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L'EXPLOITATION DU BOIS D'OEUVRE ET DES PRODUITS FORESTIERS NON LIGNEUX (PFNL) DANS LES FORÊTS D'AFRIQUE CENTRALE

Sarah A. Laird

1. Introduction

L'exploitation du bois d'œuvre est la principale activité économique dans les forêts d'Afrique centrale et des zones croissantes de la surface forestière sont attribuées aux concessions pour l'exploitation du bois. Etant donné l'importance croissante de la production de bois d'œuvre pour l'économie des régions forestières d'Afrique centrale, toute analyse de la valeur des PFNL pour les économies locales ou de leur incorporation potentielle dans des projets de conservation et de développement des ressources devrait prendre en compte les liens qui existent entre les PFNL et le bois d'œuvre.

Le bois d'œuvre et les PFNL sont étroitement liés pour différentes raisons. Dans certains cas, les espèces ligneuses ont des utilisations importantes autres que le bois, et l'exploitation du bois diminue la disponibilité de ces espèces consommées localement et régionalement come PFNL. Des opérations d'exploitation destructrices peuvent également causer des dommages directs aux essences des peuplements résiduels et à celles qui forment la couverture forestière du sous-étage et du sol dont une grande partie sont des PFNL importants. L'application successive de traitements sylvicoles peut réduire la diversité biologique des essences en favorisant une proportion accrue d'essences commerciales, au dépens des essences concurrentes indésirables, dont certaines peuvent être des PFNL. Par ailleurs, l'exploitation forestière peut créer des habitats pour les nombreuses essences de PFNL qui se développent mieux dans les sites exploités et les forêts secondaires.

En réduisant la diversité de la structure et des espèces dans les forêts, l'exploitation forestière et les traitements sylvicoles peuvent avoir de grandes répercussions écologiques dont on ne connaît pas encore l'ampleur aujourd'hui. Parmi les conséquences probables, citons: la réduction du nombre de pollinisateurs et de vecteurs de propagation des graines et des altérations dans la relation entre plantes et herbivores. Enfin, l'exploitation forestière peut donner naissance à une situation où le potentiel de régénération des essences forestières est affaibli (Peters, 1996). De nombreux PFNL étant récoltés dans une zone bien déterminée de la forêt, la réduction de la variété des essences aura peut-être à long terme un impact direct sur le mode de consommation et de vente des populations locales dépendant des PFNL pour leur bien-être.

D'un point de vue positif, l'intégration du bois d'œuvre et des PFNL dans des systèmes multi-usages d'aménagement des forêts naturelles peut à la fois réduire les effets négatifs de l'extraction du bois d'œuvre et tirer parti des avantages fournis par bon nombre de produits forestiers. Les appels pour des plans d'aménagement des forêts d'Afrique centrale venant des gouvernements et des agences de développement internationales et les développements récents dans les projets de certification et de conservation des produits forestiers plaident pour un examen plus approfindi du lien entre le bois, source principale de revenus, et les PFNL, vitaux pour l'économie, la santé et la culture des populations locales.

Dans cet article nous aborderons brièvement certains aspects concernant le lien entre bois d'œuvre et PFNL en Afrique centrale, à savoir :

1.1. Echelle des activités

Les analyses relatives à la gestion des forêts se basent souvent sur une séparation artificielle entre le bois et les PFNL, alors que les populations locales gèrent la forêt pour les deux types de produits. Certains chercheurs ont proposé de ne plus traiter de l'aménagement des forêts en fonction de la dichotomie entre le bois et les PFNL, mais d'aborder ce sujet en tenant compte de l'ensemble des entrées et des sorties du système, en relation avec les moyens de subsistance des petits exploitants. (Padock et Pinedo-Vasquez, 1996). Il convient donc de distinguer entre :

Le gros du volume de l'exploitation du bois en Afrique centrale est géré par des exploitations commerciales à l'échelle industrielle alors que les PFNL - à l'exception d'une dizaine d'essences médicinales destinées à l'exportation vers les marchés phytomédicaux ou pharmaceutiques telles que le Pausinystalia Johimbe et le Prunus Africana - sont le plus souvent récoltés par de petits exploitants pour la consommation de subsistance ou la vente dans les marchés locaux (Cunningham et al., 1997; Cunningham et Mbenkum, 1993; Sunderland et al., 1997).

