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ANNEXE D
DISCOURS DU DIRECTEUR GENERAL

Monsieur le Président,

Par le passé, c'est à des titres divers qu'il m'a été donné d'apparaître devant cette éminente assemblée: en qualité de représentant régional pour l'Europe, de Directeur de la Division de l'économie, de Sous-Directeur général chargé du Service du programme et du budget, enfin et plus récemment, de Directeur exécutif du Programme alimentaire mondial. Aujourd'hui, où je me présente pour la première fois devant vous en tant que Directeur général récemment élu, je suis plus conscient que jamais de l'ampleur de la tâche qui nous attend tous: celle d'orienter les événements dans un monde en évolution constante.

Etant donné la profondeur du changement qui s'est produit depuis un an, peut-être devrais-je commencer par une rapide esquisse de la situation alimentaire mondiale. Je suis heureux de pouvoir le faire sous le signe d'un optimisme prudent. Comme vous le savez, les récoltes de 1967 ont été généralement bonnes. La production alimentaire du monde pris dans son ensemble a été supérieure d'environ 3 pour cent à celle de la campagne précédente. Mais, et ceci compte encore plus, ce gain a été acquis principalement dans les pays en voie de développement, où l'augmentation en effet n'a pas été inférieure à 6 pour cent, ce qui a permis de récupérer une grande partie du terrain qu'avait perdu la production alimentaire par habitant durant les désastreuses campagnes de 1965 et 1966. Il faut remonter à 1956, donc à plus de dix ans, pour constater une progression annuelle de cet ordre. D'après les renseignements limités jusqu'à présent disponibles, la production alimentaire continue de s'améliorer en 1968, malgré certains échecs dus aux conditions atmosphériques.

Gardons nous cependant de trop présager de cette évolution. La production agricole est une inconstante, aussi inconstante que le temps lui-même. Nul doute qu'une certaine partie du vif progrès enregistré en 1967 représente le rattrapage des deux mauvaises campagnes précédentes. Nous ne saurions donc compter chaque année sur des progrès analogues.

En même temps, il y a de bonnes raisons de penser que les conditions atmosphériques n'expliquent pas tous les gains réalisés et que la production alimentaire est peut-être en train de sortir de sa longue torpeur de la dernière décennie.

Un motif d'espérer est que désormais de nombreux gouvernements font plus de place à l'agriculture dans leur planification et dans leurs investissements. On peut en dire autant de la Banque mondiale et je me suis réjoui d'apprendre la semaine dernière que M. McNamara entend quadrupler le volume des prêts agricoles de cette institution au cours des cinq prochaines années avec, comme par le passé, le concours de la FAO. En outre, il est de plus en plus reconnu que les pénuries alimentaires peuvent déclencher une inflation capable d'annuler le progrès dans tous les secteurs. Certains gouvernements sont sans doute influencés par le fait que les stocks céréaliers de l'Amérique du Nord, bien qu'ils aient repris un mouvement ascendant, ne peuvent plus désormais être considérés comme une assurance quasi automatique en cas de désastre.

Un deuxième facteur est l'effet cumulatif d'actions de développement menées sur de longues années, qui semblent enfin porter leurs fruits. Ceci est vrai du lent renforcement des services de recherche et de vulgarisation. Ceci est vrai des investissements à long terme qui ont été consacrés à l'irrigation, à la colonisation agraire et aux autres aspects de l'infrastructure agricole. Tout aussi importantes apparaissent les améliorations institutionnelles, celles qui ont trait au régime foncier, aux coopératives, au crédit agricole ou à la commercialisation et qui donnent aux producteurs des pays en voie de développement plus de certitude que ce sont effectivement eux qui profiteront des progrès de la production. Du coup, ces agriculteurs se mettent plus volontiers à employer des engrais et d'autres moyens de production modernes. Les gouvernements se rendent compte qu'il est important de leur fournir en quantités suffisantes les facteurs de production indispensables. Enfin, et ce n'est pas là la moindre considération, je devrais peut-être évoquer l'événement le plus intéressant, c'est-à-dire l'apparition des variétés à haut rendement mises au point pour le blé au Mexique et pour le riz aux Philippines. Avec des doses convenables d'eau, d'engrais et de produits antiparasitaires, ces variétés ont une productivité plusieurs fois supérieure à la normale. Il est possible que pour une fois on puisse, sans tomber dans le cliché, dire qu'une percée vient d'être réalisée.

