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ANNEXE 5
Fabrication d'aliments pour poissons en Tunisie

par

K. Chow

1. Enquête sur les ingrédients utilisés dans la fabrication d'aliments pour poissons et sur l'industrie des aliments pour poissons

Etant donné le temps limité dont on disposait, il n'a pas été possible d'effectuer une enquête détaillée et complète sur les ingrédients convenant à la fabrication des aliments pour poissons. Néanmoins, les visites rendues à divers organismes des secteurs privé et public qui s'occupent de la fabrication ou de l'utilisation de ces produits ont permis de recueillir un volume considérable de renseignements sur les disponibilités générales en matières premières d'emploi courant et sur les possibilités de préparation d'aliments pour poissons à partir de certains déchets industriels. Les visites à des services officiels directement concernés par l'utilisation du poisson et de la production de farine de poisson se sont révélées particulièrement utiles car elles ont fourni d'importantes informations sur un produit que l'on continue à juger indispensable pour élever avec succès des espèces carnivores telles que les bars et les daurades.

Dans le présent rapport, on insiste surtout sur la mise au point de régimes alimentaires appropriés pour l'élevage de trois espèces (mulet, bar et daurade), mais le même travail devra être effectué pour tilapia et les carpes. Quelques exemples de régimes qui pourraient être expérimentés avec ces espèces figurent également en appendice.

1.1 Poisson de rebut et farine de poisson

1.1.1 Disponibilités

Les entretiens avec le haut fonctionnaire de l'ONP responsable du marché de gros du poisson à Tunis ont indiqué que 15 à 35 tonnes de poisson sont mises à terre chaque jour à La Goulette où l'ONP a sa halle de débarquement principale. Cet apport représente un cinquième à un quart du total des quantités débarquées dans le pays. Selon les estimations, le poisson de rebut représente quatre pour cent des quantités débarquées à La Goulette. En admettant que ce chiffre soit représentatif de la composition moyenne de l'ensemble des mises à terre, la quantité de poisson sans valeur disponible chaque année peut atteindre 2000 tonnes. Ce poisson est vendu au prix de 33 dinars tunisiens la tonne.

Il existe dans le pays quatre usines de fabrication de farine de poisson, dont deux appartiennent au secteur public et deux au secteur privé; leur capacité totale de transformation est de 60 tonnes de matières premières par jour. Sur la base des estimations précédentes des débarquements quotidiens actuels de poisson de rebut, il semblerait que cet apport ne représente que le dixième de la quantité nécessaire pour que les usines fonctionnent à pleine capacité et, de fait, il y en a une seule dans ce cas: elle se trouve à Mahdia et elle est exploitée par l'ONP. Il s'agit d'un ensemble productif entièrement automatisé, où aucune intervention humaine n'est nécessaire depuis l'introduction de la matière première jusqu'à la production de la farine de poisson.

La capacité de transformation atteint 35 tonnes de matière première par jour. Au moment de la visite, l'usine n'utilisait pour la réduction en farine que les têtes et les entrailles de thons et de sardines refusées par les conserveries. Elle ne fonctionnait donc que de façon intermittente. Un stock important de farine de poisson invendue se trouvait dans l'entrepôt. Aucun antioxydant n'avait été ajouté au produit.

Une deuxième fabrique de farine de poisson a été visitée à savoir l'installation privée Nouira Sadoch. La production avait été interrompue depuis presque un an car il n'y avait pas de demande du produit. Le procédé de fabrication utilisé était plus ancien. La matière première était d'abord cuite à la vapeur, puis mise à sécher au soleil et enfin réduite en poudre avec un marteau-pilon. Aucun antioxygène n'était ajouté au produit fini. A l'époque de la visite, les sardines étaient traitées de manière analogue, mais sans subir de broyage. Le poisson séché était mis en sacs et expédié dans le sud du pays aux fins de la consommation humaine. Comme dans le cas précédent, l'entrepôt de l'usine contenait plus de 350 tonnes de farine de poisson invendue. Les sardines fraîches étaient achetées au prix de 75 millimes le kilo.

Selon les indications données, la plus forte production annuelle atteinte pour la farine de poisson a été de 1 000 tonnes. Une quantité d'huile de poisson allant jusqu'à 750 litres par jour pouvait également être obtenue comme sous-produit. Aucun marché n'a encore été trouvé pour celle-ci, mais elle pourrait servir pour la fabrication de rations alimentaires destinées à l'aquaculture.