Il existe des marchés régionaux bien organisés pour des produits tels que les épices forestières, les médicaments, les bâtonnets à mâcher, les noix de Cola et d'autres denrées alimentaires provenant de la forêt et qui forment un niveau intermédiaire dans l'exploitation des ressources de la forêt. Par exemple, un grand nombre de PFNL commercialisés dans les marchés à Bata, en Guinée équatoriale tels que l'Afrostyrax spp. , le Ricinodendron heudelotii, l'Aframomum spp. , le Tetrapleura tetraptera et le Garcinia kola sont parfois importés du Cameroun et proviennent parfois de zones reculées (Sunderland, 1998).

1.2. La production du bois d'œuvre en Afrique centrale

Récemment, les exportations de bois en provenance d'Afrique centrale ont subi une augmentation dramatique. Par exemple, entre 1996 et 1997, les exportations de bois du Cameroun ont augmenté de 47% (SGS Cameroun, S.A. 1997). Depuis les années 1990, la demande en provenance de l'Asie constitue la part importante de cette augmentation, car les ressources de bois ont connu un déclin dans cette région. Vers 1997, 85% des exportations de bois de la Guinée équatoriale et la moitié de celles du Cameroun étaient à destination de l'Asie. Les exportations de bois en provenance du Cameroun vers les pays asiatiques - à savoir la Chine, le Japon, Les Philippines, l'Inde, Taiwan et Hong Kong - sont passées entre 1996 et 1997 de 23,5% à 49% du volume total des exportations (SGS Cameroun, projet CUREF, 1997). Si les gouvernements ont depuis peu accordé davantage d'importance à la transformation locale (nationale) de produits dérivés du bois, le gros du volume d'exportations est toujours constitué en majorité par des produits ligneux non transformés.

La récente crise économique en Asie a provoqué une réduction de la demande pour le bois en provenance d'Afrique centrale. Les importations japonaises de bois de feuillus du Gabon ont baissé de 68% entre 1996 et 1997 et celles de Thaïlande ont baissé de 39% (SEPBG, 1997). Par contre, dans le même temps, certains pays membres de la communauté européenne ont augmenté le volume de leurs importations de bois en provenance du Cameroun: l'Italie (le plus grand importateur de bois camerounais), la France, l'Espagne et l'Allemagne (SGS Cameroun, S.A. 1997). Il en résulte que, si une diminution de la demande des pays asiatiques est susceptible de réduire temporairement les exportations de bois en provenance d'Afrique centrale, il est probable que la demande globale pour le bois industriel continue d'augmenter.

2. Essences de bois d'oeuvre et de PFNL

Le lien le plus direct entre le bois et les PFNL se vérifie lorsqu'une espèce présente à la fois une valeur ligneuse et une valeur non ligneuse. Dans de nombreux cas, cela se traduit par une diminution de la disponibilité de l'espèce en tant que PFNL, bien que, dans certains cas, l'impact est minimal ou l'exploitation du bois est complémentaire de celles des PFNL. Par exemple, Aucoumea klaineana (okoumé), la principale essence ligneuse exportée par la Guinée équatoriale (85% de son exportation en 1997) et par le Gabon (70%), produit une résine recueillie grâce à l'incision de l'arbre avant l'abattage pour le bois. La résine est utilisée pour produire des torches (qui sont ensuite enveloppées dans l'écorce de Xylopia aethiopica, un PFNL aux multiples usages).

Tableau 1: Exportations de bois du Cameroun d'après les essences. Janvier-septembre 1997 (SGS Cameroun, S.A., 1997).

Essence (nom scientifique)

Nom commercial

Volume (en m3)

Triplochiton scleroxylon

Ayous

412 186

Entandophragma cylindricum

Sapelli

136 564

Terminalia superba

Fraké

112 145

Erythrophloeum ivorense

Tali

102 287

Tetraberlinea bifoliata

Ekop

66 540

Lophira alata

Azobé

63 503

Milicia excelsa

Iroko

55 456

Ditronconanthus benthamiamus

Movingui

39 690

Canarium schweinfurthii

Aiele

29 788

Baillonella toxisperma

Moabi

27 944

Nauclea diderrichii

Bilinga

26 219

Entandophragma utile

Sipo

25 773

Eribroma oblonga

Eyong

23 947

Pterocarpus soyauxii

Padouk

19 987

Pericopsis elata

Afrormosia

18 433

Ceiba pentandra

Ceiba

18 387

Lovoa trichiliodes

Bibolo

12 475

Guibourtia tessmannii

Bubinga

11 454

Daniella ogea

Faro

10 966

Guarea cedrata

Bosse

10 207

Cylicodiscus gabunensis

Okan

10 091

Terminalia ivorensis

Framire

9 762

Khaya ivorensis

Acajou

9 343

Autres essences

 