Je pourrais m'étendre sur la question, mais je me bornerai à dire que les conditions nécessaires à une amélioration soutenue de la situation alimentaire mondiale sont désormais réunies. En outre, l'humanité se découvre actuellement la volonté et l'énergie d'utiliser plus largement les nouveaux outils que lui offrent les sciences agricoles. C'est non pas un seul facteur, mais l'effet total d'une multitude d'efforts qui a suscité ce renouveau d'espoir dans le progrès. J'aimerais souligner aussi que la FAO et les organismes apparentés ont sensiblement contribué à déterminer cette situation.

Mais je tiens également à souligner que les gains récents restent précaires. Ils ne se reproduiront pas automatiquement. Si nous relâchons nos efforts, si les gouvernements retombent dans le contentement béat, le monde se retrouvera bien vite dans la situation de naguère, où le pâle spectre de la faim et de la misère planait sur les pays en voie de développement. C'est que la population de ces pays continue de s'accroître à un rythme sans précédent, qui ne pourra être freiné que par l'adoption de politiques de planning familial.

J'ai commencé, Monsieur le Président, par ce qui aurait peut-être dû être ma conclusion. Cependant, il m'a semblé important de brosser immédiatement devant le Conseil la toile de fond sur laquelle se dérouleront ses débats. Selon moi, nous nous trouvons à un stade qui autorise bien des espoirs, mais qui pourrait fort bien mener à des lendemains décevants si nous ne savons pas saisir les occasions qui s'offrent à nous.

En ce qui concerne l'étude des mesures à long terme qui seront nécessaires, je suis convaincu que le Plan indicatif mondial pour le développement agricole jouera un rôle décisif. J'aimerais dire sans plus attendre que je considère le Plan comme l'une des initiatives les plus importantes de mon éminent prédécesseur, M. Sen. En formulant des objectifs réalistes de production, de consommation et de commerce des denrées agricoles pour 1975 et 1985, le Plan devrait nous apporter des renseignements indispensables sur les besoins futurs et sur les possibilités de les satisfaire, renseignements qui devront être régulièrement revus afin de tenir compte des circonstances nouvelles. En proposant les politiques que les gouvernements devraient suivre pour atteindre ces objectifs, le Plan offrira le cadre d'action de portée mondiale, régionale et nationale.

Les études provisoires concernant l'Afrique au sud du Sahara, le Proche-Orient, l'Extrême-Orient et l'Amérique du Sud sont achevées ou vont l'être. Elles ont été communiquées sous forme de projet à certains pays afin qu'ils puissent les commenter, mais nous en résumons les principales conclusions dans des documents plus brefs que nous soumettrons à chacune des conférences régionales: en effet, les études in extenso sont trop massives et trop techniques pour qu'il soit possible d'en discuter à de telles réunions et, de toute façon, nous ne serions pas en mesure de les distribuer dans les délais voulus. Le rapport mondial sera prêt à temps pour que la Conférence puisse l'examiner en 1969. Je pense que nous devrons poursuivre nos travaux dans ce domaine une fois que les premières projections mondiales auront été établies, de manière que le Plan conserve toute son actualité comme instrument d'élaboration des politiques.

A sa dernière session, la Conférence a demandé une étude sur les progrès et la méthodologie du Plan indicatif. J'ai fait le nécessaire pour que ce travail soit exécuté par le Professeur Tinbergen, qui compte parmi les autorités en matière de planification du développement. Le Professeur Tinbergen préside également le Comité des Nations Unies pour la planification du développement, à qui il appartiendra d'établir les projections et les objectifs de la deuxième Décennie des Nations Unies pour le développement. L'étude qu'il a effectuée a été extrêmement utile et je suis heureux de constater qu'il souscrit pleinement aux méthodes que nous avons suivies. En outre, sa visite a déjà aidé à harmoniser les conceptions, en ce qui concerne nos propres projections et celles que les Nations Unies entreprennent actuellement. C'est seulement ainsi que nous aurons l'assurance que les données calculées par nous pour le secteur agricole s'inséreront de manière cohérente dans les projections économiques générales des Nations Unies. Par exemple, nous devrons ajuster les horizons du Plan indicatif actuellement fixés à 1975 et 1985, de manière à les faire correspondre avec la deuxième Décennie pour le développement, c'est-à-dire 1970–1980. Dans une note sur “La stratégie de l'action future de la FAO”, j'explique plus en détail comment, à mon sens, les institutions du groupe des Nations Unies devraient travailler de concert à l'élaboration des politiques à long terme.

