Page précédente Table des matières Page suivante


Les voies de l'agroforesterie: Régime foncier, culture itinérante et agriculture permanente

J.B. Raintree

J.B. Raintree travaille au Conseil international pour la recherche en agroforesterie (CIRAF) à Nairobi. Cet article est adapté d'un mémoire présenté au Séminaire international sur les problèmes fonciers en agroforesterie. parrainé par la Fondation Ford, qui s'est tenu à Nairobi du 27 au 31 mai 1985

AGROFORESTERIE SUR COTEAU EN THAÏLANDE les arbres accroissent les rendements agricoles (FAO)

«L'agroforesterie est un terme collectif qui désigne des systèmes et techniques de mise en valeur des terres dans lesquels des végétaux ligneux pérennes (arbres, arbustes, palmiers, bambous, etc.) sont délibérément associés sur un même terrain à des cultures herbacées ou à l'élevage, soit simultanément selon un certain agencement dans l'espace, soit en succession dans le temps. Dans les systèmes agroforestiers il y a des interactions aussi bien écologiques qu'économiques entre les différentes composantes.» (Lundgren, 1982)

· Nombreux sont ceux qui, aujourd'hui, placent de grands espoirs dans l'agroforesterie. Si certains de ces espoirs semblent techniquement justifiés, il n'en reste pas moins que les efforts actuellement déployés pour comprendre, développer et diffuser les techniques agroforestières en tant que nouvelle branche de science appliquée devront, pour rencontrer ne serait-ce qu'un minimum de succès, prendre en compte de manière plus explicite dans le contexte humain les améliorations à apporter en principe à l'utilisation des terres.

L'objet du présent article est de donner quelque idée de la portée et du rôle potentiel de l'agroforesterie pour étayer l'examen des problèmes fonciers. Pour ce qui est des interactions entre agroforesterie et régime foncier, on part de deux grandes hypothèses. Selon la première, les facteurs fonciers peuvent faire obstacle à la réalisation des avantages écologiques et socio-économiques potentiels de l'agroforesterie dans de nombreux systèmes de mise en valeur des terres; selon la deuxième, l'agroforesterie peut offrir des moyens de résoudre ou d'atténuer certains des problèmes fonciers qui se présentent. Sans aucun doute, les questions foncières sont bien plus variées et complexes qu'il n'apparaît ici. Cet article cherche à attirer l'attention sur certains changements majeurs dans le régime foncier consécutifs aux grandes tendances de l'utilisation des terres dans les pays tropicaux. Ces changements sont considérés dans une perspective écologique et évolutive.

D'un point de vue pratique, il existe deux moyens fondamentaux pour arriver à l'agroforesterie: intégrer les arbres dans les systèmes agricoles, ou intégrer les agriculteurs à la forêt.

L'introduction d'éléments ligneux judicieusement choisis peut améliorer de plusieurs façons la productivité et la stabilité des systèmes agricoles sur les terres marginales: en accroissant la production de matière organique, en entretenant la fertilité du sol. en diminuant l'érosion, en conservant l'eau et en créant un micro-climat plus favorable pour les spéculations végétales et animales associées. Ce rôle de «services» vient en sus du rôle direct de «production» que les arbres peuvent également jouer en fournissant aliments, fourrage, bois de feu, matériaux de construction et matières premières pour les industries rurales. Avec les pratiques traditionnelles d'utilisation des terres, l'agroforesterie contribue puissamment à diversifier la production et à optimiser le rendement, même sur des terres très fertiles. Les systèmes agroforestiers intensifs se trouvent le plus souvent dans les régions depuis longtemps soumises à une forte pression démographique, ce qui témoigne de leur efficacité comme modes de mise en valeur.

Que ce soit sur des terres marginales ou sur des terres à fort potentiel, un système diversifié d'agroforesterie est parfois la meilleure solution lorsque les contraintes foncières, l'absence d'infrastructure de commercialisation ou une conjoncture économique défavorable imposent aux petits paysans, dans le souci de réduire les risques, de chercher à tirer des terres dont ils disposent le gros de leur subsistance (Lundgren et Raintree, 1983).

Sous les tropiques, tous les systèmes d'utilisation des terres montrent à des degrés divers une tendance à des «fuites» dans le cycle des éléments nutritifs entre le sol et la végétation (Nair, 1984), bien que certains de ces systèmes, tels que les rizières irriguées, l'arboriculture permanente et la forêt, soient plus stables que d'autres. Une des affirmations fondamentales de l'agroforesterie est que les arbres ont une aptitude particulière à combler bien des vides laissés par les systèmes agricoles tropicaux, et ce dans une plus ou moins grande mesure, depuis la plantation interstitielle restreinte jusqu'à une couverture pratiquement complète, comme dans le jardin familial. Le nombre et les espèces d'arbres à insérer dans un système agricole existant dépendent essentiellement des «niches» que l'on trouve pour les recevoir. Une niche telle qu'on l'entend en agroforesterie comporte trois éléments: un rôle fonctionnel dans le système de mise en valeur, une place dans le paysage et un moment dans le cycle biologique du système considéré.

Bien que la plupart des recherches récentes en agroforesterie aient été axées sur l'intégration des arbres dans les systèmes agricoles, l'agroforesterie a aussi un rôle à jouer dans la préservation des forêts et l'amélioration de leur aménagement. En offrant aux paysans le moyen de produire du bois de feu, du bois d'œuvre, des perches de construction et d'autres produits forestiers sur les terres agricoles, elle peut réduire considérablement la pression sur les forêts et autres formations ligneuses naturelles. En accroissant et régularisant du même coup la productivité agricole, elle atténue aussi la nécessité de convertir les forêts en terres de culture. En outre, l'intégration des agriculteurs dans le plan d'aménagement forestier par le biais d'un système de «compromis» fondé sur l'agroforesterie est sans doute l'un des rares moyens réalistes de maintenir la production forestière dans les zones boisées soumises à une forte pression de l'agriculture (Raintree et Lundgren, 1985).

PRINCIPAUX STADES DE L'INTENSIFICATION DE L'AGRICULTURE TROPICALE: DE LA CULTURE ITINÉRANTE À LA CULTURE SÉDENTAIRE (R. DICKERSON)

Un bref examen de certains des problèmes, et aussi des possibilités, liés à l'utilisation des terres et au régime foncier montre que l'agroforesterie a un grand rôle à jouer en ce domaine.

De la culture itinérante à l'agriculture permanente

Différentes options et voies agroforestières s'offrent à partir des divers stades de la séquence d'intensification schématisée par la figure, laquelle résume les approches à l'agroforesterie qui apparaissent comme les plus prometteuses.

La taungya intégrale. La classification des systèmes d'agriculture itinérante distingue l'agriculture itinérante «intégrale» de l'agriculture itinérante «partielle». Cette dernière traduit «de manière prédominante les seuls intérêts économiques de ceux qui la pratiquent (comme dans certains cas de cultures de rente, recolonisation et agriculture de squatters)» tandis que les systèmes intégraux «procèdent d'un mode de vie plus traditionnel, permanent, s'étendant à toute une communauté, largement autarcique et consacré par les rites» (Conklin, 1957).

