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UN CADRE POLITIQUE POUR LE PROGRAMME DE LUTTE CONTRE LA FAIM2


60. On ne répètera jamais assez que les investissements proposés au titre du Programme de lutte contre la faim n’auront l’impact escompté sur la faim et la pauvreté que si des politiques appropriées sont déjà en place. Celles-ci garantiront l’efficacité des ressources publiques mobilisées pour lutter contre la faim et la pauvreté, ainsi que l’utilisation durable de la base de ressources. Un environnement politique favorable est une condition essentielle pour le succès du Programme de lutte contre la faim, car il est indispensable pour attirer les flux d’investissements privés nécessaires pour compléter l’investissement public et permet aux populations souffrant de la faim et de la pauvreté de réaliser pleinement leur potentiel de développement. La section ci-après présente le consensus qui se dégage actuellement parmi la communauté internationale travaillant pour le développement sur les politiques qui doivent sous-tendre l’action sur les deux fronts. Il faut souligner qu’il est indispensable d’élaborer des plans et cadres relatifs aux politiques à l’échelon national, afin de garantir la responsabilisation des pays vis-à-vis de ces politiques et afin d’établir des bases favorisant l’appui des donateurs.

61. Le nouveau consensus pose comme conditions nécessaires de la croissance économique l’attention aux marchés et aux signaux donnés par les marchés, ainsi que la discipline et la stabilité macroéconomiques. Il reconnaît en outre que: i) l’attention aux marchés et à la stabilité macro-économique, tout en étant nécessaire, n’est pas une condition suffisante pour assurer la croissance économique; et ii) la croissance économique en elle-même ne conduit pas forcément à une réduction importante et rapide de la pauvreté et de la faim. Pour que la croissance soit durable et favorable aux pauvres, il faut mettre en place des politiques et des institutions visant à améliorer le capital humain et à élargir son potentiel, à améliorer l’accès aux ressources productives, à promouvoir la création et l’adaptation de connaissances et de technologies profitant aux plus pauvres et à faciliter l’accès de ces derniers aux marchés. La qualité et la transparence de la gouvernance et de l’administration publique, une approche participative de la conception et de la mise en œuvre des politiques à tous les niveaux, et un engagement en faveur de l’égalité entre les sexes sont les principaux éléments d’un cadre politique favorable aux plus pauvres. Celui-ci inclura aussi des filets de sécurité sociale conçus spécialement à l’intention des segments de la population les plus vulnérables.

62. La présente section décrit, pour commencer, les politiques internationales et intérieures appropriées avant d’énoncer les principes clés qui doivent guider l’action dans les cinq domaines d’investissement prioritaires identifiés au titre du Programme de lutte contre la faim.

Créer un environnement international propice à la réduction de la pauvreté et de la faim

63. Pour que les pays en développement tirent pleinement avantage de leur intégration dans l’économie globale, il faut agir aux niveaux international et national. Les institutions de gouvernance mondiale peuvent créer un environnement plus favorable à l’agriculture des pays en développement en encourageant la paix et la stabilité, en assurant la fourniture de biens publics mondiaux, comme la réduction de la volatilité monétaire et financière, en instaurant un système commercial multilatéral réglementé et en appliquant des accords environnementaux internationaux qui encouragent le développement durable.

64. La libéralisation des échanges agricoles peut apporter une précieuse contribution au développement rural et à la lutte contre la faim. Toutefois, les avantages d’un commerce plus libre ne profiteront pas automatiquement aux pays. De nombreux pays en développement ont besoin parallèlement de politiques et de programmes qui aident à accroître la productivité agricole et à améliorer la qualité des produits et le fonctionnement des institutions commerciales pour renforcer leur compétitivité sur les marchés nationaux et internationaux. Les mesures proposées dans le Programme de lutte contre la faim peuvent apporter une importante contribution à la réalisation de cet objectif.

65. L’Accord sur l’agriculture adopté à l’issue des négociations commerciales multilatérales du Cycle d’Uruguay, qui offre la promesse d’un système de commerce des produits agricoles transparent et fondé sur des règles, a été accueilli favorablement dans l’ensemble par les pays en développement. Ces derniers craignent toutefois que dans son application pratique cet Accord n’ait des effets déséquilibrés. Ils soutiennent également que ses règles les freinent dans leur recherche de la sécurité alimentaire et les empêchent de soutenir leur propre agriculture, tout en en faisant trop peu pour dissuader les pays développés de subventionner et de protéger la leur.