72 830

TOTAL =

 

1 372 445

Parmi les 25 espèces les plus couramment exportées par le Cameroun (voir tableau 1), la plupart ont également une valeur non ligneuse. Toutefois, pour chaque espèce considérée, la relation entre sa valeur en tant que source de bois et en tant que source de PFNL dépend de facteurs tels que les variations de la densité et de la distribution de l'espèce, sa valeur ligneuse et l'ampleur de la demande locale pour ses produits non ligneux. Par exemple, des espèces telles que Baillonella toxisperma (moabi), Pterocarpus soyauxii (padouk) et Milicia excelsa (Iroko) ayant une valeur importante en tant que source de bois et étant réparties de manière irrégulière et dans de faibles densités, sont fortement diminuées dans les zones d'exploitation forestière. Or leur valeur au niveau local en tant que PFNL est importante et il n'existe pas encore de substituts à ce jour pour certains produits particulièrement valables qu'elles produisent. Il y a donc un véritable conflit d'intérêt pour ces espèces, entre leur valeur ligneuse et leur valeur non ligneuse.

Baillonella toxisperma est une des essences ligneuses les plus prisées de la région, utilisée dans la fabrication de meubles, l'ébénisterie, les parquets et le placage. En 1997, elle constituait en volume la dixième essence commerciale exportée par le Cameroun (SGS, Cameroun, S.A., 1997) et cela, bien qu'elle se trouve dans de faibles densités: moins d'un arbre par hectare. Des graines de B. toxisperma, on extrait une huile de cuisson si prisée, et désormais si rare, que les populations locales préfèrent la garder pour leur propre consommation au lieu de la vendre dans les marchés. Cette huile est également utilisée à des fins médicinales, pour soigner des maux tels que les affections cutanées et les rhumatismes.

Pterocarpus soyauxii (padouk ou camwood) est utilisée dans la fabrication de meubles et dans l'ébénisterie. A certains endroits, ce bois peut-être préféré pour la fabrication de canoës, de tabourets et de matériel agricole. Le padouk est aussi une espèce médicinale et la base de son tronc a également une valeur culturelle et médicinale importante et est utilisé, en particulier par les femmes, lors des mariages et des naissances. Suite à l'exploitation forestière sélective, cette ressource est devenue rare dans de nombreuses zones forestières. Milicia excelsa compte parmi les essences forestières les plus sacrées en Afrique centrale et en Afrique de l'ouest et est souvent utilisée à des fins médicinales. Cette espèce a été fortement réduite, suite à une exploitation forestière sélective, à tel point que dans certains pays, comme le Congo, elle risque l'extinction (WMC, 1994; Laird et al.,1997).

D'autres espèces ligneuses importantes ayant des utilisations autres que le bois sont: Nauclea diderrichii (bilinga), un type de bois d'œuvre particulièrement dur et résistant aux scolytes, utilisé dans les travaux portuaires, les mortiers et la construction. L'écorce, les racines et le bois sont tous utilisés pour la fabrication d'une teinture jaune alors que l'écorce seule peut également servir pour soulager la fièvre et les maux d'estomac (Brown, 1978; Mabberley, 1989; Abbiw, 1990; Laird et al., 1997). Canarium schweinfurthii (aiele) a de nombreuses applications en tant que source de bois et produit également des fruits très prisés, vendus dans les marchés locaux, ainsi qu'une résine, destinée à être brûlée comme encens ou utilisée pour allumer le feu (d'où le nom "bougie de brousse"). Lophira alata (azobé ou bois de fer) est, en volume, la sixième espèce ligneuse exportée par le Cameroun en 1997. Dans la pharmacopée locale, cette essence soigne également les maux de tête et de dents.

Figure 1: Une pile d'écorce de Pausinystalia johimbe dans une concession forestière. Après l'exploitation de cette espèce pour son bois, on récolte souvent son écorce (Photo: T. Sunderland).