Par analogie avec la culture itinérante intégrale, le terme proposé de «taungya intégrale» est censé évoquer l'idée d'un mode d'utilisation des terres qui offre une approche plus complète et culturellement intégrée au développement rural: non pas simplement l'utilisation temporaire d'une parcelle de terre et le paiement d'un salaire de misère, mais une chance de participer équitablement à une économie agroforestière diversifiée et stable.

Les objectifs sociaux d'une telle approche sont ambitieux. Dans la pratique, nulle part on ne les atteint pleinement, mais les projets de «villages forestiers» en Thaïlande sont sans doute ceux qui s'en rapprochent le plus. Dans certaines variantes de cette approche, on s'efforce de rendre la sylviculture plus attrayante pour les cultivateurs itinérants, non seulement en les encourageant à faire des cultures de rente pérennes en espaçant davantage les rangs d'essences forestières commerciales, mais également en leur allouant des parcelles permanentes qu'ils peuvent cultiver à leur guise. En outre, ces agriculteurs reçoivent un salaire convenable pour les divers travaux qui leur sont offerts, et ils bénéficient d'un certain nombre d'avantages sociaux tels qu'aide au logement, dispensaires, écoles, lieux de culte (Boonkird, Fernandes et Nair, 1984). Loin d'être une exploitation du cultivateur, cette variante thaïlandaise du système taungya pourrait devenir un modèle de «taungya intégrale», bien qu'on ne trouve nulle part de mention suffisante dans la littérature.

Il y a toujours le risque, bien sûr, que cette «taungya intégrale» soit détournée de ses idéaux et serve de couverture à des opérations politiques visant à tenir en tutelle certains groupes ethniques et à les confiner dans les villages.

Jachères enrichies. Cette approche comporte deux variantes: la jachère économiquement enrichie, dont on accroît la valeur économique en introduisant des arbres qui fourniront des produits utiles pour la vente ou la consommation, et la jachère biologiquement enrichie, dans laquelle on cherche à améliorer et à accélérer la régénération de la fertilité du sol par la végétation et l'élimination des mauvaises herbes. Ces deux formes de jachères enrichies deviennent payantes pour les agriculteurs vers les stades 1-2 et 2-3, respectivement, de la séquence d'intensification (voir figures). Les cultivateurs itinérants qui pratiquent une jachère forestière de longue durée ne seront vraisemblablement pas intéressés par des techniques concernant la fertilité du sol et l'élimination des adventices, qui ne constituent guère des problèmes pour eux; en revanche ils pourront être sensibles à la perspective d'un profit économique résultant de la jachère améliorée.

Intensité de main-dœuvre

Il existe deux moyens fondamentaux pour arriver à l'agroforesterie: intégrer les arbres dans les systèmes agricoles, ou intégrer les agriculteurs à la forêt.

Du point de vue du cultivateur itinérant, la phase forestière du cycle taungya équivaut à la phase de jachère du cycle de culture itinérante. Pour concilier au mieux ces deux modes de production, il faut que les durées des différentes phases s'accordent. Ainsi, le mieux serait apparemment d'introduire la taungya intégrale au stade 1, alors que la durée de la jachère est du même ordre de grandeur que la période de croissance des essences forestières commerciales. On pourrait toutefois aussi l'introduire au stade 2, à condition de choisir des essences à courte révolution (moins de 10 ans), ou encore de pouvoir intensifier les cultures de façon à compenser la réduction des surfaces de jachères disponibles qui résulterait de la plantation d'essences forestières à plus longue révolution.

Si l'on plante des arbres fruitiers au lieu d'essences forestières classiques, il se peut que de très longues périodes de jachère soient nécessaires pour maintenir la culture itinérante, car les agriculteurs seront peu disposés à abattre les arbres fruitiers au moment où ils produiront le plus (ce qui peut aller de l'âge de 10 ans à celui de 100 ans pour certaines espèces). En fait, la plantation d'arbres fruitiers ou équivalents - c'est-à-dire d'arbres de haute valeur économique, de longue durée de vie et à production continue - pourrait bien être le plus court chemin pour soustraire définitivement le terrain au cycle de jachère. Ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose si la combinaison résultante d'occupation des sols, comprenant une jachère courte biologiquement enrichie ou tout autre moyen de maintenir la production des cultures favorites de plein champ, est sensiblement plus rémunératrice que la poursuite de la culture itinérante traditionnelle.

La validité de cette notion de jachère économiquement enrichie est amplement démontrée par des exemples locaux tels que la plantation de rotang sur jachère par les Dayaks Luangans de Bornéo (Weinstock, 1984), de cèdre et de bambou par les Lingnan Yao de Chine (Lebar, Hickey et Musgrave, 1964), de Casuarina par les Siane de Papouasie-Nouvelle-Guinée (Salisbury, 1962), de gommier dans le Sahel (von Maydell, 1980), ou encore la jachère boisée à fins multiples - dont la diversité spécifique est plus grande que celle de la forêt naturelle - pratiquée par les Ifugaos des Philippines, bâtisseurs de terrasses (Conklin, 1980).

La pratique de la jachère biologiquement enrichie, utilisant Acioa barteri, Anthonotha macrophylla, Alchornea cordifolia, Gliricidia sepium et Leucaena leucocephala, est signalée par Benneh (1972), Okigbo et Lal (1979), Getahun, Wilson et Kang (1982), Agboola et al. (1982) et Dijkman (1950). Pour plus amples renseignements et exemples de jachères enrichies, voir aussi Olofson (1983), FAO (1984), et Raintree et Warner (1985).

La conséquence la plus évidente de l'adoption de ces pratiques en matière foncière serait l'importance accrue, pour ceux qui investissent en travail dans l'amélioration de la jachère, d'un droit exclusif de récolte et de réutilisation de la terre. Faute de garanties de ce genre, le jeu n'en vaudrait sans doute pas la chandelle. Pourtant, les avantages potentiels à en retirer justifieraient, semble-t-il, que l'on s'efforce d'opérer les changements voulus dans le régime foncier, toujours avec la réserve que le système pourrait être mis à profit par des individus peu scrupuleux désirant accaparer des terres.

Cultures en couloirs et autres systèmes analogues. Si, dans ce qui précède, on étend la notion classique de «jachère» au-delà de son acceptation normale, on va encore plus loin en l'appliquant aux techniques de «jachère permanente» que représente la culture en couloirs. Il s'agit là d'une réinterprétation totalement fonctionnelle du concept de jachère pour les conditions tropicales. Les effets bénéfiques, pour les cultures, de la régénération des sols par les arbres peuvent être obtenus grâce à l'association des deux composantes dans le temps, comme avec la rotation cultures/jachère, ou dans l'espace, en juxtaposant simultanément arbres et cultures.

