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Transport hydraulique des copeaux de bois par pipe-lines


LINCOLN R. THIESMEYER

LINCOLN R. THIESMEYER est Président de l'Institut canadien de recherche sur la pâte et le papier, Montréal (Canada).

Communication présentée à la Conférence sur les perspectives de développement de l'industrie de la pâte et du papier en Afrique et au Proche-Orient, Le Caire, 8-20 mars 1965. Cette conférence avait été organisée par la FAO, la Commission économique pour l'Afrique et la Direction des opérations d'assistance technique des Nations Unies.

L'INSTITUT CANADIEN de recherche sur la pâte et le papier a été le premier à étudier s'il était techniquement possible de transporter le bois sur de longues distances, de la forêt à l'usine, sous forme de copeaux entraînés par un courant d'eau dans des conduites fermées. Les premiers travaux remontent à 1957: on envoya à travers une conduite courbe de 5 cm de diamètre, qui avait déjà servi pour d'autres recherches, des copeaux de forme parfaite et de très petite dimension. Au début, l'industrie de la pâte et du papier s'intéressait assez peu à la question. Le nouveau procédé paraissait s'écarter trop radicalement de la pratique courante: flottage des billes le long des cours d'eau, transport par camion ou par fer. En outre, l'approvisionnement en bois sous forme de copeaux ne présentait d'intérêt que pour les usines de pâte chimique. Les grands producteurs canadiens de papier journal fabriquaient encore leur pâte mécanique, qui est le principal élément du papier journal, en râpant les grumes dans des machines à meules. Mais, en 1959, on découvrit que l'on pouvait obtenir une excellente pâte mécanique en traitant des copeaux dans des appareils à disques, et, l'une après l'autre, les usines se mirent à fabriquer une partie de leur pâte mécanique selon ce procédé. Les appareils à disques ou raffineurs allaient devenir d'un emploi courant et, dès lors, beaucoup d'usines préféreraient recevoir de la forêt des copeaux plutôt que des grumes.

C'est alors que l'Institut monta, dans ses nouveaux laboratoires de Pointe-Claire (province de Québec), une conduite courbe en aluminium de 20,32 cm de diamètre et de 0,16 km de longueur. Des copeaux ordinaires fournis par une usine voisine furent envoyés à travers cette conduite à des vitesses différentes et mélangés à l'eau dans des proportions diverses. Les vitesses variaient entre 1,2 et 3 m par seconde, et le pourcentage du bois dans le mélange allait jusqu'à 48 pour cent. A cette forte concentration de copeaux, une conduite de 20 cm de diamètre pourrait entraîner en un jour l'équivalent d'environ 800 tonnes de bois parfaitement sec depuis la forêt jusqu'à l'usine, à la vitesse de 1,8 m par seconde; une conduite de 88 km de long se viderait en 24 heures à peu près. Il ne serait donc pas absolument nécessaire d'accumuler une grande quantité de copeaux à l'usine ou à l'entrée du pipe-line. L'usine pourrait travailler sans arrêt d'un bout de l'année à l'autre et l'on a calculé qu'il faudrait 900 000 m³ de bois par an pour une alimentation continue. Il fut démontré en outre que la bouillie de copeaux pouvait passer par une pompe centrifuge ordinaire sans dommage et que le bois à pâte ou de papeterie ne subissait en fait qu'une perte de qualité négligeable après avoir subi l'équivalent d'un passage à travers des centaines de kilomètres de pipe-line.

Au début de 1960, la publication d'un rapport préliminaire sur ces recherches suscita des études expérimentales analogues aux Etats-Unis et en Union soviétique. L'intérêt pour le transport des copeaux de bois par pipe-line grandit dans beaucoup de pays et a pratiquement gagné le monde entier. Les petites études pilotes effectuées ainsi par l'Institut canadien encouragèrent un certain nombre d'autres organisations à étudier pour leur propre compte les avantages économiques éventuels du transport du bois par pipe-line dans certaines régions du Canada. Les résultats furent tellement positifs que l'on crut pouvoir entreprendre des recherches plus poussées pour déterminer les paramètres indispensables à l'élaboration d'un projet de pipe-line commercial.

