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V. Coordination des opérations de planification et de financement

A.J. LESLIE*

* Une version préliminaire avait été préparée le colloque par M. D'Adamo. La version finale révisée est de A.J. Leslie.

L'étude de la FAO intitulée Le bois: évolution et perspectives mondiales (2) fait notamment ressortir deux considérations très importantes pour les peuplements forestiers artificiels. Tout d'abord, elle montre nettement qu'il faudrait dans l'avenir mettre de plus en plus à contribution les peuplements artificiels, au sens défini à l'annexe l, pour faire face à la progression quantitative et aux modifications qualitatives de la consommation de bois. Ensuite, il est manifeste que la répartition internationale des régions excédentaires et des régions déficitaires en bois évolue. Les répercussions et les interactions de ces tendances compliquent énormément la planification nationale concernant les peuplements forestiers artificiels dont la création doit pourtant démarrer maintenant si l'on veut satisfaire les demandes futures.

Dans bien des pays, des problèmes d'ordre technique, social, économique et organisationnel freinent le progrès des grands programmes de boisement, ce qui justifie l'urgence avec laquelle leur solution a été demandée dans les chapitres précédents. Mais il est manifeste que la viabilité d'un programme quelconque de peuplements forestiers artificiels dépendra finalement des moyens financiers dont il pourra être doté. La coordination des opérations de planification et de financement représente donc en dernière analyse la phase critique de tout programme de développement forestier.

Certaines des communications des sections précédentes, ainsi que les échanges de vues auxquels elles ont donné lieu, se rapportaient étroitement au domaine examiné maintenant et, en fait, la présente section peut à peine être séparée de celle concernant les politiques. Néanmoins, elle se distingue par l'accent mis sur la nécessité de relier étroitement au reste de l'économie la planification des peuplements forestiers artificiels.

Trois thèmes majeurs traduisant la nécessité de coordonner les opérations de planification et de financement se sont dégagés. De l'avis unanime:

1. Les peuplements forestiers artificiels et les industries qui leur sont associées ne peuvent être traités indépendamment de la planification des autres formes d'utilisation des terres dans le pays ni des autres activités du pays, ni des autres pays du monde.

2. Les projets de création et d'expansion de peuplements forestiers artificiels dans les pays en voie de développement en particulier soulèvent des problèmes extrêmement ardus, dans lesquels interviennent des considérations d'ordre financier, sociologique, politique, technique et commercial dont la coordination à l'échelon national et international s'impose.

3. La définition, l'analyse, la préparation, le financement et la mise en oeuvre des programmes de peuplements forestiers artificiels à grande échelle dans les pays en voie de développement exigeront l'assistance internationale la plus poussée de sorte que la FAO ne peut se permettre de diminuer ses efforts dans ces directions.

Il est manifeste que les peuplements artificiels que nous connaissons actuellement ont souvent été créés sans une conscience suffisante des relations qui existent, par exemple, entre l'emplacement et l'utilisation, entre le développement national et le développement régional, entre les facteurs industriels et les facteurs sociaux ou entre le développement industriel et l'infrastructure.

La planification des futurs peuplements forestiers artificiels, dans le cadre des politiques économiques nationales et régionales, doit se fonder sur une analyse et une connaissance solides du système complexe qui constitue le milieu socio-économique et biophysiologique. Ce travail sera indispensable pour mettre au point des programmes réalistes qui serviront les intérêts véritables de chaque pays et attireront le soutien financier qui permettra d'en faire des réalités.

Coordination des tendances et de la planification

Il est chaque jour plus évident que la création de peuplements forestiers artificiels et, en fait, que la foresterie en général constituent un secteur de la politique nationale de l'utilisation des terres et des ressources. La promotion et l'expansion des peuplements artificiels sont donc en relation étroite avec les objectifs du développement économique national et, en particulier, avec les politiques industrielles et agricoles que chaque pays se propose d'appliquer.

La planification et la réalisation des peuplements artificiels doivent donc être examinées dans leurs rapports avec de multiples activités autres que celles qui se rapportent en première ligne au secteur de l'économie comprenant la foresterie et les industries forestières. Toutefois, il n'est pas toujours possible de parvenir à coordonner comme il serait souhaitable les programmes de foresterie et les politiques générales en raison de l'absence de politiques nationales d'utilisation des terres ou de plans réalistes pour le développement économique. Dans ces cas, les autorités et les institutions forestières doivent être prêtes à faire progresser leur planification et leurs programmes en se fondant sur la politique nationale intégrée qu'elles considèrent probable.