La culture en couloirs peut être définie comme une approche «zonale» à l'agroforesterie (Huxley, 1980; Huxley et Raintree, 1983), dans laquelle on plante des cultures entre des haies d'arbres ou d'arbustes qui recyclent les éléments nutritifs. On taille ces arbres périodiquement durant la saison de végétation des cultures, afin d'en limiter l'ombrage et la concurrence des racines et également de fournir de l'engrais vert et du paillis aux cultures associées. On peut exploiter ce système pour en tirer des sous-produits tels que fourrage et bois de feu, mais son rôle est surtout de remplir une «fonction de service,' à l'appui d'un système de cultures sur labours.

L'expression «allei cropping» (culture en couloirs) a été inventée par les chercheurs de l'institut international d'agriculture tropicale d'Ibadan (Wilson et Kang, 1980), mais la technique elle-même serait née d'une pratique autochtone instaurée il y a une cinquantaine d'années dans l'île de Timor par le rajah d'Amarasi (Metzner, 1981; Olofson, 1983). Les avantages économiques de divers systèmes expérimentaux de culture en couloirs ont été étudiés par Raintree et Turay (1980), Verimumbe, Knipscheer et Enabor (1984) et Ngambeki et Wilson (1984). Une publication récente de la FAO décrit cette forme de culture comme étant «sans doute la plus souple, la plus efficace et la plus largement applicable des dernières innovations en matière d'agriculture écologique»' (FAO, 1984).

CULTURE ITINÉRANTE AU HONDURAS où la situation foncière est déterminante

UN ACAJOU AU MILIEU D'ANANAS AU BRÉSIL don de l'Etat aux agriculteurs

Des mélanges plus intimes d'arbres et de cultures sont également rencontrés dans les pratiques traditionnelles, l'exemple le plus remarquable étant l'association d'Acacia albida avec les cultures céréalières en sec au Sahel (Felker, 1978; Weber et Hoskins, 1983; NAS, 1983), où le rendement des cultures faites à proximité des arbres est couramment le double de celui des cultures à découvert. Cet accroissement de rendement peut s'expliquer en partie par la fixation d'azote, l'amélioration du microclimat et la «phénologie inversée» particulière de l'arbre, qui est couvert de feuilles à la saison. sèche et les perd au début de la saison des pluies, répondant ainsi au mieux aux exigences de la culture. Un autre facteur, qui a d'importantes incidences foncières, est la concentration de fumier autour des arbres, du fait des animaux qui se rassemblent sous leur ombre à la saison sèche pour consommer les gousses nutritives qui mûrissent à cette époque. L'effet bénéfique sur les cultures serait vraisemblablement moindre si les droits traditionnels de pacage étaient restreints.

Les projets de «villages forestiers» en Thaïlande se rapprochent probablement le plus de l'idéal.

Sécurité de tenure. Comme l'adoption d'un système de culture intercalaire exige un gros investisse ment de travail et autres ressources, la sécurité de tenure est une condition préalable importante. Cela ne veut pas dire forcément que les biens et services procurés par les arbres à fins multiples sélectionnés (voir FAO, 1984: p. 32 pour les critères de choix) ne puissent être partagés par différents individus ayant chacun des droits de jouissance sur la terre et sur les arbres. Mais il est évident que les incitations à l'adoption de ces améliorations plus ou moins permanentes seront plus convaincantes si elles s'accompagnent de droits d'usage exclusifs, bien qu'il puisse y avoir avantage à faire une exception pour le pâturage contrôlé du bétail en saison sèche. Dans la mesure où la plantation d'arbres confère un titre juridique sur la terre où elle est établie, il faut le plus souvent que celui qui la gère soit aussi celui qui l'exploite.

Pour ces raisons, et aussi parce qu'ils exigent plus de main-d'œuvre que la jachère plantée, les systèmes intensifs de culture en couloirs n'attireront sans doute les agriculteurs qu'à partir du moment où les stades 3 ou 4 de la séquence d'intensification - jachère courte et culture permanente - auront été atteints. Les exigences écologiques et les ajustements fonciers les rendront alors nécessaires et possibles. En admettant une fois de plus que le système ne serve pas simplement à accaparer des terres, il semble normal d'apporter des ajustements au régime foncier pour l'appuyer. Par ailleurs, la culture en couloirs peut en soi être un moyen technique pour appliquer avec succès les réformes foncières (Torres et Raintree, 1983).

Une façon d'ajuster sans heurt les facteurs fonciers et agro-écologiques liés à la culture en couloirs serait d'introduire cette dernière progressivement, selon le principe du «chemin optimal d'intensification» (Raintree, 1980, 1983 b; FAO, 1984; Raintree et Warner, 1985). Commençant par l'enrichissement de la jachère au stade 2, on pourrait introduire des arbres susceptibles de l'améliorer tant économiquement que biologiquement. En plantant ces arbres en haies à écartement approprié (pouvant être ajusté sur les pentes pour prévenir efficacement l'érosion), on tracerait clairement la voie à une intensification de la pratique de la jachère, sous la forme d'une culture en couloirs semi-permanente ou permanente aux stades 3 et 4. Enfin, au stade 5, à mesure que croît la pression démographique, les enfants ou les petits-enfants des cultivateurs itinérants du début installeraient des «fabriques d'engrais vert» et entretiendraient un étage dominant d'arbres divers de grand intérêt économique. A cette dernière phase d'intensification, on aurait éventuellement un système qui rappelle la complexité architecturale et l'efficacité économique du jardin familial à étages multiples que l'on rencontre si souvent dans les régions densément peuplées des tropiques.

Dès lors que la motivation existe, il n'y a pas de raison pour que le processus d'intensification envisagé ici ne puisse pas être accéléré par des familles entreprenantes qui en tireront un surcroît de revenus. Certes, il se peut qu'il en résulte des inégalités, mais ainsi en irait-il avec pratiquement toute innovation relevant la productivité. Il ne faut donc pas arguer de ces inégalités pour refuser le progrès, quitte à veiller à ce que tout le monde ait des possibilités égales d'accès aux innovations et, pour cela, à recourir entre autres à des réformes foncières.

Les systèmes arboricoles. Même avec les améliorations décrites ci-dessus, il y a des limites à ce que l'on peut raisonnablement attendre d'une intensification des systèmes de cultures annuelles tropicaux pour rehausser l'efficacité des engrais chimiques et autres facteurs de production modernes.

Plusieurs auteurs ont affirmé la supériorité des systèmes arboricoles par rapport aux systèmes de cultures sur labours dans des conditions difficiles pour l'agriculture (Smith, 1950; Douglas et Hart, 1976; Felker et Bandurski, 1979; Mollison et Holmgren, 1981; Bowers, 1982; Chambers, 1984), mais nulle part cette affirmation n'est plus juste que dans les régions tropicales humides, où le modèle agricole des zones tempérées s'est imposé de manière injustifiée à l'esprit des agronomes et des planificateurs.

· II semble donc que, pour développer dans ces zones écologiques des systèmes d'exploitation des ressources hautement productifs, il faudrait avant tout parvenir à tirer économiquement parti de la diversité d'espèces pérennes et de types de végétation luxuriants que ces milieux sont eux-mêmes particulièrement aptes à produire en abondance (Tosi et Voertman, 1964).

