ALICOM 99/20





Conférence sur le commerce international des denrées alimentaires
au-delà de l'an 2000: décisions fondées sur des données scientifiques, harmonisation, équivalence et reconnaissance mutuelle
Melbourne (Australie), 11-15 octobre 1999

Garantir la prise de décisions fondées sur des données scientifiques - déterminer le niveau de protection approprié; règlements seuils - application

par

M. le Professeur Arpad Somogyi, Direction générale santé et protection du consommateur, Commission européenne, Bruxelles (Belgique)1


Table des Matières


I. Introduction

1. Le rôle prééminent de la science dans la prise de décisions intéressant la réglementation de l'alimentation est indiscuté. La science est depuis de nombreuses années est à la base de cette réglementation à l'échelle nationale et internationale dans le monde entier. Avec l'intensification du commerce international des denrées alimentaires pendant la deuxième moitié du siècle, il est devenu nécessaire de disposer d'une mesure universellement acceptable permettant de s'assurer à la fois d'un degré de sécurité élevé des produits alimentaires et de pratiques commerciales loyales dans le commerce international. Avec sa réputation proverbiale d'objectivité, la science a servi de référence et été mise en application dans une mesure croissante dans les accords internationaux, entre autres dans ceux qui réglementent le commerce des produits alimentaires. À sa vingt et unième session, la Commission du Codex Alimentarius a décidé d'adopter les "Déclarations de principes concernant le rôle de la science dans la prise de décisions du Codex et les autres facteurs à prendre en considération" (Commission du Codex Alimentarius, 1999). Ces déclarations, souvent appelées les "quatre principes", attribuent clairement à la science un rôle de pivot tout en soulignant tout aussi clairement la légitimité d'autres facteurs dans les réglementations alimentaires internationales. De même, le Traité portant création des Communautés européennes, tel que récemment amendé par le Traité d'Amsterdam, invite le législateur dans l'article 95 à prendre comme base un niveau élevé de protection, compte tenu de tout fait nouveau basé sur des faits scientifiques (Traité d'Amsterdam, 1997). Aux Etats-Unis, le Committee to Ensure Safe Food from Production to Consumption (Comité chargé d'assurer la sécurité des produits alimentaires de la production à la consommation), constitué conjointement par l'Institute of Medicine (Institut de médecine) et le National Research Council (Conseil national de la recherche), est parvenu à la conclusion que le critère le plus important à retenir parmi les caractéristiques d'un système efficace pour assurer la sécurité des denrées alimentaires est qu'il doit reposer sur la science en faisant une très large place à l'analyse des risques et en permettant ainsi de donner la plus haute priorité en termes de ressources et d'activités aux risques considérés comme potentiellement les plus dangereux (Institute of Medicine, National Research Council, 1998). On pourrait citer beaucoup d'autres exemples qui, en principe, confirment tous sans équivoque que la science est le fondement nécessaire, même s'il n'est pas suffisant, de la réglementation. Avant d'élargir notre pensée sur le rôle de la science dans la prise des décisions qui conduisent aux réglementations, il nous faut marquer un temps d'arrêt et nous demander ce qu'est effectivement la science.

II. La science en tant que base de la réglementation

2. Dans l'édition de 1998 Merriam-Webster's du Collegiate Dictionary, la science est définie comme l'état actuel des connaissances: le savoir distingué de l'ignorance ou de l'erreur. Cette définition ne fait pas de distinction entre les connaissances à divers niveaux. Le savoir n'est pratiquement jamais complet et il n'est jamais statique. Il s'agit plutôt d'un concept dynamique en voie de développement et de perfectionnement constants. Sur la base des connaissances et donc de la science qui étaient celles du siècle dernier, notre vie contemporaine serait absolument impensable. On peut prévoir sans risque de se tromper que le jugement des générations futures sur nos connaissances actuelles - dont nous sommes si fiers - ne sera de même pas beaucoup plus gracieux. En conséquence, la réglementation fondée sur la science doit invariablement être considérée comme une étape transitoire reflétant le savoir à un moment donné. Même cette assertion est sujette à interprétation. L'histoire de la science est pleine de contradictions qui sont souvent l'expression d'une féroce compétition entre des vues et des idées diamétralement opposées. Le défi lancé aux connaissances du moment a toujours été le moteur plus puissant du progrès scientifique. Il est donc extrêmement difficile de déterminer ce qu'est la science contemporaine dans un domaine donné, à un moment donné. Les vues générales de la majorité ou les nouvelles idées hétérodoxes de la minorité - souvent d'un unique aventureux - constituent-elles la science « de bonne qualité"?. Beaucoup de grandes découvertures et de percées scientifiques ont été le produit d'idées violemment contestées qui ont été initialement rejetées par l'ordre scientifique établi ou même condamnées comme des hérésies par d'autres. Par ailleurs, il est probable que beaucoup plus d'idées intéressantes, plausibles et ostensiblement convaincantes se sont révélées plus tard être des illusions, des supercheries ou tout simplement le produit de la fraude. Par conséquent, en particulier si l'enjeu est la santé publique, la responsabilité d'opter pour l'opinion de la majorité ou de la minorité peut facilement devenir terrifiante pour les décideurs. La crise de l'ESB2 en offre un exemple tragique: l'acceptation trop tardive par la majorité des avertissements précoces bien fondés lancés par la minorité pour ce qui concerne la transmissibilité de la maladie des bovins aux humains a conduit à mettre trop tard en application les mesures de réglementation appropriées.