Toutefois, pour formuler une politique applicable aux peuplements artificiels dans un pays, il faut de toute nécessité analyser les influences possibles du niveau prévu pour la consommation de bois. Il est également manifeste que, indépendamment des perspectives et des répercussions sur le plan intérieur, chaque pays doit analyser les perspectives régionales et mondiales susceptibles d'influencer ses propres décisions et d'être influencées par elles. Ces deux problèmes conjugués nécessitent des relations étroites entre les responsables des politiques forestières et les responsables de la politique économique générale, même s'il n'existe pas de plans officiels à long terme pour le développement économique national.

Richards (1967), examinant l'interaction des tendances nationales et internationales dans la consommation du bois, a fait nettement ressortir que les rapports entre les séries de facteurs conjugués - prévisions de la consommation et prévisions de la production - ne sont ni simples, ni précis, ni statiques. Les problèmes qui en résultent offrent une importance particulière pour les pays en voie de développement. La structure de la consommation du bois tend nettement à réagir fortement à des améliorations relativement faibles du niveau de vie lorsque le taux des revenus est faible ou moyen. Ainsi, avec le développement économique, des modifications permanentes très brusques et très prononcées de la demande pour divers dérivés du bois peuvent survenir même pendant la durée des courtes rotations des peuplements artificiels.

Il est nécessaire d'analyser les tendances en considérant un certain nombre de catégories d'utilisations finales du bois et des produits dérivés, étant donné que les niveaux et la structure de la consommation des divers produits peuvent varier considérablement selon l'évolution même des facteurs influant sur la demande. Les modifications de ces facteurs se reflètent à leur tour dans les hypothèses de base à adopter pour établir les projections de la demande. Il est donc également indispensable de réviser périodiquement les prévisions des tendances et des perspectives en tenant compte des renseignements supplémentaires qui influencent non seulement les données statistiques fondamentales mais également les hypothèses de base à partir desquelles les projections seront établies.

FIGURE 69. - Nécessité des plantations compensant les prélèvements de bois dans les forêts naturelles. Remorquage de 336 m³ de bois d'une forêt naturelle vers le poste de nettoyage, Bulolo (Papouasie et Nouvelle-Guinée). Il s'agit d'Araucaria hunsteinii (Pin Klinki).

DEPARTMENT OF INFORMATION AND EXTENSION SERVICES, PAPOUASIE ET NOUVELLE-GUINÉE

FIGURE 70. - Nécessité des plantations destinées à compenser les prélèvements de bois dans les forêts naturelles. Plantation récente d'Araucaria cunninghamii (hoop pines), âgés de 11 ans Bulolo (Papouasie et Nouvelle Guinée).

DEPARTMENT OF INFORMATION AND EXTENSION SERVICES, PAPOUASIE ET NOUVELLE-GUINÉE

La nécessité des révisions périodiques s'applique également à l'évaluation des perspectives de l'offre. Les modalités des inventaires des ressources forestières, ainsi que les prédictions des accroissements possibles dans les différentes catégories subissent l'influence des besoins de l'industrie qui, par suite de l'évolution commerciale et technologique, peut être amenée à réclamer des matières premières possédant des caractéristiques très différentes.

Les projections initiales et les révisions ultérieures sont étroitement fonction de l'élaboration de données statistiques pertinentes concernant les ressources forestières, la consommation de produits forestiers, les facteurs démographiques, sociaux et économiques qui agissent sur leurs niveaux actuels ainsi que la rapidité des modifications et la direction dans laquelle elles se font. Une grande partie des informations qu'exige une évaluation réaliste à tous les stades des tendances et des perspectives ne peuvent venir que d'une association étroite avec les autres autorités et institutions chargées des statistiques et des prévisions économiques ou dont les politiques peuvent agir sur les facteurs à prendre en considération.

Dans les pays où les services statistiques sont insuffisants mais où il est impossible de remettre les décisions de politique jusqu'à l'époque où l'on disposera de données adéquates, l'évaluation des tendances et des perspectives nationales, considérées isolément ou en relation avec les tendances internationales, devient un problème extrêmement aigu. La comparaison des tendances et perspectives dans d'autres pays se trouvant à des stades comparables ou plus avancés de développement économique paraît être l'unique guide. Les qualifications statistiques, techniques, sociales et culturelles qu'exigent les extrapolations nécessaires impliquent également la coopération la plus étroite avec des institutions nationales et internationales dans tous les domaines et à tous les niveaux.

