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ETUDE PRÉLIMINAIRE DE MARCHÉ SUR LES PRODUITS FORESTIERS NON LIGNEUX EN GUINÉE ÉQUATORIALE

Terry C.H. Sunderland et Crisantos Obama

Résumé

La connaissance sur la foresterie et les ressources naturelles en Guinée équatoriale, si on excepte les études sur la faune, est en général pauvre. Et ceci, en dépit d'une activité importante dans les pays voisins et proches au niveau biologique, tels que le Cameroun, le Gabon et le Congo-Brazzaville qui sont abondamment documentés. Cet article présente une introduction au secteur des PFNL commercialisés dans la région de Rio Muni et dans l'Ile de Bioko, où les conditions sont très différentes de celles des autres régions d'Afrique centrale, en raison d'un passé colonial tumultueux et d'une période destructrice après l'indépendance. Bien que des produits de base de grande valeur tels que Prunus africana et Piper guineense soient commercialisés et vendus sur les marchés internationaux, une grande partie du commerce de PFNL est aux mains de non-guinéens et bon nombre de produits couramment commercialisés sont issus de l'étranger, alors qu'ils existent dans les forêts nationales.

Mots clés: Guinée équatoriale, produits forestiers non ligneux, études de marchés, commerce.

1. Introduction

Depuis 1968, date de l'indépendance de la Guinée équatoriale après la colonisation espagnole, ce pays a été dans une grande mesure inaccessible aux chercheurs intéressés par les ressources biologiques. A l'heure du débat sur l'état des ressources naturelles, la Guinée équatoriale reste donc souvent une entité exclue, bien qu'énigmatique (Morat et Lowry, 1997).

De plus, les conditions coloniales assez exceptionnelles ont également contribué à au manque d'information sur les ressources biologiques du pays. Les colonisateurs espagnols ont bien entrepris des études sur la foresterie et sur des domaines liés à l'agriculture. Cependant, les résultats de ces travaux étaient rarement publiés et diffusés, à l'exception de ceux de Lopez (1946). Et le cas échéant, ils n'étaient disponibles qu'à Madrid. La plupart de la documentation disponible dans le pays a été détruite après le départ des espagnols, lors de la période de transition vers l'indépendance et juste après. En se référant aux PFNL, Fa (1991) a fait remarquer que si "certains produits étaient couramment utilisés par les habitants des forêts en Guinée équatoriale, il n'existe cependant pas ou peu de données récentes sur les espèces les plus prisées et sur leurs utilisations".

Contrairement à d'autres pays de la région, la Guinée équatoriale n'a pas hérité au moment de son indépendance, d'une importante infrastructure ou ressource humaine, capable de continuer à étudier et à aménager les ressources naturelles du pays et la période agitée au début de son indépendance n'a fait qu'aggraver les choses. Nous ne discuterons pas ici de ce dernier aspect qui est bien résumé par Liniger-Goumaz (1986).

2. Le pays

La Guinée équatoriale est composée de trois territoires séparés très différents:

2.1. L'ile de Bioko

Cette île, de forme rectangulaire (qui s'appelait Fernando Pó, sous la colonisation espagnole) se situe à 32 km des côtes camerounaises. Elle est orientée nord - sud et elle mesure 75 km en longueur sur 25 km en largeur pour une superficie totale de 2 020 km2. L'île fait partie de la chaîne volcanique à laquelle appartiennent le Mont Cameroun, São Tomé, Principe et Annobon. Les points les plus hauts sont, au nord, le Pico de Basilé (3 010 m) et, au sud, le Pico Biao (2 010 m) et le Gran Caldera de Luba (2 261 m). La majorité des forêts de plaines autour des montagnes, à part dans le sud de l'île, ont été converties en plantations de cacao, mais dans de nombreux endroits, la plupart du couvert forestier original a été maintenu pour fournir de l'ombre. Les forêts de montagne ont subi peu de dégradation.