3. En dépit de ces impondérables, rien ne peut raisonnablement remplacer la science. Elle doit donc devenir et rester absolument un ingrédient indispensable de toutes les décisions d'ordre réglementaire. Il faut toutefois reconnaître qu'en règle générale, pour être efficaces, les décisions de ce genre visant à protéger la santé des consommateurs doivent être prises "séance tenante" avant que les controverses scientifiques aient pu être résolues et que le verdict ait été prononcé. Il faut que tous les dépositaires d'enjeux comprennent clairement ce qu'en général et à un moment donné la science peut apporter et ce qu'elle ne peut pas. La durabilité de la validité scientifique de toute décision d'ordre réglementaire sera toujours fonction des progrès accomplis dans les disciplines pertinentes, ce qui veut dire qu'elle peut être extrêmement courte. Les bases scientifiques d'une réglementation particulière qui sont jugées aujourd'hui inébranlables dans le monde entier peuvent être facilement balayées demain comme du sable.

III. Réglementation applicable aux denrées alimentaires

4. L'application d'une réglementation aux denrées alimentaires remonte au début de l'histoire humaine. Nous avons assisté à la fin de ce vingtième siècle à une phase d'expansion sans précédent des mesures de réglementation de ce genre. Les denrées alimentaires sont en fait aujourd'hui dans le monde entier l'un des produits de base les plus réglementés. Le système utilisé a connu depuis ses débuts de profonds changements. Alors que les premières tentatives de réglementation visaient principalement à empêcher et combattre la falsification et la fraude, les mesures actuelles sont axées sur la sécurité. La sécurité des denrées alimentaires est un aspect extrêmement complexe qui ne peut être abordé qu'en recourant à une multitude de disciplines scientifiques. Un arsenal pluridisciplinaire de sciences naturelles (par exemple physique, chimie, psychologie, hygiène, microbiologie, ingénierie et technicologie) a permis de poser les fondations d'un système moderne de réglementation des approvisionnements alimentaires par les organismes nationaux et internationaux dans le monde entier. En particulier, les méthodes analytiques, toxicologiques et microbiologiques de plus en plus perfectionnées pour l'évaluation des constituants normaux et des contaminants des denrées alimentaires et pour celle des additifs alimentaires, ainsi que les nouveaux concepts en matière d'analyse des risques, y compris le principe de précaution (Belvèze, 1999), ont attribué une contribution décisive à cet égard. Ces dernières années, spécialement avec la création de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), la sécurité des produits alimentaires est également devenue l'aspect fondamental de leur commerce international.

5. Les décisions en matière de réglementation des vivres touchent directement n'importe quel citoyen de n'importe quelle communauté. L'intérêt toujours croissant du public pour les questions de sécurité de l'alimentation n'est donc pas surprenant. Même si, en termes généraux, il est justifiable de dire que l'alimentation est plus saine aujourd'hui qu'elle ne l'a jamais été, les résultats d'un récent sondage d'opinion (Eurobaromètre) n'en montrent pas moins que la grande majorité (68 pour cent) des consommateurs de l'Union européenne (UE) s'inquiètent de la sécurité de leur nourriture. On peut présumer que dans d'autres régions du monde, la pensée du public n'est pas très différente. En particulier, depuis qu'il y a eu des rapports, par exemple, sur l'huile d'olive adultérée en Espagne, la poussée d'encéphalopathie spongiforme des bovidés au Royaume-Uni et sa propagation dans d'autres pays, l'apparition à l'échelle mondiale de Listeria monocytogenes et de souches toxinogène d'Escherichia coli, la contamination des aliments pour animaux par des dioxines en Belgique, se répercutant sur une gamme de produits alimentaires d'origine animale, a envoyé des vagues de chocs dans le monde entier. À la lumière d'exemples aussi spectaculaires au cours des dernières décennies d'infections transmises par les aliments et d'intoxications se traduisant par des maladies débilitantes et des fatalités, cette conscience accrue et la préoccupation du public pour la sécurité des denrées alimentaires sont pleinement compréhensibles.

6. Comme nous l'avons dit dans notre introduction, la science a été universellement acceptée avec le passage des années comme la base appropriée des décisions en matière de réglementation. Au milieu des années 50, on a reconnu qu'avec l'introduction d'un nombre croissant d'additifs nouveaux visant à donner aux produits alimentaires de nouvelles caractéristiques désirables de qualité, de nouvelles questions ont commencé à se poser quant à la sécurité de ces produits. L'évaluation toxicologique de molécules chimiques jusqu'alors mal connues utilisées dans technologie alimentaire toute nouvelle de l'après-guerre est devenue un défi formidable aussi bien pour les organismes de réglementation que pour l'industrie. Les tentatives faites pour relever ce défi sont souvent allées au-delà de l'aptitude/ou des moyens des organes réglementaires nationaux individuels. En outre, il est apparu très rapidement que, dans ce vaste domaine inexploré, si des organismes nationaux s'attaquaient isolément à la tâche de l'évaluation de ces nouvelles substances sur le plan de la santé, il s'ensuivait une hétérogénéité fréquemment inquiétante des recommandations. Les efforts internationaux entrepris pour remédier à cette situation ont conduit à mettre en place des dispositifs institutionnalisés pour l'évaluation de l'innocuité des substances chimiques dans les denrées alimentaires. Initialement, suite à la Conférence sur les additifs alimentaires organisée conjointement en 1995 par l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le Comité mixte FAO/OMS d'experts des additifs alimentaires (JECFA) a été mis en place en 1956 (OMS, 1987). Durant les années ultérieures, la gamme des catégories de substances à prendre en considération a été élargie de manière à inclure les constituants normaux et les contaminants des produits alimentaires, ainsi que les résidus de pesticides et de médicaments à usage vétérinaire.