Au moment même où l'on commence à prendre conscience de l'influence de l'interdépendance des peuplements forestiers artificiels et des autres secteurs d'un pays, la politique de plantation, dans le cadre de la politique forestière générale, se trouve amenée à tenir compte de la tendance à la régionalisation de la planification économique. Les avantages offerts par des économies nationales complémentaires, notamment en ce qui concerne les décisions relatives à l'échelle et à l'emplacement à donner aux usines qui utiliseront les matières premières fournies par les peuplements artificiels, sont trop grands pour être négligés.

Comme l'a montré la discussion de différents points au cours du colloque, il n'est guère justifié du point de vue économique que tous les pays s'efforcent de parvenir à l'autosuffisance en matière de produits forestiers. Il sera certainement possible à l'avenir d'employer les excédents de certaines régions pour remédier aux déficits existant chez d'autres, ce qui constitue la base d'échanger mondiaux déjà importants de bois et de produits forestiers. A cet égard, le rôle des pays en voie de développement est essentiel. Pour ces pays, créer des peuplements forestiers artificiels dont l'ordre de grandeur corresponde aux besoins régionaux ou mondiaux plutôt qu'à leurs seuls besoins nationaux, pose des problèmes beaucoup plus formidables que ceux que connaissent les pays industrialisés et ces problèmes présentent donc un intérêt international.

Les problèmes de la coordination

Pour réussir à coordonner le développement des plantations et l'utilisation des peuplements artificiels, il faut concilier des problèmes et des intérêts très divers. A cet égard, l'enseignement à tirer de l'entreprise forestière d'Usutu (en Swaziland), étudiée par Hastie et Mackenzie (1967), est particulièrement significatif pour les pays en voie de développement. Sans aucun doute, les facteurs qui influencent l'utilisation et la commercialisation des produits forestiers transformés doivent être évalués dès le début du projet en ce qui concerne l'emplacement des plantations, le choix des essences, l'échelle et le calendrier du programme de plantations, tout aussi soigneusement que les détails de la technique et do l'organisation. Il ne s'agit pas là d'une tâche facile. On peut prévoir que les problèmes touchant à la commercialisation seront fortement influencés par l'évolution technique et économique sur les marchés d'exportation prospectifs ainsi que dans le pays intéressé. En conséquence, plus on pourra attendre pour arrêter la décision finale concernant la nature exacte des produits à fabriquer et leur destination, plus on pourra conserver une certaine souplesse pour faire face à des circonstances changeantes. L'importance donnée à la souplesse dans le projet d'Usutu a été proclamée facteur clé du succès des peuplements forestiers artificiels.

Si l'on peut prévoir les tendances et les perspectives générales avec une confiance considérable, quand il s'agit d'un projet déterminé dans un pays donné, le degré d'incertitude est beaucoup plus grand. Ceci est particulièrement important lorsque le projet est essentiellement orienté vers des marchés d'exportation sur lesquels il est beaucoup plus difficile d'exercer un contrôle conforme aux politiques nationales que dans le cas des marchés intérieurs. Le type d'association avec un complexe commercial ou industriel fonctionnant à l'échelle internationale, dont le projet d'Usutu fournit un exemple, semble donc offrir à l'intégration des forêts artificielles avec l'industrie des avantages économiques tangibles. On peut escompter que le développement coordonné de la matière première, base de tout l'ensemble des installations industrielles associées et de la vaste infrastructure, sera d'autant plus efficace que la gamme d'intérêts envisagée dans la planification initiale sera plus large. C'est pourquoi les perspectives et les problèmes d'une association entre des entreprises du secteur privé et du secteur public, exerçant leurs activités aussi bien à l'échelle internationale qu'à l'échelle nationale, justifient une étude détaillée.

Il est certain que la double nature des responsabilités que la société internationale a envers ses actionnaires et envers ses pays hôtes pose des problèmes comportant des incidences politiques. Ces obstacles politiques influeront évidemment aussi bien sur le point de vue de la société que sur le point de vue du pays mais sous des angles différents. Toutefois, les avantages économiques que présente l'accès aux pools internationaux des capitaux, de la technologie, de la recherche, de la commercialisation et des qualifications du secteur privé sont beaucoup trop grands pour que les pays en voie de développement écartent sans un examen attentif et prolongé les possibilités de ce type d'association.