1.1.2 Utilisation actuelle

Le principal débouché qui existait jadis pour le poisson de rebut était l'industrie de la farine de poisson. Ce produit était traditionnellement destiné à l'industrie nationale des aliments pour animaux et à l'exportation vers l'Allemagne de l'Ouest.

Au cours des cinq dernières années, l'industrie des aliments composés s'est rapidement développée. Indépendamment des résidus de meunerie, le pays a exploité quelques autres sources de matières premières pour appuyer cette expansion et, par suite, l'industrie des aliments composés est devenue tributaire des importations de céréales fourragères (principalement maïs) et de suppléments protéiques végétaux (principalement farine de soja). Le pays n'importe pas de farine de poisson. Les importations précitées sont fortement subventionnées par le gouvernement qui s'efforce de développer rapidement l'industrie animale. La subvention pour la farine de soja, par exemple, est de 60 millimes par kilo, pour un prix à l'importation de 180 millimes. Le coût de la farine de soja pour l'industrie des aliments pour animaux n'est donc que de 120 dinars la tonne, contre 180 dinars pour la farine de poisson de production locale. Celle-ci ne serait pas considérée comme excessivement chère en comparaison si sa qualité était égale à celle de la farine de poisson péruvienne (teneur minimale en protéines: 65 pour cent), mais elle est en fait très inférieure. Selon les indications données, le meilleur produit local ne contient pas plus de 52 pour cent de protéines, ce qui rend son utilisation plus onéreuse que celle de la farine de soja. Un autre problème en ce qui concerne la qualité a été la contamination par les bactéries Salmonella.

Au moment de la visite, la farine de poisson n'était pas utilisée pour la production industrielle d'aliments pour animaux. On estimait à 1 000 tonnes la quantité de farine de poisson invendue accumulée dans les entrepôts des deux usines de l'ONP et de l'usine privée qui ont été visitées. L'importateur ouest allemand avait aussi temporairement cessé ses achats en raison du prix relativement élevé de ce produit de médiocre qualité en comparaison avec ceux d'autres origines.

L'effondrement du secteur de la farine de poisson peut donc être attribué à deux facteurs: a) le subventionnement des importations de farine de soja par le gouvernement et, b) l'absence de normes de qualité pour le produit. Si la farine de poisson locale pouvait soutenir la concurrence de la farine de soja, on estime que les besoins annuels s'élèveraient à 6 000 tonnes 1.

Quoiqu'il n'existe pas de demande pour le moment, les conserveries de thon et de sardine du secteur public continueront de produire des quantités limitées de farine de poisson. Il est toutefois probable que l'approvisionnement en poisson de rebut continuera de diminuer. Les quantités actuellement débarquées sont achetées en vue de la préparation d'aliments pour animaux sur les exploitations agricoles et en vue de la consommation humaine.

1 D'après Langar Ferid, ONP

1.1.3 Utilisation pour l'aquaculture

Deux des trois espèces sélectionnées aux fins de l'aquaculture intensive, à savoir le bar et la daurade, sont carnivores. Pour les élever avec succès avec une alimentation artificielle, il reste indispensable que leur nourriture contienne du poisson comme principale source de protéines. Celles-ci peuvent être fournies sous la forme de farine de poisson ou de poisson de rebut. Le second est disponible entre avril et août, et il peut être utilisé à Monastir pendant cette période de l'année. Les disponibilités peuvent aussi être fonction des prix offerts aux pêcheurs qui les ramènent. Pendant le reste de l'année, on peut employer de la farine de poisson pour compléter les quantités de poisson de rebut dont on dispose.

Pendant la période de l'expertise-conseil, trois aliments en granulés de type humide ont été préparés avec succès en utilisant une combinaison de poisson de rebut et d'ingrédients secs tels que son de blé, farine de soja et aliments composés pour poulet, et ils ont été expérimentés à Salambô et à Ghar El Melh pour déterminer leur acceptabilité pour le bar, la daurade et le mulet. La composition des rations alimentaires et les détails de leur préparation sont indiqués à l'appendice II.

