0748-B3
ASMANI A.
En Algérie, le Pin noir au Djurdjura (Pinus nigra ssp. Mauretanica) est une essence forestière relique, menacée d'extinction par au moins deux phénomènes directs: l'absence de régénération naturelle sur de longues périodes et les incendies. A ces deux phénomènes, il faut ajouter l'action anthropique.
Un des premiers soucis pour la préservation et la promotion du pin noir en Algérie consiste à faire un inventaire de ce peuplement et de cerner les difficultés qui menacent sa pérennité.
Cette communication a pour objectif, d'attirer l'intention sur l'urgence des efforts qu'il faut accorder au niveau national et mondial pour la sauvegarde de ce Pin noir, aussi bien pour la biodiversité de la flore en Algérie que pour l'intérêt forestier, écologique et économique qu'elle recèle. En ce sens, nous présentons en exergue l'inventaire alarmant de ce peuplement, tout en passant en revue les difficultés que rencontre le pin noir en Algérie, fruit de dix années de recherche.
Mots clé: Pinus nigra ssp. Mauretanica, Djurdjura, Algérie, régression, Inventaire, Incendies, régénération, Production grainière, phénologie
En Algérie, Pinus nigra Arnold n'est localisés qu'au versant sud du Parc National du Djurdjura. Sur le plan systématique, il forme avec l'autre pin noir d'Afrique du nord, la sous espèce mauretanica Maire et Peyer.
Les connaissances sur ce peuplement sont rares très fragmentaire et les travaux scientifiques encore plus rares. En dehors des descriptions du peuplement à l'occasion de la découverte du peuplement en 1926 (MAIRE, 1927) et la visite du peuplement par GAUSSEN (1952), nous ne retrouvons que des travaux de mémoires de fin d'études d'étudiants de l'Université de Tizi-ouzou (ASMANI, 1988 et 1993; ADJAOUD et AÏDROUS, 1993; ABDELLI et MOALLI, 1996), et deux autres datant de plus de 20 ans BOUTAMINE (1987) et CHALABI (1980).
Les causes directes à la régression de ce phénomène sont multiples et le présent mémoire représente un premier bilan, des 10 années de recherches pour l'approche des différents problèmes qui se pose à ce peuplement et tenter d'apporter des éléments de réponses pour une meilleure conservation et promotion de ce patrimoine mondiale, menacer de disparition à tout moment
Le peuplement de Pin noir du Djurdjura fait partie des Pins noirs (Pinus nigra Arnold ), à aire de répartition naturelle circumméditerranéenne est très morcellement (OZONDA, 1975 et QUEZEL, 1980).
Sans rentrer dans les détails de la complexité de la taxonomie de l'espèce collective Pinus nigra Arnold (1785), dont l'aire de répartition naturelle est circumméditerranéenne, l'existence d'une bibliographique abondante démontre les difficulté de la classification des différentes populations naturelles au sein de ce taxon, en raison du morcellement, de l'évolution et la diversification dans ce taxon à travers le temps (EMBERGER, 1960; CRICHEFIELD ET LITTLE, 1966; CONTANDRIOPOULOS, 1981; OZONDA, 1982).
A sa découverte le Pin noir du Djurdjura a été décrit, sous le nom Pinus laricio ssp. clusiana var. mauretanica MAIRE (1927) et auquel est rattacher trois ans plus tard (1930), le peuplement du Rif marocain fraîchement découvert (FONQUER, 1930 in BELFONTAINE, 1979. Ces deux provenances sont considérer au début, comme une seule et unique variété (mauretanica Maire et Peyer.) au sein de la sous espèces clusiana. Ils forment la sous-espèce mauretanica Maire et Peyer..
Au travers de la synthèse bibliographique de la systématique du Pin noir du Maghreb, il apparaît évident que leur classification ne s'est faite sur la base d'aucun travail scientifique. Nous en concluons que ce rapprochement est d'avantage lier à leur localisation sur l'ancien royaume Berbère de Maurétanie.