2.2. La région de Rio Muni

Le territoire continental de la Guinée équatoriale est de forme rectangulaire et s'étend sur 26 000 km2, limité à l'ouest par l'océan Atlantique, à l'est et au sud par le Gabon et au nord par le Cameroun. Il se situe entre 1°01' et 2°21' de latitude nord et sa frontière est suit le méridien 11°20'E. Ce territoire comprend 222 km de côtes, entre l'estuaire du Rio Muni à l'extrême sud et celui du Rio Campo (ou Ntem) à l'extrême nord. Le nom de cette région vient du fleuve Rio Muni. La zone forestière a été récemment très affectée par une exploitation forestière largement répendue. Au départ, l'exploitation du bois d'œuvre était limitée à la région côtière mais, suite à l'amélioration des techniques d'exploitation, elle s'est étendue vers l'intérieur du pays. Aujourd'hui, une grande partie du territoire continental a été exploitée ou est actuellement sous concession (Stenmanns, communication personnelle), malgré une proposition de créer un réseau de zones protégées (Garcia et Eneme, 1997).

2.3. L'île de Annobon

L'île d'Annobon (auparavant appelée Pagalù), située à 1°25' au sud de l'Equateur, à 335 km du Gabon et à 160 km au sud de São Tomé. La superficie de l'île n'est que de 1 700 ha et sa population comprend 9000 habitants. L'île est fort éloignée des autres territoires et jusqu'à présent, peu d'études y ont été consacrées. Il est prévu que le CUREF y entreprendra des enquêtes biologiques dans le futur.

2.4. La population

Le pays compte près de 400 000 habitants, répartis en plusieurs groupes ethniques, souvent distribués selon des critères géographiques. Le groupe ethnique majoritaire dans la région de Rio Muni est celui des Fang et dans l'Ile de Bioko c'est l'ethnie des Bubi qui est majoritaire. D'autres nationalités sont également bien représentées en Guinée équatoriale: des Camerounais (surtout des négociants de l'ethnie des Hausa), des Nigérians, des Ghanéens et dans une moindre mesure, des ressortissants du Tchad et du Mali. La plupart de ces immigrés africains sont impliqués dans le commerce ou les affaires à petite échelle.

3. Etude de marché

3.1. Méthodologie

Les résultats résumés ci-dessous proviennent d'une étude de marché préliminaire sur les marchés de la région de Rio Muni et Malabo sur l'île de Bioko et présentent une vue d'ensemble sur les PFNL commercialisés et vendus. Ce travail de synthèse sera à la base d'une étude de marché sur l'ensemble de l'année, qui sera entreprise par le personnel du CUREF en utilisant la méthodologie adaptée décrite par Clark et Sunderland (voir dans la présente publication). Cette étude ultérieure, grâce à une méthode standardisée de collecte de données et des visites régulières des marchés, déterminera l'influence des variations saisonnières et donnera un aperçu beaucoup plus clair et plus complet du secteur officiel des PFNL en Guinée équatoriale.

En raison de contraintes de temps et des objectifs de l'étude préliminaire, on n'a pas adopté une méthode formalisée de collecte des données. Au contraire, on s'est basé sur une série d'observations informelles et répétées (par exemple, un nombre de visites concentrées dans une période courte) et sur des interviews, concernant la présence des PFNL sur le marché. Les vendeurs ont été interrogés sur les produits commercialisés, leurs noms locaux, les utilisations possibles et le type de clientèle. L'origine de nombreux produits a également été enregistrée. Chaque nouveau produit rencontré a été acheté, collecté, étiqueté et référencé avec les notes prises en utilisant la méthodologie de Clark et Sunderland (voir dans la présente publication). La collection de chaque produit permet une identification ultérieure sûre et définitive, même si de nombreux produits sont directement identifiés par les équipes responsables de la collecte.

Ce travail a également permis l'identification d'un certain nombre de produits forestiers plus souvent vendus que d'autres et qui pourraient être plus importants en termes de valeur et de quantité. Normalement, la procédure d'identification classique consiste à compter le nombre de vendeurs pour chaque produit (et les quantités vendues pour chaque produit), comme le recommande Falconer (1994). Cependant, en raison du manque de temps, on a réalisé une estimation, reprise dans la liste du tableau 1. Des études ultérieures portant sur la quantification de certains produits choisis seront consacrées aux PFNL les plus commercialisés.

