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SECHAGE DU POISSON AUX COMORES

Yves MAURISSEN, Michel FOURNIER
IMP-CNRS
Université de Perpignan

Un des objectifs du programme DEN-ROI (Développement des énergies nouvelles et renouvelables dans l'Océan Indien) a été de réaliser un séchoir solaire à poissons de petite capacité aux Comores. La phase réalisation a succédé à :

Conception du projet

Notre projet sur le séchage solaire du poisson peut être considéré comme un exemple d'application du génie des procédés rustiques défini par P.Le Goff en 1987 (1).

Le génie des procédés qualifiés de rustiques est celui qui traite de la conception d'unités de production de petites tailles qui puissent être confiées à des artisans à faibles niveaux de technicité de pays en voie de développement. Les appareillages doivent donc être réparés ou copiés par des artisans locaux, avec des matériaux disponibles localement.

Le génie des procédés rustiques n'est donc pas un concept vieillôt et retardataire, mais au contraire une idée d'avant-garde, basée sur les méthodes de raisonnement, de modélisation et d'optimisation des systèmes techniques développés ces dernières années par les spécialistes du génie chimique. Un procédé sera d'autant plus facile à mettre en oeuvre par un artisan du village que son étude théorique préalable et son optimisation auront été effectuées avec soin.

En résumé, pour qu'un procédé soit rustique, il faut que la recherche amont ne le soit pas, bien au contraire

Choix d'un modèle adapté

Plusieurs séchoirs déjà réalisés et expérimentés dans le monde ont été examinés pour essayer de répondre à la demande comorienne. Parmi ceux-ci (2,3,-4), un séchoir développé en Jamaîque a semblé correspondre le mieux au cahier des charges.

Modèle “Jamaîque”

Il s'agit d'un modèle de faible coût expérimenté par Andy Skelton de l'Institut Brace en Jamaîque (1984) pour le séchage de bananes coupées en dés (5).

Le modèle original est constitué d'une armature en cornières d'aluminium revêtue de films PE transparent (150 microns) sur les côtés exposés au soleil et de film PE opaque de 300 microns sur les faces arrière et le sol, qui constitue ainsi le fond du capteur. Ces revêtements légers ont une durée de vie estimée à un an. La surface du capteur solaire est de 16 m2.

Les résultats obtenus en Jamaîque par A. Skelton font état de 20 Kg de petits cubes de bananes séchées par jour sur une dizaine de claies, la teneur en eau passant de 70 à 28%. A ce taux, les bananes sont suffisamment stabilisées pour atendre sans dommage leur utilisation, c'est-à-dire une cuisson au four dans des petits pains, nourriture hautement appréciée en Jamaîque.

Le caisson de dessication est intégré dans la cheminée. Une section de 100 × 50 cm doit permettre de suspendre environ entre 20 et 30 Kg de poisson. Le haut de la cheminée orientale permet d'orienter les filets d'air dans la direction du vent dominant en évitant le refoulement.

Adaptation du séchoir solaire
“Jamaïque”
aux conditions économiques
spécifiques des Comores

Après concertation avec plusieurs responsables comoriens de la pêche des Comores, en particulier M. Hachim Said Oussein, lors des sessions de travail où les besoins ont été bien définis (6), le modèle “Jamaïque” a été choisi.

Ce modèle doit être adapté aux conditions d'exploitation locales.

Sur la figure 1, on a représenté la maquette :

Etude préalable

Le fonctionnement de ce séchoir a été entièrement simulé par ordinateur, ce qui a permis d'optimiser son design. Pour cela, le séchoir a été divisé en trois parties, visibles facilement sur la figure 1 :

  1. le capteur solaire à absorbeur poreux, horizontal qui constitue le capteur 1 ;

  2. le caisson de séchage où les filets de poisson sont suspendus ;

  3. le capteur solaire-cheminée vertical, qui constitue le capteur 2. Ce capteur n'est pris en compte que lorsqu'il est réalisé en tôle.

Chaque élément peut alors être modélisé séparément.

Le principe de fonctionnement utilisé dans la modélisation est le suivant :

Fig. 1
Fig. 1

Fig. 1 : Séchoir solaire à poissons modèle « Comores »

Remarques et résultats

Suivant les conditions du séchage, une phase pendant laquelle la vitesse de séchage est constante peut être mise en évidence. C'est la phase l où l'évaporation superficielle est prédominante. La vitesse est d'autant plus élevée que le débit d'air est fort. Les dispositifs de freinage d'air doivent être escamotés au maximum (volets ouverts).