66. L’Accord vise essentiellement à réduire le soutien accordé par les pays à l’agriculture nationale, plutôt qu’à promouvoir la sécurité alimentaire en tant que telle. Néanmoins, il a une incidence sur la sécurité alimentaire. Ainsi, l’abaissement des droits de douane sur les denrées alimentaires importées, tout en se traduisant par une diminution des recettes pour les vendeurs nets de produits alimentaires (par exemple pour les propriétaires terriens), entraîne parallèlement un fléchissement des prix pour les acheteurs nets de produits alimentaires (comme les ruraux sans terre ou les citadins pauvres) et pourrait ainsi promouvoir la sécurité alimentaire.

67. L’Accord n’exclut pas le soutien à l’agriculture nationale, mais cherche plutôt à limiter les aides qui faussent les échanges, comme les droits de douane et certaines formes de soutien. Un tel soutien est admis dans la plupart des cas, pour les pays en développement, jusqu’à hauteur de 10 pour cent de la valeur de la production agricole. Toutefois, ces pays manquent généralement des ressources nécessaires pour tirer véritablement parti de cette disposition et ne sont pas en mesure d’augmenter leurs droits de douane sur les produits alimentaires sans de sérieuses conséquences pour leurs populations démunies. En revanche, les pays développés jouissent, dans la pratique, d’une plus grande souplesse car ils ont les moyens d’accorder des subventions et peuvent augmenter les droits sur les produits alimentaires sans trop de conséquences.

68. Les investissements proposés au titre du Programme de lutte contre la faim n’impliquent aucune forme de soutien à l’agriculture susceptible de fausser les échanges. Les investissements dans l’infrastructure rurale, la recherche ou les programmes alimentaires en faveur des affamés, abaissent tout simplement les coûts de production en général ou donnent à la population d’un pays les moyens de participer de façon productive à la vie active et aux échanges commerciaux, et ne contreviennent donc pas aux dispositions de l’OMC en matière de soutien interne. En réalité, les subventions aux intrants et à l’investissement accordées aux producteurs à faible revenu et dotés de ressources limitées, sont spécifiquement exemptées de la discipline.

69. Il est important pour les pays en développement de savoir que plus leur infrastructure, leurs institutions, leurs capacités de recherche et de développement seront développées, et plus les profits qu’ils tireront du commerce seront élevés. Pour prendre l’exemple de l’infrastructure, les frais de transport et d’assurance représentent pour un tiers des pays africains plus de 25 pour cent de la valeur totale des exportations. Les investissements dans le Domaine prioritaire 3 proposé dans le présent document devraient permettre d’améliorer l’infrastructure de transport et de commercialisation dans les pays en développement tout en renforçant la sécurité sanitaire des aliments, au profit d’une compétitivité générale accrue.

70. Il est cependant naturel de s’interroger sur la durabilité de l’accroissement de la production intérieure qui dérive de ce programme d’investissements et des réformes stratégiques associées, face à la concurrence exercée par les producteurs et exportateurs de produits agricoles bénéficiaires de subventions et de mesures de protection dans d’autres pays et surtout dans les pays développés. Ces mesures de soutien ont deux effets négatifs pour les exploitants agricoles des pays en développement. Tout d’abord, elles rendent difficile la concurrence à l’importation. Ensuite, elles font fléchir les exportations. Il devient ainsi difficile pour ces exploitants agricoles de gagner leur vie.

71. La thèse avancée ici est que les investissements proposés renforceront la capacité des exploitants agricoles des pays en développement de soutenir la concurrence exercée par leurs contreparties dans les pays développés. Par ailleurs, une réduction des formes de soutien à l’agriculture ayant des effets de distorsion sur les échanges devrait favoriser le développement de ce secteur dans les pays en développement, malgré des coûts d’ajustement à court terme dont il faut bien entendu tenir compte. Cette question fait actuellement l’objet d’un examen approfondi dans le cadre des négociations multilatérales de Doha. Les points importants de ces négociations pour les pays en développement sont notamment les suivants:

Si la nécessité de normes régissant la sécurité sanitaire des aliments est largement acceptée, le niveau de rigueur fait souvent l’objet d’un débat scientifique. La Banque mondiale, par exemple, estime que l’application uniforme des normes du Codex Alimentarius par les pays développés concernant la contamination par les aflatoxines, au lieu des nombreuses normes autonomes actuellement appliquées, déterminerait une augmentation de 50 pour cent des exportations de céréales et de fruits à coque en provenance de 31 pays, dont 22 pays en développement, vers les marchés d’Australie, d’Europe, du Canada et du Japon, sans aucun impact grave sur la santé publique. Ces pays sont souvent dépourvus des moyens nécessaires pour satisfaire aux normes de produits et aux exigences en matière d’étiquetage et ont besoin d’investissements considérables pour pouvoir s’y conformer. Les investissements prévus au titre du Domaine prioritaire 3 du Programme de lutte contre la faim apportent une solution directe à ce problème.