Au cours de l'été 1964, une grande installation pilote fut mise en place à Marathon (Ontario), à côté d'une usine de pâte. Dix sociétés constructrices de matériel fournirent les conduites, les pompes, les raccords, des malaxeurs et autre matériel pour la construction d'une installation expérimentale. Dix autres sociétés fournirent de l'argent pour couvrir les débours et payer les équipes de recherche. Parmi ces sociétés, il y avait les deux grandes compagnies de chemins de fer canadiennes, une société d'études techniques, une société constructrice de pipe-lines et six sociétés productrices de pâte et de papier, dont cinq canadiennes et une des Etats-Unis.

Cette coopération permit de mener à bien une entreprise qui aurait probablement coûté près d'un million de dollars si ces diverses sociétés avaient agi isolément. De son côté, la société constructrice de pipe-lines mit entièrement à la disposition de l'entreprise, pendant neuf mois, un ingénieur expérimenté.

Au moment où la présente note était rédigée (novembre 1964), les dix sociétés qui patronnaient ce projet désiraient garder encore pendant quelque temps le secret sur les résultats obtenus. Nous pouvons toutefois dire en quoi consistait l'expérience et indiquer ce que pourrait signifier pour l'industrie de la pâte et du papier le fonctionnement d'un réseau commercial de pipe-lines pour le transport des copeaux.

On a utilisé pour l'installation de Marathon des conduites d'aluminium de 15,24 cm de diamètre et des conduites d'acier de 20,32 et 25,4 cm de diamètre. Avec chaque type de conduites, on a formé un tronçon en U. long de 610 m et disposé sur un plan essentiellement horizontal. Le rayon de courbure à la base de l'U de 16 m. Il y avait deux sections inclinées à 10 et 20° pour reproduire les pentes probables dans un pipe-line commercial. Sur cinq points du tronçon, on avait inséré des sections transparentes en époxyrésine qui permettaient de fixer par la photographie rapide le comportement du courant de copeaux.

Des copeaux ordinaires provenant des stocks de l'usine, accumulés en un grand tas, étaient projetés par un ventilateur chasse-neige sur un convoyeur à compteur qui les introduisait dans un bac-mélangeur, puis introduits par une pompe à une entrée du tronçon de pipe-line. Ils en sortaient à l'autre extrémité et s'entassaient sur le sol en laissant s'écouler l'eau. De grandes quantités de ces copeaux furent ensuite réduites en pâte par le procédé Kraft dans les lessiveurs discontinus de l'usine, et l'on compara le résultat avec la pâte obtenue à partir de copeaux qui n'avaient pas subi le transport par pipe-line.

Des chiffres sur les pressions de pompage, la vitesse des pompes, le taux d'écoulement, les chutes de pression et les proportions de mélanges eau-bois furent recueillis et notés à l'aide d'instruments couplés à des machines électroniques et tous mis en rapport avec le facteur temps. Toutes les deux secondes, au cours de chaque expérience, on faisait une série de lectures, 17 en tout, qui étaient communiquées télégraphiquement pour analyse à l'ordinateur de l'Institut, situé à environ 1300 km de là. Les résultats étaient télégraphiés à Marathon quelques minutes plus tard. L'humidité des copeaux et le classement par dimensions étaient vérifiés sur les lieux du pipe-line. En tout, il fut effectué ainsi environ 250 000 déterminations dans une période d'environ cinq semaines.

D'après les premières recherches de l'Institut, on ne prévoyait pas d'usure notable des conduites. Toutefois, pour contrôler ce point afin de tranquilliser les utilisateurs éventuels, on intercala des sections radioactives dans les deux conduites d'acier. De petits segments d'acier, irradiés au cobalt-60 par l'Atomic Energy of Canada Limited, furent insérés dans la conduite de manière à s'y adapter parfaitement sans qu'il y ait à l'intérieur la moindre irrégularité de surface pouvant gêner l'écoulement du mélange et engendrer des turbulences locales.

On étudia tout spécialement les circonstances qui pouvaient provoquer l'engorgement des conduites et les techniques de débouchage à utiliser éventuellement. Le programme portait aussi la mesure périodique du pH de l'eau.

