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La gestion durable des forêts en République du Congo

Julien ONKAGUI


RESUME

Selon les dernières estimations de la FAO, les forêts du monde couvrent 3,8 milliards d’hectares environ, dont 95% de forêts naturelles et 5% de plantations forestières. Plus de 2,5 milliards d’hectares de ces forêts, soit les deux tiers, se trouvent concentrées dans dix pays seulement: Fédération de Russie, Canada, Etats-Unis d’Amérique, Brésil, Pérou, Chine, Indonésie, Angola, République Démocratique du Congo, Australie. Au cours de la décennie 1990-2000, le taux annuel de changement a été de - 0,2%.

Les forêts congolaises couvrent environ 20 millions d’hectares, répartis entre trois principaux massifs: Kouilou- Mayombe, Niari-Chaillu et Nord Congo.

Le potentiel ligneux est estimé à plus de 560 millions de m3 en volume brut exploitable; la capacité de production est de l’ordre de 2 millions de m3 de grumes par an, sans altérer la capacité de régénération de la forêt. A ce potentiel naturel, s’ajoutent environ 53.000 hectares de plantations forestières capables de fournir 4 millions de m3. Le taux annuel de déforestation est relativement faible: 0,1%, soit 17.000 hectares. Le réseau d’aires protégées couvre une superficie de 3,6 millions d’hectares, soit 10,6% du territoire national, et comprend trois parcs nationaux, huiit réserves et trois domaines de chasse.

«Gestion durable» est un concept relativement nouveau dans la science forestière. L’analyse de la législation forestière congolaise en relation avec le contenu de gestion durable est faite sur les quarante deux dernières années; on distingue trois grandes périodes:

- de 1960 à 1970: l’accent est mis sur l’extraction du bois, sa commercialisation, les différentes taxes et redevances à prélever. La dimension aménagement n’est presque pas prise en compte.

- de 1970 à 1990: les premières bases de l’aménagement forestier sont jetées au début de la décennie 70, avec la promulgation de la loi 004/74 du 4 janvier 1974 Code Forestier. Le monopole de l’Etat dans l’économie forestière a constitué le principal handicap dans la promotion de la gestion durable pendant cette période.

- De 1990 à nos jours: cette période correspond à celle de la suppression des monopoles, et donc de la libéralisation des activités forestières. Le nouveau Code Forestier (Loi 16-2000 du 20 novembre 2000) consacre cette politique et renforce les dispositions antérieures relatives à la gestion durable des ressources forestières.

Selon les dernières indications de la FAO, les taux de déboisement les plus élevés se situent en Afrique et en Amérique du Sud. Ce qui revient à dire que les efforts les plus importants en matière de conservation de la biodiversité doivent être déployés à ce niveau. Or, ces régions sont les plus pauvres en terme d’infrastructures techniques, de capacités intellectuelles, d’où la nécessité d’une coopération internationale franche et dynamique dans les financements des activités forestières. Toutefois, l’efficacité de cette coopération dépend de la capacité et de la volonté des pays concernés à mobiliser leurs ressources propres au profit de la gestion forestière.


1 - SITUATION DES FORETS DU MONDE

Selon les dernières estimations de la FAO, les forêts du monde couvrent 3,870 milliards d’hectares, dont 95 % des forêts naturelles et 5 % de plantations forestières.

La même source indique que plus de 2,5 milliards d’hectares, soit les 2/3 de ces forêts sont situées dans dix pays seulement:

- un en Europe (Fédération de Russie);
- quatre en Amérique: Canada, Etats - Unis, Brésil, Pérou;
- deux en Asie: Chine et Indonésie;
- deux en Afrique: Angola et RDC;
- un en Océanie: Australie.

La répartition par région indique que l’Europe est la région la plus couverte de forêt, tandis que l’Océanie est la moins boisée.

Pendant la période 1990 - 2000, en dehors de l’Europe qui a présenté une modification annuelle positive de 881.000 ha, soit un taux de 0,1 %, toutes les autres régions du monde ont connu une modification négative allant de 364.000 hectares, soit 0,1 % à 5,2 millions hectares (0,8 %).

2 - POTENTIEL FORESTIER DU CONGO

On estime à 20 millions d’hectares la superficie des forêts congolaises, dont 12 millions de forêt dense sur sol ferme, et 08 millions de forêts marécageuses.

Ces forêts font partie des forêts denses humides du bassin du Congo qui constituent avec celles de l’Amazonie et de l’Asie du Sud - Est les principaux ensembles boisés denses et humides de la planète.