De nombreux pays en développement bénéficient d’un accès préférentiel au marché. Toutefois, les règles d’origine très strictes qui sont appliquées dans ce domaine ont considérablement réduit l’efficacité de ces mécanismes et d’importantes améliorations s’imposent.

72. Les dispositions actuelles concernant les subventions et les mesures de protection doivent être jugées compte tenu des besoins de développement tels qu’ils sont reconnus. Dans le cadre des négociations commerciales internationales, les pays en développement devraient également prendre des mesures afin de réduire leurs propres obstacles tarifaires aux importations d’autres pays, en particulier des pays en développement. Non seulement une telle forme de soutien nuit aux consommateurs (notamment lorsqu’il s’agit de produits alimentaires), mais elle affaiblit également la compétitivité à l’exportation du pays et il ne faudrait donc y recourir qu’après un examen attentif.

73. Le démarrage en 2001 des négociations commerciales multilatérales du Cycle de Doha a fait naître l’espoir que les problèmes de développement et de sécurité alimentaire des pays en développement seraient pris en compte. Malheureusement, au moment de la rédaction du présent document, l’avenir du Cycle de Doha se révèle incertain à la lumière de l’échec de la Conférence ministérielle de Cancún.

74. Pour améliorer leur compétitivité, tant au niveau international que sur les marchés intérieurs, et les moyens d’existence des populations démunies souffrant de la faim, les pays en développement, notamment les plus pauvres, auront besoin d’une assistance extérieure. Dans ce contexte, les annonces de contributions faites par les principaux donateurs au cours de la Conférence internationale sur le financement du développement en vue d’accroître l’aide publique au développement (APD) sont encourageantes. Il est particulièrement urgent de renverser la forte tendance à la baisse de l’APD en faveur du développement agricole et rural.

Adopter des politiques intérieures favorables à la lutte contre la pauvreté et contre la faim

75. L’importance pour le développement agricole et rural et la réduction de la pauvreté de politiques macroéconomiques saines ne saurait être surestimée. Bien qu’il ne soit plus question, semble-t-il, de fixer des objectifs macroéconomiques rigides, comme dans les années 80 et une grande partie des années 90, nul ne conteste que l’efficacité des réformes agricoles dépend, dans une large mesure, de l’engagement des gouvernements à assurer la stabilité macroéconomique à long terme. Des politiques macroéconomiques stables et prévisibles encouragent l’épargne et l’investissement, découragent la fuite des capitaux et incitent le secteur privé à cibler ses efforts sur l’efficacité plutôt que d’anticiper et de réagir aux chocs macroéconomiques.

76. Bien que de nombreux pays en développement aient compris l’importance de la stabilité macroéconomique, les crédits budgétaires alloués à l’agriculture et au développement rural demeurent désespérément insuffisants. Une augmentation substantielle des crédits budgétaires est le seul moyen de lutter contre la faim et la pauvreté et de réaliser le potentiel de l’agriculture qui est l’épine dorsale de l’économie.

77. La formulation et l’application des politiques devraient reposer sur un processus auquel les pauvres seraient invités à participer, et qui impliquerait les organisations de la société civile et le secteur privé, de façon à élargir le consensus sur les objectifs et à renforcer les moyens d’action. Cela faciliterait également la mobilisation des capitaux privés à l’appui d’une réduction durable de la faim et de la pauvreté. La décentralisation administrative et fiscale permet aux plus démunis d’avoir leur mot à dire dans les décisions qui les concernent. Les pouvoirs publics peuvent aussi améliorer le fonctionnement des marchés en adoptant des lois et règlements qui garantissent une concurrence loyale, l’accès des pauvres aux marchés et le respect des normes sanitaires, phytosanitaires et environnementales.

78. L’agriculture étant un domaine où les risques sont élevés, il faut aussi concevoir des instruments qui répondent aux besoins des plus vulnérables en matière de gestion des risques. Ainsi, les marchés devraient offrir aux populations rurales des services financiers qui leur permettent d’épargner, de prêter et d’emprunter de manière plus efficace.

79. Enfin, les politiques en matière d’économie rurale doivent tenir compte des preuves qui démontrent de plus en plus et de plus en plus souvent que l’agriculture ne suffit pas à assurer les moyens d’existence des familles rurales, d’où l’importance des activités rurales non agricoles qui permettent aux pauvres d’échapper à la pauvreté et font partie intégrante de leurs stratégies de gestion des risques et de survie. Les politiques et les institutions doivent chercher à développer l’infrastructure rurale et les compétences en matière de gestion d’entreprises et à assurer des marchés équitables et ouverts aux petites entreprises rurales.

Politiques concernant les domaines prioritaires du programme de lutte contre la faim

80. Il est question, dans les paragraphes ci-après, des politiques directement associées aux cinq objectifs prioritaires en matière d’investissement.