Il est encore impossible pour le moment de publier les résultats détaillés de ces importants travaux expérimentaux, mais ils ont été si encourageants que plusieurs sociétés canadiennes et étrangères envisagent déjà sérieusement l'installation de pipe-lines pour le transport commercial des copeaux. Il faut toutefois reconnaître que le pipe-line n'apporte pas la réponse à tous les problèmes de l'exploitation forestière pour l'industrie de la pâte et du papier. Les pipe-lines ne seront utilisés que dans un ensemble de circonstances favorables. En Afrique du Nord et au Proche-Orient en tout cas, le problème du gel ne se poserait pas comme au Canada durant les rudes mois d'hiver. Il existe aussi des contrées où, étant donné la dénivellation entre le point d'origine du bois ou autres matières premières cellulosiques et l'usine, les frais de pompage seraient nettement moins élevés. (Notons en passant que dans l'île de Maui, aux Hawaï, on est arrivé à pomper de la canne à sucre coupée en morceaux d'à peu près 5 cm jusqu'à l'usine située à environ 1 km de distance. Il s'agissait d'une conduite en aluminium de 20,32 cm de diamètre; le volume de canne à sucre et le volume d'eau étaient sensiblement égaux. Les données recueillies sur le fonctionnement de ce pipe-line à canne à sucre correspondaient assez bien à celles que l'Institut avait obtenues dans ses recherches à échelle réduite de Pointe-Claire (Québec). On peut ajouter aussi que les expériences réalisées avec les copeaux de bois en Union soviétique viennent corroborer les travaux canadiens.)

Avantages des pipe-lines a copeaux

Il est encore trop tôt pour chiffrer les incidences économiques des pipe-lines à copeaux mais la liste ci-après d'avantages possibles, dont chacun peut se traduire en termes d'argent, montre que le nouveau procédé permettrait de réduire sensiblement les frais généraux. Il est à souligner que la comparaison avec les autres systèmes de transport devrait faire entrer en ligne de compte beaucoup d'autres facteurs outre le coût unitaire du transport même.

Avantages du transport par pipe-line

1. Coût unitaire faible (cela peut n'être vrai que pour une consommation annuelle d'environ 900 000 m³ de bois).

2. Main-d'œuvre réduite. D'où augmentation assez limitée des coûts de transport pendant les 20 années de service du pipe-line.

3. Coût réduit de l'amortissement annuel, comparativement aux nouvelles constructions ferroviaires ou routières. Même une conduite souterraine serait moins coûteuse qu'une nouvelle route ou une nouvelle voie ferrée.

4. Réduction énorme des quantités de bois à pâte en attente à l'usine, dans la forêt et en cours de transport.

5. Possibilité d'assurer une production continue à l'usine de pâte mécanique avec des raffineurs à disques.

6. Elimination des pertes par coulage quelles que soient les espèces de bois transportées. D'où moindre nécessité d'effectuer des opérations coûteuses d'exploitation sélective.

7. Possibilité d'utiliser des bois de petit diamètre (cimes et branchages) qui sont actuellement gaspillés en grande partie.

8. Affranchissement des servitudes tenant aux conditions météorologiques et au terrain. A noter particulièrement pour les pays nordiques.

9. Elimination des frais de stockage, de manutention et de protection des grumes à l'usine (assurance contre l'incendie, arrosage des piles de bois, matériel mécanique coûteux pour l'empilage des billes et la réduction des bois en copeaux). Suppression de la nécessité des bassins à grumes, grues, empileuses, transporteurs, trains de bois et remorqueurs, élévateurs-transporteurs, hangars à bois et écorceuses.

10. Possibilité de réutiliser à l'usine l'eau de transport pour la fabrication de la pâte chimique ou du papier.

11. Disponibilité dans la forêt même d'eau sous pression en cas d'incendie. On pourrait installer aussi dans des points importants un système permanent de pompes à incendie.

12. Possibilité de répartir sur deux ou plusieurs sociétés les coûts et les frais de transport des copeaux par pipe-line selon le volume livré.

13. Utilisation éventuelle des pipe-lines à copeaux pour le transport d'autres matériaux (minéraux, minerais, etc.) existant dans le même secteur forestier. La question est déjà résolue du point de vue technique.

14. Utilisation des déchets de coupe et des écorces à l'entrée de la canalisation principale du pipe-line ou de ses dérivations. Cela permettrait d'éliminer le danger d'incendie inhérent à l'habitude actuelle de laisser sur le terrain les déchets de coupe.