FIGURE 71. - Fabrique de pâte et de papier de la firme Australian Paper Manufacturers Ltd, à l'arrière-plan le Mt Erica. Maryvale (Glippsland), Australie. On peut voir des plantations d'âges divers entourant l'usine.

AUSTRALIAN PAPER MANUFACTURERS

Les avantages à tirer de la création de peuplements artificiels avec la coopération coordonnée du secteur privé et du secteur public ne se limitent pas au type d'association illustré par le projet d'Usutu. Un programme de coopération concernant la création de peuplements forestiers artificiels en Equateur indique une autre façon d'associer les capitaux privés du propriétaire foncier et les capitaux publics avec le soutien international (dans le cadre du Programme alimentaire mondial et de l'Oxfam) de façon à diriger des ressources privées limitées, relevant d'un régime foncier complexe, vers une entreprise couronnée de succès. Ce programme se propose de fournir un couvert forestier à des terres dégradées pour lutter contre l'érosion et accroître la production de bois de feu et de bois de construction utilitaire destinés aux collectivités rurales.

Pour parvenir à coordonner la planification et la création de peuplements artificiels et d'industries forestières, il faudra de multiples échanges d'informations et d'idées portant sur des domaines très variés. C'est ainsi que le coût du transport est, dans l'économie des industries utilisatrices du bois, un facteur d'importance si essentielle qu'il faut accorder un très grand poids aux besoins de réseaux nationaux de transport et à leur gestion, en particulier en ce qui concerne le choix des lieux destinés aux plantations, et à l'installation des usines. Il en est de même pour la création des réseaux de distribution d'énergie et d'eau et les services publics en général. Dans certains cas, des facteurs de sylviculture tels que la qualité de l'emplacement, viendront peut-être après l'accessibilité à l'usine et aux marchés, étant donné qu'il est souvent beaucoup moins coûteux de faire pousser le bois que de le couper, de le transformer et de le transporter.

Aussi importante que soit l'influence économique des facteurs physiques et techniques, il convient de se rendre compte que certains des grands problèmes de la coordination tirent leur origine des problèmes de relations humaines qui se posent au sein des entreprises commerciales et industrielles. Des attitudes et des façons de procéder qui mettent l'accent par exemple sur les divergences entre la foresterie et l'industrie plutôt que sur leurs objectifs communs peuvent conduire à des échecs très coûteux. Il convient de souligner que l'intégration verticale ne garantit pas à elle seule la disparition de toutes les divergences mais elle crée un milieu qui permet de concilier plus facilement les différents points de vue.

Les problèmes sociologiques des collectivités relativement peu diversifiées, tributaires d'une industrie et d'une organisation uniques, peuvent acquérir une importance très grande lorsque l'emplacement de l'usine oblige à construire une agglomération qui est pratiquement une création de la société. On a beaucoup trop tendance à négliger la façon dont ces problèmes aggravent les handicaps économiques que constituent les charges et les frais d'exploitation supplémentaires par comparaison avec le choix d'un emplacement situé dans une ville existante ou à son voisinage. Il faut apporter une attention spéciale à cet aspect dans tout projet de création de peuplement forestier artificiel mais particulièrement dans les pays en voie de développement où la nécessité, tout au moins aux premiers stades de l'industrialisation, d'employer du personnel de direction et des techniciens étrangers aggrave une situation sociale déjà difficile.

Le niveau et la capacité d'accueil du système d'enseignement constituent un facteur important dans la planification et la réalisation d'une industrie moderne des produits forestiers dans un pays en voie de développement. La création par l'entreprise d'un enseignement et d'un perfectionnement techniques en cours d'emploi pour compléter le système national existant peut constituer une partie indispensable d'un projet intégré. Il faut à une industrie moderne de produits forestiers un personnel possédant des capacités extrêmement variées au point de vue de la technique, de l'administration et de la gestion. Le développement dans ce sens du potentiel du personnel local peut, à long terme, jouer un rôle important dans de nombreux aspects utiles au succès du projet.

Le projet d'Usutu est des plus instructifs car il montre comment un projet de peuplements forestiers artificiels de grande envergure peut être, dans un pays en voie de développement, intégré avec succès avec une industrie de la pâte de bois basée sur l'exportation et les avantages que le développement général peut en tirer. C'est un exemple et un espoir inestimables pour l'avenir.