80% de ces forêts sont considérées commercialement productives avec plus de 300 essences. De tous les temps, et en tout lieu, ces forêts ont constitué pour les populations congolaises en général, riveraines en particulier, un réservoir de ressources, de services et de matière première très variés: terres agricoles, produits ligneux, viande de chasse, produits comestibles, plantes médicales etc.

2.1 Principaux massifs

Les forêts congolaises se repartissent entre trois (03) principaux massifs, différents les uns des autres du point de vue de l’étendue, de la composition floristique ainsi que de la mise en valeur; ce sont:

2.1.2 Massif du Kouilou - Mayombe

D’une superficie de 1,4 million d’hectare environ, c’est le massif le moins étendu; son exploitation a commencé après la deuxième guerre mondiale; aujourd’hui, il connaît un épuisement dû à la surexploitation, favorisée par la proximité du port de Pointe - Noire.

L’Okoumé (Aucoumea klaineana) et le Limba (Terminalia superba) sont les principales essences.

2.1.2 Massif du Chaillu - Niari

C’est le deuxième en superficie avec 3,5 millions d’hectares: son exploitation a commencé dans les années 60 avec la mise en service de la voie ferrée Comilog. Ici aussi, l’Okoumé est la principale essence, suivi du Limba. Le massif connaît également un certain épuisement.

2.1.3 Massif du Nord - Congo

C’est le plus important en terme de superficie et de potentialités, avec 15 millions hectares environ, dont 7 millions inondables; deux (02) essences principales sont fondamentalement exploitées: le sapelli (Entandrophragma cylindricum) et le sipo (Entandrophragma utile).

2.2. Potentiel ligneux

Le potentiel ligneux est encore mal connu, puisqu’à peine 6,5 millions d’hectares (environ 30% de la superficie forestière du pays) ont été inventoriés, à des taux de sondage très faibles (0,2-2,5 %) sur la base d’une cartographie datant parfois de plus de dix (10) ans dans certains cas.

Néanmoins, sur la base des résultats des différents travaux d’inventaires réalisés à travers le pays, le potentiel ligneux des forêts congolaises est estimé à plus de 560 millions de m3 en volume bruts exploitables, toutes essences confondues (principales et secondaires) dont 340 millions m3 environ en volume commercialisable.

2.3 Potentiel non ligneux

Les produits forestiers autres que le bois, autrement dit produits secondaires de la forêt ou produits non ligneux sont nombreux et jouent un rôle important dans l’économie congolaise.

Les quelques études réalisées sur ces produits (végétaux) depuis 1947 dans le Mayombe (région du Kouilou) et tout récemment par les projets GEF-Congo (régions de la Likouala, de la Sangha, du Pool et du Kouilou) et ECOFAC (région de la Cuvette- Ouest) ont permis d’identifier:

- 166 essences de plantes alimentaires appartenant à 55 familles;
- 800 essences de plantes médicales appartenant à 1000 familles;
- plusieurs autres essences utilisées pour des raisons diverses: construction, vannerie, culture etc.

2.4 Plantations forestières

Les premiers travaux de reboisement en République du Congo remontent aux années1937 et 1945 avec la création de l’arboretum de Mbuku Nsitu dans le Mayombe sur 21 hectares.

Le reboisement à grande échelle ne commence qu’en 1947 avec les essences suivantes:

Casia siamea (bois de fer), Tectona grandis (teck), Terminalia superba (limba) et quelques autres essences locales.

Aujourd’hui, on distingue deux (02) types d’interventions.

* En forêt dense: l’activité est menée par le SNR (anciennement OCF) dans le Mayombe (Kouilou), à Ngoua II (Niari), Mbila (Lékoumou) et porte essentiellement sur l’ Okoumé et le limba.

- De petits programmes ont été expérimentés sur un peu plus de 13 hectares, de manière disseminée sur d’autres essences.

L’ensemle des superficies plantées en forêts dense couvre environ 10.000 hectares.

* En savane: à ce niveau, interviennent deux (02) structures pour une superficie totale de 53.000 hectares au 31 décembre 1999, ce sont:

Le SNR et ECO.SA (ex-U A I C).

Le volume sur pied mobilisable des plantations forstières et évalué à environ 4 millions m3.

Il convient de souligner que la mise au point en 1975 de la technique de bouturage de l’eucalyptus a permis la multiplication végétative des meilleurs phénotypes des hybrides nés de l’introduction entre 1953 et 1975 de 63 espèces d’eucalyptus et par conséquent le développement de l’afforestation industrielle.