Au cours de ses discussions, le Conseil examinera également plusieurs problèmes plus immédiats touchant les rapports entre institutions. Je pense en particulier à celui de l'éducation et de la formation professionnelle agricoles, domaine qui, vous le savez, fait l'objet d'une longue contestation entre l'Unesco, l'OIT et la FAO. Vers le début de l'année, j'ai pu conclure avec les Directeurs généraux de ces deux organisations une entente sur les attributions respectives et sur les modalités de notre coopération future. L'aide-mémoire que nous avons signé a déjà reçu l'assentiment des organes directeurs de l'OIT et de l'Unesco et je recommande vivement au Conseil d'accorder le sien. Anticipant sur cette décision, nous appliquons dès maintenant les dispositions de l'entente non seulement dans leur lettre, mais aussi dans leur esprit. Je suis convaincu que cela peut ouvrir la voie à une coopération constructive dans cet immense domaine d'action et je nourris l'espoir de parvenir à un accord analogue avec l'ONUDI avant la fin de l'année.

Sur le plan interne, notre attention durant ces derniers mois s'est naturellement portée principalement sur la réorganisation. Le Conseil est saisi du rapport conjoint établi par le Directeur général et le Comité ad hoc, dans lequel figure le “plan détaillé de réorganisation” demandé par la Conférence. Quant à moi, j'aimerais rendre hommage au Comité ad hoc pour l'efficacité et la compréhension dont il a fait preuve dans l'exécution d'une tâche difficile. Je suis fermement convaincu que nos propositions conjointes, si elles sont acceptables pour le Conseil, permettront d'organiser notre travail de façon bien plus rationnelle.

Je n'entrerai pas dans le détail du rapport qui, je l'espère, vous sera présenté le moment venu par le Président du Comité ad hoc, M. Maiden. Peut-être me sera-t-il toutefois consenti de formuler une ou deux remarques d'ordre général.

A mon sens, l'aspect primordial du plan est qu'il pose le principe d'une assistance octroyée à chacun des Etats Membres globalement par l'ensemble des services de l'Organisation. Nous savons tous que, jusqu'à présent, les activités de chaque division, pour utiles qu'elles soient en elles-mêmes, n'ont pas toujours constitué au total un programme équilibré, adapté aux besoins réels du pays bénéficiaire. Nous essaierons de résoudre cette difficulté en fondant sur une base essentiellement géographique la programmation et la formation des projets. Dans cette nouvelle phase de nos activités, le rôle décisif appartiendra au Département du développement, qui doit remplacer le Service du programme et du budget. Ce département aura pour tâche de coordonner toutes les activités de l'Organisation concernant la formulation et l'évaluation des projets, les programmes d'investissement et la liaison entre les institutions internationales. En outre, il devra diriger et desservir ce qui, je l'espère, deviendra un réseau bien plus vaste de représentants dans les pays. En un mot, je vois dans ce département la clé de voûte de toute la réorganisation. C'est en grande partie de son personnel et de sa bonne marche que dépendra le succès de la mise en oeuvre des propositions soumises au Conseil. Je ne doute point que nous soyons capables de nous acquitter de cette lourde responsabilité.

