe-Noire, dont la population a varié (avec la guerre) de 600.000 à 800.000, voire 1 million d'habitants et englobe en son sein environ 60 villages permanents et plusieurs campements qui servent de sites temporaires pour les agriculteurs (néo-ruraux).
Le massif forestier d'eucalyptus du Congo ( ECO.SA), appartient à une société anonyme. Ces plantations couvrent 42.000 ha, plantés sur la plaine côtière qui sépare l'océan atlantique et le grand massif du chaillu sur lequel s'érige la grande forêt du mayombe.
C'est grâce à la mise en pratique de la technique de bouturage que ces plantations clonales d'hybrides performants ont été rendues possibles.
La régénération de cette forêt est assurée par la technique de reconduite en taillis et la replantation.
La fourniture des plants est assurée par une pépinière capable de produire jusqu'à 5.760.000 plants par an.
De 1986 à 2000, cette forêt a fourni entre 300.000 à 600.000 m3/an de bois de pâte pour l'exportation vers l'Europe (France, Espagne, Portugal, Norvège) et l'Afrique du Nord (Maroc). 25000 poteaux (1500m3) ont été produit au cours de la même période pour le transport électrique et de téléphone.
Les rémanents de bois sont utilisés pour couvrir les besoins en énergie de la ville de Pointe-Noire ce qui permet de préserver les forêts galeries autour de Pointe-Noire.
Pour la réalisation de ces différentes opérations, 3000 à 6000 personnes sont nécessaires. Autrefois ces personnes étaient en gestion directe de l'entreprise. L'externalisation de plusieurs de ses opérations favorise l'émergence d'un capitalisme local.
A cause des exactions observées dans les plantations, une activité de « fermage » est en cours de développement avec les populations qui vivent dans et autour du massif.
Une redevance annuelle est versé aux communautés et elle a permis l'acquisition de certains bien à usage communautaire .
On constate progressivement dans le sous bois d'eucalyptus, l'apparition des espèces forestières nouvelles sur des sites auparavant colonisé par le Loudétia.
Il y a aussi un engouement des populations à installer des cultures vivrières sur les sites des anciennes plantations abandonnées pour des multiples raisons.
L'histoire des eucalyptus au Congo commence avec l'introduction en 1953 de soixante deux espèces différentes d'eucalyptus (J.C.Delwaulle et Y.Laplace 1988). Cette introduction avait pour objectif la valorisation de deux grandes étendues de savanes du Congo brazzaville. La première dans une région du sud ouest aux alentours de la ville de Pointe-Noire. C'est une savane à loudétia, établie sur un sol sableux très pauvre (région côtière) . La seconde plus riche (sol argileux) se situe dans la région du Niari à 200 km à l'est de Pointe-Noire.
Dans les années 60 apparurent spontanément dans des parcelles d'introduction d'eucalyptus des individus hybrides beaucoup plus performants que les espèces pures.
Deux hybrides furent particulièrement remarqués E. Tereticornis x grandis (HS2) et E. alba x urophylla (PF1). ( J.C.Delwaulle 1985) mais pour valoriser ces génotypes il était nécessaire de pouvoir les bouturer afin de les reproduire à l'identique. Ceci a été réalisé grâce aux travaux de recherches franco-congolaise qui ont mis au point pour la première fois au monde, le bouturage industriel de l'eucalyptus à partir de rejets de souche.
Cette technique a été par la suite reprise par de nombreuses entreprises de plantation industrielle (Amérique du Sud, Afrique du Sud) leur permettant d'évoluer des plantations traditionnelles issues de semis vers la foresterie clonale
Ainsi, dès 1973, le potentiel de croissance des arbres les plus performants a pu être capturé et a conduit à la plantation du premier test clonal en 1975. Le développement industriel a rapidement suivi à partir de 1978.
Le challenge aujourd'hui pour la recherche est de continuer à améliorer le potentiel génétique des hybrides.
Parallèlement à l'amélioration génétique, un ensemble d'essais agronomiques ont été mis en place afin de déterminer les itinéraires sylvicoles optimaux (densité de plantation, régime de fertilisation, techniques de plantation et d'entretien) permettant aux clones de s'exprimer pleinement. Ces essais se concentrent maintenant sur le nouvel hybride urophylla*grandis susceptibles de produire entre 25m3/ha/an et 30m3 /ha/an.