81. Améliorer la productivité agricole des communautés rurales pauvres. Dans ce domaine prioritaire, l’accent doit porter sur le renforcement de la capacité des communautés rurales, notamment les plus pauvres et les plus vulnérables, à s’organiser et à jouer un rôle actif dans tous les domaines touchant à leurs moyens d’existence. Cela devrait conduire à la mise au point et à l’adoption de technologies adaptées aux besoins des ruraux pauvres.

82. Les associations de petits agriculteurs et les organisations de communautés rurales associées à des organisations de la société civile peuvent contribuer à résoudre certains des problèmes les plus graves auxquels sont confrontés leurs membres, mais aussi la population en général. Ces problèmes incluent les difficultés d’accès au capital naturel, financier et humain, ainsi qu’aux technologies appropriées, le manque d’activités rémunératrices, le coût élevé des opérations commerciales et le manque d’accès aux marchés, à l’information, aux communications et à d’autres biens publics comme les services sanitaires et l’assainissement.

83. Une action collective et coordonnée permet au processus politique de répondre plus directement aux besoins des communautés et de leurs membres, prévient les abus de pouvoir en matière d’établissement des prix des produits agricoles et des intrants fournis par les gros acheteurs et vendeurs, permet aux producteurs de profiter des économies d’échelle considérables liées à l’achat d’intrants et à la commercialisation des produits et facilite l’échange d’informations et l’accès au crédit. Le rôle de ces partenariats et coalitions est d’autant plus important que les gouvernements ont tendance à ne plus assurer les services de commercialisation et de crédit.

84. Mise en valeur et conservation des ressources naturelles. A quelques exceptions près, les possibilités d’utiliser davantage de ressources naturelles pour la production agricole (notamment les ressources en terres et en eaux) sont limitées. La seule option viable est l’intensification durable, c’est-à-dire l’accroissement de la productivité des terres, des ressources en eaux et des ressources génétiques, d’une façon qui ne compromette pas la qualité et la capacité de production future de ces ressources. L’environnement politique doit assurer la durabilité de l’intensification et faire en sorte que les populations en tirent profit.

85. L’élaboration d’informations de base sur les ressources naturelles renouvelables est nécessaire pour pouvoir en suivre l’évolution dans le temps. Des outils facilitant la prise de décisions par les agriculteurs locaux devraient être élaborés dans le cadre d’une approche participative de la mise en valeur et de la conservation des ressources naturelles.

86. En ce qui concerne l’eau, la principale question politique est la concurrence croissante entre la demande d’eau pour l’agriculture et les autres utilisations de l’eau (domestique, industrielle et écosystème). Dans la mesure où l’agriculture est, de loin, la plus grande consommatrice d’eau, l’utilisation efficace de l’eau est la condition préalable indispensable à l’expansion des disponibilités pour d’autres usages. Les pays doivent donc trouver un équilibre approprié entre l’agriculture pluviale améliorée et l’irrigation intensive, de façon à améliorer le potentiel agricole tout en assurant la sécurité alimentaire et en réduisant la pauvreté des populations. Les politiques en matière d’utilisation de l’eau pour l’agriculture doivent comporter des incitations à une plus grande efficacité et signaler la rareté de l’eau aux utilisateurs. Des droits transparents, stables et transférables en matière d’utilisation de l’eau, attribués à des utilisateurs individuels ou à des groupes d’utilisateurs, contribueraient sans aucun doute à améliorer l’efficacité et l’équité de la distribution.

87. En ce qui concerne les terres destinées à l’agriculture, la principale question est celle de l’accès à la terre et du droit foncier (propriété individuelle ou communautaire, fermage et droits à l’utilisation à plus long terme), suivie de l’amélioration des pratiques de gestion des terres et de l’investissement dans la fertilité des sols dans une perspective à long terme. Assurer l’accès à la terre contribuerait de manière significative à son utilisation durable. Dans ce contexte, il est particulièrement important de renforcer les droits des femmes en matière de propriété et d’héritage fonciers. Les politiques doivent reconnaître la complexité des systèmes fonciers existants et des arrangements officiels ou autres concernant les droits fonciers. Elles devraient tenir compte de l’impact de la mortalité accrue de la génération productive dans les zones rurales du fait de l’épidémie de VIH/SIDA et de ses effets potentiels sur l’utilisation des terres et les droits d’héritage.

88. Pour garantir l’accès actuel et futur à la diversité des ressources génétiques utiles pour l’alimentation et l’agriculture, il convient d’agir aux niveaux international et national. En ce qui concerne la conservation et l’utilisation durable des ressources phytogénétiques, le cadre politique est fixé dans le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture et dans le Plan d’action mondial de Leipzig. Toutefois, les mesures figurant dans le traité doivent être intégrées dans les programmes nationaux de développement agricole et rural. Il convient d’établir un cadre réglementaire approprié pour la diffusion des variétés et la distribution des semences qui facilite les synergies entre les systèmes semenciers public, privé et informel. En ce qui concerne les ressources zoogénétiques, les cadres réglementaires internationaux et nationaux restent encore à élaborer de façon à orienter les politiques nationales.