Le dernier chapitre du rapport conjoint énumère toute une série de mesures qui, dans l'esprit de la résolution adoptée l'an dernier par la Conférence, pouvaient être mises en oeuvre pendant l'exercice 1968–69 à un moment que déterminerait le Directeur général, étant entendu qu'elles n'entraîneraient pas de dépassement du budget approuvé pour cet exercice. Pour des raisons évidentes, nous aurions préféré attendre que le Conseil ait pu en discuter avant de mettre en oeuvre ces recommandations. Cependant, une considération majeure nous a amenés, le Comité ad hoc et moi-même, à tomber d'accord sur l'application immédiate de diverses propositions qui, avons-nous pensé, ont toutes chances de recueillir l'assentiment du Conseil. Cette considération importante concernait le moral du personnel. En vérité, la réorganisation entraîne un nombre considérable de changements intéressant aussi bien certains fonctionnaires individuels que certains services. Humainement parlant, il aurait été impossible au personnel de travailler normalement si la menace de bouleversements de structure avait pesé sur l'Organisation pendant des mois et des mois. Le Comité ad hoc a partagé le sentiment que nous éprouvions, moimême et les autres hauts fonctionnaires de l'Organisation, que, si des changements devaient intervenir, ils devaient intervenir rapidement, de manière que la nouvelle structure puisse commencer à fonctionner avec le minimum d'à-coups et sans susciter un sentiment prolongé d'incertitude et de frustation. C'est pourquoi nous avons appliqué la majorité, mais non la totalité, des mesures intérimaires de mise en oeuvre. Je suis certain que le Conseil se rendra compte que l'intérêt bien compris de l'Organisation l'imposait.

J'aimerais également appeler en particulier l'attention du Conseil sur une autre section du rapport, celle qui a trait à la structure régionale. Le choix s'offre entre deux formules. La première, que j'ai pris l'initiative de proposer au Comité ad hoc, tend à accroître l'impact des activités du groupe des Nations Unies au niveau régional. Selon cette proposition, le Secrétaire exécutif de la Commission économique régionale des Nations Unies serait également représentant régional de la FAO, recevant ses instructions du Directeur général pour tout ce qui concerne les problèmes agricoles. Cette formule a été favorablement accueillie par le Secrétaire général des Nations Unies et elle a suscité également un appui et un intérêt considérables lors de la session d'été du Conseil économique et social. Personnellement, j'espère très vivement que nous pourrons l'appliquer à titre expérimental dans au moins une région. La seconde formule maintiendrait la structure régionale actuelle, avec toutefois certaines simplifications et modifications spécifiquement destinées à faire intervenir plus efficacement les bureaux régionaux dans les activités de l'Organisation concernant la définition des politiques et l'élaboration des programmes.

Le choix reste ouvert pour ce qui est de l'Afrique et de l'Asie, et il appartient aux gouvernements des pays intéressés de faire savoir - au sein du Conseil et à l'occasion des conférences régionales - celle des deux formules qui emporte leur préférence. Le représentant de l'Amérique latine au Comité ad hoc, mon distingué ami l'Ambassadeur Hernán Santa Cruz, a indiqué que les pays de cette région désiraient conserver un représentant qui appartienne spécifiquement a la FAO. J'ai eu moi-même l'impression que l'absence d'une représentation de niveau élevé dans la région latino-américaine cette année avait sérieusement entravé nos activités et, en conséquence, j'ai récemment pris des dispositions pour que soit nommé un nouveau sous-directeur général chargé des affaires latino-américaines et représentant régional de l'Organisation.

Monsieur le Président, comme l'avait prévu la Conférence à sa dernière session, les propositions relatives à la structure devront, sous réserve de toutes modifications que le Conseil pourrait y apporter, constituer la base de préparation de mon projet de programme de travail et budget pour 1970–71. Mais on ne saurait pas les considérer comme définitives en elles-mêmes. La structure de l'Organisation devra faire l'objet d'un examen constant et être modifiée chaque fois que cela sera nécessaire, compte tenu de l'évolution incessante de nos modes d'action. C'est seulement ainsi que nous pouvons espérer conserver toute notre efficacité.

En outre, je pense qu'il ne faut pas voir dans les propositions touchant la structure que la première étape de la réorganisation de la FAO. Bien sûr, la structure est intrinsèquement importante. Mais ce qui est tout aussi important, me semble-t-il, c'est la manière dont nous acquittons effectivement de nos tâches dans le cadre qui nous est fixé. Il est indispensable d'atteindre un niveau satisfaisant d'efficacité dans l'utilisation du personnel si nous voulons réaliser intégralement les potentialités de l'Organisation.

