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LES RESSOURCES HALIEUTIQUES DU LAC MOBUTU/ALBERT

d'après

F. René et P. Daniel
CEA/JEFAD

1. INTRODUCTION: PRESENTATION GENERALE DU LAC

Le lac Mobutu est situé dans la partie ouest de la vallée du Rift, il se trouve dans la zone frontalière comprise entre l'Ouganda et le Zaïre. Sa superficie totale est de 5.270 km2, dont 2.850 km2 en Ouganda (soit 54 %), et 2.420 km2 au Zaïre (soit 46 %).

Il reçoit, au sud, les eaux du lac Edouard par l'intermédiaire de la rivière Semliki, qui est son principal tributaire. A son extrémité nord, il reçoit les eaux du Nil Victoria, et se déverse lui-même dans le Nil Albert. Etant donné la position du Nil Victoria, à proximité du départ du Nil Albert, la plus grande partie des eaux de ce dernier (70 à 95 %) provient directement du Nil Victoria. Ainsi, la plupart des éléments nutritionnels et des sels minéraux venant de la rivière Semliki restent dans le lac, qui fonctionne comme un bassin d'évaporation. Ses eaux sont riches en sels minéraux et ont un pH de 8,5.

Situé à 618 m d'altitude, c'est le lac type de la vallée du Rift, profondément enclavé entre des montagnes tombant abrupt, de presque 200 m du côté zaïrois, et ne permettant pratiquement aucun accès routier en particulier sur toute sa partie centrale. Dans cette partie centrale, la bande côtière est peu profonde et étroite. La montagne tombe directement à pic dans le lac ne ménageant que quelques mini-plaines alluvionnaires pour les torrents les plus importants.

C'est un lac de forme allongée, d'environ 160 km de long et d'une largeur maximale de 35 km. Il est relativement peu profond: sa profondeur moyenne est de 25 m et sa profondeur maximale de 85 m. L'oxygène est ainsi présent sur pratiquement toute sa hauteur d'eau. Il y a en particulier une zone peu profonde au nord du lac, et une autre au sud, plus vaste, formée par le delta du Semliki (1 à 20 m de profondeur).

2. LES ESPECES EXPLOITABLES

Le lac Mobutu est d'une relative pauvreté spécifique. En 1964, Greenwood 1 avait recensé dans le lac 53 espèces de poissons, sur lesquelles 28 étaient des Cichlidés, dont 6 espèces endémiques (11 %).

La plupart des Cichlidés sont des espèces très littorales (le périphyton est très développé tout autour du lac et il assure la protection ainsi qu'une partie de l'alimentation des jeunes). D'après des données plus récentes 1, il existerait 46 espèces, dont 9 de Cichlidés. Ce lac contient donc très peu d'espèces différentes par rapport aux autres lacs du Rift, comme le lac Victoria (288 espèces dont 250 de Cichlidés) ou le lac Malawi (548 dont 500 de Cichlidés). Neuf espèces ou genres principaux font l'objet d'une exploitation économique, ce sont:

- Cichlidae:- tilapias (Oreochromis niloticus et Sarotherodon sp.)
- Lates macrophtalmus
- Lates niloticus
- Synodontis sp.  (S. schall)
- Siluriformes:- Bagrus sp. (B. docmac, B. bayad)
- Clarias gariepinus
- Cyprinidae:- Labeo sp. (L. forskalii)
- Characidae:- Alestes sp. (A. baremoze, A. grandisquamis)
- Hydrocynus sp.  (H. forskalii, H. goliath)

Les espèces dominantes, qui représentent 85 % des captures, sont les Hydrocynus (35 %), les tilapias et les perches du Nil (25 % chacun). Le lac contient donc des espèces de tailles très différentes, allant des Hydrocynus et Alestes, de petite taille, aux perches du Nil, qui peuvent vivre jusqu'à 25 ans et atteindre une taille de 180 cm. Par conséquent, l'exploitation d'une espèce de petite taille, avec des maillages choisis en conséquence, peut avoir des répercussions néfastes sur les autres espèces, lorsqu'elle s'attaque également à leurs populations jeunes.

Ainsi, par exemple, la coexistence de deux espèces de Lates pose un problème: Lates macrophtalmus est une espèce de taille moyenne, ne dépassant pas un kilo tandis que L. niloticus peut peser jusqu'à 200 ou 300 kg. Leur taille à l'âge moyen de première maturité sexuelle, dans le lac Mobutu, serait d'environ 25 cm pour les L. macrophtalmus, et de 40 cm pour les L. niloticus 2. L'exploitation simultanée de ces deux espèces peut avoir des conséquences néfastes pour le stock de Lates niloticus, si une grande partie des individus de cette espèce sont pêchés avant leur maturité sexuelle. Mais les différences morpho-anatomiques entre les deux espèces sont minimes et les individus de petite taille sont très difficiles à distinguer, et cela rend très difficile l'évaluation des conséquences engendrées. Il serait souhaitable de trouver des critères de détermination spécifique simples afin de pouvoir écarter ce risque.