Le pin noir du Djurdjura est localisé dans la région de Tikjda (massif central du Djurdjura), sur roche calcairo-dolomitique, entre une altitude de 1420 m et 1610 m. Il se présente sous la forme de trois stations refuges, positionnées en un triangle et distante de 1 à 2 Km, l'une de l'autre (figure 1).
Figure 1: Localisation des Stations de Pin noir au Parc National du Djurdjura
Stations: 1) Tigounatine 2) Taouialt et 3) Tikjda
Ce sont les stations de Tigounatine (1450 à 1610 m d'altitude) à exposition sud-ouest à Nord; de Taouialt (1420 et 1500 m d'altitude) à exposition sud et Tikjda (1450 à 1550 m) à exposition franchement sud (Asmani, 1993).
La région de Tikjda est localise dans le bioclimat Humide à variante frais. Elle présentant une période de sécheresse de 4 mois (juin à septembre) et une pluviométrie moyenne estimée à 1258 mm/an. La température mensuelles varient de 18°C à 23.4 °C (DERRIDJ, 1990 et ASMANI, 1993). La période d'enneigement peut atteindre quatre mois dans les meilleures années (DERRIDJ, 1990). Par sa localisation au versant sud du Djurdjura, la région est soumise directement aux influences des vents chauds (siroco).
Le pin noir du Djurdjura ne forme pas des pinèdes pures. C'est une essence qui accompagne accessoirement le cèdre et dont le cortège floristique est lié à celui du cèdre de L'Atlas (Cedrus atlantica). Avec ce dernier, ils forment dans les stations de Tigounatine (en bouquets de quelques dizaines d'arbres au Maximum, ou en arbres isolés, en présence de l'If (Taxus baccata en limite inférieure), de Taouialt, (présence d'une cinquantaine de sujets épars au sein du Cèdre et du Pin d'Alep (Pinus halepensis) en limite inférieure et de l'Erable - en limite supérieure). Quant à la station de Tikjda, on y localise moins de 5 individus, isolés dans une station très claire et très dévastée et par les incendies.
L'inventaire pied par pied des arbres de la principale station de Tigounatine, fait ressortir un effectif très réduit. Il ne dépasse pas 407 sujets dont les jeunes sujets de régénération.
Le résultats (tableau 1 et la figure 2), font apparaître que 69.04 % des arbres présentent une rectitude de leur tronc et 29.98 % présente des traumatismes ayant provoqué des réitération (au sens d'Oldman, 1974) dans leur croissance en hauteur, ayant provoqué une bifurcation du tronc.
Nous constatons également que 25 % des arbres présentent une hauteur inférieure à la hauteur conventionnelle de 1.3 mètres. Enfin, le peuplement renferme 3 arbres déracinés et un arbre à balai.
Tableau 1: Inventaire du peuplement de la station de Tigounatine
Nature des individus |
NOMBRE D'INDIVIDUS |
||
Hauteur < 1.30 m |
Hauteur > 1.30 m |
Total |
|
Arbre rectiligne |
45 (11.06 %) |
236 (57.99 %) |
281 (69.04 %) |
Arbre avec réitération* |
59 (14.50 %) |
63 (15.48 %) |
122 (29.98 %) |
Déracinés |
|
3 (0.74 %) |
3 (0.74 %) |
Arbre à balai |
|
1 (0.25 %) |
1 (0.25 %) |
Total |
104 (25.553 %) |
303 (74.447 %) |
407 |
(*) Réitération: terme au sens d'OLDMAN (1974), qui en résumé implique l'existence d'au moins un deuxième axe principale (tronc) à partir d'une certaine hauteur de la base du tronc (bifurcation du tronc).
Figure 2: Distribution du nombre d'arbres suivant leur morphologie
(*) Réitération: terme au sens d'OLDMAN (1974), qui en résumé implique l'existence d'au moins un deuxième axe principale (tronc) à partir d'une certaine hauteur de la base du tronc (bifurcation du tronc).