Planification et financement

Les problèmes du financement de programmes de grande envergure concernant des peuplements artificiels et des complexes industriels associés sont communs aux pays économiquement avancés et aux pays en voie de développement ainsi qu'au secteur public et au secteur privé. Les sources potentielles de capitaux varient toutefois beaucoup suivant qu'elles sont plus ou moins capables ou disposées à investir dans les diverses phases de ces programmes suivant les conceptions politiques et économiques dans les différents pays.

Dans les pays économiquement avancés, les sources intérieures de capitaux peuvent généralement être amenées à soutenir des projets à grande échelle concernant l'expansion des peuplements artificiels et des industries de traitement du bois. Par contre, dans les pays en voie de développement, les sources intérieures de capitaux aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public, peuvent considérer avec pessimisme les possibilités des peuplements artificiels par comparaison avec d'autres possibilités et d'autres demandes d'investissement ou l'aptitude des industries nationales utilisant les produits de la forêt à faire concurrence aux importations.

Il est donc certain que, pour ce qui est des pays en voie de développement, les problèmes du financement des peuplements artificiels sont dans une large mesure les problèmes qui se posent lorsqu'il s'agit d'attirer un soutien financier international. On peut certainement faire beaucoup en améliorant l'efficacité avec laquelle les ressources intérieures sont orientées vers les investissements en faveur du développement. Les systèmes d'autofinancement des programmes de foresterie peuvent orienter vers cette voie des capitaux nationaux qui risqueraient autrement d'être mal utilisés. Mais, ainsi que D'Adamo (1967) le fait remarquer, l'échelle des investissements nécessaires en Amérique latine seule, au cours de la prochaine décennie, implique inévitablement un afflux de capitaux internationaux de grande envergure.

Les entreprises de produits forestiers fonctionnant ou disposées à fonctionner à l'échelle internationale constituent une source potentielle importante de capitaux internationaux. Les aspects se rapportant à l'utilisation de capitaux de cette provenance ont été mentionnés plus haut et il apparaît clairement que les perspectives peuvent être fortement influencées par les politiques nationales adoptées pour encourager ou décourager ce type d'investissement. Certaines des mesures, telles que les dégrèvements d'impôts, les subventions directes et indirectes, qui ont été adoptées ou préconisées dans certains pays pour stimuler les capitaux privés nationaux à se diriger vers la foresterie, peuvent également encourager les capitaux privés étrangers à s'investir dans la création de peuplements forestiers artificiels. Selon un exemple décrit par D'Adamo, le Fonds forestier argentin fournit aux sylviculteurs, pour des projets approuvés par le Service forestier, des crédits au taux de 4 pour cent par an qui peuvent atteindre 80 pour cent du coût de la plantation; cet intérêt peut être ramené à 2 pour cent si les plans soumis sont bien réalisés dans le délai prévu. En Nouvelle-Zélande, le gouvernement consent des prêts pouvant atteindre par acre 25 livres sterling pour la phase d'établissement et 15 livres sterling pour l'éclaircissage et l'élagage; si les travaux sont bien faits, l'emprunteur est dispensé de rembourser la moitié du prêt.

FIGURE 72. - Forêt d'Ashley (Nouvelle-Zélande). A gauche, le siège de l'administration forestière, à droite, maisons d'habitation et terrains agricoles attenants.

NEW ZEALAND FOREST SERVICE - JOHNS

FIGURE 73. - Plantation de jeunes Cryptomeria utilisés pour remplacer des peuplements de bois durs de peu de valeur à Taiwan, avec l'assistance du Programme alimentaire mondial.

BUREAU ES FORÊTS DE TAÏWAN

Par contre, les mesures destinées à encourager les investissements de capitaux privés, aussi bien nationaux qu'internationaux, peuvent être virtuellement annulées par l'instabilité de la situation économique ou politique. C'est ainsi que l'inflation qui sévit dans de nombreux pays d'Amérique latine va sans aucun doute à l'encontre des projets de boisement en raison du temps qui doit s'écouler avant que l'investissement ne devienne productif. Mais le problème de l'inflation n'est qu'un des facteurs capables de décourager les capitaux privés de se porter vers les projets à long terme tels que la foresterie et les grandes industries forestières.