Parmi les mesures intérimaires de mise en oeuvre énumérées dans le rapport conjoint, j'ai créé une Division des services d'organisation, qui s'attachera systématiquement à relever l'efficacité à la FAO. Graduellement, elle enquêtera en détail sur chacun des services et sur ses méthodes de travail. Toutefois, il y a beaucoup à faire en très peu de temps, et les moyens actuels de cette Division sont trop limités pour qu'elle exerce un effet sensible aussi rapidement que je le souhaiterais. J'ai donc entrepris, après avoir consulté le Comité financier et obtenu son accord, de m'assurer les services d'une société d'experts conseils en gestion des affaires, de réputation internationale, qui travaillera en très étroite coordination avec la division précitée. Ceci nous permettra d'adopter les techniques les plus modernes dans les moindres délais et provoquera une précieuse fécondation réciproque de nos idées.

Telle est donc ma conception du deuxième stade de la réorganisation. J'ajouterai que j'en vois un troisième, au cours duquel seront méthodiquement examinées les activités qui s'exécutent traditionnellement au titre du Programme ordinaire. Nous savons tous qu'il est souvent difficile de mettre terme à une activité, par exemple à une série régulière de réunions, une fois que celle-ci a débuté. Or il est nécessaire de reconsidérer attentivement toutes les activités en cours, eu égard à l'évolution rapide que connaît aujourd'hui l'agriculture. J'espère sincèrement que, le moment venu, les Etats Membres m'accorderont leur concours en acceptant qu'il soit mis fin aux travaux ne présentant plus qu'un intérêt réduit.

Avant de laisser cette question de la réorganisation, j'aimerais également vous parler de mes recommandations touchant l'avenir de la Campagne contre la faim. Dans la note qui vous est soumise, j'ai essayé d'analyser objectivement les réussites et les insuffisances de la Campagne, dans les conditions où elle a fonctionné jusqu'ici. J'en ai conclu que la Campagne apportait au travail de la FAO un appui essentiel et j'ai donc recommandé qu'elle se poursuive durant la deuxième Décennie pour le développement, sous réserve d'un réexamen en 1975. En même temps, j'ai indiqué quelles devraient être ses orientations principales. Je voudrais attirer votre attention en particulier sur l'utilité de la Campagne lorsqu'il s'agit d'associer la jeunesse à des activités intéressant les objectifs de la FAO. Je suis convaincu qu'en se mettant au service du développement, une jeune génération inquiète et révoltée peut se libérer de manière constructive de certaines des frustrations qu'engendre la société dans laquelle elle vit. C'est là un aspect d'une importance considérable pour nous tous, et je crois que, en collaboration avec d'autres institutions, la FAO doit poursuivre et renforcer le travail de pionnier qu'elle a déjà amorcé.

Le Conseil examinera également les dispositions relatives au deuxième Congrès mondial de l'alimentation. Dans la note que j'ai préparée à ce sujet, je propose que le congrès soit remis à juin 1970, en partie parce que j'estime que nous avons besoin de plus de temps - y compris le temps nécessaire à la Conférence de la FAO pour examiner les propositions du PIM - et en partie parce que je crois qu'il y aurait réellement intérêt à tenir le Congrès durant l'année qui marquera le vingt-cinquième anniversaire de la fondation de la FAO. Si cette date convient au Conseil, le Gouvernement des Pays-Bas serait généreusement disposé à accueillir le Congrès.

J'en viens maintenant à notre programme effectif de travail des quelques prochaines années et je pense que le problème essentiel dont doit s'occuper le Conseil se pose dans les termes suivants: la FAO a été créée à Hot Springs et à Québec pour combattre la faim et la misère et, en dernière analyse, elle sera jugée d'après ce qu'elle aura su faire pour améliorer la situation alimentaire et agricole mondiale. Les modifications de structure, si importantes soient-elles, ne sont qu'un moyen en vue de cette fin.

Dans notre programme d'activités, nous devons, je crois, nous inspirer du double principe du travail d'équipe et de la concentration. Je suis convaincu que nous obtiendrons le maximum d'effet si nous concentrons l'effort de l'Organisation tout entière sur quelques domaines décisifs. Dans ma note sur “La stratégie de l'action future de la FAO”, j'ai proposé cinq domaines devant faire l'objet d'une telle concentration.

Ces domaines recoupent les sphères de compétence de nos divisions, et mon intention est de faire en sorte que, dans chacun d'eux, toutes les divisions intéressées travaillent ensemble, au sein d'une équipe intégrée.