89. En ce qui concerne les pêches, la question critique est l’accès aux stocks naturels de poissons lorsque les captures, notamment marines, ont atteint ou dépassent les limites raisonnables. Le respect des limites en matière d’accès aux stocks de poissons suppose que les gouvernements et les communautés de pêcheurs se partagent les responsabilités en matière de prise de décisions concernant l’utilisation des ressources halieutiques. Au cours des années 90, plusieurs accords mondiaux ont été conclus pour assurer une gestion des pêches de capture marines qui garantisse la conservation et l’utilisation durable des écosystèmes marins. Parmi ces accords figurent le Code de conduite pour une pêche responsable, adopté par la Conférence de la FAO en 1995, et l’Accord des Nations Unies sur les stocks de poissons de 1995, qui est entré en vigueur fin 2001.

90. En matière de foresterie, les politiques et les institutions doivent déterminer la valeur des ressources et évaluer tous les avantages qu’en tirent les membres de la société, de façon à les intégrer dans la prise de décisions concernant l’utilisation et la conservation des ressources forestières. Les politiques doivent encourager la participation des principales parties prenantes à la planification et à la gestion des forêts. Dans de nombreux cas, les politiques en matière d’accès aux forêts et de gestion forestière manquent de transparence, notamment au niveau des responsabilités. Les institutions, tant nationales qu’internationales, doivent renforcer leur coordination de façon qu’il soit tenu compte des avantages non marchands associés aux forêts, comme la biodiversité, la fixation du carbone et la protection des bassins versants. Il est important également que les politiques de gestion forestière tiennent compte du fait que les ressources forestières jouent un rôle régulateur dans la sécurité alimentaire des membres de la société les plus pauvres.

91. Extension de l’infrastructure rurale et élargissement de l’accès aux marchés. En matière d’infrastructure, les politiques doivent surtout remédier à l’abandon relatif des communautés rurales pauvres. Si la participation du secteur privé à la construction de l’infrastructure et à l’offre de services peut être un gage d’efficacité et permettre de mieux répondre aux besoins pris dans leur ensemble, elle peut aussi signifier que les régions agricoles les plus pauvres resteront sous-desservies. Le secteur public doit conserver un rôle actif dans la construction des infrastructures utiles aux plus pauvres, comme les routes secondaires ou rurales. Les politiques doivent encourager la décentralisation et la participation des communautés à la planification, à l’exécution, au maintien et au financement de l’investissement dans l’infrastructure, de façon que l’offre de services corresponde à la demande et soit viable, tout en envisageant diverses formes de partenariat entre le secteur public et le secteur privé.

92. Le renforcement de l’accès au marché suppose qu’il existe des cadres politiques, législatifs et réglementaires coordonnés, conformes aux obligations internationales en matière de sécurité sanitaire des aliments et de santé des animaux et des végétaux. Des politiques doivent être adoptées et appliquées, notamment dans les pays où la contamination des denrées alimentaires et les maladies végétales et animales sont endémiques. Les partenariats privé-public sur toute la chaîne de production, de l’offre à la certification et aux services, et des approches souples en vue d’améliorer progressivement le respect des normes internationales constituent un bon moyen de renforcer l’accès aux marchés internationaux.

93. Renforcer les capacités de production et de diffusion des connaissances. L’action politique doit viser à garantir que les pauvres tirent profit du progrès technologique (dans les domaines de l’agriculture, de l’information, de l’énergie et des communications). Cela est particulièrement vrai pour les zones au potentiel agroécologique limité, qui sont en général négligées par la recherche commerciale privée. Un financement public est nécessaire pour élaborer des options technologiques adaptées à ces régions.

94. Les politiques doivent promouvoir des options technologiques qui répondent aux deux objectifs de la productivité agricole et de la durabilité écologique. A court terme, la recherche doit être axée sur l’identification et la suppression des obstacles à l’adoption de pratiques permettant une utilisation optimale des technologies existantes, notamment l’agriculture biologique, l’agriculture de conservation et la lutte intégrée contre les organismes nuisibles. De nouvelles technologies sont nécessaires pour les zones souffrant de pénuries de terre, d’eau ou de main-d’œuvre ou de problèmes particuliers de sol ou de climat. Des technologies économes en main-d’œuvre doivent être promues pour remédier au déficit de main-d’œuvre des ménages dirigés par des femmes et affectés par le VIH/SIDA lorsque leur situation est le principal obstacle à une agriculture diversifiée et durable. Un consensus se dégage en faveur d’une approche participative de la conception et de la production des technologies. Les organisations d’agriculteurs, les associations et groupements féminins et d’autres organisations de la société civile peuvent promouvoir les partenariats nécessaires entre agriculteurs et scientifiques, de façon à ce que les options technologiques soient adaptées à la demande et pertinentes. Les politiques nationales devraient faciliter l’établissement de liens fonctionnels entre la recherche, la vulgarisation, l’enseignement et les communications.