3.2. Synthèse des résultats obtenus

Tableau 1: Liste des PFNL les plus vendus dans les marchés de Rio Muni et de Bioko (non classés par ordre d'importance).

Nom scientifique

Nom local
(& langue)**

Utilisation

Rio Muni

Bioko

Aframomum spp.

essun, ndong (Fang)

Médicament / condiment (graine)

X

X

Afrostyrax spp.

essun (Fang)

Condiment (graine & écorce)

X

X

Cola acuminata / nitida

abe-cola (Fang)

Stimulant (graine)

X

X

Dacryodes edulis

asia (Fang)

Fruit comestible

X

X

Enantia chlorantha

nfoo (Fang)

Medicament (écorce)

X

X

Garcinia kola

akuin (Fang)

Stimulant / substance médicinale (graine)

X

X

Garcinia lucida

essok (Fang)

Bâton à mâcher

X

 

Gnetum africanum

okok (Fang)

Légume (feuillu)

 

X

Irvingia gabonensis

andok (Fang)

Condiment (noyau)

X

X

Monodora myristica

fep (Fang)

Condiment (graine)

X

X

*Piper guineense

ondodo andjik (Bubi); bush-pepper (Pidgin)

 

X

X

*Prunus africana

bihasa (Bubi)

   

X

Ricinodendron heudelotii

essesang (Fang)

Condiment (graine)

X

X

Tetrapleura tetraptera

enziese (Fang)

Condiment (fruit)

X

X

Xylopia aethiopica

oyang (Fang)

Condiment (graine)

X

X

* Même s'ils sont destinés à l'exportation (voir l'encadré 2), ces produits abondent sur les marchés de Guinée équatoriale, en particulier sur celui de Bioko.

** Tous les noms vernaculaires de ce rapport sont d'origine Fang, sauf si spécifié autrement.

3.2.1. La médecine traditionnelle et les plantes médicinales

Les données du tableau suivant ont été collectées lors d'interviews réalisées auprès des vendeurs de plantes médicinales dans la région du Rio Muni. Cependant, cette liste est loin d'être complète, étant donné la réticence des vendeurs à divulguer certaines informations (comme c'est souvent le cas dans le domaine de la médecine traditionnelle). Les espèces qui se trouvent dans le tableau ci-dessous, ainsi que leurs utilisations, fournissent une connaissance de base sur les remèdes traditionnels les plus utilisés.

Tableau 2: Plantes médicinales sur les marchés de Bata et Mbini et leurs différentes utilisations (nous ne disposons pas encore d'informations pour le marché de Bioko).

Nom scientifique

Nom Fang

Partie de la plante utilisée

Utilisations

Aframomum c.f. hanburyi

esson

Graines

Les graines moulues sont utilisées pour traiter la coqueluche chez les enfants.

Aframomum melegueta

ndong

Graines

Les graines sont moulues puis ajoutées à d'autres préparations médicales pour en augmenter l'effet.

Angokea gore

angeuk

Ecorce

L'écorce moulue est utilisée contre la constipation. Pour soigner les nourrissons, l'écorce réduite en poudre est appliquée sur les mamelons avant l'allaitement.

Baillonella toxisperma

adjap

Graines

L'huile extraite des graines est utilisée comme anti-douleur en cas de rhumatismes.

Cissus dinklagei

dik ntoo

Jus

Lors de son incision, le tronc produit un jus abondant. Celui-ci est bouilli et administré à des nourrissons de 1 à 2 mois pour, dit-on, stimuler leur croissance.

Dioscorea sp.

mbang

Fruit

Utilisation non divulguée

Enantia chlorantha

nfoo

Ecorce

Traitement de la fièvre (en cas de malaria ou de fièvre jaune)

Entada gigas

ndju

Fruits, graines

Utilisés comme diurétique.