15. Amélioration des rendements et de la qualité du produit obtenu grâce à l'alimentation continue de l'usine en bois vert.

16. Possibilité de transporter par les conduites les écorces, aiguilles, bois de souche et racines qui pourraient être utilisés à l'usine (la question est déjà à l'étude en U.R.S.S.).

17. Possibilité de choix plus large pour l'emplacement de nouvelles usines qui pourraient même être installées dans des centres urbains, à plus grande proximité des marchés.

18. Possibilité de régler par ordinateur les opérations de transport et la fabrication de pâte et de papier à l'usine, qui seraient ainsi intégrées.

19. Livraison beaucoup plus rapide du bois à l'usine, qui pourrait accélérer fortement sa fabrication grâce à l'alimentation continue.

20. Possibilité d'extension du processus de fabrication en effectuant sur le parcours même de la conduite certaines opérations mécaniques ou chimiques. Le pipe-line qui, à certains points, se développerait en un réseau de bassins et de tours reliés les uns aux autres, pourrait ainsi amener, d'une manière continue, dans les cuviers à pâte de la machine à papier, de la pâte déjà lavée et blanchie.

On voit ainsi les conséquences énormes que pourrait avoir pour l'industrie de la pâte et du papier la multiplication des réseaux de transport hydraulique de copeaux par pipe-line. On peut dire que cela révolutionnerait toute la structure actuelle de l'industrie, depuis le travail extrêmement mécanisé en forêt jusqu'à des opérations rationalisées et simplifiées se déroulant à l'usine de façon continue. Une telle révolution est d'ailleurs essentielle pour que cette industrie continue à se développer et à prospérer malgré la concurrence croissante d'industries plus complexes qui offrent actuellement une variété étonnante, et même inquiétante, de produits en pellicules, en feuilles et en matière plastique comme succédanés à bas prix du papier et du carton.

Le transport des liquides à longue distance dans des canalisations à ciel ouvert est un procédé extrêmement ancien. Avec le progrès de la technologie industrielle, on a vu se multiplier les conduites fermées pour le transport des liquides, puis des gaz. Notre siècle a déjà vu les premiers transports de matières solides par pipe-line à des distances de plus en plus grandes en Amérique du Nord: par exemple dans l'industrie minière, celle de la houille et celle du pétrole avec son pipe-line en gilsonite dans l'Utah. Le transport par pipe-line des matières solides entraînées dans un courant d'eau a déjà pris un bon départ, mais le procédé en est encore à ses débuts. Jusqu'à présent, il n'existe guère de documentation technique sur la question.

Nous sommes maintenant capables de mettre en orbite, dans l'océan d'air et de gaz raréfiés qui constitue la haute atmosphère, des capsules renfermant des hommes avec leur équipement. Il serait tout à fait logique que l'on étudie aussi le transport par capsule d'autres solides dans d'autres milieux fluides, au moyen de conduites établies en surface ou sous la terre. C'est ce que fait actuellement au Canada le Conseil de la recherche de l'Alberta, qui a envoyé des capsules contenant de petites particules solides dans une conduite de pétrole sur une distance de 90 km environ. Il se propose maintenant d'expédier le blé par les pipe-lines à pétrole dans des capsules de plastique de la contenance d'un bushel jusqu'à Montréal, où le plastique serait régénéré après le voyage pour être réutilisé, si bien que tout ce qui aurait été transporté par le pipe-line serait vendu.