Tableau 2: Valeur médicinale de certaines espèces ligneuses du Cameroun

Résultats obtenus pour la région de Limbe, province du Sud-ouest du Cameroun (Laird et al.,1996)

ESSENCE

Nom vernaculaire/

Nom pilote

Espèces les plus exploitées

(Cameroun et région de Limbe)4

Usage médicinal (OUI / NON)

Partie de la plante utilisée à des fins médicinales (classées approximativement par ordre d'importance)

Statut dans la région de Limbe

Aningeria robusta

Aniegre

Cameroun/Limbe

NON

pas d'usage médicinal courant

* +

Afzelia bipindensis

Doussie

Cameroun/Limbe

NON

pas d'usage médicinal courant

**

Albizia zygia

Lantanza

Limbe

OUI

écorce, tronc, fruit, feuilles

*

Alstonia boonei

Stoolwood

Limbe

OUI

écorce, latex, feuilles

**

Autranella congolensis

Mukulungu

Cameroun

NON

pas d'usage médicinal courant

 

Baillonella toxisperma

Moabi

Cameroun

OUI

écorce, huile de graines, écorce racinaire

 

Canarium schweinfurthii

Aiele

Cameroun/Limbe

OUI

résine, écorce, fruit

*

Chrysophyllum africana

Abam

Limbe

OUI

fruit, écorce

*

Ceiba pentandra

ceiba, boma

Cameroun

OUI

écorce, feuilles, fruit, racines

 

Coelocaryon preussii

Ekoume

Limbe

OUI (mineure)

écorce

**

Ditronconanhus benthamianus

Movingui

Cameroun

OUI

écorce, feuilles

 

Entandrophragma cylindricum

Sapelli

Cameroun/Limbe

NON

pas d'usage médicinal courant

* +

Entandrophragma utile

Sipo

Cameroun

OUI

écorce

 

Entandrophragma angolensis

tiama, timbi

Limbe

NON

pas d'usage médicinal courant

** +

Enantia chlorantha

enantia, moambe jaune

Limbe

OUI

écorce

*

Eribroma oblonga

Eyong

Cameroun

NON

pas d'usage médicinal courant

 

Erythrophleum ivorense

Tali

Cameroun

NON

pas d'usage médicinal courant

 

Gossweilerodendron balsamiferum

Tola

Cameroun

OUI

exsudat du tronc

 

Guibourtia tessmannii

Bubinga

Cameroun

OUI

écorce, feuilles

 

Khaya ivorensis

acajou, African mahogany

Cameroun

OUI

écorce, racines, graine

 

Lophira alata

ironwood, azobé

Cameroun/Limbe

OUI

écorce, feuilles

*

Lovoa trichiliodes

Dibetou

Cameroun

NON

pas d'usage médicinal courant

 

Milicia excelsa

Iroko

Cameroun/Limbe

OUI

écorces, feuilles, exsudat du tronc

** +

Mansonia altissinia

mansonia, bete

Cameroun

OUI (minor)

Ecorce, racine

 

Microberlinia bisulcata

zingana, zebrawood

Limbe

NON

 

** (Côte ouest)

Nesogordonia papaverifera

Kotibe

Cameroun

NON

pas d'usage médicinal courant

 

Nauclea diderrichii

Bilinga

Cameroun/Limbe

OUI

écorce, feuilles, racines

**

Pericopsis elata

assemela, afrormosia

Cameroun

NON

pas d'usage médicinal courant - P. laxiflora souvent utilisé

 

Piptadeniastrum africanum

dabema, atui

Limbe

OUI

fruit, feuilles

**

Poga oleosa

Poga

Limbe

OUI

huile de graines, graines

**

Pterocarpus soyauxii

padouk, camwood

Cameroun/Limbe

OUI

tronc, écorce, feuilles

** +

Pycnanthus angolensis

Ilomba

Cameroun/Limbe

OUI

écorce, feuilles, graines

**

Staudtia stipitata

Niove

Limbe

NON

pas d'usage médicinal courant

**

Sterculia oblonga

Eyoung

Limbe

NON

pas d'usage médicinal courant

* +

Sterculia rhinopetala

Nkanang

Limbe

OUI (mineure)

Ecorce

**

Terminalia superba

frake, limba

Cameroun/Limbe

OUI

écorce, feuilles, fruit

**

Triplochiton scleroxylon

obeche, samba

Cameroun

NON

pas d'usage médicinal courant

 

Tiegemella hechelii-africana

Douka

Cameroun

OUI (mineur)

Ecorce

 

Statut des espèces exploitées dans la région forestière située à l'ouest, au sud-ouest et au sud du Mont Cameroun, incluant le Mont Etinde, et s'étendant le long de la cote de Idenau à Mabeta-Moliwe, en passant par Limbe (Akogo et al., 1994):

+ = espèces ligneuses de grande valeur et dont la distribution est réduite suite à l'exploitation sélective.

