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ANNEXE D
DECLARATION D'OUVERTURE DU DIRECTEUR GENERAL

Monsieur le Président,

Au moment où se réunit la soixantième session du Conseil, on ne peut manquer d'être frappé par un climat de malaise et d'inquiétude croissante concernant l'agriculture et l'alimentation dans le monde. Nous traversons une époque caractérisée non seulement par de graves causes de préoccupation et même de crainte dans de nombreux endroits, mais aussi par une incertitude plus générale peut-être qu'à aucun autre moment depuis les années qui ont immédiatement suivi la deuxième Guerre mondiale. Non seulement ce qui se passe depuis un an ou deux dans l'agriculture mondiale est inquiétant à bien des égards, mais encore tout porte à croire qu'un bouleversement radical est en route et qu'il pourra faire surgir, pour le meilleur et pour le pire, une nouvelle physionomie du monde. En même temps, il se produit des fluctuations qui estompent le tableau de l'avenir. Nous n'avons cessé au cours des derniers mois d'évaluer la situation. Il me paraît essentiel de faire savoir au Conseil comment je vois aujourd'hui la situation d'ensemble, du moins dans certains de ses aspects.

En effet, je tiens beaucoup à savoir ce que pense le Conseil, qui a été créé par la Conférence de la FAO en 1947 pour être le principal organe de l'Organisation compétent en matière de questions alimentaires mondiales, expressément habilité à donner son avis sur la mesure dans laquelle les disponibilités alimentaires sont suffisantes. Nous devons nous unir pour faire entendre clairement la voix de la FAO en pareille conjoncture. C'est même pour cela que l'Organisation a été créée.

Les aspects les plus évidents des graves perturbations actuelles sont bien connus. Tout d'abord, dans de nombreuses régions du monde, la disette menace, et cette menace s'est déjà matérialisée dans certains secteurs, par exemple la zone sahélienne en Afrique de l'Ouest. Certains facteurs sont liés à cette menace, encore qu'à des degrés divers: ainsi, les énormes tonnages de céréales achetés par l'Union soviétique, l'épuisement rapide des stocks de réserve mondiaux de céréales, et le fait que, dans la majeure partie du Tiers monde, il a été impossible en 1971 et en 1972 d'accroître la production agricole à un rythme suffisant. En même temps, la hausse des prix s'accélère sensiblement pour des produits agricoles très divers: céréales alimentaires et céréales secondaires, riz, viande, sucre, cacao, bois, coton, caoutchouc naturel, etc.

Pourquoi tout cela se produit-il en même temps ? Y a-t-il une cause générale unique ? S'agit-il d'une série de coïncidences ? Y a-t-il un réel danger de pénurie alimentaire à l'échelle mondiale ? Si oui, ce danger est-il temporaire ? D'une façon plus générale, qu'adviendra-t-il à long terme de l'agriculture mondiale ? Telles sont certaines des questions qui se présentent à l'esprit et que nous analysons constamment. Bien évidemment, on ne saurait répondre à toutes dès maintenant. Mais, pour commencer, on peut essayer d'en isoler certaines.

Pour commencer, voyons le danger d'une pénurie mondiale de vivres. Oui, ce danger existe. Je l'ai dit sans ambages lorsque j'en ai parlé pour la première fois à l'occasion d'une conférence de presse tenue au début de février. Mais, à certains égards, les perspectives ont encore empiré depuis.

J'avais dit alors que l'on n'avait guère lieu de craindre une famine généralisée pour les prochains mois. Ces mois sont maintenant passés, et entre-temps la famine s'est dangereusement rapprochée - en tout cas dans la zone sahélienne et sans doute aussi dans certaines parties d'autres pays pour lesquels nous n'avons toutefois pas de confirmation précise.

J'avais également dit en février que certains signes permettaient d'espérer, surtout parce que l'on voyait s'annoncer des récoltes record aux Etats-Unis et au Canada. Mais les conditions météorologiques rendent cette perspective beaucoup moins sûre. De plus, en Extrême-Orient, la situation alimentaire s'est encore aggravée. Pour ces raisons et pour d'autres encore, il semble évident que le production de blé de 1973 ne suffira pas à satisfaire les besoins minimaux que l'on peut prévoir pour la campagne 1973/74. C'est dire qu'il faudra encore faire une ponction sur les stocks de blé des pays exportateurs qui sont déjà au niveau le plus bas qu'ils aient connu depuis 20 ans. Alors que la population mondiale a augmenté de 50 pour cent pendant cette même période de 20 ans, la marge de sécurité diminuera donc encore pendant la campagne 1974/75.