Le Canada occupe un territoire plus vaste que les Etats-Unis, mais c'est un pays à population clairsemée, dépourvu d'un réseau routier et ferroviaire dense comme il en existe chez son voisin et où les matières premières se trouvent très loin des centres de manufacture; il se prêterait donc tout naturellement à l'installation d'un réseau de pipe-lines. On en construit déjà pour expédier les fabuleuses ressources de pétrole et de gaz de la prairie vers les principaux centres industriels du Canada et les marchés encore plus importants des Etats-Unis. La propriété foncière des gouvernements des provinces est si étendue que la question du droit de passage pour´ les pipe-lines est secondaire. Eh outre, les deux compagnies ferroviaires canadiennes sont´ en fait associées aux études que poursuit l'industrie de la pâte et du papier sur la technologie des pipe-lines, et ne risquent donc pas de les contrecarrer. Cette attitude coïncide d'ailleurs avec leurs intérêts bien compris; ´dans beaucoup de cas en effet, les pipe-lines devraient suivre les voies ferrées où le terrain est déjà défriché, nivelé, protégé et où le droit de passage ne pose pas de problème. Aussi, quand il aura été démontré que (comme l'auteurs en est persuadé) le transport hydraulique du bois par pipe-lines revient beaucoup moins cher que le transport ferroviaire au tarif le plus bas que l'on puisse pratiquer sans perte, ces compagnies pourront-elles exploiter elles-mêmes leurs pipe-lines dans le cadre de contrats à long terme passés avec leurs clients. Dans beaucoup de cas, même si le pipe-line peut traverser un pays accidenté où il serait trop coûteux de construire une voie ferrée sans suivre les cours tortueux des fleuves pour se maintenir aux niveaux voulus, une analyse approfondie de tous les coûts pourrait faire apparaître que le chemin le plus long est aussi le plus rapide et le plus économique.

L'industrie canadienne de la pâte et du papier, qui occupe la première place parmi les entreprises manufacturières du pays et constitue, par conséquent, un des principaux éléments de l'économie en raison des fortes exportations qu'elle alimente, devrait certainement envisager le transport par pipe-line de sa matière première, le bois, de la forêt à l'usine. C'est d'ailleurs ce qu'elle fait. Pendant des générations, cette industrie a été largement tributaire d'un moyen de transport pittoresque - le flottage des grumes le long des nombreux cours d'eau canadiens, sur des distances qui atteignaient parfois 600 à 900 km. Maintenant, dans beaucoup d'endroits, des wagons, des camions ou des chalands transportent chaque année une partie des millions de tonnes de bois à pâte utilisés par les usines. La plupart du temps, il s'agit de grumes qu'il faut charger et décharger plusieurs fois avant de les entasser en piles imposantes sur le chantier de l'usine. Mais le flottage par fleuve est maintenant beaucoup plus compliqué et coûteux depuis la construction des barrages hydroélectriques et des lacs artificiels qui obligent à former des trains de bois que l'on remorque le long des lacs et en contournant les barrages par des écluses.

Avec ce système de transport, au moins 5 pour cent du bois coulent au fond de l'eau et sont perdus. La récupération du bois coulé est à peu près théorique. Pour une industrie qui travaille avec des marges bénéficiaires inférieures à 10 pour cent, la perte est appréciable, mais il a fallu l'accepter comme inévitable et la comptabiliser dans les coûts de l'exploitation.

Les bois de feuillus comme le bouleau, l'érable et le chêne se saturent vite et coulent facilement. Dans le cas d'un peuplement éloigné, où ces essences feuillues se trouvent mêlées aux résineux qu'on leur préfère pour la fabrication de la pâte (épicéa, sapin et pin) et s'il faut acheminer le bois vers l'usine en utilisant les cours d'eau, on est obligé d'exploiter sélectivement les résineux en laissant les feuillus vieillir sur place et finalement pourrir. Ce mode d'exploitation est beaucoup plus coûteux que si l'on effectuait une coupe rase dans tout le secteur en ne laissant que quelques semenciers pour produire la prochaine récolte, et en dirigeant tout le reste sur l'usine. Il faut ajouter que ce mode d'exploitation sélectif et ce gaspillage sont vivement déplorés par les techniciens de la conservation.

La rigueur du climat exerce sur l'industrie canadienne une influence beaucoup trop forte. En hiver, les transports fluviaux sont interrompus par le gel. On est donc obligé d'accumuler dans la forêt des stocks importants de grumes en attendant le dégel qui, au printemps, libérera les cours d'eau. Ainsi, avec les millions de tonnes de bois restés dans la forêt, les millions de tonnes que l'usine doit accumuler dans son chantier pour travailler durant les longs mois d'hiver, et le nombre inconnu de tonnes qui se perdent au fond de l'eau, l'industrie de la pâte et du papier se trouve avoir une grande partie de ses capitaux immobilisés en dépôts improductifs.