Sur la base d'une corrélation très significative (r = 0.951 *** pour DL de 14) entre la circonférence et la Hauteur (ASMANI, 1993), la déterminer la répartition de la structure des arbres de pin noir du Djurdjura fait apparaître dans le peuplement de Tigounatine, les résultats suivant (Figure 3).
Tout en sachant que le peuplement de Tigounatine est un peuplement irrégulier mélangé entre du Cèdre de l'Atlas et de Pin noir, la figure 4, nous permet de faire deux constats concernant le Pin noir:
D'une part, l'existence des classes d'âges de 20 à 80 ans, correspondant aux individus issus de la régénération naturelle. De plus, si l'on ajoute tous les jeunes semis, qui ne sont pas comptabilisé dans ce graphique, il s'avère que le peuplement ne connaît pas une absence absolue de régénération (depuis sa découverte en 1927).
D'autre part, du point de vue, l'allure de la structure fait ressortir que ce dernier, ne suit pas celui de la futaie irrégulière du peuplement mélange de Cèdre et de pin noir. Ceci traduit une perturbation dans la régénération naturelle et une irrégularité dans le temps (cas des classes d'âge de 20, 40, 50 et 60 ans).
Figure 3: Distribution des arbres par classe d'âge dans la station de Tigounatine
Ainsi, malgré la mise en évidence de l'existence d'une régénération naturelle, sa faiblesse marque un manque de recrutement dans les jeunes classes d'âges, ce qui nous amène à maintenir d'actualité la problématique de la régénération du Pin noir du Djurdjura.
A la découverte du Peuplement MAIRE (1927) signal l'existence d'une régénération naturelle. Mais durant les cinquantaines dernières années de nombreux botanistes et forestiers sont unanimes à signaler que la régénération naturelle est très faible, voire inexistante durant de longues années (GAUSSEN, 1952, CHALABI, 1980; MULLER, 1986; BOUTAMINE, 1988; ASMANI, 1988 et 1993).
Les causes réelles restent mal connues jusqu'à nos jours, souvent en raison par manque de travaux à ce sujet.
Pour mieux comprendre ce problème, nos recherches concernent également la prospection des facteurs affectant la germination (première étape de la régénération). Les résultats font actuellement l'objet de soumissions pour publications scientifiques.
Le 1er bilan des tests en conditions contrôlées permet de constater que le pin noir du Djurdjura présente d'excellentes facultés germinatives et dont le taux atteint 95 % de germination dans les meilleures conditions (22 °C, un pré trempage à l'eau). La lumière ne semble pas présente d'influences sur le processus, alors que le froid humide et très néfaste sur la germination, d'autant plus qu'il est prolongé
A ce stade de nos recherches, les premières conclusions nous permettent d'orienter la problématique de la régénération d'avantage vers le maintien des plantules in situ.
Des observations sur une dizaine d'années, nous ont montrés, sans conteste, que la production grainières est toujours très faible. Ainsi, à titre d'exemple pour les années 1988, 1991 et 1993, ces productions ne dépassent pas en moyenne 16 graines viables par cône et par année. Ce qui ne représente pour la meilleure année de reproduction, que 43 % des graines tout venant. Cette faiblesse dans la disponibilité des graines en mesure de germer, vient accentuer le problème de régénération.
Tableau 2: exemple de production grainière pour trois années de production
Année de récolte |
1988 |
1991 |
1993 |
Nombre de cônes |
162 |
135 |
278 |
Nombre total de graines |
3816 |
4091 |
10673 |
Nombre moyen de graines viables |
10.36 |
5.61 |
16.09 |
% de bonne graine |
43.99 |
18.51 |
41.91 |
En raison du nombre réduit d'arbre de pin noir et de leur isolement parmi les arbres de Cedrus atlantica, les recherches sont également orienter vers le contrôle de la pollinisation afin quantifier les conséquences de l'autofécondation, car comme le précise Sorensen (1982), parmi les causes provoquant la dégénérescence de l'embryon, l'autofécondation prend une place importante.
La phénologie de la reproduction est également source de problème. Espèce monoïque à fleurs unisexuées, le pin noir du Djurdjura, présente un cycle phénologique de deux années et deux mois (Figure 4).