7. En Europe, le Comité scientifique de l'alimentation (SCF) et ses prédécesseurs ont aidé à renforcer de manière inestimable la base scientifique des décisions en matière de réglementation. Depuis qu'il a commencé à fonctionner en 1974, le SCF a tenu près de cent vingt sessions plénières. Celles-ci, ainsi que les innombrables réunions de ses groupes de travail subsidiaires consacrées à des problèmes récurrents dans des domaines spécifiques (par exemple additifs alimentaires et contaminants, produits chimiques provenant des matériaux d'emballage, microbiologie et hygiène, nutrition) ou les réunions organisées pour résoudre des problèmes inattendus de type nouveau, sont les principaux fournisseurs d'avis scientifiques en matière d'alimentation à la Commission européenne (CE) qui est l'organe exécutif de l'UE.

8. Outre de nombreux organismes nationaux et organes consultatifs des gouvernements, le JECFA et les réunions conjointes FAO/OMS sur les résidus de pesticides (JMPR), ainsi que plusieurs comités scientifiques de l'UE, ont apporté une contribution largement reconnue à l'élaboration de procédures appropriées pour et à la conduite de l'évaluation de la sécurité des substances chimiques dans les produits alimentaires. Il ne faut cependant pas nous satisfaire des bons résultats obtenus dans le passé. Cela d'autant plus qu'il n'y a pas eu défaut de critiques justifiées qui ont accompagné à l'occasion le travail de ces institutions scientifiques.

9. Pour la préparation de mesures législatives, la CE s'est toujours reposée sur des avis scientifiques émanant de diverses sources. L'une des plus importantes a été le système de comités scientifiques. Ces dernières années, avec la complexité et le perfectionnement croissants aussi bien de la science que de la législation, il est devenu évident que les mécanismes du passé ne peuvent satisfaire aux besoins présents et à venir. Par suite, suite à la crise de l'ESB, la CE a pris en 1997 des initiatives décisives pour remédier aux déficiences passées et pour instaurer des mesures visant à accroître encore l'intégrité et l'efficacité de ses mécanismes consultatifs scientifiques. Sur la base de leur excellence professionnelle et de leur indépendance, cent trente et un experts scientifiques en plusieurs disciplines ont été sélectionnés parmi de nombreuses centaines de recensés répondant à des appels publics en vue de leur demander s'ils souhaiteraient devenir membres des comités scientifiques de la CE (Reichenbach, 1999). Huit comités scientifiques3 se consacrent entre autres, respectivement, aux questions de sécurité des denrées alimentaires, nutrition animale, santé et conditions de vie des animaux, prospection des plantes, cosmétiques, produits chimiques ainsi que produits à usage médicinal et instruments à usage médicinal. Un neuvième groupe pluridisciplinaire, le Comité directeur scientifique, outre qu'il s'occupe de questions particulières chevauchant pour la plupart le domaine d'intérêt de plusieurs comités scientifiques (par exemple ESB et questions y relatives) exerce essentiellement des fonctions de coordination. Ainsi qu'il convient, la moitié de ses seize membres sont les résidents des huit comités scientifiques spécialisés et l'autre moitié est désignée personne par personne pou siéger au Comité directeur scientifique. À la différence du JECFA et de la JMPR qui opèrent actuellement avec des groupes variables de membres spécifiquement sélectionnés pour chaque session particulière, le Comité scientifique de la CE est nommé, pour assurer une mesure souhaitable de continuité, pour une période de trois ans à la fois. À peu près une demi-douzaine de réunions plénières sont tenues chaque année. Durant leurs deux premières années d'existence, ces comités scientifiques ont adopté plus de cent soixante opinions sur une pléthore de questions qui leur ont été posées par la CE. Ces opinions ont été mises à la connaissance du public immédiatement après leur adoption - par l'Internet - de même que la liste des membres des Comités scientifiques, les ordres du jour et les procès-verbaux de leurs réunions. On voit donc que, outre les caractéristiques déjà mentionnées d'excellence et d'indépendance, la transparence est également un trait essentiel caractérisant le fonctionnement des comités scientifiques de la CE.

10. Sur la voie de l'harmonisation internationale des réglementations applicables aux denrées alimentaires, la création de l'OMC a été une étape importante (Organisation mondiale du commerce, 1994). En particulier, l'un des documents constituants du volumineux catalogue de réglementations, à savoir "l'Accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires (Accord SPS)", a donné d'importants signes d'orientation pour beaucoup d'aspects de l'évaluation scientifique. Pourtant, les résultats d'une période de presque cinq ans écoulée depuis que les négociations d'Uruguay ont atteint leur point culminant avec la création de l'OMC et que l'Accord SPS a pris effet ont montré de façon convaincante qu'il y a toujours une ambiguïté considérable. La chose est devenue particulièrement évidente lors de la discussion des procédures de règlement des différends de l'OMC relativement aux mesures de l'EC concernant la viande et les produits carnés (hormones) (Organisation mondiale du commerce, 1997). Le caractère ingrat de ce cas a été caractérisé par le désaccord substantiel sur des points fondamentaux de l'évaluation scientifique et par le fait que des éléments clefs du raisonnement avancés dans le rapport du Groupe spécial de l'OMC ont été infirmés ensuite par l'Organe d'appel. La décision de l'Organe d'appel donnait des précisions complémentaires ainsi que des orientations quant à certains aspects critiques de ce cas particulier présentant également un intérêt primordial pour l'avenir (Organisation mondiale du commerce, 1999).