Les savanes à loudétia, reconnues très pauvres de la plaine côtière de la région du Kouilou ont servi de support à l'installation d'un massif forestier d'eucalyptus.
La gestion de cette industrie exige trois contraintes : Planter - Exploiter - régénérer.
La plantation a commencé au cours des années 1978 et a permis d'installer 42000ha. Cette production est arrivée à maturité et fait l'objet d'une exploitation.
Ainsi de 1986 à 2000, cette forêt a fourni entre 300.000 à 600.000 m3/an de bois de pâte exporter vers l'Europe (France, Espagne, Portugal, Norvège) et l'Afrique du Nord (Maroc).
Plusieurs parcelles sont arrivées en fin de course ( troisième rotation c'est à dire 21 ans de vie) et les clones auparavant utilisés ne sont plus compétitifs du point de vue de la productivité.
Pour assurer la pérennité de ce massif et sa conversion, sans continuer à augmenter les surfaces, la régénération forestière est assurée grâce à la reconduite en taillis et à la replantation.
2-1-1 La Reconduite en TAILLIS
Elle consiste à sélectionner le ou les deux meilleur(s) rejet(s) d'une souche 6 mois après l'exploitation. Dans ce cas les souches après abattage ne sont pas empoisonnés. La parcelle est régénérée à partir des souches existantes. Cette pratique se fait de moins en moins du fait de la conversion du massif vers des clones performants d'une part et le nombre important de parcelles en rotation 32 qu'il faut obligatoirement replantées. (Voir schéma global du processus de la sylviculture ci dessous)
2-1-2 La Replantation
Pour trois raisons essentielles, la replantation devient indispensable :
Les différentes phases de la replantation sont matérialisées dans le schéma global du processus de la sylviculture ci dessous.
Grâce à plusieurs innovations apportées les rendements des équipes de replantation sont aujourd'hui de 15 Ha de plants plantés à une densité de 800 plants/ha en 7 heures de travail .
A cause de la pauvreté des sols, trois fertilisations sont nécessaires : une dite starter (au moment la plantation) 250g, la seconde et la troisième dite complémentaire permettent d'apporter au total 600g en deux apports respectivement à 9 mois et à 3 ans au plus tard.
Pour des raisons d'érosion à cause de la fragilité des sols, les entretiens mécanisés font place de plus en plus à des entretiens chimiques.
Le climat de la zone du massif est de type austral caractérisé par deux saisons bien marquées ; une saison dite de pluie d'octobre à mai et une saison plus fraîche sans pluie mais à hygrométrie élevée de juin à octobre. Cette situation limitait les plantations de saison sèche. L'utilisation du Gel qui est un substrat qui permet de capter le peu d'eau qui peut être dans le sol pour le mettre à la disposition du jeune plant rend désormais possible la plantation toute l'année. Il y a donc une plus grande souplesse dans cet activité.
Tableau N°1 : superficies replantées les cinq dernières années.
Année |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
Superficie (Ha) |
3077 |
3148 |
359 |
1575 |
4288 |
Pour pouvoir replanter l'entreprise dispose d'une pépinière industrielle capable de produire 5.760.000 plants obtenu par bouturage des rejets de souches.
L'obtention d'un plant passe par le recepage des parcs, le prélèvement des rejets, le façonnage des boutures, la conduite dans l'aire de rhyzogenèse et le sevrage. Ce cycle se fait en 90 jours. Les innovations apportés nous permettent, en bonne saison, de produire des plants en 6O jours.
Schéma N° 1 : Processus général de la sylviculture de l'Eucalyptus
La valorisation des savanes reconnues très pauvres (sols sableux) par l'installation d'une forêt a induit plusieurs avantages non seulement pour le pays en générale mais aussi et surtout pour les populations environnantes.
L'absence quasi totale d'agriculture (même itinérante sur brûlis) et d'élevage sur ces savanes prouvent que les populations reconnaissent même par empirisme l'extrêmes pauvreté de ces sols. Les rares cultures vivrières sont cantonnées dans les bas fonds et les profondes vallées d'érosion par défrichement des lambeaux forestiers.
En ce qui concerne l'environnement économique des forêts d'ECO.SA, il est exceptionnelle par rapport à ses concurrents : peu ou pas de concurrence foncière, proximité du port en eau profonde de Pointe-Noire (35 km en moyenne), bonne localisation par rapport aux marchés européens voire asiatiques. Cet avantage devrait permettre à ECO s.a. de construire son avenir en trouvant sa place dans une activité en forte croissance internationale.