J'ai parlé assez longuement de ces cinq domaines dans la note précitée pour pouvoir me borner à les évoquer rapidement ici:

  1. Mise au point et emploi plus général des variétés de grandes cultures vivrières à haut rendement et à haute utilisation de facteurs de production, qui exercent d'ores et déjà un effet considérable sur la productivité dans de nombreux pays en voie de développement. Un corollaire inévitable est l'apparition de nombreux problèmes: développement de l'irrigation, accroissement de la production d'engrais, expansion de la capacité d'emmagasinage, amélioration du marketing, etc., dont la solution conditionne l'utilisation accrue de ces variétés.

  2. Lutte contre le gaspillage. A présent, comme on le sait bien, une importante partie des aliments produits dans le monde est détruite par les rongeurs, les insectes, les moisissures et autres ravageurs. Il est certain que ces pertes représentent chaque année plusieurs milliards de dollars. Mais il existe également de nombreuses formes de gaspillage indirect, un exemple frappant à cet égard étant la destruction de terres fertiles par l'érosion ou par la salinité.

  3. Lutte à outrance contre les carences protéiques. Le déficit protéique est sans conteste l'insuffisance nutritionnelle la plus grave dont souffrent les populations des pays en voie de développement et, pour tout dire, les classes déshéritées de tous les pays, notamment lorsqu'il s'agit des enfants et des mères. Le moment est venu d'encourager à l'échelon mondial la production de protéines animales et végétales à bon marché et, lorsque cela sera économique, de protéines de types nouveaux. La consommation de ces protéines devra être stimulée par la réduction du coût, l'éducation du grand public et l'amélioration de la saveur.

  4. Mobilisation des ressources humaines en vue du développement rural. L'homme est souvent la principale ressource disponible dans de nombreux pays en voie de développement et il serait possible de l'utiliser plus efficacement dans les zones rurales, aussi bien en agriculture que dans d'autres secteurs. C'est ainsi seulement que nous pouvons espérer enrayer l'inquiétant exode des ruraux vers les villes, où ils viennent simplement grossir l'armée des chômeurs. Pour la FAO, cela signifie un effort accru dans le domaine de la formation agricole à tous les niveaux, de la réforme agraire, des coopératives, du crédit et des autres formes d'améliorations institutionnelles. A cet égard, d'importantes activités devront être menées conjointement avec d'autres institutions.

  5. Amélioration des recettes et économies de devises dans les pays en voie de développement. A ce propos, on a fait grand bruit autour des besoins des régions en voie de développement, mais beaucoup moins autour des possibilités qui sont les leurs. Et pourtant, il existe des occasions d'accroître l'exportation de toute une gamme de produits et aussi de réaliser des économies de devises en produisant de manière rentable dans ces pays eux-mêmes des articles jusque-là importés. Nos efforts dans ce domaine seraient étroitement articulés avec ceux de la CNUCED et du GATT.

Il ne vous échappera pas que les cinq domaines prioritaires que je viens d'évoquer sont étroitement reliés entre eux. Par exemple, la meilleure utilisation de la main-d'oeuvre rurale influera sur la production de céréales à haut rendement et d'aliments protéiques. Des disponibilités accrues de ces aliments et la réduction des pertes peuvent puissamment contribuer à l'économie de devises et souvent au développement de l'exportation. Au total, ces cinq domaines recouvrent une partie considérable du secteur agricole. Comme je l'explique dans ma note, toutefois, il ne faut pas y voir une formule passe-partout de progrès agricole. Nous devons nous souvenir que les priorités au niveau national sont fixées par les gouvernements eux-mêmes; s'ils ont besoin d'assistance en dehors des cinq domaines en question, il va de soi que nous ferons de notre mieux pour la leur fournir. Je suis impatient de connaître les vues du Conseil et j'espère très vivement que les idées que j'ai avancées recueilleront un appui général.

Une importante question inscrite à votre ordre du jour est celle de l'organisation des sessions futures de la Conférence, qui est traitée dans le rapport conjoint du Comité du programme et du Comité financier, ainsi que dans le rapport de la quinzième session du Comité du programme. Parmi les différentes recommandations qui ont été formulées, je voudrais vous signaler en particulier celle qui a trait aux comités techniques, problème dont nous nous occupons depuis longtemps. Il est proposé que le nombre de ces comités soit ramené à deux, qui se réuniraient juste avant la Conférence ellemême pour étudier l'un nos programmes de terrain, l'autre les cinq domaines particuliers de concentration dont je vous ai entretenus. Je souscris entièrement à cette proposition.