95. Assurer l’accès à la nourriture des personnes les plus démunies grâce à des filets de sécurité et à d’autres programmes d’assistance directe. Les politiques dans ce domaine doivent s’inspirer, entre autres, des droits de l’homme. Il faut pour cela qu’il existe des informations identifiant de manière précise qui sont les personnes souffrant de la faim et où elles se trouvent. La FAO et le Programme alimentaire mondial (PAM) peuvent aider les gouvernements à cibler leurs efforts grâce au Système d’information et de cartographie sur l’insécurité alimentaire et la vulnérabilité (SICIAV) et à l’Analyse et cartographie de la vulnérabilité (ACV).

96. Les programmes visant à fournir une assistance directe aux populations souffrant de la faim ne peuvent être efficaces que si les gouvernements nationaux ont les moyens de faciliter la livraison de cette assistance. Cela suppose un environnement politique national favorable à la création de filets de sécurité sociale, qui peuvent être mis en place en coopération avec des organisations de la société civile. Les politiques de filets de sécurité sociale ciblées sur la réduction de la faim devraient tenir compte de la vulnérabilité particulière à la malnutrition des femmes et des enfants aux étapes critiques de leur vie, et favoriser la création et la mise en œuvre de programmes d’alimentation des mères et des enfants, de sensibilisation aux questions de santé et de nutrition et d’alimentation scolaire.

97. L’accès à la nourriture dépend dans une large mesure de l’engagement national et de politiques pertinentes en matière d’égalité entre les sexes et de droits des femmes. Au niveau des ménages, le statut des femmes est la principale variable à prendre en compte pour réduire la malnutrition.

98. Enfin, l’engagement politique du gouvernement et du secteur privé est indispensable pour que l’assistance humanitaire internationale garantisse l’accès à la nourriture en période de confit et de crise.

La faim dans les villes

99. Dans le monde en développement, les populations pauvres et affamées vivent pour la plupart dans les zones rurales et continueront à le faire jusqu’en 2015, voire au-delà. Etant donné que le Programme de lutte contre la faim s’intéresse avant tout aux mesures à prendre d’ici à 2015, il est naturel que l’accent soit mis sur la faim en milieu rural. Néanmoins, au vu de la croissance rapide des populations urbaines, le problème de la faim dans les villes ne doit pas être négligé: la Division de la population des Nations Unies estime qu’à partir de 2020 les populations urbaines seront en nombre égal ou supérieur à celles des zones rurales. Sur les 2,2 milliards de personnes qui devraient venir s’ajouter à la population mondiale entre 2000 et 2030, 2 milliards trouveront place dans les agglomérations urbaines du monde en développement. Les données d’enquête sur la pauvreté et la sous-alimentation infantile montrent que le nombre absolu des individus pauvres et sous-alimentés vivant en milieu urbain a augmenté dans de nombreux pays, tout comme la part urbaine de la pauvreté et de la sous-alimentation en général.

100. Les populations pauvres des villes sont trop largement tributaires du secteur informel pour l’emploi et le revenu, et pourvoient généralement à leur approvisionnement alimentaire par des achats sur le marché. Dans certains cas, l’agriculture urbaine peut fournir aux ménages des moyens d’existence et les vivres dont ils ont besoin, surtout dans les zones à vocation rurale englobées dans les villes.

101. Le recours des ménages urbains aux aliments précuits ou vendus sur la voie publique, se traduit généralement par des régimes alimentaires plus riches en sucres et en matières grasses que ceux des ménages ruraux, contribuant ainsi à accroître l’incidence de l’obésité et des maladies non transmissibles dans les villes, sachant notamment que les citadins ont un mode de vie souvent caractérisé par un faible niveau d’activité physique. Part ailleurs, le surpeuplement et un environnement malsain (pollution atmosphérique, installations sanitaires insuffisantes, eau potable de qualité médiocre) peuvent contribuer à augmenter la prévalence des maladies transmissibles, même si les villes tendent à être dotées de meilleures structures médicales.

