Yves MAURISSEN, Michel FOURNIER
IMP-CNRS
Université de Perpignan
Un des objectifs du programme DEN-ROI (Développement des énergies nouvelles et renouvelables dans l'Océan Indien) a été de réaliser un séchoir solaire à poissons de petite capacité aux Comores. La phase réalisation a succédé à :
un atelier sur le séchage (1985, Madagascar), où les besoins spécifiques aux Comores ont été définis ;
un stage de formation (1985, Perpignan), sur les principes théoriques et les techniques de séchage. A l'issue de ce stage, le design optimisé du séchoir a été arrêté par les responsables comoriens de la pêche.
Conception du projet
Notre projet sur le séchage solaire du poisson peut être considéré comme un exemple d'application du génie des procédés rustiques défini par P.Le Goff en 1987 (1).
Le génie des procédés qualifiés de rustiques est celui qui traite de la conception d'unités de production de petites tailles qui puissent être confiées à des artisans à faibles niveaux de technicité de pays en voie de développement. Les appareillages doivent donc être réparés ou copiés par des artisans locaux, avec des matériaux disponibles localement.
Le génie des procédés rustiques n'est donc pas un concept vieillôt et retardataire, mais au contraire une idée d'avant-garde, basée sur les méthodes de raisonnement, de modélisation et d'optimisation des systèmes techniques développés ces dernières années par les spécialistes du génie chimique. Un procédé sera d'autant plus facile à mettre en oeuvre par un artisan du village que son étude théorique préalable et son optimisation auront été effectuées avec soin.
En résumé, pour qu'un procédé soit rustique, il faut que la recherche amont ne le soit pas, bien au contraire
Choix d'un modèle adapté
Plusieurs séchoirs déjà réalisés et expérimentés dans le monde ont été examinés pour essayer de répondre à la demande comorienne. Parmi ceux-ci (2,3,-4), un séchoir développé en Jamaîque a semblé correspondre le mieux au cahier des charges.
Modèle “Jamaîque”
Il s'agit d'un modèle de faible coût expérimenté par Andy Skelton de l'Institut Brace en Jamaîque (1984) pour le séchage de bananes coupées en dés (5).
Le modèle original est constitué d'une armature en cornières d'aluminium revêtue de films PE transparent (150 microns) sur les côtés exposés au soleil et de film PE opaque de 300 microns sur les faces arrière et le sol, qui constitue ainsi le fond du capteur. Ces revêtements légers ont une durée de vie estimée à un an. La surface du capteur solaire est de 16 m2.
Les résultats obtenus en Jamaîque par A. Skelton font état de 20 Kg de petits cubes de bananes séchées par jour sur une dizaine de claies, la teneur en eau passant de 70 à 28%. A ce taux, les bananes sont suffisamment stabilisées pour atendre sans dommage leur utilisation, c'est-à-dire une cuisson au four dans des petits pains, nourriture hautement appréciée en Jamaîque.
Le caisson de dessication est intégré dans la cheminée. Une section de 100 × 50 cm doit permettre de suspendre environ entre 20 et 30 Kg de poisson. Le haut de la cheminée orientale permet d'orienter les filets d'air dans la direction du vent dominant en évitant le refoulement.
Adaptation du séchoir solaire
“Jamaïque”
aux conditions économiques
spécifiques des Comores
Après concertation avec plusieurs responsables comoriens de la pêche des Comores, en particulier M. Hachim Said Oussein, lors des sessions de travail où les besoins ont été bien définis (6), le modèle “Jamaïque” a été choisi.
Ce modèle doit être adapté aux conditions d'exploitation locales.
Sur la figure 1, on a représenté la maquette :
le séchoir doit être surélevé afin qu'il soit hors d'atteinte des rongeurs particulièrement nombreux sur l'île. Cette nouvelle situation permet donc une pénétration de l'air par le dessous du capteur : un absorbeur de type poreux dont le rendement est meilleur est alors d'utilisation possible. L'utilisation de bourre de coco noircie, disposée sur un entrelas de tiges de palme à défaut de grillage, doit être une solution possible ;
l'armature du séchoir est construite en bois. L'arrière de la cheminée et la porte du caisson sont réalisées soit en tôle noircie (capteur), soit en bois (isolant). Il est relativement facile de se procurer ces matériaux sur les îles. Le film transparent de PE est donc le seul matériau.