* = espèces couramment exploitées pour le bois dans la région (1988-94)

** = espèces les plus couramment exploitées pour le bois dans la région (1988-94);

Dans une étude menée dans le sud du Cameroun, on a découvert que parmi 31 espèces ligneuses exploitées par la société d'exploitation forestière GWZ, 19 (représentant 86% du volume total) d'entre elles étaient également utilisées par les populations locales. Lorsqu'on interrogea ces populations, 60% d'entre elles ont affirmé que Baillonella toxisperma était sérieusement menacée par l'exploitation forestière, suivie de Guibourtia tessmannii (bubinga), utilisée localement à des fins culturelles et médicinales et Entandophragma cylindricum (sapelli), utilisée localement pour la construction. D'autres essences citées comme directement touchées par la demande en bois sont Terminalia superba (fraké), Milicia excelsa (iroko), Lophira alata (azobé) et Lovoa trichiliodes (bibolo) (van Dijk, 1997).

Dans la région du Mont Cameroun, plus de la moitié des essences ligneuses les plus précieuses exploitées entre 1988 et 1994, ont également une valeur médicinale et une valeur en tant que PFNL reconnues (voir tableau 2). Parmi celles-ci: Alstonia Boonei, Milicia excelsa, Canarium schweinfurthii, Nauclea diderichii, Poga oleosa, Pterocarpus soyauxii et Terminalia superba. Il convient cependant de préciser que parmi les PFNL les plus largement commercialisés en Afrique centrale dont Irvingia gabonensis, Afrostyrax spp., Tetrapleura tetraptera, Ricinodendron heudelotii, Garcinia kola, Gnetum africanum et Monodora myristica, la plupart ne sont cependant pas des essences ligneuses de première importance (Laird et al., 1996; Ndoye et al., 1997; van Dijk, 1997; Sunderland, 1998).

3. L'impact des opérations d'exploitation forestière sur les PFNL

L'exploitation forestière présente un impact direct, tant présent que futur, sur les récoltes de bois d'oeuvre et de PFNL. Elle peut conduire à un appauvrissement des espèces et de la diversité structurale de la forêt ainsi qu'à une faible croissance du sous-bois, suite à la destruction des semis, des jeunes arbres, de la surface du sol ainsi que des réseaux de drainage (John, 1992; Dijkstra et Heinrich, 1992; Whitmore, 1991). Des recherches menées à l'est de la région amazonienne ont montré par exemple que pour extraire 52 m3/ha, ou 8 arbres, les exploitants forestiers détruisaient 26% des arbres restants. La couverture forestière, composée de routes forestières, de zones d'arbres abattus et de stockage du bois d'œuvre, pourrait diminuer de moitié, suite à l'exploitation forestière (Johns, 1988; Uhl et Viera 1989). Les dommages causés par l'exploitation forestière, incluant la disparition de la couche superficielle du sol, les perturbations et la compaction du sol pouvent retarder la croissance des PFNL et des essences ligneuses.

Les routes forestières, par exemple, provoquent des dégâts directs et lors de certaines opérations mal agencées, elles peuvent occuper une surface comprise entre 6 et 20 % de la zone forestière (Uhl et Viera 1989, Johns 1992; Johnson et Lindgren, 1990). Cependant, l'impact le plus important est peut-être du au fait que les routes forestières rendent accessibles des populations de faune sauvage et de PFNL jusqu' ici épargnées par l'exploitation et la vente sur les marchés. Cela aide les populations locales à tirer profit d'un marché potentiel de nouvelles espèces de PFNL, jusque là inaccessibles, mais cela peut conduire à une surexploitation des ces espèces. (Wilkie et al., 1992; Dahaban, Nordin et Bennet, 1992; Caldecott, 1989).