De nombreuses années d'observations, nous ont montré que certaines années, l'apparition de l'inflorescence femelle est trop tardive par rapport à la maturation de l'inflorescence mâle.
Ce «dis-synchronisme» entre la maturité des deux fleurs unisexuées, peut être la source de la faiblesse de la production en graines.
Figure 4: Cycle phénologique du Pin noir au Djurdjura
Pour finir et parmi les innombrables problèmes qui menacent directement la pérennité du Pin noir au Djurdjura, celui des incendies est des plus cruciales et le plus ravageur. En moins d'un siècle, depuis sa découverte, trois dates ont était fatales pour ce peuplement au Djurdjura.
GAUSSEN (1952), après sa visite au Djurdjura, avait signalé qu'en 1950, un incendie a ravagé la station de Tikjda.
Les forestiers du Parc du Djurdjura, signalent que le peuplement a été dévasté par un autre incendie en 1959, durant la guerre de libération nationale de l'Algérie. Pour notre part, nous signalons l'important incendie de l'été 2000 (août) qui a sinistré la région de Tikjda. Ainsi, outre les cinq jeunes sujets de régénération et les vieux sujets (entre 1450 et 1610 m) qui avaient survécus aux précédant incendies, ce dernier a dévasté une magnifique cédraie millénaire.
Au terme de ce premier bilan, qui fait apparaître toute la complexité et la diversité de la nature des problèmes et éléments qui menacent la pérennité du Pin noir du Djurdjura.
Les problèmes lier à la régénération, ne sont pas lier à la germination des graines, qui dans les conditions optimales donnent des taux de germination très satisfaisante (95 %).
Le problème de régénération se retrouve aussi bien en amont qu'en avale à la germination.
Synchronisme de la phénologie de la reproduction, les taux très faibles en production en graines, aussi bien tout venant que les graines viables sont autant de problèmes qui amenuisent la régénération naturelle.
Il en est de même des phases post germination (puisque potentiellement 95 % des graines viables peuvent germer). Il se pose alors la problématique du maintien des nouvelles plantules durant la période estivale.
En réalité l'apparence d'une absence de régénération n'est pas dans l'absolue, comme l'atteste la présence de jeunes semis de régénération de tout âge. Ceci traduit à notre sens, l'existence d'une régénération apériodique, correspondant à une série d'année marquée de condition favorable permettant le maintien des semis.
Ce constat nous amène alors admettre au moins une hypothèse, celle lier aux conditions climatiques de la région de Tikjda, qui aurait évolués, par rapport à condition optimale aussi bien du bion déroulement de la phénologie que de celui de la régénération.
Enfin, le comportement sylvicole de ce pin noir en Algérie, plaide pour sa protection et de l'extension de ces surfaces, aussi bien au Parc national du Djurdjura, qu'ailleurs en Algérie.
L'actuelle politique de sauvegarde et de protection de cette espèce en Algérie est à notre sens trop passive. De plus, les nombreuses pressions qui pèsent sur les stations de ce pins noir d'Algérie, il est plus que temps, que toutes les structures, organismes forestière et de protection de la nature, aussi bien national qu'international, réagissent promptement afin d'établir d'urgence un plan de sauvegarde de ce patrimoine mondiale. Le dernier incendie qui a ravagé la région de Tikjda, traduit toute cette permanente menace. Au mois d'août 2000, les flammes se sont arrêtées à moins d'un kilomètre du principal peuplement.
Qu'en sera t'il demain?
ABDELLI D. et MOALI D., 1996. Contribution à l'étude biosystématique du Pin noir du Maghreb (Pinus nigra Arn. Subsp. mauretanica): Rif et Djurdjura. Mém. Ing. Agr. 82.
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ASMANI A., 1988. Etude biosystématique du Pin noir du Djurdjura (Pinus nigra Arn. Subsp. Clusiana Clem. Var. mauretanica Maire et Peyer). Mém. Ing. Agr. 105.
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