11. Plus particulièrement, il convient de noter que l'Organe d'appel a réaffirmé qu'une mesure conservatoire prise par un gouvernement membre doit être fondée sur des données scientifiques valables ou doit être suffisamment justifiée par une évaluation des risques. Par ailleurs, cette dernière ne doit pas forcément avoir un caractère quantitatif. L'Organe d'appel a décidé en outre que les gouvenements signataires peuvent fonder leurs mesures sur les vues d'une minorité de sources compétentes et respectables. Un aspect entièrement nouveau de la décision de l'Organe d'appel qui risque de découler des difficultés en matière de contrôle et d'inspection peut aussi être pris en considération lorsque l'on examine les options possibles pour choisir des mesures appropriées.

12. Ces quelques exemples illustrent que la science fournit la base solide mais non la structure d'ensemble d'un important instrument de réglementation conçu en vue d'assurer la sécurité alimentaire et régir le commerce international des denrées alimentaires. Aussi claire que puisse être la réponse scientifique, qui peut seulement servir de base et donner des orientations, la décision finale tenant compte de tous les aspects utiles incombera toujours aux instances politiques. Par conséquent, pour minimiser les probabilités de conflits dans le commerce international, il est extrêmement urgent de travailler indéfectiblement, à l'échelle internationale, à l'élaboration de normes compatibles avec la pensée d'un aussi grand nombre de pays que possible en matière de réglementation.

A. DÉTERMINER LE NIVEAU DE PROTECTION APPROPRIÉ

13. L'évaluation des risques découle des incertitudes dans les évaluations scientifiques et, comme son nom le signifie, il ne s'agit pas d'un processus précis de mesure, mais d'une approximation souvent fondée non pas sur des faits établis, mais sur des hypothèses scientifiquement plausibles. Dans les évaluations toxicologiques, la situation en elle-même confuse est encore compliquée par le fait que nous devons extrapoler dans la portion expérimentalement inabordable de la courbe dose-réponse. Sur la bas d'études lors desquelles des doses élevées (doses maximales tolérées - DMT) de la substance expériementale sont administrées à un relativement petit nombre d'animaux, nous tentons de faire des prédictions en ce qui concerne la sécurité pour la population humaine du monde entier exposée à des doses relativement faibles des substances considérées. Pour ces tentatives - qui visent en dernier ressort à déterminer la sécurité - nous utilisons des modèles d'extrapolation de plus en plus perfectionnés et qui sont souvent de plus en plus incompatibles. Ils peuvent par conséquent conduire à des résultats différents. Sur la base de données identiques dégagées de la même expérience, les conclusions quant au niveau de sécurité peuvent - selon le modèle utilisé - s'écarter de plusieurs ordres de grandeur. La situation en qui concerne les principes, les procédures et le processus d'évaluation est celle des tout débuts d'une évaluation microbiologique des risques, assortie de nombreuses difficultés supplémentaires. On voit donc pourquoi les résultats de l'évaluation des risques font, plus souvent que non, l'objet d'interprétations différentes (Tennant, 1997). Ce pourrait être la principale raison pour laquelle l'optimisme et la certitude de parvenir à un consensus en s'efforçant simplement de promouvoir la science au cours de l'évaluation de la sécurité sont si souvent frustrés.

14. Même dans une évaluation scientifique pure et simple des risques, il s'offre d'amples occasions - de fait, il est pratiquement inévitable - d'introduire des éléments de jugement de valeur dans la planification, la conduite et l'évaluation du processus d'expérimentation scientifique. Considérons par exemple les études toxicologiques: le choix de l'animal sur lequel expérimenter, l'espèce, le sexe, l'âge des animaux, la voie et la durée de l'administration de la substance expérimentale, la longueur de la période d'observation, le choix des paramètres à évaluer au cours de l'épreuve et de nombreux autres facteurs peuvent influencer profondément, de fait déterminer, les résultats de l'essai. Les lignes d'orientation quant aux principes et procédures convenant aux méthodes d'essai et aux moyens d'évaluation (par exemple statistiques et analyse des risques) ont accompli des progrès substantiels et, par suite, contribué dans une mesure importante à accroître la cohérence à l'échelle internationale depuis quelques années. Malgré cela, le jugement suggestif alors même que l'on s'efforce de cultiver l'objectivité scientifique restera toujours un fait de la vie inévitable (Somogyi et al., 1999).