La viabilité des systèmes de production dans lesquels prédominent les arbres et autres végétaux pérennes, plutôt que les cultures annuelles, est attestée par la pratique généralisée des jardins familiaux. Dans son étude sur les pratiques agricoles des Ibos du Nigéria, où la densité de population peut atteindre 1 000 habitants au km2, Lagemann (1977) a relevé une forte corrélation entre densité de population et importance des clos familiaux à étages multiples de végétation. Cela s'explique par le fait que, selon les chiffres de Lagemann, la production de ces jardins est de cinq à dix fois supérieure, en valeur pécuniaire, à celle des champs alentour. Le rendement du travail y est de quatre à huit fois supérieur. A Java, où l'on trouve des vergers de type divers formant une mosaïque avec les rizières inondées et les champs de cultures pluviales (Penny et Singarimbun, 1973; Wiersum, 1982; Hunink et Stoffers, 1984), ces jardins familiaux peuvent fournir plus de 20 pour cent du revenu des ménages et plus de 40 pour cent de leurs besoins énergétiques (Stoler, 1978).

On a décrit des économies hautement intégrées basées sur l'arbre en Indonésie, notamment l'exploitation quasi totale du palmier lontar (Borassus sundaicus Beccari) sur les îles de Roti et de Savu (Fox, 1977) et la domestication dans le sud de Sumatra de Shorea javanica, essence dont les forestiers considéraient la culture comme trop difficile pour l'utiliser en reboisement (Torquebiau, 1984). Le rôle des arbres dans ces économies n'est sans doute dépassé que par les systèmes arboricoles des atolls et des îles basses du Pacifique (Barrau, 1971; Schirmer, 1983), où les arbres donnent même l'eau de boisson - le cocotier, par exemple. A cet égard, la sous-exploitation du potentiel des palmiers est si frappante qu'elle mérite une mention spéciale (Johnson, 1983).

Les cultures de rente arboricoles sont largement pratiquées par les petits paysans de nombreuses régions du monde en annexe à la culture itinérante. Citons, à titre d'exemples, les plantations de palmier à huile, cacaoyer, caféier et colatier d'Afrique occidentale, qui couvrent jusqu'à 67 pour cent des superficies cultivées dans le sud du Nigéria (Getahun, Wilson et Kang, 1982), et les plantations paysannes de cocotier, hévéa, palmier à huile, cacaoyer et caféier d'Asie du Sud-Est (Pelzer, 1978; Nair, 1979; Liyanage, Tejwani et Nair, 1984; Dove, 1983).

Le passage à des systèmes arboricoles ne se fait pas avec la même facilité à tous les stades de la séquence d'intensification de l'utilisation des terres sous les tropiques. Aux stades 1 et 2, il y a peu de contraintes écologiques à la plantation d'arbres sur de grandes surfaces, mais il faut que les incitations économiques soient dans l'ensemble assez convaincantes pour des sociétés au stade de la culture itinérante intégrale, vu qu'elles attribuent généralement un prix élevé à leur temps de loisirs Néanmoins, comme le souligne Dove (1983), l'exploitation extensive d'arbres de rente est un trait commun de nombreux systèmes d'agriculture itinérante à jachère relativement longue. Aux stades 3 à 5 en revanche, le passage aux plan tations arboricoles est plus difficile à réaliser, du fait que les terres sont affectées à d'autres usages e qu'il s'écoule un temps relative ment long entre la plantation et la première récolte. C'est là que la taungya peut alléger le poids de la phase d'installation en procurant rapidement des revenus grâce au, cultures intercalaires.

Etant donné que les plantations arboricoles de rente prennent souvent la place de cultures vivrières, les plantations extensives réalisées après le stade 1 doivent en général s'accompagner d'une intensification de ces cultures.

Il va sans dire que les investissements faits dans la plantation d'arbres exigent en contrepartie que les planteurs aient la jouissance assurée, et plus ou moins exclusive, tant des arbres que du sol qui les porte, bien qu'il soit également convenable, comme il arrive souvent en Afrique (Fortmann et Riddell, 1985), que divers droits d'usufruit et de récolte soient partagés entre différents ayants-droit. Par exemple, un droit de pâturage peut être exercé par les éleveurs, avec ou sans paiement d'une redevance au propriétaire terrien, une fois que les jeunes arbres ont dépassé la période critique.

Plantations interstitielles d'arbres. On a, à maintes reprises, laissé entendre tout au long de cet article que la plantation d'arbres ne dispute pas toujours nécessairement la terre aux cultures et qu'elle peut même être bénéfique pour ces dernières quand il s'agit par exemple d'essences qui améliorent la fertilité du sol. Les exemples pratiques de telles relations de «complémentarité» économique sont nombreux, mais ils restent peu documentés et peu connus, et les planificateurs continuent de parler de la prétendue concurrence entre arbres et cultures vivrières comme si c'était, hélas, un fait inéluctable. On peut également citer des exemples de «supplémentarité» économique, dans lesquels les arbres et les autres cultures exercent les uns sur les autres des interactions nulles ou négligeables. Même lorsqu'il y a «concurrence» entre les uns et les autres, un certain degré de mélange contrôlé peut être justifié au regard du rendement économique net de systèmes de mise en valeur orientés vers la diversification de la production (Arnold, 1983; Raintree, 1983a; Hoekstra, 1983).

ARBRES FORESTIERS ET BANANIERS EN AMAZONIE une association économiquement et écologiquement profitable

La plantation d'arbres sur des emplacements «interstitiels» dans les fermes ou en bordure, sur les limites de parcelles, le long des routes et des cours d'eau, ou sur les terres érodées ou en friche, offre des possibilités particulièrement intéressantes de production supplémentaire. De telles plantations, pour lesquelles la concurrence biologique des arbres est quasi négligeable, peuvent être entreprises avec un coût d'opportunité faible ou nul. Ainsi, une étude récente sur photographies aériennes d'un bassin versant situé en zone subhumide dans le centre du Kenya, dans une région agricole assez densément peuplée, a montré que si tous les emplacements linéaires existant dans le paysage - sentiers, cours d'eau, limites de fermes et de parcelles - étaient entièrement utilisés pour y planter des arbres et arbustes appropriés, ceux-ci pourraient satisfaire quelque 50 pour cent des besoins de bois de feu et 40 pour cent de ceux de fourrage des ménages de la zone, au prix d'une très faible concurrence vis-à-vis des autres utilisations agricoles de la terre (Rocheleau et van den Hoek, 1984).