Pour le riz, il existe déjà un déficit absolu: les disponibilités exportables sont inférieures d'environ 2 millions de tonnes aux besoins d'importation prévus. En outre, la demande de céréales secondaires augmente, et, si la récolte de maïs aux Etats-Unis n'atteint pas les niveaux antérieurement prévus, il est probable qu'un tonnage accru de blé sera consacré à l'alimentation des animaux. Tous ces facteurs déterminent une pression encore plus forte sur les disponibilités de blé.

Si les récoltes devaient encore souffrir sérieusement en Amérique du Nord ou en Extrême-Orient, on risque fort de voir apparaître une pénurie de céréales à l'échelle mondiale. C'est entre maintenant et la fin de septembre que se situe la période critique pendant laquelle nous continuerons à vivre dans une incertitude pleine de crainte, à supposer qu'un désastre soudain ne mette pas brutalement fin à cette incertitude. Mais on reconnaîtra que notre angoisse n'est pas vaine si l'on observe que, alors qu'une réduction marginale de la production prévue dans une grande zone productrice pourrait déterminer un grave déficit à l'échelle mondiale, une amélioration marginale de la production ne suffirait pas à détendre une situation déjà critique.

Les principales causes de cette crise mondiale sont, bien sûr, la sécheresse et le mauvais temps qui ont sévi depuis deux ans. J'ai déjà dit à plusieurs reprises depuis le début de l'année que nous ne pouvons tolérer, nous qui vivons le dernier tiers du XXe siècle, que l'approvisionnement du monde en aliments de base dépende encore presque exclusivement des conditions météorologiques et agricoles d'une seule campagne. C'est pour essayer de corriger cette anomalie que je soumets aux gouvernements une proposition précise à long terme, sur laquelle je reviendrai dans quelques instants. Mais, auparavant, je voudrais poursuivre mon examen de la situation d'ensemble.

Les conditions météorologiques ne sauraient expliquer à elles seules toute la gravité de la situation alimentaire mondiale. Ce n'est pas non plus seulement - permettez-moi de le souligner - la situation actuelle qui suscite de vives préoccupations. En effect, l'agriculture mondiale en général traverse une période extrêmement inquiétante. La situation est fort complexe. Elle tient à la fois à des facteurs nouveaux et à d'autres qui ne le sont pas. Certains de ces facteurs n'auront peut-être d'importance qu'à court terme; d'autres auront des répercussions qui pourront se faire sentir pendant de longues années. Je voudrais, si vous le permettez, évoquer les éléments qui me paraissent les plus importants.

En premier lieu, citons le fait désormais admis que, indépendamment des conditions météorologiques, les pays en développement dans leur ensemble n'ont pas, au cours des dernières années, réalisé dans le domaine de l'agriculture les progrès qui seraient nécessaires et que, tout récemment, certains considéraient, de façon quelque peu prématurée, comme relativement proches grâce à des innovations technologiques comme la mise au point des variétés à haut rendement. Pendant les deux premières années de la deuxième Décennie du développement, la production de ces pays est restée bien en deçà de l'objectif annuel d'accroissement qui avait été prévu. Certaines des causes de cet état de fait pourront se révéler relativement peu durables, comme par exemple les problèmes posés récemment par les prix et les disponibilités d'engrais dans le monde. En outre, s'il est indispensable de redoubler d'efforts en vue d'accroître la production agricole, ces efforts ne sauraient bénéficier d'une priorité si absolue - même dans le secteur agricole - qu'elle entrave la progression amorcée vers d'autres objectifs sociaux connexes tout aussi importants, progression qui est d'ailleurs restée trop timide dans la plupart des cas. Il n'en est pas moins vrai que, face au prodigieux accroissement démographique des pays en développement, la croissance de la production agricole est toujours d'une lenteur inquiétante.