15. Étant donné cet état de choses, il est clair qu'à l'heure actuelle, il est extrêmement difficile sinon entièrement impossible de parvenir à un consensus international sur une valeur numérique indiquant le niveau approprié de protection de la santé du consommateur. Les clauses générales de sécurité dans la législation alimentaire de la majorité des pays participant aux programmes et activités du Codex prescrivent uniformément que les aliments doivent être sains et sans danger lorsqu'ils sont consommés par des humains. Malgré cet accord de principe, les philosophies et les pratiques diffèrent considérablement. Cela n'implique pas forcément que la sécurité des denrées alimentaires soit menacée dans les pays qui ont des systèmes d'évaluation différents. Cela démontre simplement que les systèmes de réglementation alimentaire sont le résultat d'un long processus d'efforts relativement indépendants de nations ayant des traditions scientifiques, juridiques, économiques, commerciales et culturelles extrêmement diverses. Cela démontre en outre clairement que la réglementation est en dernier ressort et restera toujours comme il se doit le domaine de hauts fonctionnaires élus et/ou désignés ayant, outre ce qui touche à la science, la responsabilité d'un certain nombre d'autres aspects de la vie dans leurs départements respectifs. Parmi ces responsabilités, l'établissement du niveau de sécurité approprié est l'une des missions les plus importantes dont ils doivent s'acquitter. Pour exercer convenablement cette fonction au nom et dans l'intérêt de l'ensemble des citoyens, naturellement, il faudra qu'ils soient guidés avant tout par la science. Inversement, l'expression réglementation basée sur la science ne devrait jamais être comprise comme convertie par la science, à sa valeur nominale, en réglementation. Tout en acceptant l'hétérogénéité des réglementations alimentaires dans le monde comme un fait de la vie, il faut s'efforcer de réduire les écarts actuels. Chaque fois qu'il apparaît difficile de se mettre d'accord sur des lignes d'orientation et normes internationales, peut-être aurait-on le plus de chances de progresser en concentrant les efforts sur la reconnaissance mutuelle plutôt que sur l'harmonisation souvent imprécise des systèmes de réglementation respectifs. La série à venir de négociations à l'OMC pourrait fournir la tribune appropriée pour lancer une tentative de ce genre.

16. Dans ce contexte, il vaut la peine de rappeler que les règles et méthodes de base pour évaluer la sécurité des denrées alimentaires ont initialement été conçues et mises en application sur des bases empiriques plutôt que scientifiques. En élucidant les mécanismes des effets préjudiciables possibles sur la santé humaine, la science a perfectionné le processus et donné une explication intellectuellement plus satisfaisante de ce qui était déjà pratique courante. L'invention légendaire du facteur de sécurité de 100 utilisé lors de la détermination de la dose journalière acceptable (DJA) (cf. page ) était au mieux une conjecture intelligente à l'époque; pourtant, rétrospectivement, il en a bien été ainsi puisqu'il s'est révélé avec le passage des années extrêmement utile dans l'optique de la sécurité des denrées alimentaires. Le fait que, pour certaines catégories d'effets toxiques (par exemple la tératogénicité) et sur la base de notre meilleure compréhension des mécanismes d'action, le facteur de sécurité a dû être modifié, est une exception qui confirme plutôt qu'il n'infirme la règle.

17. Si l'on considère la question de l'hygiène alimentaire, la pasteurisation, qui est l'une des méthodes les plus largement utilisées et extrêmement efficace de protection contre les risques de maladies d'origine microbienne transmises par les aliments a de même des bases empiriques. La pasteurisation a été introduite vers le début du siècle pour inactiver dans le lait Mycobacterium tuberculosis var. bovis, agent responsable de la tuberculose bovine qui sévissait alors dans de nombreuses parties du monde. Elle n'a pas seulement atteint son objectif, elle a en outre permis de prévenir des infections transmises par les aliments provoquées par un certain nombre d'autres microorganismes pathogènes. En réduisant le nombre de bactéries saprophytes, elle a aussi accru la durée de conservation du lait. Il est intéressant de noter que certains de ces derniers microorganismes n'étaient pas encore connus à l'époque où la pasteurisation est devenue une technologie standard.

18. Ces remarques ne cherchent pas à mettre en doute la valeur ou à décourager l'utilisation d'une analyse des risques fondée sur des données scientifiques dans notre tentative pour déterminer le niveau de protection approprié. Elles ont simplement pour but d'appeler l'attention sur les limites de ce que nous pouvons actuellement dans cette discipline de la science. Peut-être pourront-elles aussi aider à expliquer pourquoi des évaluations des risques fondées sur les mêmes données mais effectuées par des personnes/ou des institutions différentes peuvent conduire à des conclusions contradictoires.

19. Pourtant, l'évaluation scientifique des risques est pour le moment le seul moyen d'assurer sur une base opérationnelle objective la prise des décisions en matière de réglementation. De ce fait, dans l'Article 5 (1) de l'Accord SPS, le rôle central de l'évaluation des risques pour la formulation de mesures sanitaires ou phytosanitaires est explicite: "Les Membres feront en sorte que leurs mesures sanitaires ou phytosanitaires soient établies sur la base d'une évaluation, selon qu'il sera approprié en fonction des circonstances, des risques pour la santé et la vie des personnes et des animaux ou pour la préservation des végétaux, compte tenu des techniques d'évaluation des risques élaborées par les organisations internationales compétentes" (Organisation mondiale du commerce, 1994). Des tentatives en vue de l'élaboration de telles techniques ont été entreprises par une Consultation mixte d'experts FAO/OMS sur l'application de l'analyse des risques aux questions de normes alimentaires en 1995 (FAO/OMS, 1995). D'autres organisations internationales et supranationales ont entrepris des efforts analogues. La CE dans son Plan d'action pour le consommateur 1999-2001 expose clairement sa volonté de collaboration internationale dans ce domaine. Comme elle le dit: Étant donné que les risques pour la santé et la sécurité du consommateur ont une dimension véritablement mondiale, une approche purement UE ne sera pas suffisante pour promouvoir ses intérêts. Un consensus s'impose à l'échelle internationale sur les nombreux aspects de l'analyse des risques dans le domaine de la sécurité des denrées alimentaires et des produits (Commission des Communautés européennes, 1998). L'évaluation des risques est devenue obligatoire et continue de le devenir dans un certain nombre de réglementations, dans un nombre toujours croissant de pays. Si les méthodes revêtent un caractère de plus en plus homogène, par contre l'approche théorique et les résultats restent encore assez hétérogènes d'un pays à l'autre.