AURONT-ILS DROIT A LA TERRE? une question cruciale en agroforesterie

Les questions foncières soulevées par ces plantations interstitielles seraient-elles aussi bénignes ou faciles à résoudre que les problèmes techniques? Peut-être pas car, par exemple, les limites peuvent être par elles-mêmes une source de litiges, et la plantation d'arbres sur des terrains dégradés ou «sous-exploités» risque d'éveiller l'inquiétude de ceux qui y ont des droits de ramassage ou de pâturage. On pourrait sans doute envisager une formule de propriété collective pour l'utilisation multiple de ces terres. Pour satisfaire des besoins aussi divers, il peut être recommandé d'utiliser des arbres à fins multiples convenablement choisis. Une approche sociale intéressante à considérer consisterait à partager la responsabilité de la plantation et le droit exclusif de récolte entre les membres d'un groupe de travail rassemblant plusieurs foyers voisins avec leurs exploitations agricoles respectives (Rocheleau, 1984).

La culture en couloirs est sans doute la plus souple, la plus efficace et la plus largement applicable des dernières innovations en matière d'agriculture écologique.

En ce qui concerne les querelles de limites, il faut se souvenir que les arbres font souvent office de marques de bornage, sur le plan juridique. Dans le district de Kakamega, dans l'ouest du Kenya, par exemple, peu importe où l'on place une clôture de barbelé, étant donné que les limites des exploitations agricoles sont toujours déterminées par l'obligatoire haie d'Euphorbia tirucali. Même lorsque les limites sont bien établies, la plantation d'arbres sur ces limites peut entraîner des litiges avec les voisins. Pour y remédier ou les éviter, on peut envisager deux solutions. La première consiste à ne planter que des arbres de valeur, fruitiers ou fourragers, et de permettre aux voisins de prendre la part de production qui s'étend ou tombe sur leur propriété. La seconde solution est de choisir des arbres aussi neutres que possible, faisant peu d'ombre et exerçant peu de concurrence de l'autre côté de la limite. L'objection que l'on peut faire dans ce cas est que l'on ne pourra planter que des arbres dépourvus d'utilité, comme c'est le cas des haies d'Euphorbia tirucali. Bien que cette essence puisse être utilisée comme combustible de secours, il y en a bien d'autres qui lui sont supérieures à cet égard. Néanmoins, il semble que ce soit sa neutralité même, c'est-à-dire son inutilité relative, qui lui vaille sa signification juridique de marque de limite.

Là où les structures de l'utilisation des terres et les règlements de tenure évoluent en réponse à la pression démographique ou à d'autres facteurs, ce rôle délimitateur des arbres peut avoir de bons ou de mauvais effets sociaux, selon qui les plante pour revendiquer quels sont les droits sur les terres, et selon que ces droits sont considérés ou non comme légitimes. Les arbres peuvent servir à consolider les aspects fonciers de changements écologiquement nécessaires et bénéfiques, mais tout aussi bien à accaparer abusivement des terres.

Planter des arbres sur les espaces vides des exploitations agricoles est apparemment tout bénéfice, car c'est un moyen d'accroître sans trop de mal la production arboricole aux fins d'autoconsommation, de vente ou d'épargne sur des terres dont le ménage a la maîtrise directe. Malheureusement, c'est là que surgissent bien des problèmes liés au sexe. Tout dépend du genre d'arbres que l'on plante, et où. Sur les hauts plateaux du Kenya central, certains arbres sont réservés aux hommes (bois d'œuvre, produits commerciaux) et d'autres aux femmes (bois de feu, fourrage, produits de subsistance). Dans le district de Kakamega, tous les arbres appartiennent aux hommes; des tabous rigoureux interdisent aux femmes de planter et d'abattre les arbres. On dit que si une femme plante un arbre elle deviendra stérile et que son mari mourra (Chavangi, 1984). Les femmes, naturellement, contournent ces interdictions par divers subterfuges, et la sagesse de ces règles coutumières commence à être ouvertement mise en question.

Interactions agropastorales

Les problèmes écologiques qui se posent en régions tropicales sèches rendent particulièrement impérative l'intégration des arbres dans les systèmes d'utilisation des terres, et aussi un peu plus difficile à réaliser que dans les zones humides.

Cette difficulté tient essentiellement à l'aridité, qui accroît les risques et les coûts du reboisement, et aux dégâts du broutage. Le surcroît de dépenses dû au premier facteur suppose de garantir le droit de jouissance sur les arbres, et le second facteur laisse présager des conflits au sujet des droits de pâturage coutumiers.

Dès l'instant où l'on arrive à résoudre les problèmes fonciers, l'intégration des arbres dans les systèmes d'utilisation des terres en zones sèches offre de multiples possibilités de resserrer les liens entre les éléments agricoles et pastoraux de l'économie de ces zones, tant à l'intérieur d'une même unité d'aménagement qu'entre plusieurs unités. En outre, les arbres eux-mêmes, sont bien choisis et gérés en vue de productions multiples, permettent de supprimer, ou tout au moins d'atténuer, certains des conflits fonciers les plus aigus.

Systèmes d'exploitation mixtes. L'extension de l'agriculture à des milieux. arides fragiles pose des problèmes agronomiques particuliers, notamment la conservation et l'utilisation optimale des faibles réserves d'eau du sol, le maintien de sa structure et de sa fertilité, la prévention de l'érosion éolienne et hydrique, et l'affouragement des animaux de trait. L'une des clefs d'une bonne économie de l'eau du sol est le maintien d'une teneur suffisante en matière organique et en azote. A cet égard, une étude récente du rôle de l'azote dans l'utilisation de l'eau par les plantes, menée par Felker et al. (1980), indique que l'azote pourrait dans de nombreuses régions arides être un facteur plus limitant que l'eau. Cependant, les méthodes classiques de culture d'engrais vert et de culture sous paillis sont généralement limitées dans leur application par la difficulté de produire suffisamment de biomasse herbacée pour restituer l'azote au sol, et par la concurrence avec les cultures vivrières pour l'eau, la terre et la main-d'œuvre.

Les arbres polyvalents, notamment les essences fixatrices d'azote bien adaptées aux conditions arides, offrent divers avantages par rapport aux plantes herbacées comme source de matière organique, d'azote et de fourrage. Ils sont en général plus résistants à la sécheresse que ces dernières. Ils possèdent une valeur fourragère plus élevée en saison sèches-en particulier ceux qui produisent des gousses comestibles -, et sont par conséquent plus aptes à assurer la vigueur des animaux de trait au début de la saison des pluies. On peut les établir en plantations interstitielles ou les élever en association avec les cultures, et non en remplacement de celles-ci. Si les arbres sont bien choisis et convenablement disposés par rapport aux cultures, ils offrent des avantages d'ordre microclimatique, par exemple en brisant les vents et en réduisant l'évaporation. Ils peuvent produire des aliments, du combustible, des matériaux de construction et autres sous-produits directement utiles, tout en remplissant leurs fonctions de service sur l'exploitation agricole. Enfin, en tant que sorte de capital sur pied, ils servent d'épargne pour faire face à des besoins exceptionnels, notamment comme source de nourriture en cas de disette.