Fagara heitzii

olon

Ecorce

Utilisée lors de rites traditionnels. On considère qu'elle permet de ramener à la vie une personne sur le point de mourir. L'écorce est alors mise dans de l'eau bouillante, qui sert ensuite à laver le patient.

Garcinia kola

akuin

Fruits

Stimulant

Garcinia lucida

essok

Ecorce et fruit

Antipoison (purgatif)

Guibourtia tessmannii

oveng

Ecorce

Stimulant. Utilisée également contre la sorcellerie et les mauvais esprits.

Okoumea klaineana

okoumé

Ecorce

Utilisation non divulguée

Pachypodianthum staudtii

ntom

Ecorce

On prépare un extrait de l'écorce dans de l'eau bouillante afin de combattre des infestations de poux. On l'utilise également comme tonifiant contre la fatigue.

Strombosiopsis tetandra

edjip

Ecorce

L'écorce bouillie dans de l'eau ou d'autres boissons est donnée à de jeunes enfants pour les protéger des mauvais esprits et des maladies.

Urera sp.

ndik

Troncs

Utilisation non divulguée

Vernonia conferta

abenga

Écorce

L'écorce bouillie dans de l'eau est administrée aux asthmatiques. La poudre fait également office d'antiseptique et est appliquée directement sur les plaies.

3.2.2. Les condiments

Dans tous les marchés étudiés, les condiments sont très largement vendus et la gamme de produits disponibles est bien répartie sur l'ensemble des deux régions considérées. Cependant, une grande partie de ces produits est en fait importée du Cameroun, malgré la présence de ressources, tant dans la région de Rio Muni que dans celle de Bioko. La plupart des condiments sont vendus dans des quantités étonnamment très petites et soigneusement emballés dans du polyéthylène avant la vente. Le poivre de brousse (Piper guineense), les graines de Monodora myristica (fep), Ricinodendron heudelottii (essesang) et Afrostyrax kamerunensis (esun) sont vendus de cette façon, alors que les fruits de Xylophia aethiopica (oyang) et les fruits de Tetrapleura tetraptera (enziese) sont vendus entiers et en vrac. L'écorce de Scorodophleus zenkeri (aussi appelé esun en langue Fang), un autre condiment ressemblant à l'ail, est également largement disponible. Les graines de Mucuna sloanei sont également très vendues: elles sont caractérisées par un tégument dur, avec des dessins et dont l'endosperme est utilisé dans la préparation des soupes et des ragoûts.

Les feuilles de Strychnos spp. constituent un condiment intéressant que nous n'avions pas encore rencontré auparavant. Nous avons appris que ces feuilles étaient utilisées en petites quantités comme condiment dans les soupes et les ragoûts, et cela malgré la présence d'un poison puissant, la strychnine, dans ce groupe de plantes.

Fait assez rare, certains condiments et additifs culinaires sont cultivés dans la région de Rio Muni et Bioko dans de petites exploitations agricoles. Parmi ceux-ci: okra (Abelmoshus esculentus) et le piment rouge (groupe des Solanum annuum longum). Ces plantes sont faciles à cultiver et poussent souvent spontanément autour des habitations. Leurs graines traversent sans domage le tube digestif humain. Les fruits de Cucurbita pepo (egusi), semblables à des courges, sont également cultivés localement et leurs graines moulues constituent la base de plats de la région.

Autre fait remarquable, contrairement à ce qui se passe dans les pays voisins tels que le Cameroun (Nodye et al.,1997) et le Gabon (Yembi, dans la présente publication), on trouve dans le commerce local certaines herbes venant des régions tempérées. Celles-ci sont importées d'Europe, via le Cameroun. Lorsqu'ils atteignent le commerce local, les produits sont remballés et revendus au prix fort. Parmi ces produits, on trouve les feuilles de laurier (Laurus nobilis), le poivre blanc moulu (Piper nigrum), l'origan (Origanum vulgare), le basilique (Ocinum basilicum), le romarin (Rosmarinum officinalis), et les clous de girofle (Syzygium aromaticum).

