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8. ASPECTS SOCIO-ECONOMIQUES DU DEVELOPPEMENT DE L'AQUACULTURE

8.1 Introduction

Le succès de l'aquaculture en Chine tient en partie, certes, à des facteurs historiques, techniques et physiques. La Mission, toutefois, estime que cette réussite est due dans une grande mesure à l'union étroite de la pisciculture et de l'agriculture, ainsi qu'à diverses autres caractéristiques du système économique et social. Ce sont ces caractéristiques que nous résumerons ci-après, à titre d'information générale qui peut être utile à d'autres pays.

8.2 Intégration des activités de production

“Le développement global intégré” et, particulièrement, “le développement rural intégré” sont des lieux communs de la planification du développement. Cependant, dans la plupart des pays en voie de développement, cette intégration demeure un objectif évasif. En Chine, l'intégration se fait, et à grande échelle.

8.3 L'Organisation des communes

Il n'y a pas plus de 18 ans que la commune a été reconnue pour l'unité principale de l'organisation sociale et économique. Elles sont suffisamment importantes (leur population est de l'ordre de dizaines de milliers d'habitants) pour entreprendre de gros projets tels que ceux intéressant la construction de routes et de réservoirs, l'industrie et la commercialisation. Mais elles sont aussi assez restreintes pour assurer comme bases à leurs plans l'expérience et les besoins locaux.

Le revenu individuel est également réparti à ce niveau par un partage des recettes communales. Ainsi, l'intégration de la production profite à chacun, du moment qu'elle se traduit au total par un gain pour le revenu communal, même si certaines activités sont réduites. Une amélioration de la production de poisson intéresse autant le paysan ou l'ouvrier d'usine que le pêcheur. Les rapports coût/bénéfice sont calculés en fonction de la communauté, et non sur la base d'un seul projet, ni non plus d'un point de vue strictement pécuniaire.

8.4 “Prenez l'agriculture pour base”

A la suite des difficultés du Grand Bond en Avant de 1958, et particulièrement depuis la Révolution culturelle (1969), la Chine a donné la priorité absolue au développement de l'agriculture: Elle veut parvenir à son autonomie, en matière céréalière, en assurant à son économie rurale une base solide. La croissance urbaine anarchique doit être évitée: aussi, l'industrie doit-elle se développer à partir du pouvoir d'achat des campagnes, c'est-à-dire du paysan. La pisciculture a grandement bénéficié de cette orientation car le développement accéléré de l'irrigation et de l'électrification des exploitations a fourni à la pisciculture l'eau et la force. Les poissons utilisent rationnellement les déchets des produits agricoles et, de plus, ils contribuent à entretenir la fertilité du sol. En beaucoup de régions, la pisciculture fait traditionnellement partie des activités agricoles, comme l'élevage des porcs ou des canards.

8.5 Des campagnes promotionnelles simples, mais efficaces

De tout temps, les Chinois ont utilisé les proverbes et les adages commes instrument d'éducation sociale. Ces mots d'ordre sont répétés partout, transmettant jusqu'au plus lointain village les principes de la politique nationale. A propos de chaque explication, ces directives sont répétées: elles apparaissent sur les signaux et les affiches, dans les réunions d'auto-critique ou de planification, dans l'éducation des petits enfants commes des techniciens ou travailleurs des pêcheries.

Citons quelques uns de ces adages:

“En pisciculture, alternez stockage et pêche”

“La pisciculture est l'annexe de l'agriculture”

“Portez votre effort sur la culture et simultanément sur le développement de la culture et de la capture”

“Partout où il y a de l'eau, il doit y avoir du poisson”.

8.6 La combinaison “trois dans un” et l'enseignement ou la recherche “porte ouverte”

La révolution chinoise s'est appliquée à mettre un frein aux énormes inégalités économiques du système de propriété de la vieille Chine.