2.5 Déforestation

Depuis une époque très récente, les forêts congolaises sont soumises au phénomène de déboisement.

Selon les dernières estimations de la FAO, le taux de déforestation annuel pour notre pays se situe autour de 0,1 %, soit 17.000 hectares environ.

2.6 Aires protégées

Seize aires couvrant une superficie totale de 3.656.518 hectares (soit 10,6 % du territoire national) ont fait l’objet de classement, soit pour assurer la conservation des écosystèmes forestiers, soit pour favoriser le tourisme de vision, soit pour encourager la recherche etc. Ces aires protégées comprennent trois parcs nationaux, huit réserves, deux Domaines de chasse et trois sanctuaires.

3 - CONTENU DU CONCEPT DE GESTION DURABLE

Il s’agit d’un concept relativement nouveau dans la science forestière; en donner une définition précise et définitive nous paraît hasardeux parce que la science forestière évolue et le monde est divisé en groupe d’intérêts.

Mais, que veut dire gestion durable?

Selon le Petit Robert, gérer vient du latin gerere qui veut dire administrer (intérêt, une affaire, une crise...) organiser, utiliser au mieux (temps, avenir, un patrimoine etc.).

Toujours selon le Petit Robert, durer vient du latin, Durare qui signifie durcir, endurer, résister contre les causes d’une destruction; et dans ce cas, il prend le sens de se conserver, demeurer, tenir.

«Gestion durable» peut donc être défini comme étant une utilisation au mieux, sur une longue période.

L’OIBT pour sa part a introduit depuis quelques années la notion «d’aménagement forestier durable» qu’elle définit comme étant «l’aménagement des forêts permanentes, en vue d’objectifs concernant la production soutenue des biens et des services désirés, sans porter atteinte à leur valeur intrinsèque, ni compromettre leur productivité future, et sans susciter des effets indésirables sur l’environnement physique».

Il peut y avoir d’autres définitions de cette notion mais, dans tous les cas, on relèvera quatre dimensions fondamentales et constantes.

3.1 Dimension Temporelle:

La gestion durable ne peut pas se faire sur une semaine, un mois, un an, même sur 5 ans; il s’agit d’une gestion sur une longue période, évaluée en terme de décennies voir de siècles. C’est une planification non pas pour notre génération, mais pour les générations à venir.

3.2 Dimension Spatiale

Depuis quelques années, la propriété sur les forêts prend une dimension de plus en plus mondiale, parce que les bienfaits que génèrent les forêts ont une portée très étendue. Et comme tel, la gestion durable des forêts sort du cadre de la famille, du village, d’une région ou d’un continent pour se situer au niveau planétaire.

3.3 Caractère pluridisciplinaire

La gestion durable des forêts implique une multitude d’opérations à entreprendre, tels que les inventaires forestiers, le bornage, l’exploitation forestière, les travaux sylvicoles etc.

De telles activités ne peuvent être exécutées par l’Administration Forestière seule, mais par une multitude de professionnels et de communautés, incluant sociologues, enseignants, chercheurs, journalistes et autres.

3.4 Caractère multiressources

La forêt et une entité dont la composition et la dynamique sont variées et complexes. La gestion durable doit donc tenir compte de chacune des composantes, de toute la biodiversité.

4- ANALYSE CRITIQUE DE LA LEGISLATION FORESTIERE EN RELATION AVEC LA GESTION DURABLE

Au cours des 42 dernières années, de nombreuses lois ont été prises pour l’exploitation des ressources forestières, fauniques, foncières et autres.

Pour mieux faire notre analyse, nous allons distinguer trois (3) grandes périodes:

4.1 Période de 1960 à 1970

C’est la période qui suit immédiatement l’accession de notre pays à l’indépendance nationale. Les lois forestières traitaient essentiellement de la récolte et du commerce du bois, et des taxes à percevoir sur la ressource; les questions relatives à l’aménagement des forêts n’y étaient pas abordées ou abordées timidement.

L’attribution des permis se faisait par adjudications publiques, sous forme de PTE.; ceux - ci portaient sur de petites superficies (2500 - 5000 hectares) pour des durées n’excédant pas dix ans.

Aucune attention n’était accordée aux produits secondaires de la forêt, en dehors des droits d’usage.

En matière de faune sauvage par contre, même si l’accent était particulièrement mis sur l’attribution des permis et licences de chasse et les taxes à percevoir, les préoccupations sur la conservation de la faune sauvage étaient annoncées à travers la création des aires protégées et l’interdiction des formes et moyens de chasse destructifs et dangereux.