20. Il y a fondamentalement deux manières d'aborder la détermination du niveau de protection approprié. Quoique la clause générale de sécurité dans les systèmes de réglementation des denrées alimentaires soit, comme on l'a dit, dans l'ensemble la même dans le monde entier, l'évaluation des risques, en particulier pour les substances cancérigènes, fait apparaître une dichotomie entre les approches adoptées en Amérique du Nord et en Europe. Les mesures de réglementation adoptées aux États-Unis se fondent actuellement sur des résultats obtenus en appliquant des méthodes spéciales d'évaluation quantitative des risques. Des données résultant d'expériences sur des animaux sont extrapolées à ce qui est appelé la virtually safe dose (VSD) avec l'incidence théoriquement possible sur l'homme du type particulier de toxicité de la substance testée. La valeur numérique de la VSD dépend à la fois du degré de toxicité de la substance à l'examen et d'une incidence prédéterminée de la maladie (par exemple un cas en sus du taux spontané pour 106, pour 105 ou pour 104) jugée acceptable pour des individus exposés. Par ailleurs, l'approche préférée par, par exemple, le Comité scientifique pour l'alimentation est une évaluation cas par cas basée sur la notion de "poids de l'évidence" (SCF, 1996). Selon cette méthode, les expériences sur l'animal fournissent également le point de départ, mais la détermination de la cancérogénicité probable des substances pour l'homme est effectuée en prenant pleinement en considération les données comparatives pertinentes d'ordre toxicocinétique, toxicodynamique et toxicologique.

21. Ces deux systèmes principaux ont des avantages et des inconvénients bien précis. Quelles que soient les disparités de pensée, la coopération internationale devrait permettre de parvenir à un haut degré d'harmonisation des méthodologies avec une convergence progressivement croissante des résultats. Néanmoins, il continue d'y avoir des divergences, en partie de fond, dont certaines sont appréciables. Par exemple, des questions cruciales telles que le mode et l'ampleur de l'application du principe de précaution, ainsi que la définition de facteurs légitimes autres que la science pour l'établissement de normes internationales, demandent encore à être résolues. Le fait même que, malgré les débats intensifs auxquels on a assisté depuis un certain nombre d'années à diverses tribunes internationales, il n'ait pas été possible de se mettre d'accord sur ces questions et sur plusieurs autres aspects critiques, en fait ressortir le caractère difficile. Cela montre aussi ce qu'il faut de patience et de persévérance pour résoudre des questions fondamentales dans ce domaine complexe où la science, la politique et les intérêts économiques sont si étroitement mêlés. Les conséquences pratiques du défaut d'attention pour des questions décisives ressortent clairement des désaccords passés et présents entre les partenaires du commerce international, désaccords qui les persuadent de recourir au mécanisme des différends de l'OMC.

B. SEUIL DE RÉGLEMENTATION (SR)/SEUIL D'INTÉRÊT TOXICOLOGIQUE (SIT)

22. Le seuil défini comme le point le plus bas de la courbe dose-réponse est une notion bien établie en pharmacologie et en toxicologie. Lors de l'évaluation de la sécurité d'une grande variété de substances chimiques, parmi lesquelles les additifs alimentaires et les contaminants chimiques dans les aliments, la détermination du seuil de toxicité dans les études sur l'animal est une étape décisive. Ce seuil se situe entre l'absence d'effets indésirables observables et le plus faible effet indésirable observé. En utilisant le premier ou, exceptionnellement le second, en même temps qu'un facteur de sécurité pour tenir compte des différences entre les animaux d'expérience et l'homme pour ce qui concerne la toxicité de la substance, un certain nombre de paramètres fondamentaux utilisés dans la détermination pratique de la sécurité peuvent être calculés selon des procédures internationalement établies. Parmi ces paramètres, les plus importants sont la dose journalière acceptable (DJA), la dose journalière tolérable (DJT) ou la dose hebdomadaire tolérable provisoire (DHTP) (OMS, 1987; Somogyi et al., 1999).

23. L'idée de ce que nous appelons aujourd'hui le seuil de réglementation (SR) et le seuil d'intérêt toxicologique (SIT) a été avancée pour la première fois par Frawley en 1967. Depuis, de nombreux auteurs n'ont pas cessé d'affiner l'idée et cela dans d'innombrables publications; en 1995, la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis l'a introduite dans son processus décisionnel à des fins réglementaires (FDA 1995, Cheesman et Machuga, 1997).