En phase diffusionnelle, ou phase 2, les courbes de séchage des produits (poisson en particulier) peuvent présenter deux ou trois allures de séchage différentes. Ces pentes correspondent à des valeurs différentes du coefficient Dm de thermomigration, donc à l'eau liée au produit par des liaisons de types différents. Nous avons pris en compte pour le thon comme pour la morue deux vitesses différentes.

L'augmentation de la vitesse de séchage (sauf en début où l'évaporation superficielle prédomine) dépend de la température de l'air de séchage. La phase 2 est un phénomène de thermomigration interne presque exclusivement. Un dispositif de freinage de l'air qui entraîne donc une élévation de sa température, doit donc être prévu. Par exemple, la solution d'utiliser des Nacco (fenêtres à lames de verre pivotantes), à l'entrée et à la sortie du séchoir, offre l'avantage d'isoler le poisson pendant la nuit, donc :

L'augmentation de la hauteur de la cheminée accélère le débit d'air, donc diminue la montée en température de l'air : ce n'est donc pas un facteur d'accélération du séchage puisqu'il tend à s'opposer au freinage indispensable pour améliorer la thermomigration de la phase essentielle qu'est la phase 2. Cette cheminée, d'autre part, n'est un élément moteur qu'au lever et au coucher du soleil lorsqu'il est bas sur l'horizon. Le reste du temps, elle perd plus d'énergie qu'elle n'en récupère. Une cheminée isolée, en bois par exemple, est une solution meilleure. C'est celle que nous avons choisie.

Le paramètre le plus sensible dans la durée d'une opération est l'épaisseur de la tranche du poisson.

Enfin, la teneur en graisses d'un poisson (Jason) (7) joue un rôle négatif dans le choix des poissons à sécher.

La comparaison des durées de cycles de séchage de poissons menées sur le site de l'école de pêche d'anjoan avec les résultats théoriques prédits, a été satisfaisante : 20 Kg de filets de thons, d'épaisseur environ 3 cm, dont séché en 20 heures (5 jours), alors qu'il était prévu 110 heures (4 jours et demi) avec des conditions météo régulières :

Sur claies en plein air, dans des conditions identiques, la durée de séchage est estimée à 8 jours, soit 200 heures.

Le séchoir devant être opérationnel rapidement, nous avons été amenés à utiliser des matériaux déjà préparés, donc chers. Le séchoir est revenu à 8.000 FF, main d'oeuvre comprise. Le chapitre bois s'élève à 5.800 FF. Ce chapitre doit pouvoir être divisé en deux en utilisant :

Dans ces conditions, un autre séchoir devrait pouvoir être construit pour moins de 4.500 FF.

Conclusion

Parmi les séchoirs solaires à poissons existant dans le monde, nous avons essayé de choisir, pour installer aux Comores, un modèle adapté au mieux aux conditions climatiques locales et le moins cher possible. Notre sélection a été un modèle déjà opérationnel en Jamaîque.

Ce modèle permet un séchage d'une quantité de 20 à 30 Kg de poisson frais.

Enfin, il est possible d'envisager dans un deuxième temps la construction d'un modéle de capacité double en redimensionnant l'ensemble (hauteur de la cheminée, surface de captation, etc.) et en l'isolant thermiquement d'une façon plus efficace.

L'amélioration de la circulation d'air peut être également envisagée ;

Ces dispositifs sont surtout utiles pour éviter le refoulement du séchoir lors des vents tournants.

Dans ces conditions, les durées de séchage devraient peut-être légèrement diminuer mais l'investissement est-il justifié ?

Références bibliographiques

  1. LE GOFF P., premier congrès des procédés, Nancy, septembre 1987.

  2. EXELL R. H. B., Division of Agricultural and Food Engineering, Asian Institute of Technology, PO Box.2754, Bangkok, Thaîlande.

  3. SY A. Y., ITA, BP.2765, Dakar, Hann, Sénégal.

  4. THEMELIN A., Ceemat-Gerdat, BP. 5035, 34032 Montpellier Cédex.

  5. SKELTON A., Institut Brace, Université McGill Stewart Park, St Anne de Bellevue, H9XICO, Québec, Canada.

  6. MARRONY R., Aide technique au programme de développement des énergies renouvelables dans les pays du Sud-Ouest de l'océan Indien, prog. Denroi, N 5100 18 94 288, Rapport no1.

  7. JASON A. C., Effects of Fat Content on Diffusion of Water in Fish Muscle, J. Sci. Fd Agric., 1965, vol.16.

Cet article est paru dans la revue “La pêche maritime” no1342 de mai 1990. Nous remercions la rédaction de cette revue de nous avoir autorisé sa reproduction.


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