Les dégâts causés par les systèmes de récolte sélectifs sont généralement repartis de manière inégale étant donné la variation de la densité de population des espèces considérées. Les espèces de PFNL se répartissant dans des zones géographiques limitées, ayant une faible capacité de dissémination et un nombre peu élevé de semis dans le sous-étage, sont généralement moins résistantes à la pression de l'exploitation forestière. Les espèces rares et spécialisées sont généralement susceptibles de souffrir davantage des dégâts aléatoires provoqués par les opérations forestières, et la transformation de la composition forestière vers des espèces plus généralistes se vérifie souvent immédiatement après de telles opérations (John, 1992; Cunningham, 1992; Peters, 1994; Laird, 1995; Peters, 1996).

Il est clair cependant que l'exploitation forestière peut avoir un impact positif sur une série d'espèces de PFNL qui se développent mieux dans des zones forestières perturbées et le long des routes. Parmi celles-ci, en Afrique centrale, citons les espèces de rotin ainsi que de nombreux condiments et espèces médicinales telles que Aframomum spp. (utilisé pour épicer les ragoûts, pour traiter la toux ainsi que comme agent épaississant dans les préparations médicinales), Piper guineense (utilisé comme épice dans les ragoûts, pour soulager la gueule de bois, les maux d'estomac, et comme fortifiant), et Piper umbellatum (utilisé comme emballage alimentaire lors de la cuisson)

Des herbes médicinales souvent utilisées se trouvent le long des routes forestières et dans les secteurs forestiers exploités: Costus afer (dont le tronc est mâché pour soulager la toux et les maux de gorge et dont on extrait le jus pour soigner les infections oculaires), Emilia coccinea (utilisé comme antipoison, contre la jaunisse et les morsures de serpent), Eremostax speciosa (utilisé pour purifier et renforcer le sang). Dans le sud du Cameroun, il apparaît que l'exploitation forestière provoque une régénération abondante de Ricinodendron heudelotii, utilisé comme condiment et a eu un impact limité sur la distribution des classes d'âge de Irvingia gabonensis (van Dijk, 1997).

Figure 2: Fruits de Aframomum spp. (Photo: S. Laird)

Un certain nombre de PFNL importants, tels que les plantes médicinales Senna (Cassia) alata (une espèce pan-tropicale dont les feuilles sont utilisées comme remède contre la teigne ou contre d'autres affections cutanées) et Spilanthes filicaulis (dont on mâche les feuilles pour soulager le mal de dents) se trouvent fréquemment à la périphérie des villages et dans les jardins. D'autres espèces, telles que Kigelia africana (utilisée contre les maux d'estomac, les morsures de serpent et les infections oculaires ainsi que pour nombre de rites et de protections), Alstonia Boonei (dont l'écorce et le latex soulagent la fièvre et favorisent la lactation) et Dacryodes edulis (dont le fruit est un aliment très populaire) ont été ramenées de la forêt et sont plantées dans les villages. Il va de soi que pour les espèces que nous venons de citer, l'exploitation forestière a peu d'impact immédiat.

Les PFNL proviennent d'un grand nombre d'habitats différents et les systèmes traditionels d'aménagement des ressources forestières utilisent un gradient continu de types de végétations, dont les terres récemment défrichées, les terres agricoles mises en jachère, les forêts secondaires et les forêts n'ayant plus été défrichées depuis des siècles. Alors que la plupart des plantes médicinales les plus utilisées proviennent des forêts secondaires, des bords de sentiers, des fermes, des environs du village ou des jardins gérés par des guérisseurs spécialisés, les espèces utilisées pour soigner les maladies les plus graves et bon nombre de celles dont l'effet est considéré "puissant", proviennent des futaies et des forêts secondaires (Thomas et al., 1989; Falconer, 1990, 1994; Laird et al., 1996). L'exploitation forestière n'affecte directement qu'une partie des espèces utilisées par les communautés locales. Cependant, l'importance de ces espèces et leur diversité, ainsi que la difficulté de les substituer, devrait être reconnues.