En raison des disponibilités limitées de capitaux nationaux et en raison de la sensibilité des capitaux privés extérieurs à des facteurs défavorables qui pourraient n'être qu'à court terme, il semble certain que les pays en voie de développement devront s'adresser aux institutions de financement internationales, telles que la Banque internationale pour la reconstruction et le développement et ses associés, pour obtenir une grande partie des fonds importants nécessaires à l'application des programmes d'industrialisation basés sur les peuplements forestiers artificiels.

En règle générale, par conséquent, indépendamment des processus d'évaluation auxquels est soumis dans un pays un projet de création de peuplements artificiels à grande échelle, les pays en voie de développement peuvent prévoir que le projet fera également l'objet d'une investigation finale par une institution internationale extérieure attribuant l'assistance financière. A cet égard, l'analyse critique mais constructive de Spears (1967) sur les procédés d'évaluation appliqués aux projets de boisement présente pour les pays en voie de développement un grand intérêt pratique pour la définition et la présentation de leurs propositions.

Les projets relatifs à la création de peuplements forestiers artificiels soutiennent parfois mal la comparaison avec les projets concernant le secteur agricole lorsqu'ils sont évalués en fonction du taux de rémunération intérieur, critère fréquemment utilisé par ces institutions internationales. Lorsqu'on évalue des projets afin d'identifier ceux qui peuvent présenter de l'intérêt pour les organisations financières et industrielles internationales, il faut donc accorder une attention considérable à ce critère du taux de rémunération intérieur. Les propositions doivent être ensuite préparées et présentées de façon à porter au maximum le taux de rémunération intérieur prévu. Pour certains projets de peuplements forestiers artificiels, il a été reconnu que le taux de rémunération intérieur peut être ramené à des niveaux voisins de ceux des projets du secteur agricole en étalant sur la totalité des phases d'établissement et de production certains éléments du coût tels que l'acquisition des terres, la construction des bâtiments et des routes, en réduisant d'autres coûts par un emploi plus rationnel des matériaux, de l'équipement et du personnel coûteux et en intégrant la culture et la foresterie comme dans le système taungya où cette intégration peut être faite sous un contrôle suffisant. Ces mesures ne paraissent, évidemment, demander guère que du bon sens. Le fait qu'il ait été reconnu nécessaire d'appeler expressément l'attention sur elles indique néanmoins que leurs effets économiques peuvent facilement passer inaperçus.

De plus, comme un peuplement forestier artificiel ne fournit que la matière première des industries utilisant le bois, il est logique d'évaluer les perspectives économiques du complexe forêts-industries en le considérant comme un programme intégré. Cette façon de procéder peut améliorer considérablement la rentabilité des projets. Pour qu'un projet intégré soit préparé de façon satisfaisante et convaincante, il est indispensable, à toutes les étapes de la planification et de la présentation, de procéder à de nombreuses consultations et d'assurer une coordination étroite avec les entreprises industrielles et les autres services gouvernementaux.

Les politiques actuelles relatives à l'octroi d'une assistance financière internationale aux projets de développement sont dans une certaine mesure défavorables aux projets de longue durée et à coefficient de main d'oeuvre assez élevé à entreprendre dans les pays en voie de développement. Normalement, les institutions de financement international fournissent la composante «devises» (surtout pour l'équipement) plutôt que la composante «monnaie nationale» (surtout main-d'œuvre). Il peut donc arriver qu'un gouvernement préfère des projets pour lesquels sa propre contribution sera plus faible, c'est-à-dire des projets dont la composante «devises» est plus élevée. Les projets concernant les peuplements forestiers artificiels se trouvent dans une situation moins désavantageuse à cet égard lorsqu'ils sont coordonnés avec le développement d'industries associées. Ainsi que l'a montré Spears (1967), la composante «devises» d'un projet intégré peut atteindre 50 pour cent, contre 20 pour cent environ pour la phase de boisement prise isolément.

Il faut bien comprendre que si des institutions de financement ont tendance à évaluer les projets d'un point de vue essentiellement commercial, cela n'entraîne pas obligatoirement une attitude défavorable à l'égard des propositions bien choisies et solidement étudiées concernant les peuplements artificiels. Il est possible de minimiser mais non d'éliminer les caractéristiques propres aux programmes de développement basés sur les forêts qui limitent leur capacité de rapport financier. Il importe donc de considérer les bénéfices des programmes de peuplements forestiers artificiels qui échappent au calcul du taux de rémunération intérieur.