A cet égard, les arbres peuvent se substituer en partie au bétail, dont la fonction principale en Afrique est de constituer une «épargne sur pattes». Mais ils peuvent aussi rehausser le rôle du bétail à la ferme en consolidant le lien fourrage-fumier et, si on les utilise comme haies vives, en offrant un moyen bon marché d'empêcher les animaux de ravager les cultures. Ces avantages s'appliquent tout aussi bien au bétail appartenant à d'autres exploitants. Dans le cas des relations entre agriculteurs et pasteurs, la production sur la ferme d'un fourrage d'appoint de saison sèche de haute qualité et le recours aux haies vives pour contenir le bétail pourraient faire beaucoup pour atténuer les principales sources de litiges fonciers entre les deux systèmes d'utilisation des terres. Le principal obstacle pour y parvenir est naturellement la nécessité de tenir le bétail à l'écart, souvent par des mesures sociales, durant la période d'installation des arbres.

Par conséquent, il sera sans doute possible d'envisager un «compromis technique» pour résoudre certains des problèmes fonciers agropastoraux, mais leur solution dépendra en dernier ressort de l'évolution sociale.

Systèmes pastoraux. Les arbres peuvent certes aider à trouver un arrangement entre pasteurs et agriculteurs, mais les premiers auraient tort d'attendre que les seconds viennent à leur rescousse en plantant des arbres. Bien qu'il faille sans doute déployer des trésors de «savoir-faire sociologique» (Cernea, 1985) pour amener les pasteurs à planter des arbres, il est des cas où ils en ont de toute évidence un tel besoin que l'on peut raisonnablement espérer la réussite de projets bien conçus.

Au nombre de ces cas, citons le surpâturage autour des points d'eau de saison sèche. Au titre du projet Ferlo au Sénégal (von Maydell, 1980; NAS, 1983) et du projet Aménagement des terres autour des puits, au Niger (Weber et Hoskins, 1983), on étudie divers modèles techniques et sociaux propres à tempérer les effets écologiques des concentrations de troupeaux autour des points d'eau.

Autre cas fréquent, le surpâturage autour des villages de pasteurs et l'alimentation difficile des jeunes animaux et des animaux malades qui y sont gardés (B. Grandin, communication personnelle). L'olopololi des Masaïs est une réserve de pâturage de saison sèche conservée en commun par plusieurs familles pour ces animaux à proximité de leurs bomas (enclos entourant l'habitation et la protégeant contre les animaux sauvages). Comme ils sont soustraits au pâturage durant la saison des pluies, les bomas offrent des possibilités de plantation d'arbres fourragers de complément. Certaines familles Maisaïs des «ranches collectifs», commencent à essayer des cultures dans de petits jardins entourés d'une clôture d'épineux, qui pourraient également se prêter tout naturellement à la plantation d'arbres destinés à fournir du fourrage pour la saison sèche (Nambombe, 1984, Mhungu, 1984).

Ce sont là quelques suggestions d'agroforesterie simple qu'il vaudrait la peine d'étudier avec les pasteurs. Tant qu'il s'agit de mettre en valeur de petites surfaces appartenant à une famille ou à un petit groupe de familles, cela ne devrait pas présenter de sérieuses difficultés. Des améliorations pastorales à plus grande échelle au profit des troupeaux adultes, en revanche, posent des problèmes fonciers bien plus ardus, du fait qu'elles mettent en jeu des terres à pâture communales. Cependant, pour en revenir à l'exemple des Masaïs, des légumineuses telles qu'Acacia tortilis poussent naturellement sur les terres à parcours de leur région, et dans certains cas les gousses en sont exploitées par le groupe local aujourd'hui le ranch collectif.

Selon les dires d'informateurs masaïs, les droits d'utiliser les gousses nutritives d'Acacia tortilis, accordés à titre gracieux par un groupe d'éleveurs à un autre, ont subi, lors de la récente sécheresse, des changements intéressants. Les voisins, autorisés en temps normal à secouer les arbres pour faire tomber au sol davantage de gousses, n'ont plus eu droit, dès l'instant où la sécheresse a commencé à s'aggraver, qu'à celles qui tom baient à terre d'elles-mêmes. Si les Masaïs exercent effectivement cette sorte de contrôle pour réglementer l'utilisation des gousses, ne pourrait-on pas les encourager à entreprendre la domestication et la propagation artificielle de cette précieuse ressource pastorale?

Propagation des légumineuses par les troupeaux. Mais qui voudrait entreprendre une telle plantation d'arbres pour le bien de tous? Comme le fait observer W.R. Bentley (communication personnelle), la «tragédie des terres communales» en Inde est moins une question de surexploitation que de sous-investissement. En posant le problème ainsi, on peut être amené à penser qu'une manière d'encourager l'investissement sur ces terres serait de trouver des méthodes d'investissement moins coûteuses. C'est un fait que des arbres fourragers de valeur, tels que Prosopis spp., Acacia albida et autres légumineuses, sont souvent propagés par le bétail. L'essence prédominante sur les parcours arides du Rajasthan, en Inde, est Prosopis cineraria, qui se propage naturellement sans qu'on ait besoin de le planter. Rien n'empêcherait un projet d'aménagement pastoral de fournir à titre expérimental une certaine quantité de gousses de cet arbre aux pasteurs pour nourrir leurs troupeaux. Le pourcentage de plants obtenus serait sans doute faible mais l'investissement bien peu coûteux, et le résultat final, qui ne serait connu que longtemps après, pourrait être très appréciable. Nous ne savons pas si cela marcherait, parce que personne, apparemment, ne l'a essayé. Ce qu'il faut en retenir, c'est qu'il pourrait y avoir des recettes techniques très simples pour résoudre certains des problèmes que posent les terres communales.

A l'autre bout de l'échelle, il existe un tout autre type d'intervention sur les terres de parcours. On s'intéresse vivement, depuis quelques années, aux plantations en zones arides pour la production d'énergie de la biomasse (Foster et Karpiscak, 1983; Felker, 1984). Du point de vue des éleveurs, l'ennui avec de tels projets est qu'ils risquent d'être une nouvelle atteinte à leurs droits fonciers traditionnels, mais est-il réellement inconcevable que les populations pastorales participent à des projets intégrés de reboisement? La recherche d'une base commune d'intérêt se ramènerait, d'un point de vue agroforestier, à l'identification des arbres polyvalents les plus appropriés. Pourquoi ne pas choisir, pour la production d'énergie, une essence xérophile capable de produire une grande quantité de biomasse tout en fournissant en abondance des gousses de haute valeur nutritive à la saison sèche? Les Prosopis semblent répondre idéalement à ces conditions (Felker et Bandurski, 1979; Felger, 1977). La raison du choix d'une essence fourragère donnant des gousses ou autres fruits est que l'exploitation de ces sous-produits ne fait pas baisser le rendement final de la plantation en biomasse ligneuse; la capacité de charge des parcours à la saison sèche peut s'en trouver considérablement accrue, tout comme le taux de survie des arbres dans les zones pastorales. A cet égard, il est intéressant de noter que les spécialistes de l'énergie en viennent maintenant à la conclusion que, pour réaliser tout le potentiel économique des sources énergétiques de la biomasse il faut envisager celles-ci dans une optique de productions et transformations multiples (Williams, 1985; Reddy, 1985).