J'ai déjà analysé à de nombreuses reprises les différentes causes de cette lenteur, toutes les difficultés d'ordre technique, économique, social et parfois politique que rencontrent ces pays sans en être eux-mêmes entièrement responsables. Je dois cependant répéter une fois encore que, si les pays en développement ne font pas preuve de bien plus de dynamisme pour apporter des améliorations au secteur agricole, - et si les pays développés ne les aident pas plus largement dans cette tâche qu'ils ne le font à présent - je ne vois malheureusement guère d'espoir que l'agriculture mondiale progresse nettement en stabilité et en prospérité pendant des années trop nombreuses à mon gré.

Toutefois, même compte tenu de l'accroissement démographique continu qui pèse de plus en plus lourdement sur les ressources dans les pays en développement, la croissance insuffisante du secteur agricole de ces pays ne constitue pas un nouveau facteur brusquement apparu et auquel on puisse attribuer le changement de situation qui se dessine dans le monde. Cherchons donc quels sont ces facteurs nouveaux.

L'an d'entre eux est, bien entendu, l'incertitude provoquée par les crises monétaires qui se succèdent depuis deux ans, accompagnées d'une aggravation des pressions inflationnistes dans nombre de pays développés. Certes, les pays en développement sont en fin de compte les plus durement touchés et leurs recettes commerciales sont particulièrement tributaires de leurs exportations agricoles, mais l'agriculture n'est assurément pas seule à pâtir de ces phénomènes. Je voudrais donc maintenant examiner une autre série de facteurs encore plus importants pour comprendre ce qui paraît se passer dans le secteur agricole.

Le fait essentiel est que, depuis une vingtaine d'années, la persistance de stocks excédentaires de céréales dans les grands pays exportateurs a constitué pour le monde une sorte de rempart contre l'adversité. En premier lieu, pour en revenir à la pénurie, l'existence matérielle de ces stocks assurait une réserve de sécurité à l'ensemble du monde. En deuxième lieu - et cette observation intéresse encore davantage mon propos -, ces stocks de céréales (par eux-mêmes et en raison de l'importance des céréales pour l'élevage) ont assuré une relative stabilité de prix aux principaux produits alimentaires de la zone tempérée pendant cette vingtaine d'années.

La situation a désormais changé. Les grands pays exportateurs ont appliqué avec succès des politiques nationales d'aménagement de l'offre pour réduire ces excédents qu'ils considèrent avant tout comme une charge et ils n'ont nullement l'intention de continuer à servir de pourvoyeurs de réserves au monde. En outre, l'Union soviétique a fait une entrée spectaculaire sur le marché mondial. Enfin, on a parlé d'une sécheresse en Chine mais nous ne savons pas quels en seront les effets sur les besoins d'importation de céréales de ce pays l'année prochaine.

Ainsi donc, les excédents ont pour ainsi dire disparu. Il ne faudrait certes pas oublier que, dans le passé, ils ont eu pour effet d'affaiblir sérieusement les marchés. Toutefois les choses sont allées d'un extrême à l'autre: les stocks sont maintenant si bas qu'ils n'offrent plus de protection contre de vastes pénuries comme celles qui se produisent actuellement et ne constituent plus un élément stabilisateur dans la tempête des prix agricoles internationaux.

Je ne prétends pas que les excédents appartiennent désormais au passé. Les Etats-Unis et d'autres pays conservent, bien entendu, une capacité de production supérieure à la demande. Ce qui me semble tout à fait vraisemblable, c'est que, compte tenu d'une part de cet excédent de capacité de production et d'autre part d'une gamme de facteurs comme les conditions météorologiques, les cycles de la demande et les périodes de prospérité de l'industrie qui absorbe alors avidement les matières premières agricoles, le monde devra, au cours des dix prochaines années, traverser, en y faisant face de son mieux, une série de fluctuations des disponibilités de produits agricoles, fluctuations parfois violentes et qu'accentuera encore l'accroissement démographique. Il serait superflu de souligner combien ces fluctuations seraient nuisibles pour presque tout le monde. Elles aggraveraient immensément les difficultés d'une planification méthodique.