Les évaluations globales du projet faites par les institutions internationales de financement tiennent compte de considérations autres que les avantages directs - en particulier de ceux qui se rapportent aux aspects plus larges du développement économique. Il faut évaluer intégralement et objectivement la mesure dans laquelle on peut escompter que ces projets contribueront aux recettes en devises ou au remplacement des importations, à l'amortissement des investissements d'infrastructure, à la diversification de l'emploi et à l'amélioration de la situation économique et sociale dans les régions rurales, à la formation technique, etc. Ainsi que Westoby (1962) l'a montré, les industries forestières représentent un potentiel considérable pour ces aspects du développement économique. Les pays en voie de développement pourront également trouver d'autres possibilités pour amplifier encore ces résultats, compte tenu des perspectives à long terme du commerce international du bois.

La plupart des projets actuels de création de forêts artificielles traduisent la situation générale des tendances et perspectives mondiales du bois. Beaucoup d'entre eux fourniront inévitablement d'autres services tels que la protection des bassins versants, la prévention de l'érosion et la création de centres de loisirs. En fait, certains projets sont délibérément conçus pour fournir ces services soit en première ligne, soit en relation avec le développement industriel et l'emploi dans la région. Illencick et Ramirez (1967) ont décrit un exemple de ce type de projet qui comporte la création en 25 ans d'une forêt de 25000 ha en Colombie. Les objectifs de ce projet sont:

1. Reboiser des bassins versants alimentant en eau des usines hydro-électriques urbaines;

2. Assurer une production suffisante de matière première destinée à des entreprises industrielles utilisant le bois;

3. Transformer l'investissement en un capital stable qui produira un revenu permanent;

4. Fournir des possibilités de travail dans des zones de main-d'œuvre excédentaire ou sans emploi.

Il est manifeste que les projets de ce type, qui stoppent l'érosion, régularisent le débit de l'eau nécessaire aux villes et aux industries, produisent une matière première très importante pour le développement économique national et garantissent une source de travail dans des régions où le niveau de l'emploi est en baisse, représentent dans le pays un investissement de haute priorité. Le financement de ces projets pose des problèmes spéciaux si l'on n'applique pas des critères autres que ceux qui sont fondés directement ou indirectement sur les profits monétaires. Il apparaît donc nécessaire d'accorder dans les processus d'évaluation une importance plus grande à ce type de bénéfices non monétaires.

Il est certainement possible, à tous les niveaux du développement économique, de mieux coordonner et intégrer les programmes de peuplements forestiers artificiels avec l'industrie et les autres secteurs et ceci à tous les stades de la planification, de la préparation et de l'exécution. Cette nécessité, déjà assez importante dans les pays industrialisés, acquiert une importance critique dans les pays en voie de développement où le choix des projets et l'efficacité de la mise en œuvre ne peuvent souffrir qu'une faible marge d'erreurs.

Conclusions

La progression de la consommation mondiale de bois industriel incite à établir des plans de boisement de grande envergure afin de compléter la production des forêts naturelles. Trop souvent dans le passé, le manque de coordination entre les services forestiers et les autres institutions et industries responsables du développement national a provoqué un déséquilibre entre les peuplements forestiers artificiels et le développement de l'infrastructure et du potentiel industriel. C'est le même type de situation qui, dans une certaine mesure, a failli se produire en ce qui concerne les possibilités de la planification régionale intégrée.

L'élaboration d'une politique de création de peuplements artificiels doit donc se fonder sur des objectifs clairement exprimés et conformes aux politiques nationales appliquées en matière d'utilisation des terres et des ressources. De toute évidence, les études sur les tendances du bois occupent une position clé dans l'ensemble de la planification et du développement intégrés de programmes de création et d'utilisation de peuplements artificiels. Si la production du bois est un objectif important de ces programmes, les évaluations de base et les projections qu'on en tire doivent être soumises à un examen continu pour tenir compte des connaissances nouvelles et de l'évolution de la situation concernant les tendances et les perspectives nationales, régionales et mondiales. Les politiques nationales fondées sur ces évaluations peuvent avoir des répercussions mondiales. On voit donc toute la nécessité d'une participation internationale permanente et même élargie à la mise au point des méthodes et des techniques ainsi qu'à l'exécution des études régionales convenant à des situations très varices.