1 Greenwood P.H., 1964. Explosive speciation in African lakes. Proc.R. Inst. Gr. Br., 40: 256–259.

1 Fryer et Iles, 1972, Greenwood, 1984, Coulter et al., 1986.

2 Projet de développement de la pêche artisanale au lac Mobutu. Zaïre/CEE, Rapport administratif, financier et technique, 1988.

3. LES CONNAISSANCES SUR LES STOCKS

3.1. Potentiel

On dispose de très peu d'informations sur le (ou les) stock(s) présent (s) dans le lac. Les quelques rares évaluations du potentiel halieutique qui ont été faites sont très anciennes et fondées sur des modèles mathématiques empiriques, prenant en compte des critères morpho-édaphiques, biologiques et limnologiques, tels que: la richesse minérale de l'eau, la composition faunique, la profondeur moyenne, etc.

Les eaux, peu minéralisées, ont une conductivité faible. La production primaire repose en grande partie sur les Cyanophycées (algues bleues) et dans une moindre mesure sur les Chlorophycées (algues vertes). La densité de phyto et de zooplancton va croissant du sud vers le nord jusqu'à la hauteur de Butiaba, puis régresse en raison de l'influence des eaux du Nil Victoria, très pauvres en plancton. Le phytoplancton le plus abondant est composé de Diatomées (Stephanodiscus sp. et Nitzschia sp.). Les deux genres principaux de zooplancton sont Daphnia sp. et Caridina sp.. Il se produit parfois des blooms locaux d'algues bleues du genre Anabaena, ainsi que des taux de mortalité importants de poissons, en particulier pour les perches du Nil, ce qui tend à prouver l'existence de violents mouvements dans les sédiments anoxiques du fond, même si cela n'influe sans doute pas sur la productivité globale du lac.

Les études de potentiel font état d'un MSY (Production maximale équilibrée) de 21.000 à 30.000 tonnes par an dont 9.700 à 13.300 pour le Zaïre (46 %) et 11.300 à 16.700 tonnes pour l'Ouganda (54 %). Notons l'énorme écart entre les estimations maximales et minimales (9.000 tonnes) qui démontre le peu de précision de celles-ci. Pour mémoire, la superficie du lac du côté zaïrois est de 2.420 km2 (46 %) et du côté ougandais de 2.850 km2 (54 %).

Le lac étant riche en plancton, la production primaire est élevée, mais le rendement écologique de cette production est assez faible: cette production provient en grande partie de déchets, et les captures de poissons restent modérées, puisque le MSY est estimé entre 40 et 60 kg/ha/an, ce qui est très faible. Ces chiffres proviennent des équations suivantes:

3.2. Production

En 1988, la production a été estimée à environ 22.500 tonnes dont 10.500 pour l'Ouganda et 12.000 pour le Zaïre. Ces chiffres sont donnés sous toutes réserves étant donné le peu de fiabilité des statistiques disponibles. En effet, il n'y a pas de contrôle sur les chiffres mensuels produits par les enquêteurs se trouvant sur le terrain, ces chiffres sont davantage communiqués dans un but administratif qu'à des fins de recherche scientifique. Par ailleurs, une grande partie des débarquements peut échapper au contrôle, il en est ainsi pour:

Ainsi, par exemple la seule auto-consommation zaïroise a été estimée à plus de 1.000 tonnes 1.

Principales données sur le lac Mobutu/Albert

PaysMSY (t/an)Production 1988 (tonne)
MinimumMaximum
Ouganda11.30016.700  8.464 (2)
   12.534 (3)
    
Zaïre  9.70013.30012.001 (4)
    
TOTAL21.00030.000     20.465 (2+4)
        24.535 (3+4)

(1): Plan directeur des pêches, République du Zaïre, 1987.
(2): Statistiques recueillies auprès des officiers régionaux des pêches, Ouganda.
(3): Fisheries Survey, MAIF, Ouganda, mai 1989.
(4): Projet de développement de la pêche artisanale sur le lac Mobutu, Zaïre/France, 1988.

Au vu de ces statistiques, et bien que leur précision soit sujette à caution, il semble que le lac soit arrivé en phase de pleine exploitation, la production étant très proche du potentiel minimal estimé.

1 Corsi, F., 1990. Evaluation des pêcheries zaïroises des lacs Idi-Amin/Edouard et Mobutu Sese Seko. Projet régional PNUD/FAO pour la Planification des pêches continentales (PPEC). RAF/87/099-TD/08/90 (Fr): 64p.

3.3. Répartition des captures

Les Hydrocynus représentent environ 35 % des captures, le tilapia et la perche du Nil, 25 % chacun. L'importance des tilapias est deux fois plus grande dans les captures zaïroises que dans celles des pêcheurs ougandais (respectivement 36 % et 17 %), alors que l'inverse se produit pour celles des Hydrocynus (29 % au Zaïre et 39 % en Ouganda).