A chaque session de la Conférence, l'une des questions décisives est évidemment le niveau du budget de l'exercice suivant. Conformément à une décision prise par la Conférence à sa dernière session, je dois vous fournir à votre présente réunion “des indications préliminaires et approximatives” touchant le budget que je proposerai pour 1970–71. Malheureusement, trop d'inconnues subsistent encore pour qu'il soit actuellement possible de présenter une estimation ou une décision de manière définitive. Par exemple, la révision ou l'extension des dispositions prises avec le PNUD pour financer les postes de représentants dans les pays pourrait influer sensiblement sur le budget du Programme ordinaire. En gros, je pense toutefois à un budget qui nous permettrait de réaliser sur l'ensemble de l'exercice une expansion de 12 pour cent - soit 6 pour cent annuellement - dans le programme technique effectif, à l'exclusion des augmentations obligatoires. Une telle expansion est, je crois, le minimum qui puisse être demandé eu égard d'une part à la nécessité d'intensifier l'action multilatérale à un moment qui pourrait fort bien marquer un tournant dans l'histoire de l'agriculture des pays en voie de développement et, d'autre part, à la prospérité indéniablememt croissante des nations donatrices, quelle que puisse être l'ampleur de leurs problèmes intérieurs. Notre offensive contre le sous-développement agricole est lancée: elle ne doit pas se ralentir.

En ce qui concerne les augmentations obligatoires, c'est-à-dire de caractère non technique, parmi lesquelles figure le coût de nouveaux locaux ou des services linguistiques supplémentaires que la Conférence pourrait demander, il est également difficile pour le moment d'en chiffrer le coût de manière définitive. Il me semble cependant qu'elles pourraient fort bien représenter 10 ou 11 pour cent du budget de 1968–69.

Qu'il me soit permis en conclusion, Monsieur le Président, de revenir à quelques considérations de nature personnelle. Depuis ma nomination au poste de Directeur général, j'ai été invité à me rendre dans de nombreux pays et j'aurais souhaité être en mesure d'accepter toutes ces invitations, convaincu qu'il importe de rester au contact des problèmes et de la pensée des gouvernements de nos Etats Membres. De même, mon désir eût été d'assister personnellement à toutes nos conférences régionales. J'ai cependant estimé nécessaire, durant ma première année dans ce poste, de me consacrer principalement aux problèmes que m'a confiés la Conférence à sa dernière session, en particulier celui de la réorganisation de la FAO, ainsi qu'à la préparation du programme de travail et budget du prochain exercice. Dans ces conditions, je n'ai pu, jusqu'à présent, me rendre que dans quelques Etats Membres et je dois me limiter à assister à trois des cinq conférences régionales.

Chaque fois que je le peux, je m'efforce de faire de mes visites dans les pays l'occasion de participer à d'importantes réunions tenues par d'autres organisations, par exemple la CNUCED, le Conseil économique et social ou le Comité administratif de coordination. Sur le plan non gouvernemental, j'ai pris la parole en Tunisie devant la Conférence de cette puissante association qu'est la Fédération internationale des producteurs agricoles. Ces contacts avec d'autres organisations me semblent en effet un aspect essentiel de notre travail. Mon intention est donc de continuer, selon l'occasion, à effectuer de telles visites à double fin.

Monsieur le Président, il y a maintenant plus de vingt ans que la FAO est aux prises avec le problème de la faim et de la malnutrition dans le monde. A mesure que l'on reconnaissait davantage le poids et l'importance de son rôle, elle s'est transformée, de la modeste institution qu'elle était au départ, en un organisme de développement de stature mondiale. Cependant, même à l'heure actuelle, la nature du problème ne cesse de se modifier. Nous devons adapter nos façons de voir, nos méthodes, nos priorités aux nouvelles circonstances, aux nouvelles occasions d'agir. Je me suis efforcé de vous indiquer comment, selon moi, l'Organisation devrait évoluer durant l'avenir proche. C'est avec grand intérêt que j'attends maintenant les commentaires et les conclusions du Conseil.


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