3.2.3. Les fruits comestibles

Les fruits comestibles les plus couramment vendus sont de loin ceux de Dacryodes edulis (nom local: prune de brousse et asia en Fang ) et la vraie mangue (Mangifera indica). Lorsque c'est la saison, la prune de brousse provient à la fois du Cameroun et des jardins potagers locaux. Cependant, la majorité des fruits vendus dans les marchés sont cultivés localement, étant donné qu'ils ne se conservent pas très longtemps et qu'il faut compter un à deux jours après la récolte pour leur livraison sur les marchés. Comme la mangue exotique, la prune de brousse comptent parmi les rares variétés d'arbres cultivés et volontairement plantés par les populations locales et ces arbres sont courants dans les potagers et les jardins mixtes. Les fruits mûrissent en juin et juillet, période durant laquelle ils abondent sur le marché. Le reste de l'année, ils sont introuvables. De même, les mangues (Mangifera indica) ont également un caractère saisonnier très marqué et ne se trouvent sur le marché que durant les mois de mars et d'avril, à la fin de la saison sèche. Bien que présents dans les forêts de Rio Muni en particulier, les fruits de Poga oleosa (afo) sont importés du Cameroun dans les deux territoires. Le tégument extrêmement dur de la graine renferme un noyau comestible, consommé comme les arachides.

3.2.4. Les légumes feuillus

Tous les légumes feuillus se trouvant sur les marchés ont une provenance locale (à savoir la Guinée équatoriale). Certains sont cultivés par des femmes dans des jardins potagers ou dans des cultures agricoles intensives à proximité du village, d'autres proviennent de la forêt ou sont récoltés à partir de friches agricoles. Tous ces légumes sont disponibles tout au long de l'année.

Figure 1: Traitement des feuilles de Gnetum spp. ( Photo: T. Sunderland).

Le légume le plus vendu est Amaranthus hispidus (nfeng), suivi de "water leaf" (Portulaca grandiflora - aluasop) et des jeunes feuilles comestibles de "coco-yam", Xantoxylem spp. (lom). Les jeunes feuilles de la plante grimpante Basella alba sont également fort répandues car cette plante est largement cultivées et semi-spontanée dans les potagers. En plus des légumes mentionnés ci-dessus, les feuilles de Gnetum africanum sont également très souvent disponibles dans le marché de Malabo. Celles-ci proviennent uniquement des forêts de Bioko. En revanche, dans les forêts de Rio Muni où le Gnetum africanum est également répandu, on ne pratique ni la cueillette ni la vente de ce légume.

3.2.5. Les stimulants

Les rituels sur la transmission et l'utilisation de c(k)ola (de Cola spp. et Garcinia kola) sont complexes et profondément enracinés dans tous les aspects de la société africaine, au Cameroun comme dans le reste de l'Afrique centrale et de l'Ouest. A cet égard, la Guinée équatoriale constitue une exception étudiée par Liniger-Goumaz (1986). Cependant, certaines espèces de cola sur les marchés guinéens sont utilisées par la population comme coupe-faim ou comme stimulant. Les fruits de Cola acuminata et Cola nitida (dont le nom commun, bien qu'il s'agisse d'espèces différentes, est abe-cola en Fang) sont récoltés localement et couramment vendus, comme c'est le cas pour les graines de cola amer (Garcinia kola).

3.2.6. Les boissons

Comme dans le reste de l'Afrique, le vin de palme est très répandu en Guinée équatoriale. A Mbata et à Mbini, on fabrique deux types de vins de palme: le vin de palme "down-wine", produit à partir de la pousse terminale des arbres abattus de Elaeis guineensis et le vin de palme "up-wine", produit à partir de l'inflorescence des arbres sur pied de Raphia vinera et R. hookeri. On produit également un alcool distillé (contenant presque 100% d'alcool), qui est parfois vendu sur les marchés de Mbata et de Mbini, bien que son usage soit le plus souvent limité au niveau du ménage.