Etude préalable
Le fonctionnement de ce séchoir a été entièrement simulé par ordinateur, ce qui a permis d'optimiser son design. Pour cela, le séchoir a été divisé en trois parties, visibles facilement sur la figure 1 :
le capteur solaire à absorbeur poreux, horizontal qui constitue le capteur 1 ;
le caisson de séchage où les filets de poisson sont suspendus ;
le capteur solaire-cheminée vertical, qui constitue le capteur 2. Ce capteur n'est pris en compte que lorsqu'il est réalisé en tôle.
Chaque élément peut alors être modélisé séparément.
Le principe de fonctionnement utilisé dans la modélisation est le suivant :
l'air extérieur entre dans le capteur avec une température TE. Le débit GO est choisi arbitrairement lors du premier calcul ;
l'air s'échauffe dans le capteur 1 jusqu'à ateindre la valeur TS1 ;
l'air chaud chauffe le poisson et récupère son eau et voit donc sa température s'abaisser ;
l'air s'élève ensuite dans la cheminée, traverse le capteur 2 en s'échauffant puis quitte le séchoir avec une température TS ;
la différence TS - TE provoque une différence de masse volumique de l'air. C'est ce terme moteur qui est responsable du débit d'air dans le séchoir. On en déduit donc un débit d'air nouveau avec lequel on recommence le cycle précédent et ainsi de suite jusqu'à ce que le nouveau débit soit égal au débit précédent à la précision voulue (à 10-6 près par exemple) ;
le produit à sécher est supposé avoir au début de l'expérience une répartition d'humidité interne Wm régulière. Les conditions de l'air sécheur fixent, à l'extérieur du produit (donc sur sa surface) la teneur en eaux d'équilibre We que pourra atteindre le produit en séchant ;
la migration de l'eau à l'intérieur du produit suit la loi de Fick : cette équation de diffusion de l'eau dans un corps poreux peut être résolue par une méthode numérique avec des conditions aux limites convectives;
le détail de ce travail de modélisation doit être prochainement publié dans une revue de physique appliquée.
Fig. 1 : Séchoir solaire à poissons modèle « Comores »
Remarques et résultats
Suivant les conditions du séchage, une phase pendant laquelle la vitesse de séchage est constante peut être mise en évidence. C'est la phase l où l'évaporation superficielle est prédominante. La vitesse est d'autant plus élevée que le débit d'air est fort. Les dispositifs de freinage d'air doivent être escamotés au maximum (volets ouverts).
En phase diffusionnelle, ou phase 2, les courbes de séchage des produits (poisson en particulier) peuvent présenter deux ou trois allures de séchage différentes. Ces pentes correspondent à des valeurs différentes du coefficient Dm de thermomigration, donc à l'eau liée au produit par des liaisons de types différents. Nous avons pris en compte pour le thon comme pour la morue deux vitesses différentes.
L'augmentation de la vitesse de séchage (sauf en début où l'évaporation superficielle prédomine) dépend de la température de l'air de séchage. La phase 2 est un phénomène de thermomigration interne presque exclusivement. Un dispositif de freinage de l'air qui entraîne donc une élévation de sa température, doit donc être prévu. Par exemple, la solution d'utiliser des Nacco (fenêtres à lames de verre pivotantes), à l'entrée et à la sortie du séchoir, offre l'avantage d'isoler le poisson pendant la nuit, donc :
pas de réhumidification nocturne, pas d'attaque de rongeurs, etc. ;
pendant la période nocturne, l'arrêt total du séchage permet une uniformisation de la répartition de l'eau dans le produit. Ce phénomène est pris en compte dans le modèle entre l'arrêt du séchage (= 17h) jusqu'à la reprise (= 7h) le lendemain matin.