Ces perspectives mettent en pleine lumière l'importance générale d'un ajustement agricole international méthodique. Certains pourraient être tentés de penser que la question de l'ajustement perd une partie de son importance dans une crise où, comme à l'heure actuelle, le problème le plus grave n'est plus celui des excédents. Il n'en est rien, car ce point de vue correspond à une conception bien trop étroite de l'ajustement. En effet, l'ajustement doit comporter non seulement une répartition plus efficace des marchés des produits agricoles, mais aussi une variété bien plus grande dans les politiques de production et de commerce, dans les pays développés comme dans les pays en voie de développement, en vue d'une harmonisation générale beaucoup plus poussée des structures de l'agriculture mondiale. Ce n'est que dans la mesure où cette harmonisation se réalisera - et cela ne semble guère se faire à présent - que l'ajustement pourra perdre de son importance.

En tout état de cause, la question générale de l'ajustement sera amplement étudiée à la Conférence. Bornons-nous pour le moment à examiner comment les prix ont d'ores et déjà évolué à court terme. Les multiples hausses des prix agricoles dont j'ai déjà parlé prennent une signification particulièrement inquiétante lorsqu'elles sont ventilées entre produits de la zone tempérée et produits de la zone tropicale. Dans l'ensemble, et sous réserve de quelques exceptions évidentes et parfois formidables comme le prix du beurre dans les pays développés, les prix des produits de la zone tempérée ont augmenté bien plus rapidement que ceux des produits tropicaux.

Cela m'amène à formuler une observation générale sur les répercussions des fluctuations brutales que j'ai envisagées : je veux dire qu'une fois de plus, ceux qui souffrent le plus dans une situation de ce genre sont sans aucun doute les pays en développement. Si certains d'entre eux peuvent tirer temporairement profit de la hausse des prix de quelques produits agricoles, les avantages offerts à l'ensemble de ces pays sont répartis de façon très inégale et, sauf dans le cas tout à fait particulier du pétrole, restent très faibles par rapport aux inconvénients généraux subis. L'instabilité des prix, en particulier dans le cas des produits alimentaires de base, cause de grandes difficultés à l'ensemble des pays en développement en entraînant pour eux non seulement des perturbations économiques mais fréquemment aussi une grave agitation sociale.

Il est parfaitement injuste que les moins favorisées d'entre les nations qui composent la communauté internationale soient toujours appelées à faire les frais des transformations de l'économie mondiale. Surtout dans la personne de leurs consommateurs, de leur peuple. Touchés par la hausse des prix alimentaires, les consommateurs des pays développés sont du moins protégés dans une grande mesure par ces bienfaits de la prospérité générale que sont les augmentations de salaires et la sécurité sociale. Dans les pays en développement, la hausse des prix alimentaires n'apporte au plus grand nombre, en guise de certitude, que celle d'une faim et d'une malnutrition plus cruelles encore.

Monsieur le Président, la situation de l'alimentation et de l'agriculture est actuellement difficile et embarrassante. Sur certains points, il faudra chercher, de manière plus approfondie et plus minutieuse, quelles sont les causes fondamentales de cette confusion et comment y remédier. Dans d'autres domaines, des mesures rapides et énergiques s'imposent.

En ce qui concerne les inégalités fondamentales entretenues ou aggravées par les transformations radicales que connaît actuellement l'agriculture mondiale, j'espère très fermement que, lors des prochaines négociations du GATT, le monde comprendra enfin qu'il lui faut agir. Il est clair qu'on doit adopter des politiques internationales plus rationnelles permettant notamment de stabiliser bien davantage les prix des produits agricoles à travers le monde. Pour ce faire, on peut évidemment multiplier et faire respecter les accords sur les produits. En tout cas, la FAO, tant par son action particulière touchant les politiques de produits que par son travail plus général sur le problème de l'ajustement, doit jouer un rôle de premier plan dans la mise au point des mécanismes qui permettront d'apporter plus d'ordre et d'équilibre à l'exploitation des richesses agricoles.