Des projets d'agroforesterie industrielle conçus selon ces principes ne pourraient-ils pas, dans les pays en développement, apporter une solution simple, équitable et intégrale aux problèmes connexes de production de biomasse pour l'énergie, de décentralisation de l'industrie rurale et de participation des populations pastorales au développement national?

Peut-être pourrions-nous conclure ici, sur cette note interrogative et imaginative, le présent article dont le propos était justement de soulever quelques questions et de donner quelques idées, en vue d'une approche constructive aux problèmes fonciers en agroforesterie.

References

AGBOOLA. A.A., WILSON. G.F., GETAHUN, A. & YAMOAH, C.F., 1982 Gliricidia sepium: un moyen possible en vue d'une production soutenue. In L..H.. MacDonald, éd. Agroforesterie en Afrique tropicale humide. Tokyo, Université des Nations Unies.

ARNOLD, J.E.M. 1983 Economic considerations in agroforestry projects. Agroforestry Systems. 1 (4): 299-312.

BARRAU. J. 1971 Subsistence agriculture in Polynesia and Micronesia. Honolulu, Bishop Museum.

BENNEH. G. 1972 Systems of agriculture in tropical Africa. Economic Geography, 48 (3): 244-257.

BOONKIRD, S.A., FERNANDES, E.C.M. & NAIR. P.K.R. 1984 Forest villages: an agroforestry approach to rehabilitating forest land degraded by shifting cultivation in Thailand. Agroforestry Systems. 2 (2): 87-102.

BOSERUP. E. 1981 Population and technology Oxford, Basil Blackwell.

BOWERS, R.D. 1982 Agriculture sans labour basée sur les cultures arboricoles. In L.H. MacDonald. ed. Agroforesterie en Afrique tropicale humide. Tokyo, Université des Nations Unies.

BROOKFIELD, H.C. 1972 Intensification and disintensification in Pacific agriculture: a theoretical approach. Pacific Viewpoint, 15: 30-48.

CERNEA, M.M. 1985 Land tenure and the social units sustaining alternative forestry development strategies. In M.M. CERNEA, ed. Putting people first: sociological variables in development projects. Oxford. Oxford University Press.

CHAMBERS, R. 1984 To the hands of the poor: water, trees and land. Discussion Paper Nº 14. New Delhi. Ford Foundation.

CHAVANGI. N. 1984 Cultural aspects of fuelwood procurement in Kakamega District, Kenya. Working Paper N° 4. Kenya Fuelwood Development Programme/Beijer Institute, Nairobi.

CONKLIN, H.C. 1957 Hanunoo agriculture. FAO Forestry Development Paper Nº 12. Rome, FAO.

CONKLIN, H.C. 1980 Ethnographic atlas of Ifugao: a study of environment, culture and society in Northern Luzon. New Haven et Londres, Yale University Press.

DIJKMAN. M.J. 1950 Leucaena a promising soil erosion control plant. Economic Botany. 4: 337-349.

DOUGLAS. J S. & de J. HART, R.A. 1976 Forest farming. Londres, Watkins.

DOVE, M.R. 1983 Theories of swidden agriculture and the political economy of ignorance. Agroforestry Systems, 1: 85-100.

EDER. J.F. 1982 No water in the terraces: agricultural stagnation and social change at Banaue, Ifugao. Philippine Quarterly of Culture and Society. 10: 101-116.

FAO 1984 Transformation de la culture itinérante en Afrique. Etude FAO: Forêts N° 50, Rome.

FELGER R.S. 1977 Mesquite in Indian cultures of southwestern North America. In B.B. Simpson, cd. Mesquite: its biology in two desert scrub ecosystems. Stroudsburg, Pennsylvanie, Dowden, Hutchinson and Ross.

FELKER, P. 1978 State of the art: Acacia albida as a complementary permanent intercrop with annual crops. Washington, D.C., Agence pour le développement international

FELKER, P. 1984 Economic, environmental and social advantages of intensively managed short rotation mesquite (Prosopis spp.) biomass energy farms. Biomass 5, (1): 65-77.

FELKER, P. & BANDURSKl. R.J. 1979 Uses and potential uses of leguminous trees for minimal energy input agriculture. Economic Botany, 33: 172-184.

FELKER. P., CLARK, P.R. OSBORN. J. & CANNEL. G.H. 1980 Nitrogen cycling - water use efficiency interactions in semi-arid ecosystems in relation to management of tree legumes (Prosopis). International Symposium on Browse in Africa. Addis-Abeba, CIPEA.

FORTMANN, L. & RIDDELL. J. 1985 Trees and tenure: an annotated bibliography for agroforesters and others. Madison et Nairobi, Land Tenure Center et CIRAF.

FOSTER, K.E. & KARPISCAK. M.M. 1983 Arid land plants for fuel. Biomass, 3 (4): 269-285.

Fox. J.J. 1977 Harvest of the palm: ecological change in Eastern Indonesia. Cambridge (Mass.) et Londres, Harvard Univ. Press.

GETAHUN, A.. WILSON. G.F. & KANG, B.T. 1982 Le rôle des arbres dans les systèmes agricoles des tropiques humides. In L.H. MacDonald, éd. Agroforesterie en Afrique tropicale humide. Tokyo Université des Nations Unies.

GREELNLAND, D.J. 1974 Evolution et mise au point des différents systèmes d'agriculture itinérante. In L'agriculture itinérante et la conservation des sols en Afrique. Bulletin pédologique de la FAO N° 24. Rome, FAO.

HOEKSTRA, D.A. 1983 An economic analysis of a simulated alley cropping system for semi-arid conditions. using microcomputers. Agroforestry Systems, 1 (4): 335-346.

HUNINK, R.B.M. & STOFFERS, J.W. 1984 Mixed and forest gardens on Central Java: an analysis of socioeconomic factors influencing the choice between different types of land use. Dept. of Geography of Developing Countries. Utrecht Université d'Utrecht.

HUXLEY. P.A. 1980 Agroforestry research: the value of existing data appraisal. In T. Chandler & D. Spurgeon, ed International cooperation in agroforestry. Nairobi, CIRAF.

HUXLEY, P.A. & RAINTREE, J.B. 1983 Plant arrangement considerations. In Draft resources for agroforestry diagnosis and design. Working Paper No 7. Nairobi, CIRAF.

JOHNSON, D.V. 1983 Multi-purpose palms in agroforestry: a classification and assessment. International Tree Crops Journal, 2 (3/4): 217-244.

LAGEMANN, J. 1977 Traditional African farming systems in Eastern Nigeria. Munich, Weltforum Verlag.

LEBAR. F.M.. HICKEY. G.C. & MUSGRAVE, J.K. 1964 eds. Ethnic groups of main/and Southeast Asia. New Haven, Human Relations Area Files Press.

LIYANAGE, M. DE S., TEJWANI, K.G. & NAIR, P.K.R. 1984 Intercropping under coconuts in Sri Lanka. Agroforestry Systems, 2 (3): 215-228.

LUNDGREN, B. Introduction. 1982 Agroforestry Systems, 1 (1): 3-6.