Quand le transport se fait par flottage, le bois se mouille et sèche plusieurs fois de suite entre l'abattage et l'arrivée à l'usine. Parfois, il s'écoule jusqu'à deux ans entre l'abattage et l'utilisation. Pendant une partie de ce temps, le bois est vulnérable, comme toute matière organique morte, aux attaques des bactéries, des champignons et des insectes. Il n'est donc pas surprenant qu'à l'analyse les pâtes et les papiers fabriqués avec du bois vert et fraîchement coupé donnent des rendements meilleurs et des produits plus résistants que lorsque le bois a été alternativement mouillé et séché ou qu'il s'agit de bois âgé.

Depuis de nombreuses années, on obtient des pâtes chimiques en réduisant les grumes en copeaux que l'on met à macérer sous pression dans des solutions acides neutres ou alcalines, dans de grandes cuves, pour dissoudre et entraîner la lignine du bois et pour libérer les fibres de cellulose utilisées en papeterie. Ces copeaux ont des dimensions d'environ 1,5 x 1,2 x 0,6 cm. On utilise parfois l'air comprimé pour charger et décharger les chalands, les cales de bateaux ou les wagons, pour envoyer les copeaux dans les cuviers de réserve ou les déposer en tas. Pratiquement, la distance maximale à laquelle peut s'effectuer ce transport pneumatique est légèrement inférieure à 2 km. Au-delà, la dépense d'énergie est trop élevée. En outre, ainsi transportés à une vitesse élevée et sans la protection d'une pellicule liquide, les copeaux se heurtent les uns contre les autres et contre les parois de la conduite avec un effet de frottement sur le bois. Cet effet est nuisible pour la fabrication de la pâte et du papier. C'est pourquoi le transport à longue distance des copeaux par pipe-line dans un milieu d'air ou de gaz est inconcevable du point de vue technique comme du point de vue économique.

Telles sont donc quelques-unes des raisons pour lesquelles il était particulièrement indiqué que le Canada ouvre la voie dans l'étude du transport des copeaux de bois par pipe-line. Mais ce mode de transport présenterait certainement des avantages dans bien d'autres pays, par exemple en Afrique et au Proche-Orient. Dans des régions semi-arides, le pipe-line pourrait servir à amener l'eau aussi bien que la matière cellulosique aux usines. Dans les pays relativement plats, on n'aurait pas besoin de pressions élevées pour pomper les matériaux dans des pipe-lines sur des distances relativement courtes. On pourrait donc poser les conduites à même le sol en se contentant de dispositifs d'ancrage peu coûteux. Les chercheurs canadiens seraient légitimement fiers si la nouvelle technique de transport des copeaux par pipe-line qu'ils ont été les premiers à étudier était adoptée et utilisée avec profit par les pays en voie de développement de ces régions.

Bibliographie

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ELLIOTT, D. R. 1964. Woodlands mechanization, chip pipelines and research. Woodlands Research Index, Pulp Paper Res. Inst. Can. N° 151, août 1963, 12 p., 2 app., 4 références.

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THIESMEYER, L. R. 1963. Testing the pipeline concept. Pulp Paper Mag. Can., Vol. 64, N° 2, février 1963, p. WR-50-52.

Annexe A

Sociétés ayant contribué financièrement à l'étude sur les pipelines à copeaux:

Canadian National Railways, Montréal, Québec
Canadian Pacific Railway Company, Montréal, Québec
Champion Papers, Inc., Hamilton, Ohio, Etats-Unis
Dominion Tar and Chemical Company, Limited, Montréal
Foundation of Canada Engineering Corporation Limited, Montréal, Québec
Fraser Companies, Limited, Edmundston, N.B.
Irving Pulp and Paper, Limited, Saint John, N.B.
Marathon Corporation of Canada Limited, Marathon, Ontario
The Ontario Paper Company Limited, Thorold, Ontario
Pembina Pipe Line Limited, Calgary, Alta

Sociétés ayant contribué à cette étude en prêtant d?´ matériel:

Aliminium Company of Canada, Limited, Montréal, Québec
Canadian Ingersoll-Rand Limited, Montréal, Québec
Greey Mixing Equipment Limited, Montréal, Québec
Pacific Coast Pipe Co., Limited, Vancouver, B. C.
Page Hersey Tubes, Ltd. Toronto, Ontario
Rader Pneumatics (Eastern) Limited, Montréal, Québec
Sicard Inc., Montréal, Québec
Tube Turns of Canada Ltd. Ridgetown, Ontario
Victaulic Company of Canada Limited, Weston, Ontario.


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