La présence et la menace des pénuries alimentaires dans de nombreuses régions du monde réclament des mesures qui soient plus rapidement suivies d'effet. Je me suis entretenu officieusement avec plusieurs gouvernements sur la situation générale, que j'ai également signalée à l'attention du Conseil économique et social de l'ONU. Celui-ci a adopté sans opposition le mois dernier une résolution approuvant mon intention de soumettre aujourd'hui au Conseil et ensuite à la Conférence des propositions concrètes visant à faire appliquer le concept de sécurité alimentaire minimale dans le monde. Vous avez été saisis de ma proposition tendant à entreprendre une action internationale pour assurer l'existence de stocks suffisants de denrées alimentaires de base. Je parlerai en détail de cette question lorsqu'elle viendra à l'ordre du jour. Il me suffira de dire que la notion de sécurité alimentaire minimale a non seulement une importance cruciale dans le cadre de l'action entreprise pour combattre les pénuries alimentaires, mais qu'elle a été désignée par le Secrétaire général de l'ONU comme un élément vital dans le concept plus général de sécurité économique collective que l'ECOSOC avait inscrit à son ordre du jour le mois dernier.

J'ajouterai ceci au cours de mes conversations avec les gouvernements des grands pays exportateurs de céréales, j'ai souligné que la situation actuelle, encore incertaine, risque de se dégrader rapidement au point d'exiger une action très prompte. J'ai dit qu'il faudrait donc peut-être commencer à dresser des plans. J'y reviendrai un peu plus longuement lorsque la question des stocks alimentaires viendra à l'ordre du jour.

Enfin, à propos de l'action visant à combattre les pénuries alimentaires, je dirai un mot de notre opération de secours dans la zone du Sahel. Je reviendrai également sur cette question en temps voulu, mais j'indique simplement que la FAO a été chargée de centraliser les efforts entrepris par les Nations Unies pour venir en aide aux pays sinistrés. Pour le moment, bien entendu, nous cherchons surtout à soulager les souffrances, mais ensuite nous collaborerons davantage avec d'autres organisations pour essayer de trouver des solutions aux problèmes à long terme que cette situation d'urgence a mis là brutalement et crûment en lumière.

Abordons maintenant, Monsieur le Président, un sujet entièrement différent: la situation financière de l'Organisation et le Programme de travail et budget pour 1974/75.

Et d'abord, la situation financière de l'exercice. Vous vous souvenez qu'à la dernière session du Conseil j'ai parlé des graves difficultés financières que nous avaient values les modifications des taux de change et l'accélération de l'inflation, qui nous ont contraints à absorber des coûts non prévus au budget de l'exercice et estimés à 6,5 millions de dollars. Pour cela, nous nous sommes imposé des mesures d'économie pour éviter de faire appel au Fonds de roulement. Or, comme vous le savez, les coûts n'ont pas cessé d'augmenter au contraire. En outre, les monnaies ont récemment encore enregistré des fluctuations considérables. Il est impossible de prédire ce qui se passera d'ici la fin de l'année. J'espère encore éviter de devoir recourir au Fonds de roulement en 1973 et c'est pourquoi je surveille constamment la situation.

Le Conseil se rappelle également que la crise financière s'est déclarée au moment où j'avais décidé que l'heure était venue d'appliquer la ferme recommandation de la Conférence, qui avait demandé, à sa dernière session, que l'Organisation revise ses priorités et déplace éventuellement certaines ressources vers les activités hautement prioritaires. Il était en effet important de faire coïncider avec cette opération les économies qui nous étaient imposées par la force des choses. D'où un certain nombre d'ajustements au programme ainsi qu'une rationalisation de la structure du Siège, que le Conseil a approuvée et qui a été appliquée, bien que je soumette, comme vous le verrez, quelques modifications supplémentaires à l'approbation préalable de nos organes directeurs.

Ainsi, les mesures prises avec l'approbation du Conseil en ce qui concerne les économies, les priorités et la rationalisation qui s'impose nous ont permis, malgré de graves difficultés, de maintenir en équilibre le budget du programme ordinaire, et de mettre au point ce que j'estime être un programme plus efficace étant donné nos ressources. J'ajouterai quelques mots sur l'importance du lien entre l'établissement des priorités et la disponibilité des ressources lorsque je parlerai du Programme de travail et budget pour 1974/75. Mais je crains d'avoir à signaler que pour, des raisons qui elles aussi échappent en grande partie à notre action, nous nous trouvons dans une situation extra-budgétaire difficile, notamment en ce qui concerne les frais généraux de l'agent d'exécution.