102. Mesures à prendre face à l’insécurité alimentaire en milieu urbain. L’élaboration de politiques et de programmes centrés sur la sécurité alimentaire urbaine est facilitée par le fait que ces mesures a) visent une population bien plus concentrée sur le plan géographique, b) peuvent s’appuyer sur un réseau de services publics (éducation, santé) généralement plus développé et plus ramifié que dans les campagnes, et c) peuvent compter sur des réseaux d’organisations de la société civile et d’ONG plus efficaces et en mesure de faire le pont entre les mesures publiques et celles du secteur privé. En même temps, en raison du nombre élevé des activités auxquelles les pauvres participent, la portée des politiques sectorielles visant spécifiquement à améliorer leurs moyens d’existence est plutôt limitée. En règle générale, les politiques en matière de sécurité alimentaire urbaine appartiennent à deux grandes catégories: i) celles qui renforcent et protègent les moyens d’existence des pauvres et ii) celles qui visent directement à améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle.

  1. Politiques visant à améliorer et à préserver les moyens d’existence en milieu urbain. Offrir aux populations urbaines qui souffrent de la faim la possibilité d’améliorer leurs moyens d’existence signifie soutenir les activités productives auxquelles elles prennent part, surtout celles qui requièrent une main-d’œuvre non qualifiée (travaux publics, bâtiment, petit commerce et menus services). Améliorer le fonctionnement des marchés urbains en renforçant l’infrastructure et les institutions commerciales permettra de réduire les coûts de transaction et facilitera la participation des populations urbaines pauvres aux marchés.

    Améliorer la gouvernance et mettre fin à la corruption revêt une grande importance compte tenu de la dépendance des pauvres à l’égard du secteur informel dans les villes. Des enquêtes menées par la Banque mondiale auprès des pauvres ont révélé que la corruption et le harcèlement par la police comptent parmi leurs principaux sujets de plainte.

    Réduire les obstacles à la création et à l’expansion légales de petites entreprises est particulièrement efficace. La transformation de droits informels sur des biens en des droits légaux, en trouvant peut-être le moyen de délivrer des titres sur des terres jusque-là détenues d’une manière informelle, promet de débloquer de grandes quantités de capitaux préexistants, mais qui ne peuvent être utilisés d’une manière productive, par exemple en nantissement de prêts destinés à des activités de production. Cette politique peut être aussi une source de revenus pour les autorités municipales moyennant l’introduction d’une légère redevance sur la délivrance des certificats de propriété.

    Des dispositifs de protection sociale efficaces, comme les subventions alimentaires et sanitaires, les transferts de fonds et l’assistance aux chômeurs, peuvent être essentiels pour préserver les moyens d’existence des populations pauvres des villes qui sont fortement tributaires de l’économie parallèle. Il est donc important de veiller à ce que ces bienfaits ne soient pas réservés qu’à ceux qui constituent la face visible de l’économie.

    D’après les estimations, l’agriculture urbaine et périurbaine intéresse 800 millions de citadins dans le monde entier et procure près de 15 pour cent des aliments consommés dans les zones urbaines. La culture maraîchère peut apporter une contribution importante aux moyens d’existence dans les villes car les légumes peuvent être cultivés sur de petites parcelles en utilisant des eaux usées tandis que la vente de ces produits permet aux pauvres de financer l’achat d’autres denrées alimentaires. Les légumes constituent également une précieuse source de vitamines et d’oligoéléments. L’agriculture périurbaine est aussi une source importante de viande, de lait et d’œufs. Toute expansion de l’agriculture entrera en concurrence pour la terre avec les logements, l’infrastructure et autres aménagements urbains. Les politiques visant à promouvoir l’agriculture urbaine devront également concilier leurs avantages potentiels avec les coûts qu’elles comportent pour l’environnement et la santé.

  2. Soutien direct pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle dans les villes. Les politiques et les programmes destinés à réduire l’insécurité alimentaire dans les villes doivent en considérer la nature et les causes principales. Un aspect important est la qualité et la salubrité du régime alimentaire. Les ménages urbains, et en particulier les ménages urbains pauvres, font un large recours aux aliments vendus sur la voie publique et aux produits précuits, allant souvent jusqu’à dépenser pour cela un tiers de leur revenu. Cela est dû à la fois au fait que les pauvres ont un accès limité aux combustibles et au fait que l’achat d’aliments précuisinés fait gagner du temps, ce qui a un coût d’opportunité élevé dans les agglomérations urbaines. La forte teneur en matières grasses et en sucres de ces aliments peut favoriser l’obésité et faciliter la propagation de maladies non transmissibles.