24. L'essence de ce concept est d'établir une concentration et de déterminer une dose d'ingestion qui, de part et d'autre des frontières de catégories chimiques, puisse être tolérée dans les aliments sans qu'il soit nécessaire de procéder à un test préalable et à un examen individuel au cours de l'habituelle évaluation cas par cas. Ce concept a été formulé et il est actuellement appliqué par la SDA pour les contaminants qui migrent des matériaux d'emballage jusque dans les produits alimentaires. Suite à l'évaluation d'une importante base de données toxicologiques, il a été conclu qu'un effet préjudiciable sur la santé humaine ne peut raisonnablement être prévu si la concentration dans le même régime alimentaire d'éléments de matériaux entrant en contact avec les aliments reste inférieure à 0,5 ppb (1,5 µg/personne/jour ou 0,03 µg/kg/poids corporel/jour).

25. Le principal argument avancé pour promouvoir cette idée et développer ce concept a été que, face au grand nombre de substances chimiques actuellement utilisées qui demandent encore à être évaluées, il y a lieu d'alléger la charge aussi bien pour les organes de réglementation que pour l'industrie quand il s'agit de faire face à des degrés d'exposition triviaux dépourvus de risques toxicologiques pour le consommateur. Cette approche est conforme à la fois au concept juridique établi de minimis non curat lex et au fait que la capacité de testage toxicologique est limitée dans le monde entier.

26. Comme il a été dit plus haut, il y a longtemps que l'on recourt à la notion de seuil dans l'évaluation toxicologique des constituants naturels et des contaminants dans les denrées alimentaires, des additifs alimentaires, ainsi que des résidus de pesticides et de médicaments à usage vétérinaire dans les aliments. C'est là la base expérimentalement établie pour calculer les quantités de ces substances chimiques qui, par inférence scientifique, sont jugées sans danger si elles trouvent place dans l'alimentation des humains.

27. Le principal axiome sur lequel repose le seuil de réglementation (SR) récemment introduit est que, même en l'absence de données toxicologiques, il est possible d'établir une ration-seuil sans danger pour toute une variété de composés structurellement et toxicologiquement dépourvus de liens, au-dessous de laquelle aucune réglementation n'est nécessaire et, par conséquent, requise. Cette assertion est théoriquement pleinement compatible avec la thèse introduite au XVIe siècle par Paracelse, père de la toxicologie. Selon lui, c'est la dose à elle seule qui fait d'une substance un poison (autrement dit qui la rend toxique), ce qui implique clairement qu'au-dessous d'un certain niveau tous les produits toxiques sont inoffensifs.

28. Dans la pratique, la question est toutefois beaucoup plus difficile à aborder qu'elle ne l'est en termes théoriques généraux. Au moins pour ce qui concerne les produits cancérigènes génotoxiques, la validité de ce paradigme reste à démontrer. La réglementation pertinente adoptée par la FDA limite l'application de cette procédure aux substances qui passent depuis les matériels en contact avec les aliments jusque dans les aliments eux-mêmes, et aux limites cancérigènes. Antérieurement, la concentration de ces substances chimiques dans les aliments était soit légèrement supérieure à la limite de détection (à peine décelable) soit inférieure (pratiquement "zéro"). En conséquence, elle ne posait pas de problème de sécurité des produits alimentaires. Mais, pendant les années qui ont suivi et en conséquence du développement rapide et de l'apparition de méthodes d'analyse de plus en plus sensibles, la concentration de substances chimiques migrantes jusqu'alors indécelables, quoique diminuant généralement, a pu être mesurée avec précision, le résultat étant des indicatifs numériques allant souvent jusqu'à plusieurs chiffres. En conséquence, on ne pouvait plus ignorer l'évaluation de cette sorte de contaminants sur le plan de la sécurité. Le problème devenait en fait de plus en plus important et complexe. En outre, également par suite de l'accessibilité de nouvelles méthodes d'analyse extrêmement sensibles, d'autres contaminants sont devenus décelables à des concentrations extrêmement faibles. Plusieurs de ces substances avaient été convenablement testées auparavant pour d'autres raisons que la sécurité des denrées alimentaires, tandis que, pour un certain nombre de migrants, on ne disposait d'aucune donnée correspondante. Par suite, la question se posait de savoir si ces substances devraient toutes, même si consommées en quantités minuscules, être soumises à un testage traditionnel. La base de données pour les premières donnait une bonne occasion d'étudier la validité de l'hypothèse selon laquelle on ne pouvait pas trouver de niveau toxicologiquement inquiétant. En utilisant ces données et en élargissant les études à d'autres bases de données, on a effectué de nombreuses études statistiques sur les résultats des tests toxicologiques. La conclusion en a été que, à quelques exceptions près, les paramètres établis pour le seuil de réglementation, tels qu'il en a été fait état ci-dessus, sont applicables à d'autres groupes de substances présentes dans les denrées alimentaires à des concentrations très faibles. De fait, ce principe et cette méthode ont été récemment appliqués par le JECFA pour l'évaluation des substances aromatisantes (Munro et al, 1999a, b).

29. Dans un vaste traité, Kroes et al. (1999) ont présenté un examen détaillé et complet de la documentation à ce sujet et ont exploré la possibilité d'élargir l'applicabilité potentielle de la notion de seuil d'intérêt toxicologique (SIT) à un plus large éventail de produits chimiques défini sur la base d'un nombre accru de limites toxicologiques. Le seuil de réglementation (SR) de la FDA était limité, comme on l'a déjà dit, à des substances migrantes provenant de matériaux entrant en contact avec les produits alimentaires et les propriétés toxicologiques considérées concernaient principalement les substances cancérogènes non génotoxiques. Kroes et al. ont étudié la question de savoir si d'autres paramètres toxicologiques, peut-être plus sensibles que la cancérogénicité, pourraient devenir le facteur limitant de cette approche. En particulier, ils ont inclus un certain nombre de limites n'ayant rien à voir avec le cancer tel que la neurotoxicité, la neurotoxicité au cours du développement, l'immunotoxicité et la toxicité au cours du développement. Analysant les informations tirées de bases de données beaucoup plus volumineuses déjà évaluées par des enquêteurs antérieurs, ils sont parvenus à la conclusion qu'aucune des limites spécifiquement non cancérigènes évaluées dans leur étude n'était plus sensible que celle correspondant à l'effet cancérigène et qu'un seuil d'intérêt toxicologique de 1,5 µg/personne/jour fondé sur la limite cancérigène donne une marge convenable de sécurité.