Comme le Conseil le sait peut-être, la proportion des fonds du PNUD affectés aux projets relevant de la compétence de la FAO a diminué. Quant au volume total du PNUD en termes réels, il s'est à peu près stabilisé. Pour cette raison et pour d'autres encore, comme par exemple les modifications monétaires et l'inflation des coûts, la FAO dépense actuellement beaucoup plus sur les postes financés par les frais de l'agent d'exécution qu'elle ne gagne ou ne peut espérer gagner dans un proche avenir. En outre, nous pouvons être amenés à faire face à certains versements ou remboursements dépendant de conditions actuellement imprévisibles. Au total, nous avons un déficit qui, si l'on ne prend pas de mesures urgentes, dépassera un million de dollars en 1973 et s'aggravera considérablement en 1974. J'ai donc décidé qu'il fallait prendre immédiatement des mesures pour réduire nos dépenses au titre des frais de l'agent d'exécution. Après avoir recouru à certains expédients provisoires, utilisables seulement en 1973, pour réduire les dépenses imputées sur les frais de l'agent d'exécution du PNUD, nous diminuerons de 3 pour cent, à compter du ler juillet, les sommes affectées à l'origine aux divisions pour cette année, soit 6 pour cent pour la deuxième moitié de l'année. Il y aura également une réduction provisoire de 10 pour cent pour 1974.

Ces mesures ont maintenant été annoncées aux divisions. Elles causeront certainement divers problèmes d'ordre pratique, mais sont inévitables dans les circonstances actuelles, et je veux croire que, comme en d'autres occasions difficiles, tous les intéressés collaboreront loyalement et constructivement dans l'intérêt de l'Organisation tout entière. Ce qui est important pour elle, c'est que nous combinions toute compression de personnel qui s'avérerait nécessaire avec un effort déterminé d'efficacité plus grande encore. En fait, toute cette question est étroitement liée aux propositions que je soumets en vue d'une restructuration d'ensemble de nos opérations de terrain. Ces propositions n'ont pas encore suffisamment pris forme pour que je puisse les soumettre à cette session du Conseil. Mais je les présenterai à la prochaine session du Comité du Programme et du Comité financier au début de l'automne, puis à vous-mêmes à votre prochaine réunion.

J'en viens maintenant au Programme de travail et budget pour 1974–75. Conformément à la nouvelle procédure, vous avez été saisis du Sommaire déjà discuté par le Comité du Programme et le Comité financier. Les observations de ces organes vous sont également soumises dans leurs rapports. Ils ont dans l'ensemble approuvé la teneur du Sommaire ainsi que le niveau budgétaire proposé, d'environ 98,9 millions de dollars. Depuis que ce chiffre a été fixé, quelques faits nouveaux se sont toutefois produits, surtout en ce qui concerne les coûts -par exemple le maintien du loyer pour le bâtiment F. La principale adjonction a toutefois trait à l'introduction progressive de la langue chinoise, étant donné que la Chine a repris sa place à l'Organisation le 1er avril. Ces additions, dont le détail vous sera indiqué lorsque vous traiterez du point de l'ordre du jour consacré au Programme de travail et budget, portent le total à environ 101,5 millions de dollars. Je dois toutefois signaler l'éventualité que l'Organisation se voie dans l'obligation de faire face à d'autres dépenses supplémentaires encore, étant donné que le Groupe d'experts des Nations Unies sur les ajustements de poste a tout récemment recommandé qu'au moins 4 classes d'ajustements de poste soient intégrées dans le traitement de base du personnel du cadre organique à compter du 1er janvier 1974. Cette recommandation doit être examinée par l'Assemblée générale dans le courant de cette année.