4.2 Période de 1970 à 1990

Au début de la décennie 70, le Congo élabore le premier plan de développement forestier. Un nouveau code forestier est adopté comme mesure d’accompagnement; celui - ci comporte les mesures suivantes concernant la gestion durable des forêts:

- constitution des Unités Forestières d’Aménagement (UFA) qui sont des unités de base pour la gestion du domaine forestier;

- attribution des concessions forestières suivant procédure d’appel d’offres;

- institution d’une Commission Forestière chargée d’examiner les dossiers des candidats aux contrats;

- révision quinquennale des plans d’aménagement;

- création d’un fonds forestier destiné à la reconstitution du patrimoine forestier et à l’élaboration des plans d’aménagement;

- fixation des diamètres minimum d’abattage des essences forestières;

- interdiction de capture et d’exportation des espèces animales ci- après: hippopotame, lion, panthère, chimpanzé, gorille et autres.

A contrario, les dispositions suivantes ont constitué un handicap sérieux pour la gestion durable des ressources forestières:

- monopole de l’Etat dans les domaines de la commercialisation des bois, de la sylviculture et constitution des forêts;

- octroi des permis de bois d’œuvre;

- incompatibilité de la loi foncière (52/83) avec la réalité sur le terrain.

4.3 Période de 1990 à nos jours

C’est la période des grands bouleversements politiques à travers le monde, avec l’abandon des partis uniques et de l’idéologie marxiste - léniniste comme fondement de développement économique.

On note un renforcement des mesures relatives à la gestion durable dans le nouveau Code Forestier (Loi 16 - 2000 du 20 novembre 2002):

- suppression des permis de bois d’œuvre;

- création de deux services publics, un chargé des inventaires et des aménagements forestiers, l’autre chargé du contrôle des produits forestiers à l’exportation;

- implication davantage des sociétés forestières dans l’aménagement des forêts à travers les conventions d’aménagement et de transformation;

- suppression des monopoles dans l’activité forestière;

- possibilités de création des plantations forestières par des personnes privées;

- obligation de réaliser les études d’impact avant l’exploitation forestière et l’installation des unités de transformation de bois;

- amélioration de la distribution des taxes tirées de l’exploitation des produits forestiers.

- promulgation d’une loi sur l’Environnement qui renforce les dispositions du code forestier et de la loi sur la faune sauvage.

5 - CONTRANTES DE LA GESTION DURABLE DES FORETS

Les travaux de base tels que les inventaires multiressources, le bornage, les photographies aériennes et autres coûtent cher. Le pays n’ayant pas les moyens appropriés est souvent obligé de faire recours aux financements extérieurs.

Par ailleurs, ces activités nécessitent des spécialistes, dont la plupart des Etats n’en disposent pas et font appel à l’expertise étrangère.

La gestion durable implique une certaine continuité dans les programmes et actions à réaliser. Un relai mal assuré annule les efforts antérieurs, d’où rigueur dans la planification et conduite des programmes.

CONCLUSION

Comme nous l’avons dit au début de l’exposé, le monde est divisé en groupes d’intérêts: les uns veulent tirer le maximum de profit de l’exploitation des ressources forestières (au plan économique), dans l’immédiat, les autres prônent une conservation totale; d’autres encore luttent pour une équilibre entre l’exploitation et la conservation, c’est le groupe des modérés.

Nous avons dit également que les taux annuels de déboisement les plus élevés se situent en Afrique et en Amérique du Sud, tandis que les plus bas se trouvent en Europe, en Amérique du Nord et du Centre. Ceci revient à dire que les efforts les plus importants en matière de conservation de la biodiversité doivent être déployés en Afrique et en Amérique du Sud.

Or, ces régions sont malheureusement les plus pauvres en termes d’infrastructures techniques, capacités intellectuelles et technologiques; d’où nécessité de la coopération internationale dans le financement des actions visant la gestion durable des forêts.

A ce sujet, l’O I B T a jeté les bases les plus importantes pour un équilibre assuré entre l’exploitation et la conservation des ressources forestières à l’aménagement forestier durable. Les actions de l’O I B T devraient donc être suivies et soutenues avec une attention particulière.

Mais, l’aide et l’appui de la communauté internationale ne peuvent être efficaces que si les pays détenteurs des ressources forestières réalisent des efforts substantiels dans la mobilisation de leurs ressources propres dans le financement de la gestion durable des forêts.