En effet, la surface de plantation d'eucalyptus double tous les 10 ans depuis 30 ans Le bois est principalement utilisé pour la pâte à papier rondin et copeau mais aussi pour la viscose et le M.D.F. (panneau de fibre). A cette traditionnelle liste, ce sont ajoutés de nouveaux débouchés (énergie, bois d'_uvre : sciage, tranchage, panneau, ...).
La production de poteau (électricité, téléphone) constitue un autre débouché et a permis la construction d'une usine d'imprégnation dans le massif (C.B.I. : Congolaise de Bois Imprégné).
Avec son chiffre d'affaire de l'ordre de 15 à 20 milliards de FCFA, ECO s.a. est devenu un acteur économique majeur de la région voire du pays. Ceci est d'autant vrai que l'espoir qu'à fait naître la découverte du pétrole a été vite anéanti par ce que sa valorisation utilise des technologies de pointe donc peu de main d'_uvre.
Contrairement au pétrole, la spécificité de la forêt est d'être grande consommatrice de main d'_uvre et de surface.
En ce qui concerne la main, ECO.SA utilise entre 3000 et 6000 personnes pour ces diverses opérations ( plantation, entretien, exploitation, protection...),.
Il faut ajouter à cet effectif toutes les personnes qui sont impliquées dans la chaîne de valorisation des résidus de l'exploitation en charbon et bois de chauffe mais aussi tous ceux qui assurent la commercialisation de ces produits en ville.
Quant à ce qui concerne les surfaces exploitées, cette spécificité oblige l'entreprise à réaliser des travaux de voirie qui ont servi finalement pour le désenclavement des 60 villages présents en son sein et cela a été un important facteur de développement rural.
Il sied aussi de signaler que le nombre de personnes utilisé serait plus important si, le projet initial de construction d'une usine de pâte à papier à Pointe Noire ne s'était vite heurté à la taille que doivent nécessairement avoir ces unités pour être rentable (1.000.000 tonnes/an de pâte soit +/- 4.000.000 m3/an de bois).
L'entreprise verse une rente foncière chaque année pour les terres utilisées. Au cours de l'année 2000 par exemple, une partie de cette rente a été utilisée pour financer des projets socio-économiques villageois (forage, dispensaire, lycée et collège, électrification ).
Depuis toujours il y un débat au sujet de l'installation des forêts d'eucalyptus. Ce débat se focalise sur deux points essentiels ; la gestion de l'eau et l'appauvrissement des sols.
Aujourd'hui, les études récentes et les observations des hommes de terrains semblent monter le contraire.
Si la question de la gestion de l'eau devrait certainement être analysée au cas par cas, zone raisonnablement arrosée comme celle du Congo spécialement dans sa phase pluvieuse (Octobre à mais 1250 - 1400mm), par rapport aux zones en voie de désertification encore que là aussi qu'elle serait la capacité de leur nappe phréatique ?
Par contre, en ce qui concerne la gestion de la fertilité des sols, beaucoup d'étude montrent que les sols sous eucalyptus évoluent (encore que nous acceptons qu'ils sont modifiés).
Nous citerons en exemple les études sur : l'évolution de la macrofaune du sol réalisé par Irène Mboukou (1997) qui démontre que la macrofaune du sol évolue positivement dans le sous eucalyptus que dans la savane d'origine.
L'analyse de la végétation sous eucalyptus évolue vers l'apparition des espèces qui ne se rencontrent que dans la forêt Joël Loumeto et all ( ) photo ci dessous.
Photo : Vue d'une parcelle d'eucalyptus dans la phase qui précède l'exploitation (remarqué la présence dans le sous bois de l'antocliesta sp que l'on observe pas en savane) Maurice GOMA ECO.SA
Des observations de terrain montrent que les populations se précipitent à valoriser les espaces que nous abandonnons aux alentours des îlots forestiers ( pour les permettre de « grandir »).
Si cependant ces surfaces ne sont pas utilisées pour des besoins de l'agriculture, leur évolution temps vers une forêt des types secondaire observés après en forêt naturelle.