    Des mesures doivent être prises pour traiter les causes des régimes alimentaires malsains au lieu de tenter directement de les décourager (par le biais de la réglementation ou de la taxation). Par exemple, dans la mesure où les populations urbaines pauvres ont recours aux aliments vendus sur la voie publique par manque de combustible, des politiques visant à améliorer leur accès à ces combustibles seraient plus efficaces. Dans le même ordre d’idées, sachant que les aliments vendus sur la voie publique sont préparés et servis dans des conditions moins hygiéniques que les repas cuisinés chez soi, les politiques devraient chercher à améliorer la sécurité sanitaire et la qualité des aliments achetés. Cela peut être fait par des activités d’éducation et de formation à la manipulation hygiénique des aliments, par une action de sensibilisation et par le biais de programmes d’enrichissement des produits alimentaires. Dans la mesure où les aliments précuits ne sont pas sains, il est nécessaire de promouvoir le dialogue avec les industries alimentaires, en soulignant l’importance d’un apport réduit en graisses saturées, d’une consommation accrue de fruits et de légumes et d’un étiquetage efficace des produits alimentaires. Des mesures visant à encourager la commercialisation et la production de produits plus sains sont également nécessaires. Aux interlocuteurs du monde de la publicité, des médias et du spectacle, il s’agit de rappeler l’importance de messages clairs et sans ambiguïté destinés aux enfants et aux jeunes.

    Un meilleur accès à une eau réellement potable est essentiel pour réduire l’incidence des maladies transmises par l’eau. Dans de nombreux pays en développement, les quartiers les plus pauvres des villes ne sont approvisionnés en eau potable que pendant un laps de temps très bref au cours de la journée, ce qui contraint les pauvres à se procurer de l’eau auprès de vendeurs privés ou bien à s’en passer. Une raison commune est la tarification inadéquate de l’eau qui prive les municipalités de ressources. Une solution possible au problème de l’accès insuffisant à l’eau est d’introduire un système de tarification à deux paliers, prévoyant une redevance réduite voire nulle pour un volume minimum raisonnable d’eau, puis une taxation croissante pour les quantités en excès. Un meilleur accès à l’eau doit être associé à des solutions pratiques pour améliorer l’hygiène (par exemple, se laver les mains avant de manipuler les aliments, mesure qui s’est avérée être étonnamment efficace). Les programmes de vaccination et d’immunisation pour les enfants sont une mesure de santé publique vitale et sont essentiels pour améliorer l’utilisation des aliments. Malheureusement, ils font souvent défaut dans les villes du monde en développement.

    Enfin, des mesures doivent être prises pour réduire le fardeau des dépenses que les pauvres doivent supporter pour le transport et les communications. Les frais de transport sont les plus lourds. Les populations urbaines pauvres vivent bien souvent dans les quartiers périphériques des villes et doivent parcourir de longues distances pour aller travailler ou s’approvisionner. L’importance d’offrir aux pauvres un système de transport public efficace et de promouvoir les points de vente de proximité dans les zones où ces populations résident, ne peut être exagérée. Ni celle d’assurer des services de télécommunications bon marché car ils tendent à rendre l’utilisation des moyens de transport publics moins nécessaire.

103. Conclusion. L’insécurité alimentaire dans les villes est un problème qui s’aggrave rapidement dans le monde en développement. Les politiques qui cherchent à apporter une solution à ce problème, doivent tenir compte du caractère précaire des moyens d’existence urbains d’une part, et d’autre part de la saignée sur les bourses des pauvres que produisent les coûts de transport et de communication, le poids des maladies transmissibles et non transmissibles et leur dépendance à l’égard des aliments précuits. L’absence de politiques bien conçues risque de lever un lourd tribut en termes de perte d’années de vie économiquement productive, d’affaiblissement continu de la croissance économique et de la productivité nationale, et d’augmentation des dépenses de santé. Il existe également des interactions importantes entre l’insécurité alimentaire rurale et urbaine. Une lutte plus efficace contre la faim et la pauvreté dans les zones rurales devrait permettre de mettre un frein à l’exode rural et de réduire ainsi la prévalence de la faim dans les villes.

Figure 2
Engagements d’APD en faveur de l’agriculture, de 1988 à 1999

Note: L’agriculture au sens étroit englobe: la production agricole et animale, les terres et les eaux, les intrants et les services agricoles, les pêches et la foresterie. L’agriculture au sens large inclut tous les éléments ci-dessus, ainsi que la recherche, la formation et la vulgarisation, plus la fabrication des intrants agricoles, la protection de l’environnement, les agro-industries, le développement rural, et l’infrastructure et la mise en valeur des régions et des fleuves.

Ce graphique montre l’évolution de l’aide extérieure accordée à l’agriculture à des conditions de faveur, de 1988 à 1999 (prix de 1995). Les chiffres correspondent aux engagements des donateurs, et font apparaître une diminution brutale de l’APD au cours de cette période. La chute est plus forte pour le secteur agricole pris au sens étroit. Les baisses des flux d’aide à des conditions de faveur au secteur agricole pris au sens large, ont été limitées, principalement à cause du poids accru de la protection de l’environnement, de la recherche, de la vulgarisation et de la formation, du développement rural et de l’infrastructure, dans les flux totaux de l’aide à des conditions préférentielles à l’agriculture.


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