En plus de ces facteurs, il reste l'incertitude majeure des taux de change. Jusqu'ici, tous nos calculs ont été établis sur la base de 582 lires au dollar. Nous en avions décidé ainsi pour pouvoir comparer les chiffres de l'exercice en cours avec ceux du prochain et aussi à cause de l'incertitude des fluctuations des taux de change entre le moment actuel et le mois de novembre. J'ai l'intention de soumettre à la Conférence un chiffre correspondant à la meilleure estimation que je pourrai faire à ce moment-là du taux à utiliser pour l'approbation du budget. Je prie le Conseil d'en tenir compte dans ses débats sur le budget et sur la question connexe des garanties à prendre pour se prémunir contre toute évolution imprévisible et défavorable de notre situation financière en 1974 et 1975.

Le sommaire du Programme de travail et budget reste bien entendu incomplet à d'autres égards également, justement dans la mesure où il est “sommaire”. Son objet, comme vous vous en souviendrez, est de donner tous les renseignements essentiels sur les politiques, les priorités, les programmes et l'utilisation proposée des ressources - par chapitre et par unité structurelle - pour permettre au Conseil de formuler des recommandations à mon intention comme à celle de la Conférence. Certains aspects seront traités plus à fond dans le courant de cette session, à mesure qu'ils seront abordés dans le cadre de divers points de l'ordre du jour, mais il faudra attendre le texte intégral du Programme de travail et budget - qui sera soumis au Comité du Programme, au Comité financier et au Conseil à leurs sessions d'automne - pour avoir en détail tous les renseignements sur les sous-programmes, les mois/homme de travail, etc.

Il est un autre aspect sur lequel le sommaire du budget ne donne pas de chiffres définitifs: c'est la programmation commune Siège/bureaux régionaux qui a été effectuée plus tôt dans l'année. Comme le Conseil le verra en consultant la section du Sommaire intitulée “Le principe du programme unique”- principe auquelj' attache la plus haute importance et que le Conseil a du reste fait sien à sa dernière session - cette programmation a été extrêmement fructueuse dans la mesure où elle a permis au Siège et aux bureaux régionaux de mieux comprendre chacun les activités programmées des autres et de donner une image plus homogène des activités de toute la FAO sur le plan de l'organisation, de la géographie, des principes et du programme. Il restait toutefois après la parution du Budget sommaire à mettre au point plusieurs détails. Ce travail est maintenant presque achevé et ses résultats seront prochainement incorporés dans le texte intégral du Programme de travail et budget.

Je voudrais également mentionner la question de nos représentants dans les pays. Le nouveau rapport Weisl a maintenant été reçu et, à mon sens, fait une fois de plus la preuve éclatante de la validité du système actuel. Je sais que le Directeur du PNUD prévoit son maintien en 1974, ce qui me confirme dans mon intention, déjà esquissée dans le Sommaire, de prévoir au titre des représentants dans les pays la même allocation pour le prochain exercice que pour l'exercice actuel, sous réserve des augmentations de coût.

Je dois maintenant dire quelques mots de la question extrêmement complexe de la comparaison entre le niveau budgétaire approuvé pour l'exercice en cours et celui qui est proposé pour 1974–75, notamment dans la mesure où il concerne l'augmentation réelle au titre du Programme.

Vous trouverez une analyse exacte de la situation dans le Budget sommaire, simplifié pas le Comité financier dans son rapport, et je ne voudrais pas vous répéter ici les chiffres et les explications qui figurent dans ce texte. Je tiens simplement à préciser que, dans la limite du chiffre global de 101,5 millions de dollars que j'avance, je propose un programme représentant à peu près le même volume d'activité que celui qui avait été approuvé la dernière fois, mais qu'il a fallu réduire dans le cadre de votre effort pour réaliser des économies et transférer les ressources des activités les moins prioritaires à celles qui le sont le plus. Il est donc évident que, si l'ampleur du programme est à peu près la même, les priorités - et par conséquent la valeur réelle du programme - sont différentes.