Lorsque l'on passe des programmes généraux à l'exécution de projets déterminés, il semble qu'il y ait surtout besoin de mieux coordonner les aspects purement forestiers avec les aspects industriels et commerciaux. Le coût de la production de la matière première n'est souvent qu'une fraction relativement faible du coût total du produit final sur son marché ultime. Le choix de l'emplacement d'un peuplement artificiel, l'ordre de grandeur à adopter, le choix des essences et d'autres questions connexes peuvent en fait être fonction davantage des facteurs sociaux et économiques intervenant au stade de la transformation que des facteurs d'ordre sylvicultural qui influencent le développement de la forêt. Il est donc essentiel, dans les phases d'un projet qui suivent la phase d'établissement, de maintenir un haut degré de souplesse pour les décisions finales concernant l'utilisation de la forêt. Il s'ensuit que les considérations de gestion forestière ne sont plus primordiales. C'est pourquoi, à tous les stades suivant la conception initiale d'un projet, il faut appeler aux consultations le plus grand nombre possible de parties intéressées.

FIGURE 74. - Exploitation forestière privée. Peuplement de Pinus radiata âgés de 25 ans. Wairarapa (Nouvelle Zélande). Parcelle en cours d'éclaircie; au premier plan tus de poteaux et traverses préparés.

NEW ZEALAND FOREST SERVICE - JOHNS

Toutefois, quel que soit le soin avec lequel aura été coordonnée la planification d'un programme de peuplements forestiers artificiels et d'industries associées, le résultat final dépendra de la façon dont ce programme saura attirer l'assistance financière à long terme qui lui est indispensable. Dans le cas des pays en voie de développement, l'ordre de grandeur des investissements nécessaires implique inévitablement une participation importante de capitaux internationaux. La coordination de la planification et de la réalisation des projets, en association avec des entreprises commerciales internationales du secteur des produits forestiers, peut contribuer à résoudre ce problème de financement ainsi qu'à fournir un certain nombre d'avantages importants pour le fonctionnement et la commercialisation. Mais, même si les conditions indispensables au succès de cette association existaient encore plus largement qu'actuellement, il resterait nécessaire de demander une participation importante aux institutions internationales de financement.

Il est certain que, selon les critères financiers habituellement appliqués à l'évaluation des projets par les institutions internationales de financement, les propositions intéressant les peuplements artificiels sont désavantagées par le long délai qui s'écoulera avant que les investissements ne soient profitables. Néanmoins, on peut faire beaucoup pour réduire au minimum les effets de cette caractéristique, en étalant soigneusement les éléments du coût de la phase d'établissement et en basant dès le début les plans sur la coordination forêts-industrie. Par contre, les programmes coordonnés de peuplements forestiers artificiels peuvent présenter un intérêt très puissant du point de vue des autres critères employés par les institutions pour évaluer la contribution d'un projet à la viabilité et au développement économiques en général. Dans la définition et la présentation des propositions, le rôle qu'un projet peut jouer à cet égard doit être évalué et précisé au maximum. Il n'en paraît pas moins que les procédures actuelles d'évaluation ne font peut-être pas une place assez large à la valeur sociale des services autres que la production du bois que peuvent fournir des programmes de boisement tels que la protection des bassins de réception et la création de lieux pour les loisirs. Les avantages sociaux de cette nature peuvent être les principaux objectifs de certains projets et, en fait, ils constituent des conditions indispensables pour le développement du potentiel agricole et industriel.

Références

*D'ADAMO, O.A. 1967 Financiamiento de las plantaciones en América del Sud. Canberra.

FAO. 1966 Le bois: évolution et perspectives mondiales. Unasylva, Nos. 8081; Campagne mondiale contre la faim, Etudes de base No 16.

*HASTIE, W.F. & MACKENZIE, J. 1967 Planning an integrated forest program. Canberra.

*ILLENCICK, G. & FALLA RAMIREZ, A. 1967 Anteproyecto de inversión en establecimiento de bosques industriales en zonas altas de Colombia. Canberra.

*RICHARDS, E.G. 1967 Appraisal of national wood production and consumption trends and their interplay with regional and world trends. Canberra.

*SPEARS, J.S. 1967 Feasibility studies and financing of man-made plantation forests. Canberra.

WESTOBY, J.C. 1962 Les industries forestières dans la lutte contre le sous-développement économique. Unasylva, N° 67: 168.

* Document présenté au Colloque international sur les peuplements forestiers artificiels et leur importance industrielle, Canberra, avril 1967.


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