Un autre alcool, fabriqué à partir de tiges écrasées de canne à sucre (Saccharum officinarum), est également courant sur les deux marchés. Cet alcool est souvent produit au niveau du village, en particulier ceux de la région de Rio Muni qui possèdent une ou plusieurs presses de canne à sucre. Pour augmenter le degré d'alcool de cette boisson, on ajoute des graines et parfois du bois de Garcinia kola, ce qui rend la boisson très amère.

Encadré 2: L'exportation de Piper guineense et Prunus africana de l'île de Bioko

Bien que la plupart des PFNL consommés par la population locale sont importés du Cameroun, l'île de Bioko exporte deux produits forestiers majeurs :

Piper guineense (poivre de brousse): Cette espèce est très utilisée comme condiment par la population locale et est très répandue dans tous les marchés du pays. On exporte également de grandes quantités de fruits séchés (150 tonnes par an) vers le Nigeria où cette ressource est rare. Le commerce de Piper guineense implique à la fois des Guinéens et des immigrés nigérians.

Prunus africana: L'écorce de cette espèce des forêts de montagne est utilisée dans la fabrication d'une mixture, servant à traiter les maladies de la prostate. Largement exploitée au Cameroun, à Madagascar et au Kenya, l'écorce, à l'état brut ou après macération, est envoyée par bateau à un certain nombre d'entreprises pharmaceutiques en Europe où elle est transformée (Cunningham et al., 1997). Etant donné que les réserves diminuent dans de nombreux pays, de grandes quantités d'écorce de Prunus ont commencé à être exploitées dans les forêts de montagne de Bioko, pour un marché d'exportation lucratif qui rapporte maintenant environ 150 millions de $EU par an (Ibid). Au niveau national, l'écorce de Prunus africana est également un composant important du système de soins médicaux des Budi et elle est couramment commercialisée et vendue dans les marchés de Bioko.

3.2.7. Les feuilles d'emballage

Les feuilles d'un certain nombre d'espèces de la famille des Marantaceae sont utilisées dans l'emballage du bâton de manioc, qui constitue un produit de base de l'alimentation locale. Les feuilles sont cueillies dans la forêt localement et approvisionnent chaque jour le marché où elles sont vendues fraîches. Les deux espèces les plus utilisées comme feuilles d'emballage sont Megaphrynium macrostachyum et Marantochloa purpurea.

3.2.8. Le rotin

D'une certaine manière, le commerce du rotin dans la région de Rio Muni semble moins complexe qu'au Cameroun et pourtant, il est paradoxalement plus développé avec ses ateliers officiels et ses industries artisanales, contrairement à ce qui se passe au Cameroun et au Nigeria en particulier, où le rotin est le fruit d'un commerce assez improvisé le long des routes. Le marché de Bata est approvisionné en rotin brut par de nombreux exploitants indépendants, qu'ils soient ou non des artisans. Ce rotin provient de stocks sauvages de la province du littoral. Il n'y a pas d'intermédiaire: les cannes sont transportées directement de la brousse au marché ou à l'usine. En général, le commerce du rotin est organisé séparément des autres PFNL, du fait de la valeur élevée de ce produit et les cannes de rotin brut ne peuvent être achetées sur les marchés. Pour avoir une documentation plus détaillée sur l'industrie du rotin dans la région de Rio Muni, voir l'étude de Sunderland (1998).

4. Discussion

4.1. Pourquoi importer des ressources qui se trouvent déjà dans le pays ?

Ce qui nous a le plus étonnés, et même peut-être troublés, lors de notre enquête, est le constat que l'utilisation de la forêt d'une manière générale a diminué à tel point que de nombreux PFNL vendus dans les marchés sont importés du Cameroun. À l'exception peut-être des produits ayant une valeur élevée pour lesquels il existe un marché florissant tant au niveau local qu'au niveau international (Prunus africana, Piper guineense, Irvingia gabonensis) et d'autres produits très prisés ou périssables, tels que le rotin, des plantes médicinales et les feuilles d'emballage de Marantaceae, la tendance générale semble être que la majorité des PFNL sont importés dans les deux territoires. Et ceci, malgré la présence locale de nombreuses, sinon de toutes les espèces.