Comme nous l'avons dit plus haut, il y a une grande activité de valorisation des résidus de l'exploitation en bois de chauffe et en charbon. Cette activité permet de satisfaire plus de 80% des besoins en énergie domestique de Pointe-Noire deuxième ville du Congo ayant une population de 600.000 habitants. Cette population a connu des pics de 1.000.000 habitants avec les guerres que notre pays a connues. Comme on peut le constater, la présence du pétrole n'a pas permis la vulgarisation du gaz de cuisine qui allait contribuer à la baisse des pressions sur les forêts naturelles.
Si nous revenons sur le fait que cette ville est située dans la savane, les représentations forestières ne sont donc que des lambeaux il y a beaucoup de chance que ceux-ci seraient, sans la massif de ECO.SA, en voie de disparition comme cela se produit ailleurs dans le monde.
Nous croyons donc que la pression grandissante sur les forêts naturelles et le caractère durable des plantations gérées rigoureusement laissent présager une transition, pour la gestion durable des forêts naturelles. Le choix de diversification déjà pris par d'autres entreprises équivalentes en Afrique du Sud et Amérique du Sud le montre.
Dans la forêt industrielles tout ne se fait pas sans difficultés, cette ressource entraîne aussi la convoitise des populations qui vivent dans et autour du massif. Ces difficultés s'expriment souvent sous forme de revendication foncière, ou d'exactions ( coupe des arbres, incendie...). Afin de permettre que ces problèmes soit résolus par les populations elles mêmes, des groupes dits de fermage gérés par les chefs du village ont été crées. Un émolument mensuel leur sont versé.
Quand aux incendies des tours de guet ont été construites et permettent de détecter rapidement les foyers d'incendie et d'envoyer des équipes d'intervention.
Comme on peut le constater, en tant que entreprise, ECO.SA ne peut échapper aux obligations de performance et de compétitivité.
Le premier défi consistera à maîtriser la conversion du massif existant encore basé sur les deux hybrides naturels (PF1 et HS2) vers un massif d'urophylla*grandis de grande productivité. Cette conversion « génétique » devra être accompagnée par la mise en place d'une sylviculture intensive de qualité.
Après 22 ans d'existence, le deuxième défi de cette entreprise est de lutter contre les lois du marché, la concurrence et le contexte internationale qui ont évolué drastiquement mais aussi les techniques opérationnelles et les connaissances scientifiques.
ECO.SA devra aussi et de plus en plus impliquer les populations dans la gestion de ce patrimoine. Les eucalyptus dans ce contexte est une grande ressources et très vite, la crise économique aidant des conflits qui ont commencé pourraient s'accentués. Des plans d'aménagement devront être établis afin de mieux gérer les domaine des uns et des autres.
La place des forêts industrielles (facilement renouvelable et dont le technologie est presque maîtrisée), dans la gestion durable des forêts n'en point douter, si elle n'est pas encore reconnue, sera déterminante si l'on veut conserver les étendues qui nous reste encore des forêts naturelles. Les nouvelles utilisations de l'eucalyptus permettent de couvrir une bonne partie des besoins de l'homme en produit ligneux.
J.C Dewaulle .1985 Plantations Clonales d'Eucalyptus Hybrides au Congo. Contribution volontaire au IX è Congrès Forestier Mondial
J.C.Dewaulle et Y. Laplace 1988 La culture industrielle de l'Eucalyptus en république du Congo. De la recherche au développement in Bois et Forêts des tropiques.
I.Mboukou-Kimbatsa et F. Bernhard-Reversat IRD Pointe-Noire (Congo) et Bondy (France). Qualité Biologie des Sols sous Eucalyptus : La Macrofaune comme Indicateur.
Change towards forests environment when eucalyptus are planted on savanna soils : "Biological factors of fertility as affected by plantations" Année : 1999, rapport CIFOR, IRD (ORSTOM)
Effect of exotic tree plantations on plant diversity and biological soil fertility in the Congo savanna : with special reference to eucalyps editor : f.Bernhard-Reversat
MBoukou-Kimbatsa i.m.c. (1997-la macrofaune du sol dans les divers systèmes d'exploitation du sol dans le sud-Congo.Thèse de doctorat-université Paris VI, 150 pages.
MBoukou-Kimbatsa i.m.c. et Bernhard-Reversat f. (2002 Qualité biologique des sols sous eucalyptus, macrofaune comme indicateur. poster-forum sur la qualité des sols. France-ministère de l'environnment Paris 16 au 17 mai
1 Directeur technique ECO.SA
2 Une plantation actuellement (anciens clones) est exploitée au plus fois après la production baisse.