La “grande révolution culturelle prolétarienne” a visé, entre autres, à éliminer l'élitisme chez les fonctionnaires et les intellectuels. En conséquence, la qualification douce - individuelle a été déterminée, avant l'instruction dont a bénéficié l'intéressé, d'après l'expérience que lui a donnée son travail - l'expérience pratique précédant l'enseignement théorique (qui doit résumer l'expérience). Pleine reconnaissance est accordée à l'expérience particulière de chacun. C'est pourquoi, le travail et la planification se font en associant les combinaisons “trois en un” des “jeunes, moins jeunes et vieux”, des “chercheurs, agents techniques et paysans”.

L'université est maintenant ouverte au paysan, pas seulement pour s'y instruire, mais pour y enseigner. Quant au pêcheur, il a accès au laboratoire pour y trouver de nouvelles idées, mais aussi pour donner les siennes. Réciproquement, l'enseignant et le spécialiste de la recherche s'en vont sur le terrain, dans les exploitations de pisciculture comme à bord des bateaux des pêcheurs, afin de partager leur expérience et appréhender la réalité des problèmes. De même, la gestion est ouverte à tous (bien qu'il semble que l'on insiste surtout sur l'expérience politique et la production). Les combinaisons “trois dans un” font également partie de la structure des “comités révolutionnaires” des Communes, comme des brigades et équipes de production.

Cette insistance mise sur la pratique et l'expérience, ainsi que les fréquentes allées et venues des producteurs aux bancs de l'enseignement, avec retour à la production et communication de l'expérience acquise d'un endroit à un autre, ont eu le mérite, selon la Mission, de permettre une dissémination rapide des techniques de reproduction artificielle, des méthodes de capture en masse du poisson, de la conception et de l'emploi des aérateurs dans les étangs. Une idée qui a fait ses preuves trouve en Chine son application immédiate.

8.7 Motivation axée sur la production

La compétition et la rivalité personnelles n'ont pas disparu de la vie chinoise. Cependant l'étalon de la réussite semble s'être effectivement déplacé: on ne vous juge plus d'après ce que vous consommez mais selon ce que vous produisez. Le prestige n'est pas lié à la possession de biens individuels (en fait, s'ils ne sont pas partagés par les autres, ils semblent plutót être inscrits à votre passif). On réussit lorsqu'on produit individuellement, mais surtout à titre de membre d'un groupe. Des groupes comme “Les filles de fer” sont loués et imités. Pour quelqu'un qui vient de l'extérieur, il est difficile de comprendre la facilité avec laquelle de grandes équipes de volontaires sont mobilisées pour construire des barrages, des digues ou des étangs. La motivation à laquelle les gens obéissent permet aussi de les affecter relativement facilement à des travaux utiles à la communauté, plutôt qu'à ceux correspondant à leur intérêt personnel ou même à leur expérience passée. La surpêche des lacs en Chine, par exemple, a cessé d'être un problème difficile à corriger, parce qu'il est vu maintenant dans une perspective de production communale.

8.8 Autres facteurs

D'autres facteurs sociaux et économiques ont aidé à stimuler le développement de la pisciculture. Notamment: le mouvement des pêcheurs, que l'on a fait quitter leurs bateaux pour venir habiter à terre; les nécessités et caractéristiques de l'économie planifiée; la création de parcs publics et autres facilités d'agrément pour les travailleurs; également la prédilection traditionnelle des Chinois pour le poisson.

8.9 Retour des pêcheurs à la terre

En Chine, jusqu'à une date récente, tous les pêcheurs, que ce soit dans les lacs, les fleuves ou en mer, vivaient sur leurs bateaux. La révolution de 1949 les a libérés du pire des abus commis à leur encontre par “les despotes de la pêche”. Ce n'est qu'un peu plus tard que leurs problèmes particuliers ont été examinés. D'abord, des coopératives ont été créées pour les aider à acheter leurs engins de pêche, à se partager le travail et à vendre leur poisson. Mais les coopératives étaient incapables de résoudre les plus gros problèmes. La constitution de communes à partir des coopératives a offert la structure adéquate. Puis une décision politique à suivi, donnant la priorité à la pisciculture sur la capture du poisson sauvage. Pour accroître la productivité, on a cherché à fixer à terre les pêcheurs, qui ont donc été encouragés à cultiver aussi bien qu'à pêcher. Dans les communes créées à partir de coopératives de pêche, comme celle de Cheng-tung, un grand nombre de personnes ne se livrent plus exclusivement à la pêche, mais ont diversifié leur assise économique. Le premier village de pêcheurs a été construit en 1965 dans la municipalité de Shanghaï, région de pêche traditionnelle. Aujourd'hui, dans tout le pays, des pêcheurs ont été établis dans des villages de ce genre, ou dans d'autres habitats tels que le “complexe des travailleurs de Ten Shan”, qu'a visité la Mission. Ces changements ont stimulé la pisciculture.