LUNGREN, B. & RAINTREE, J.B. 1983 Sustained agroforestry. In B. Nestel, ed.. Agricultural research for development: potentials and challenges in Asia. La Haye, ISNAR.

METZNER, J. 1981 Innovations in agriculture incorporating traditional production methods: the case of Amarasi (Timor). Applied Geography and Development, 17: 91-107.

MHUNGU, J.A. 1984 Land use and production activities in relation to cattle feed and calf/people competition on a Masai group ranch. On the-Job Training Programme Final Seminar Report. Nairobi, CIRAF.

MOLLISON, B. & HOLMGREN. D. 1981 Permaculture one: a perennial agriculture for human settlements. Winters, Californie. International Tree Crops Institute.

NAIR. P.K.R. 1979 Intensive multiple cropping with coconuts in India. Berlin et Hambourg, Paul Parey Verlag.

NAIR. P.K.R. 1984 Soil productivity aspects of agroforestry. Science and Practice of Agroforestry No 1. Nairobi CIRAF.

NAMBOMBE. V. 1984 Diagnosis of agroforestry potentials in a pastoral system: Kiboko Group Ranch, Kajiado District. Kenya. On-the-Job Training Programme Final Seminar Report. Nairobi, CIRAF.

NAS 1983 Agroforestry in the West African Sahel. Washington, National Academy of Sciences.

NGAMBEKI, D.S. & WILSON. G.F. 1984 Economic and on-farm evaluation of alley cropping with Leucaena leucocephala, 1980-1983. Activity Consolidated Report. Farming Systems Programme Ibadan, International Institute of Tropical Agriculture.

OKIGBO, B.N. & LAL, R. 1979 Soil fertility maintenance and conservation for improved agroforestry systems of the lowland humid tropics. In H.O. Mongi & P.A. Huxley, eds. Soils research in agroforestry. Nairobi, CIRAF.

OLOFSON, H. 1983 Indigenous agroforestry systems. Philippine Quarterly of' Culture and Society. II: 149-174.

PELZER, K.J. 1978 Swidden cultivation in Southeast Asia: historical, ecological. and economic perspectives. No P. Kunstadter, E.C. Chapman & S. Babhasri. eds. Farmers in the forest: economic development and marginal agriculture in Northern Thailand. Honolulu. Univ. Hawaii Press.

PENNY, D.H. & SINGARIMBUN, M. 1973 Population and poverty, in rural Java: some economic arithmetic from Sriharjo. Cornell International Agricultural Development Monograph N° 41. Cornell Univ. Dept. of Economics. Ithaca. New York.

RAINTREE, J. B. 1980 Conservation farming with multipurpose tree legumes: an underdeveloped branch of tropical agroforestry research. In L. Buck, ed. Proceedings of the Kenya National Seminar on Agroforestry. Nairobi CIRAF.

RAINTREE. J.B. 1983a Bioeconomic considerations in the design of agroforestry cropping systems. In P.A. Huxley, ed. Plant research and agroforestry Nairobi, CIRAF.

RAINTREE, J.B. 1983b The concept of an optimal pathway of intensification. In Draft resources for agroforestry diagnosis and design. Working Paper N° 7. Nairobi. CIRAF.

RAINTREE, J.B. & LUNDGREN. B. 1985 Agroforestry potential for biomass production in integrated land use systems. Simposium on Biomass Energy Systems: Building Blocks for Sustainable Agriculture, 29 janvier-1er février. Washington, World Resources Institute.

RAINTREE, J.B. & TURAY, F. 1980 Linear programming model of an experimental Leucaena-rice alley cropping system. IITA Research Brief: 1 (4): 5-7.

RAINTREE J. J.B. & WARNER, K. 1985 Agroforestry pathways for the integral/ development of shifting cultivation 9e Congrès forestier mondial. 1er-10 juillet. Mexico.

REDDY. A.K.N. 1985 Energy for biomass and biomass for energy: a development-oriented view. Symposium on Biomass Energy Systems: Building Blocks for Sustainable Agriculture, 29 janvier-1er février. Washington, World Resources Institute.

ROCHELEAU. D. 1984 Criteria for re-appraisal and re-design: intra-household and between-household aspects of FSRE in three Kenyan agroforestry projects. Presented at the Annual Farming Systems Research and Extension Symposium, 7-10 octobre. Kansas State Univ.. Manhattan. Kansas.

ROCHELEAU, D. & VAN DEN HOEK A. 1984 The application ol ecosystems and landscape analysis in agroforestry, diagnosis and design: a case study from Kathama Sublocation. Machakos District, Kenya. Working Paper Nº 11. Nairobi CIRAF.

SALISBURY. R.F. 1962 From stone to steel. Londres. Cambridge Univ. Press.

SCHIRMER, A. 1983 The role of agroforestry in the Pacific. Suva, Fidji, Univ. South Pacific.

SMITH, J.R. 1950 Tree crops: a permanent agriculture. New York. Devin-Adair.

STOLER, A. 1978 Garden use and household economy in rural Java. Bulletin of Indonesian Economic Studies, 14 (2): 85-101.

TORQUEBIAU, E. 1984 Man-made dipterocarp forest in Sumatra. Agroforestry Systems. 2 (2): 103-128.

TORRES F. & RAINTREE. J.B. 1983 Agroforestry systems for smallholder upland farmers in a land reform area of the Philippines: the Tabango case study. Working Paper N'´ 18. Nairobi, CIRAF.

TOSI, J.A., JR. & VOERTMAN R.F. 1964 Some environmental factors in the economic development of the tropics. Economic Geography: 40 (3): 189-205.

VERIMUMBE., I. KNIPSCHEER, H.C. & ENABOR. E.E. 1984 The economic potential of leguminous tree crops in zero-tillage cropping in Nigeria: a linear programming model. Agroforestry Systems. 2 (2): 129-138.

VON MAYDELL, H.J. 1980 The development of agroforestry in the Sahelian zone of Africa. In T. Chandler & D. Spurgeon, eds. International cooperation in agroforestry. Nairobi. CIRAF.

WEBER. F. & HOSKINS. M. 1983 Agroforestry in the Sahel. Dept. of Sociology. Virginia Polytechnic Institute and State University. Blacksburg, Virginie.

WEINSTOCK.. J.A. 1984 Le rotang: un complément à l´agricullure itinérante. Unasylva 36 (143): 16-22.

WIERSUM, K.F. 1982 Tree gardening and taungya on Java: examples oF agroforestry techniques in the humid tropics. Agroforestry Systems. 1 (1): 53-70.

WlLLIAMS, R. 1985 Potential roles for bioenergy in an energy efficient world. Symposium on Biomass Energy Systems: Building Blocks for Sustainable Agriculture. 29 janvier-1er février. Washington, World Resources Institute.

WILSON, G.F:. & KANG, B.T. 1980 Development of staple and productive biological cropping systems for the humid tropics. In B. Stonehouse, ed. Biological husbandry: a scientific approach to organic farming. Londres. Butterworth.


Page précédente Début de page Page suivante