La perte des connaissances traditionnelles des guinéens quant à l'utilisation des ressources forestières a été constatée par Dounias (1997) et d'autres chercheurs (Serrano, 1997; Cogels, 1997). Dounias, en particulier, qui a beaucoup travaillé avec l'ethnie des Bulu à Campo (un groupe ethnique proche de celui des Fang de Guinée équatoriale), où il a constaté une utilisation très diversifiée des ressources forestières, ainsi que des systèmes d'aménagement traditionnels complexes, n'a rien constaté de semblable en Guinée équatoriale, où la perte des connaissances relatives à la forêt est particulièrement accentuée, surtout chez les jeunes. Et ceci, malgré un travail de terrain sur deux villages différents, comprenant des populations largement représentatives (les Fang et les Ndowe), un des villages étant situé près de la région de Campo. Les conclusions de Dounias sont fortement renforcées par les études de marché: même les PFNL de base, pourtant très répandus dans la région, ne sont pas récoltés dans les forêts locales et sont souvent importés et commercialisés par des non-Guinéens.

Cependant, le fait que Lopez (1946) ait constaté une utilisation importante des PFNL sur le territoire de Rio Muni durant l'ère coloniale, ainsi que l'existence d'un système commercial complexe au début de la colonisation, indiquent que la perte des connaissances relatives aux ressources naturelles est un phénomène récent. Même s'il souligne la perte des connaissances sur les usages de la forêt, Dounias ne nous fournit pas d'explications, il mentionne seulement le phénomène. En revanche, Serrano (1997) et surtout Liniger-Goumas (1988) ont avancé l'hypothèse selon laquelle les troubles politiques très sérieux qui ont suivi l'indépendance ont bouleversé le pays à tous les niveaux, affectant tous les aspects de la vie quotidienne, comme la connaissance et l'aménagement des ressources naturelles. Pour avoir des informations plus détaillées sur ce sujet, se référer à l'étude de Liniger-Goumaz (1988).

4.2. L'utilisation des PFNL dans la médecine traditionnelle

Alors qu'en général, on peut avancer que la population de Rio Muni utilise de moins en moins les ressources forestières, la pratique de la médecine traditionnelle a été maintenue. En effet, la médecine traditionnelle fournit les services médicaux de base à la majorité de la population, étant donné l'absence d'un système de soins médicaux bien développé de type occidental. Cette dépendance de la médecine traditionnelle était particulièrement prononcée pendant la période «isolationniste», juste après l'indépendance, lorsque aucun médicament occidental n'était disponible.

Contrairement à ce qui se passe dans les marchés du Cameroun et du Nigeria, les plantes médicinales ou les parties de plantes sont vendues la plupart du temps à l'état brut et les remèdes n'ont subi aucun traitement avant leur mise en vente. Le plus souvent il s'agit de parties végétales entières: fruits, graines, morceaux d'écorce, etc.... n'ayant subi aucun processus de broyage, de distillation ou de préparation, tel qu'on le trouve dans les marchés urbains ou ruraux ailleurs dans la région.

Certes la population dispose encore de bonnes connaissances de base sur l'utilisation des plantes à des fins médicinales. Mais comme la plupart des consommateurs achètent les produits bruts pour les préparer ensuite eux-mêmes, de nombreux docteurs traditionnels conseillent leurs patients sur ce qu'ils doivent acheter, en quelle quantité et sur la manière de préparer le remède. Il a été clairement établi que, contrairement au Cameroun où la population s'occupe elle-même de la cueillette des plantes médicinales dans la forêt, dans la région de Rio Muni, la cueillette est l'affaire de «spécialistes». Ce sont ces spécialistes qui sont les principaux vendeurs de plantes médicinales sur les marchés.