30. Le seuil d'intérêt toxicologique est un concept intellectuellement stimulant qui pourrait avoir une applicabilité pratique considérable. Bien que plusieurs études approfondies effectuées avec des bases de données importantes aient apporté des arguments convaincants, il ne semble pas que l'on soit déjà arrivé au moment de son utilisation universelle pour l'évaluation de la sécurité de tous les types de substances chimiques, à toutes les fins pratiques. La notion devrait plutôt être soumise à un examen rigoureux et à une appréciation sur une grande échelle par des pairs. Elle devrait continuer de faire l'objet d'un débat scientifique intensif, préférablement dans le cadre d'une réunion internationale avec la participation d'experts de premier ordre représentant le plus large éventail possible de vues dans ce domaine. Parmi les questions à examiner, il faudrait examiner plus particulièrement celle de savoir si des concentrations de substances chimiques capables de déclencher des effets physiologiquement discernables (par exemple perception de la senteur ou celle du goût dans des produits aromatisants) sont sans aucun doute dépourvues d'effets toxicologiques. Dans l'intervalle, l'approche visant à déterminer le seuil d'intérêt toxicologique pourrait très bien être considérée comme une méthode appropriée de détermination des propriétés pour poursuivre le testage et/ou l'évaluation toxicologiques des substances à l'examen.

IV. Conclusions

31. L'énorme importance de la science pour la prise des décisions en matière de réglementation - non pas seulement pour ce qui a trait aux denrées alimentaires - est maintenant universellement reconnue. La qualité des avis scientifiques revêt donc un intérêt primordial dans tout processus de prise de décisions. Dans le but d'améliorer le niveau et l'intégrité de l'élément scientifique du système de réglementation, l'organisation de beaucoup d'institutions a récemment connu des modifications; celle d'autres doit suivre. On s'accorde à reconnaître dans le monde entier que la science est unique, même si la prise des décisions repose sur un seul facteur décisif. Les nouveaux concepts et méthodes en matière d'analyse des risques, y compris le principe de précaution, ont donné depuis une dizaine d'années un nouvel élan à un progrès rapide relativement à plusieurs aspects de l'évaluation de la sécurité des denrées alimentaires. Pour un certain nombre de raisons examinées dans le présent document, la question de la sécurité des produits alimentaires est, depuis quelques années, au centre du débat scientifique, politique et public.

32. Malgré les grands progrès accomplis, les questions non résolues et les malentendus gênent les efforts internationaux pour reconnaître mutuellement et/ou harmoniser des systèmes hétérogènes de réglementation en ce qui concerne les denrées alimentaires. Le fait que l'on n'a pas réussi à résoudre des problèmes critiques en matière d'évaluation de la sécurité a sans cesse conduit dans le passé à des controverses et perturbé le commerce international. La série de négociations à venir au sein de l'OMC devrait être une occasion de préciser et, si possible, résoudre un certain nombre de problèmes en suspens. Il est urgent en particulier de revoir les "quatre principes" évoqués dans notre introduction. Après un si long débat sur la question, il nous faut maintenant progresser dans l'application du principe de précaution, et dans la définition de la nature et du rôle d'autres facteurs légitimes que la science dans le processus de décision. Mais il ne faut pas oublier que, même si on admet un résultat optimal des négociations, on ne peut raisonnablement en escompter un schéma d'exécution pour un système prévoyant tous les cas et d'une fiabilité sans défaut. Plutôt, de par la nature même de la science et du commerce, un mécanisme fonctionnel de règlement des différends caractérisé par un degré élevé de compétence, d'équitabilité et de transparence, restera constamment nécessaire. Néanmoins, les progrès accomplis dans la réalisation de l'espérance de résoudre les questions identifiées ici devraient permettre de conduire à la contribution très attendue des négociations de l'OMC à une meilleure santé des consommateurs, ainsi qu'à des pratiques commerciales libres et loyales dans le monde entier.

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1 Le présent document exprime exclusivement les vues de l'auteur et ne reflète pas forcément l'opinion de la Commission européenne.

2 Encéphalopathie spongiforme des bovidés (maladie de la vache folle)

3 Comité scientifique sur l'alimentation (SCF); - Comité scientifique sur la nutrition animale (SCAN); Comité scientifique sur la santé animale et les conditions de vie des animaux (SCAHAW); Comité scientifique sur les mesures vétérinaires intéressant la santé publique (SCVPH); Comité scientifique sur les plantes (SCP); Comité scientifique sur les produits cosmestiques et les produits autres qu'alimentaires (SCCNFP); Comité scientifique sur les produits médicinaux et les instruments médicaux (SCMPMD); Comité scientifique sur la toxicité, l'écotoxicité et l'environnement (SCTEE).