L'augmentation de la hauteur de la cheminée accélère le débit d'air, donc diminue la montée en température de l'air : ce n'est donc pas un facteur d'accélération du séchage puisqu'il tend à s'opposer au freinage indispensable pour améliorer la thermomigration de la phase essentielle qu'est la phase 2. Cette cheminée, d'autre part, n'est un élément moteur qu'au lever et au coucher du soleil lorsqu'il est bas sur l'horizon. Le reste du temps, elle perd plus d'énergie qu'elle n'en récupère. Une cheminée isolée, en bois par exemple, est une solution meilleure. C'est celle que nous avons choisie.
Le paramètre le plus sensible dans la durée d'une opération est l'épaisseur de la tranche du poisson.
Enfin, la teneur en graisses d'un poisson (Jason) (7) joue un rôle négatif dans le choix des poissons à sécher.
La comparaison des durées de cycles de séchage de poissons menées sur le site de l'école de pêche d'anjoan avec les résultats théoriques prédits, a été satisfaisante : 20 Kg de filets de thons, d'épaisseur environ 3 cm, dont séché en 20 heures (5 jours), alors qu'il était prévu 110 heures (4 jours et demi) avec des conditions météo régulières :
écart maximum des températures ambiantes extérieures dans la journée de 5°C ;
ensoleillement maximum à midi solaire de 1.200 W/m2.
Sur claies en plein air, dans des conditions identiques, la durée de séchage est estimée à 8 jours, soit 200 heures.
Le séchoir devant être opérationnel rapidement, nous avons été amenés à utiliser des matériaux déjà préparés, donc chers. Le séchoir est revenu à 8.000 FF, main d'oeuvre comprise. Le chapitre bois s'élève à 5.800 FF. Ce chapitre doit pouvoir être divisé en deux en utilisant :
du bois rond local au lieu de bois importé du Gabon ;
deux épaisseurs de tôles isolées par de la bourre de coco à la place du contreplaqué ;
des feuilles de coco tressées à la place de grillage.
Dans ces conditions, un autre séchoir devrait pouvoir être construit pour moins de 4.500 FF.
Conclusion
Parmi les séchoirs solaires à poissons existant dans le monde, nous avons essayé de choisir, pour installer aux Comores, un modèle adapté au mieux aux conditions climatiques locales et le moins cher possible. Notre sélection a été un modèle déjà opérationnel en Jamaîque.
Ce modèle permet un séchage d'une quantité de 20 à 30 Kg de poisson frais.
Enfin, il est possible d'envisager dans un deuxième temps la construction d'un modéle de capacité double en redimensionnant l'ensemble (hauteur de la cheminée, surface de captation, etc.) et en l'isolant thermiquement d'une façon plus efficace.
L'amélioration de la circulation d'air peut être également envisagée ;
soit grâce à un ventilateur alimenté par photopiles - surcoût 2.700 FF ;
soit par l'implantation sur la cheminée d'un Aspiromtic 240 (modèle actionné par le vent) - surcoût 800 FF.
Ces dispositifs sont surtout utiles pour éviter le refoulement du séchoir lors des vents tournants.
Dans ces conditions, les durées de séchage devraient peut-être légèrement diminuer mais l'investissement est-il justifié ?
Références bibliographiques
LE GOFF P., premier congrès des procédés, Nancy, septembre 1987.
EXELL R. H. B., Division of Agricultural and Food Engineering, Asian Institute of Technology, PO Box.2754, Bangkok, Thaîlande.
SY A. Y., ITA, BP.2765, Dakar, Hann, Sénégal.
THEMELIN A., Ceemat-Gerdat, BP. 5035, 34032 Montpellier Cédex.
SKELTON A., Institut Brace, Université McGill Stewart Park, St Anne de Bellevue, H9XICO, Québec, Canada.
MARRONY R., Aide technique au programme de développement des énergies renouvelables dans les pays du Sud-Ouest de l'océan Indien, prog. Denroi, N 5100 18 94 288, Rapport no1.
JASON A. C., Effects of Fat Content on Diffusion of Water in Fish Muscle, J. Sci. Fd Agric., 1965, vol.16.
Cet article est paru dans la revue “La pêche maritime” no1342 de mai 1990. Nous remercions la rédaction de cette revue de nous avoir autorisé sa reproduction.