Quelques mots encore au sujet des priorités. J'espère avoir fait bien comprendre que ce que nous avons fait au cours du présent exercice c'est de combiner l'ingrate tâche consistant à contenir les augmentations de coûts avec un effort positif et créateur de rationalisation des activités et programmes de la FAO pour en améliorer l'efficacité. Pour certains, c'était peut-être là faire de nécessité vertu. Qu'importe. Il me suffit que la vertu, comme la nécessité, soient vues sous leur véritable jour. Le but positif de toute l'entreprise était de créer une structure du programme plus valable pour tout l'exercice 1974–75. En conséquence, il va sans dire que les économies auxquelles nous sommes parvenus ne profiteront pas à des activités antérieures que nous avons réduites et éliminées. Elles sont utilisées, comme je l'ai indiqué, pour réaffectation à des priorités nouvelles ou plus hautes. En outre, j'essaie aussi d'obtenir plus de souplesse, par exemple en prévoyant un recours accru aux experts-conseils plutôt qu'en restant aussi assujetti que par le passé aux postes permanents. Les affectations prioritaires que nous proposons pour le prochain exercice figurent au tableau 6 du Budget sommaire amendé.

J'ai l'intention de poursuivre le travail d'évaluation des priorités que nous avons entrepris dans la présente circonstance. Mais, franchement, notre but principal ne devrait pas être de faire des économies. Si je suis capable de juger correctement des priorités les plus importantes que la FAO doit satisfaire pour rendre service à ses Etats Membres, il est essentiel que nous obtenions des ressources supplémentaires dans la mesure où elles sont manifestement indispensables.

Dans les circonstances présentes, j'ai été obligé de m'en tenir, dans le calcul du niveau budgétaire, à ce que je croyais raisonnable étant donné les actuelles augmentations de coût, augmentations qui en sont venues à représenter un fardeau très lourd. Je crois qu'il serait déraisonnable qu'un Directeur général doive, une autre fois, être gêné par un fardeau aussi excessif lorsqu'il établira des plans mûrement réfléchis pour les activités vitales de l'Organisation.

Cela dit, je persiste à croire que nous sommes arrivés à produire pour 1974/75 un programme et budget qui, à bien des égards, marque un progrès par rapport au passé. Je pense que les délégués en conviendront avec moi quand ils verront non seulement le texte définitif du programme de travail et budget, qui leur apportera toutes les précisions nécessaires, mais aussi notre document sur les objectifs à moyen terme qui sera communiqué au cours de la présente session du Conseil, sans devoir toutefois y être discuté. C'est dans l'optique plus générale du moyen terme que nos plans pour l'exercice prochain trouvent leur perspective véritable qui, je l'espère, apparaîtra très réconfortante.

Monsieur le Président, avant d'achever l'exposé que j'ai l'honneur de faire au Conseil à l'occasion de cette session particulièrement importante, permettez-moi de revenir un moment sur ce que j'ai déjà dit au sujet de la situation préoccupante de l'alimentation et de l'agriculture mondiales. Il doit apparaître évident que, pour des raisons fort peu satisfaisantes en elles-mêmes, la FAO doit être plus que jamais prête à affronter les responsabilités qui lui incombent en tant qu'organisation internationale. Si les diverses nations du monde doivent prendre des mesures résolues et efficaces pour corriger la situation agricole actuelle, il faut qu'elles collaborent plus qu'elles n'ont jamais fait. Et pour cela, elles auront plus que jamais besoin de la FAO. Notre Organisation a été créée pour être un foyer mondial impartial et capable de proposer des initiatives qui profitent à tous les Etats Membres et en même temps pour être une tribune internationale où ils puissent régler leurs problèmes agricoles. Plus que jamais, elle est tenue de se rendre utile. Ayant rappelé le rôle de la FAO comme tribune internationale, permettez-moi, pour conclure, d'adresser la bienvenue habituelle aux distingués délégués observateurs ici présents. Puis-je, au nom de tout le personnel de la FAO, saluer très particulièrement les observateurs de la République populaire de Chine qui siègent ici pour la première fois depuis que la Chine a accepté l'invitation de la Conférence la priant de reprendre sa place à l'Organisation. Il y a quelque chose de solennel et aussi d'enthousiasmant à penser que nous comptons désormais parmi nous les représentants de la plus grande nation du monde, environ 750 millions d'hommes, dont la lutte pour une existence meilleure a été au cours des dernières années un des miracles de notre temps. Je suis sûr que la Chine peut offrir à la FAO bien des choses d'une singulière valeur, à commencer par le fait que sa présence parmi nous apporte une contribution immense à l'idéal d'universalité, qui est essentiel si l'on veut pouvoir dire en toute vérité que l'Organisation sert le monde entier.

Je vous remercie.


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