Répartition des captures sur le lac Albert/Mobutu

EspècesZaïreOugandaTOTAL
Hydrocynus sp.29,0 %39,0 %33,7 %
Lates sp.22,0 %24,2 %23,0 %
Tilapia36,0 %16,6 %27,0 %
Divers13,0 %20,2 %16,3 %

3.4. Variations saisonnières

Il existe des variations saisonnières dans le potentiel de capture des poissons. Elles se traduisent par des fluctuations des captures mensuelles, qui peuvent atteindre le taux de 10 %. Les captures maximales sont réalisées de septembre à octobre et en mars-avril. La période la moins faste se situe en janvier-février. Cette variation selon les saisons est fortement liée au climat, les captures les plus abondantes ayant lieu pendant la saison des pluies.

4. CONTRAINTES LIEES A LA RESSOURCE ET RECOMMANDATIONS

4.1. Le manque de connaissances

On n'a qu'une très vague idée du stock exploitable, les seules indications disponibles étant anciennes et provenant d'estimations globales de la ressource utilisant des modèles environnants empiriques. De même, la très mauvaise qualité des statistiques de pêche n'a pas permis, jusqu'à présent, d'appliquer au lac des modèles de dynamique des populations, même globaux, afin de mieux évaluer le stock.

Cependant, les chiffres disponibles n'interdisent pas de penser que l'exploitation soit arrivée à un niveau proche du maximum biologique. Tout effort de développement de la pêcherie qui serait entrepris sans connaître précisément l'état de la ressource comporterait donc le risque de mettre celle-ci en danger, et donc de s'annihiler lui-même.

Il est donc indispensable de procéder à une évaluation des stocks fiable. Ceci est un préalable indispensable à la formulation de toute politique cohérente d'aménagement et de gestion de la pêcherie. Cette évaluation peut se faire par divers moyens d'investigation (échosondage, pêche expérimentale, échantillonnage larvaire, …), mais aussi, et en tout premier lieu, grâce à la mise en place d'un système de collecte de données fiable sur plusieurs années, ce qui permettra alors (après un laps de temps correspondant au cycle de reproduction le plus long des espèces exploitées) de commencer à faire des études de dynamique des populations. Les études doivent être entreprises pour déterminer, notamment:

Le dernier point est très important au regard de la productivité de pêche plus grande dans la partie sud du lac et notamment dans les eaux zaïroises pour des raisons d'infrastructures et de capacité d'écoulement des produits.

4.2. Protection des frayères et des nurseries

A l'heure actuelle, les frayères ne sont pas assez bien identifiées, et surtout, elles ne sont pas protégées convenablement. Principalement à cause de la pêche à la senne de plage qui a lieu de nuit et dans ces zones.

Les autorités administratives, comme les pêcheurs, doivent prendre conscience du danger que ce genre de pratique représente à terme pour les stocks, et mettre en place des mesures de contrôle et de protection efficaces.

4.3. Harmonisation de la production de pêche

La production de pêche est très inégalement répartie sur le lac. Certaines zones, situées à proximité des grands centres de commercialisation, sont intensivement exploitées, tandis que d'autres, plus isolées, le sont très peu, voire pas du tout.

De même, la partie centrale du lac n'est pas exploitée par les pêcheurs artisans, à cause de l'instabilité des pirogues. Une petite flotte semi-industrielle de baleinières pourrait exploiter ces zones situées au large, comme cela se faisait dans les années 60.

Enfin, globalement, les eaux ougandaises sont exploitées de façon moins intensive que les eaux zaïroises. En vue d'une utilisation optimale des ressources, un effort d'harmonisation de la production de pêche sur l'ensemble du lac doit être entrepris.

4.4. Coopération entre l'Ouganda et le Zaïre

Pour la recherche, cette coopération présente tous les avantages. Elle répond à la nécessité de procéder à une évaluation globale des ressources sur l'ensemble du lac; elle peut permettre une économie d'échelle substantielle, tant en hommes qu'en moyens d'investigation, ainsi qu'une meilleure fiabilité des statistiques de capture.

En ce qui concerne la planification des pêches, celle-ci est indispensable. En effet, la gestion des ressources de ce lac partagé demande une politique commune d'aménagement. Toute mesure d'aménagement prise de façon unilatérale risquerait fort d'être inefficace face à des mesures différentes et contradictoires prises par l'autre pays.

Il faut donc créer une instance de concertation et de décision unique, chargée de concevoir, de suivre et de coordonner le développement harmonieux des pêches sur l'ensemble du lac.

5. CONCLUSION

Etant donné le niveau d'exploitation déjà atteint, il est urgent de procéder à une évaluation précise des ressources halieutiques disponibles et de mettre en place une politique commune de planification des pêches.

En effet, il est probable que dans les années à venir, la politique de développement à mener ne doive pas aller dans le sens d'une augmentation de la production, mais plutôt d'une rationalisation de l'exploitation et d'une meilleure valorisation des produits.

Cette rationalisation doit passer avant tout par une coopération permanente entre les deux pays, et donc par la création d'une commission commune dotée des pouvoirs de décision nécessaires, afin d'assurer la cohérence, et donc la viabilité des actions de développement entreprises.


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