4.3. L'utilisation des PFNL dans la cuisine locale

En général, contrairement encore au Cameroun, au Nigeria et dans d'autres régions d'Afrique centrale, la cuisine et le régime alimentaire des habitants de Rio Muni sont peu développés et, ce qui est étonnant, il n'y a pas de forte tradition de "cuisine africaine" variée en Guinée équatoriale. La plupart des guinéens habitant dans les campagnes se nourrissent de manioc et de poisson (pour ceux qui habitent près des côtes et des grands fleuves) ou de manioc et de viande de brousse (en particulier pour ceux vivant à l'intérieur du pays). Il y a un important commerce de viande de brousse qui fournit les villes comme Bata et Malabo, afin de satisfaire la préférence du consommateur urbain (Fa, 1991). L'influence d'une cuisine de type européen est particulièrement forte et la plupart des restaurants et gargotes ne servent que ce type de plat - un élément persistant de la colonisation. Cette influence explique sans doute la présence sur le marché de plantes si nombreuses, venant des régions tempérées.

Depuis quelques années, en Guinée Équatoriale, la croissance de la population africaine étrangère, en particulier des Nigériens, des Camerounais et des Ghanéens, a conduit à une utilisation plus importante de condiments forestiers et d'aliments locaux dans la cuisine, ainsi qu'une plus grande diffusion de spécialités africaines telles que le foufou, l'eru, le ndole, les plantains et l'igname pillé. Il nous est apparu clairement que ce sont les immigrés africains en Guinée équatoriale qui ont apporté ces condiments forestiers désormais faciles à trouver sur les marchés, influençant ainsi le consommateur guinéen à utiliser eux-mêmes ces produits.

5. Conclusion

Le secteur des PFNL dans la région de Rio Muni suit un modèle assez complexe, tant pour l'utilisation des produits que pour la vente. Ce modèle a été largement influencé par les événements politiques qui ont suivi l'indépendance et contraste nettement par rapport aux autres pays d'Afrique centrale. En Guinée Équatoriale, il y a un modèle clair bien distinct d'échange et de vente des PFNL, tant à l'intérieur du pays, en particulier dans les marchés frontaliers que, de manière plus importante, avec les pays voisins tels que le Cameroun. Il faudra attendre les résultats de l'enquête réalisée pendant l'année 1998-1999 pour avoir une idée plus claire de la complexité de l'utilisation et de la vente de ces PFNL.

Ce qui est remarquable, c'est que la demande pour les PFNL est très élevée, et continue de croître et que le commerce transfrontalier bien établi fait partie d'un réseau commercial principal plus vaste. Ceci ne fait que confirmer l'hypothèse selon laquelle le secteur des PFNL en Afrique centrale ne souffre pas d'un manque de marchés pour la promotion et la vente des PFNL, et donc, pour la valeur de ces produits en terme de conservation et de développement. C'est plutôt le contraire, le caractère bien développé de ces marchés et des circuits commerciaux, ajouté aux revenus garantis, contribuent souvent à long terme à la surexploitation et à la rareté des ressources.

Remerciements

Cet article est une synthèse des deux rapports suivants: "A preliminary survey of NWFP of Rio Muni, Equatorial Guinea (Sunderland, 1998)" et "La situación de los productos forestales non leñosos en la Isla de Bioko" (Obama,1998). Nous tenons à remercier Mark Buccowich du CARPE pour avoir accepté de diriger l'étude préliminaire sur la région de Rio Muni et Frank Stenmanns ainsi que toute l'équipe du CUREF pour avoir poursuivi le processus itératif de l'enquête et financé l'étude initiale pour les marchés de Bioko.

Enfin, nous voulons témoigner notre gratitude à Maurice Elad pour avoir enregistré ces données et contribué à identifier les échantillons et à Sarah Laird pour ses conseils précieux et ses remarques constructives, particulièrement dans le domaine de la méthodologie.

Références

Serrano, N.C. 1997. Etude de terroir coutoumier de village de Engombegombe à la Reserve Forestière de Ndote. CUREF, Guinea Ecuatorial.

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