4. L'interface PFNL/bois: contribution à l'aménagement durable des forêts naturelles

La récolte de produits forestiers ligneux et non ligneux peut être intégrée dans des systèmes polyvalents d'aménagements des forêts naturelles, destinés à la fois à minimiser les effets négatifs de l'extraction du bois, tout en tirant profit des nombreux bénéfices offerts par un ensemble de produits forestiers. Les forêts non aménagées fournissent la plus grande partie du bois en provenance des pays tropicaux. Les rotations, les périodes de régénération, les cycles d'abattage, la limite du diamètre d'exploitation, etc..., dépendent le plus souvent de la demande pour le bois et non sur des critères tels que les taux de croissance ou les besoins de régénération des espèces. Par conséquent, on a tendance à exploiter les forêts au-delà de l'exploitation permise, et les dégâts causés peuvent être lourds (Poore, 1989; Nair, 1991; Wadsworth, 1987). Cependant, dans les forêts aménagées, le bois et les PFNL peuvent être exploités de manière complémentaire (Salick, 1992; Mahorta et al., 1991).

Les plans de récolte du bois peuvent être établis à partir d'inventaires et d'une collecte d'information. Ceci est nécessaire pour assurer la pérennité du milieu et organiser le transport à l'intérieur de la forêt, de façon à minimiser les dégâts causés aux peuplements résiduels et à l'ensemble de la zone déjà perturbée par les routes, les pistes d'atterrissage et les pistes de débardage. Les opérations d'exploitation forestière pourraient être échelonnées dans le temps, et en tenant compte des saisons de pluie, des périodes de chute des graines et des cycles de reproduction des animaux et des végétaux non ligneux. On peut organiser, avant et après l'abattage des arbres, des activités complémentaires de récolte de PFNL, telles que la récolte de rotin, la collection de graines oléagineuses et d'écorces ayant des vertues médicinales, ainsi que l'extraction d'huiles essentielles et de résines, à partir d'essences prisées pour leur bois. Actuellement, la récolte de PFNL menée conjointement avec les opérations de bûcheronnage, se fait le plus souvent au cas par cas, mais il serait possible de l'intégrer dans des plans d'aménagement, tel qu'encouragé pour les forêts communautaires du Cameroun, dans une innovation de la Loi 94/01 de janvier 1994, sur les forêts, la faune sauvage et les pêches (GoC, 1994; GoC, 1997; Laird et Lisinge, 1998).

Les plans d'aménagement et une attention pour l'usage multiple des espèces font partie des efforts internationaux ayant pour objectif de fournir des incitations économiques pour la gestion durable des forêts. Récemment, le Forest Stewardship Council - Le principal organisme d'habilitation pour l'extraction du bois dans les forêts naturelles et dans les plantations - a entrepris une étude sur le rôle des PFNL dans la production de bois par l'intermédiaire du groupe de travail sur les PFNL. L'adoption d'un document préliminaire de principes, régissant la gestion des PFNL, est actuellement en discussion. Tout en soulignant la nécessité d'un plan gestion durable pour les PFNL, ce document demande que «11.3 les plans d'aménagement donnant la priorité à la production de bois devraient inclure des dispositions claires, afin de décrire et minimiser les impacts à court et à moyen terme sur les PFNL» et que «11.6 le contrôle de l'exploitation du bois devrait évaluer les impacts de celle-ci sur les ressources non ligneuses et sur les écosystèmes forestiers. Cette surveillance devrait également inclure l'impact de la récolte des PFNL sur les ressources ligneuses.» (ESC NTFP Working Group, 1997).

Malheureusement, les statistiques concernant le lien entre l'utilisation et la gestion des ressoures ligneuses et non ligneuses sont difficiles à trouver. Des études existent cependant et tentent de mesurer les changements des variables écologiques, suite à l'exploitation forestière, aux dégâts causés, à la régénération et aux traitements sylvicoles et ce, à la fois pour les espèces utiles et pour la communauté végétale dans son ensemble (Salick et al.,1992; Salick et al., 1995; Peters, 1996; van Dijk, 1997; Shanley et al., 1998). Il faut tenir compte à la fois des aspects écologiques, socio-économiques, légaux, politiques et culturels liés à l'exploitation et à l'utilisation du bois et des PFNL pour étudier, d'une part, le lien entre le bois et les PFNL et, d'autre part, la conservation des forêts tropicales et des ressources qu'elles contiennent.

Références

4 Les bois d'oeuvre les plus exploités au Cameroun, selon FMRP (1993) and SGS (1997); les 22 espèces de bois d'oeuvre les plus exploités dans la région de Limbé, selon Akogo et al. (1994).

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