8.10 Economie planifiée

L'économie socialiste s'efforce de ne produire que les articles nécessaires, et seulement dans la quantité requise. Il était difficile aux membres de la Mission de comprendre des réponses du genre: “Non, nous ne prévoyons pas de développer des moyens de production d'alevins. Nous produisons déjà tout ce qui nous est nécessaire”. Ce système facilite, certes, la planification. Il permet de stabiliser les prix et encourage la diversification du développement. Il stimule l'empoissonnement des lacs et canaux, pour freiner les fluctuations des captures.

Il engendre aussi des problèmes particuliers. La Mission, par exemple, n'a pas été tout à fait certaine que les trois ou quatre grosses captures annuelles, qui réunissent la majeure partie de la pêche dans le lac de Pai Tan ou dans le réservoir de Ho Lung, soient réellement coordonnées avec la pêche en d'autres endroits de manière à assurer un approvisionnement régulier de poisson sur les marchés. Comme la grande majorité du poisson commercialisé dans le sud est vendu frais ou vivant, sa distribution manque évidemment de souplesse.

8.11 Facilités récréatives

Les plans d'eau au voisinage des agglomérations ont retenu une attention toute spéciale comme lieux d'agrément, aussi bien que de pêche. Les activités récréatives opposent certaines contraintes à la pêche (par exemple dans la répartition des lieux de distribution de nourriture aux poissons), mais, dans l'ensemble, le voisinage semble bénéfique. L'utilisation des lacs et réservoirs à cette fin est un motif supplémentaire pour les améliorer.

8.12 Le poisson dans la consommation domestique

Dans presque toute la Chine, le poisson d'eau douce est extrêmement apprécié dans l'alimentation. La gastronomie chinoise a élaboré bien des recettes pour le préparer. En certains endroits, la consommation par habitant est très élevée (comme dans la Commune populaire de Le Liu, où elle atteint 48 kg/an). Ailleurs, cependant, le poisson ne constituait pas un élément traditionnel de la table: c'est le cas dans les provinces de Shansi et de Kansu, ou en Mongolie intérieure et dans la région autonome de Ningsia, bien qu'il y ait là des ressources pour la pêche. Cela change actuellement. Mais la consommation de poisson, pour l'ensemble du pays, reste relativement basse. Et les besoins de la consommation domestique de poisson ne sont certainement pas encore satisfaits. Ce qui doit continuer d'encourager l'expansion de la pisciculture pendant quelque temps.

8.13 Résumé

De l'avis de la Mission, le genre et le taux d'expansion que l'aquaculture a connus récemment sont liés au système socialiste de la Chine. La Mission n'est pas absolument convaincue que cette organisation socio-économique soit cependant une condition préalable indispensable au développement rapide de l'aquaculture et des pêcheries continentales dans d'autres pays. Mais elle est en revanche certaine que cet essor ne se produira que là où l'on veillera attentivement, comme en Chine, au développement simultané de toutes les ressources locales et techniques piscicoles, et, par dessus tout, là où l'aquaculture est planifiée dans tous ses détails et adaptée au niveau du pisciculteur ou du pêcheur. La Mission pense, enfin, qu'il est indispensable de renforcer les motivations propres à aboutir réellement au “développement rural intégré”, comme il est essentiel d'instituer dans tous les pays en voie de développement l'expérience pratique parallèlement à l'enseignement théorique.


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