1.2 Autres aliments pour animaux de type courant utilisables pour l'aquaculture

Le pays importe la plus grande partie des matières premières utilisées dans la fabrication des aliments pour animaux. Les deux principales sont le maïs et la farine de soja. Ces importations sont complétées avec des produits locaux, à savoir farine de graine de coton, sous-produits de l'orge et du blé, en particulier le son de blé qu'il est apparu possible de se procurer en quantités considérables pour un prix relativement peu élevé (40 dinars tunisiens la tonne). On n'utilise guère d'autres aliments pour animaux. En raison des problèmes soulevés par la farine de poisson de production locale, la farine de soja est pratiquement le seul supplément protéique employé par l'industrie des aliments composés. Des acides aminés synthétiques importés, en particulier de la méthionine, sont utilisés pour assurer aux aliments formulés la qualité protéique souhaitée.

Il y a beaucoup d'autres matières premières qui pourraient servir à fabriquer des aliments pour animaux. Les principales sont les déchets d'abattoir et les résidus de la très importante industrie de l'huile d'olive. Pour le moment, il n'existe pas d'installations pour l'extraction de farine de viande et de farine de sang à partir des carcasses des animaux de ferme et des déchets d'abattoir. Depuis quelques années, l'industrie de la volaille s'est également beaucoup développée: on estime à 50 000 tonnes la production annuelle de poulets, qui permettrait elle-même celle d'une bonne quantité de farine de plumes.

L'extraction de l'huile d'olive donne lieu à la principale industrie agricole à vocation exportatrice du pays. Elle traite chaque année quelque 500 000 tonnes d'olives. Le procédé actuellement utilisé consiste à broyer le fruit entier, noyaux compris, avant d'en extraire l'huile: le résidu contient par conséquent une quantité considérable de matières fibreuses inutilisables par les animaux à estomac simple, notamment le poisson. Le tégument broyé du noyau permet apparemment d'obtenir l'action abrasive nécessaire pour libérer l'huile solidement retenue dans la matrice fibreuse de la pulpe. Il existe un plan pour la construction d'une usine pilote où la matière tégumentaire provenant du noyau sera séparée de la pulpe après l'extraction de l'huile. L'opération sera coûteuse, mais en fournissant au moins 50 000 tonnes de pulpe elle permettra au pays de réduire considérablement ses importations de céréales fourragères, d'autant plus que ces dernières sont actuellement destinées à l'alimentation des ruminants.

A peu près 35 000 tonnes de bière sont fabriquées chaque année dans le pays. Plus de 1 000 tonnes de résidus solides de brasserie pourront être récupérées, dont la plus grande partie pourra être employée comme matière première pour fabriquer des aliments destinés au bétail ou aux poissons.

1.3 L'industrie tunisienne des aliments composés

Cette industrie a pris naissance assez récemment. La première usine qui utilise une technologie de broyage de deuxième génération, a été mise en service à Tunis il y a quinze ans et elle est l'une des deux qui ont été visitées. Jusqu'en 1981, elle était la propriété de l'Office de céréales et elle était administrée par lui. Depuis, sa gestion ainsi que celle d'une autre usine du secteur public ont été transférées à la Société nationale de l'aliment. Le secteur public compte en tout 21 usines plus petites d'aliments pour animaux, et le secteur privé n'en possède pas moins de 50, grandes et petites.

La production nationale totale d'aliments composés pour animaux a été de 500 000 tonnes en 1980, dont 70 000 tonnes imputables aux usines du secteur public. Les deux usines gérées par la Société de l'aliment sont les plus importantes et en 1981 leur production a été de 50 000 tonnes. La plus grande partie de la production est destinée aux ruminants, les aliments pour volaille ne représentant qu'à peu près 15 pour cent du total. Une usine du secteur public qui a été visitée dans le village de Bordj El-Amri produisait uniquement des aliments pour ruminants; quoique plus petite que celle de Tunis, elle avait le même niveau technologique.

L'industrie des aliments pour animaux est fortement tributaire des matières premières importées. Les principales matières premières utilisées sont le maïs, la farine de soja, le son de blé et l'orge. On se sert probablement aussi d'autres ingrédients tels que la farine de poisson et la farine de graines de coton produites sur place, quoique ce n'ait pas été le cas dans les deux usines visitées. Les autres ingrédients importés sont les prémélanges de vitamines et de substances minérales, et les acides aminés synthétiques l-lysine et dl-méthionine. Ainsi qu'il a été expliqué sur les lieux, la grande usine de Tunis n'utilise pas actuellement de farine de poisson car elle coûte relativement plus cher que la farine de soja dont l'importation est subventionnée par le gouvernement. En outre, la grande variabilité de la teneur en protéines de la farine de poisson locale fait qu'il est difficile de maintenir la qualité des produits obtenus avec une telle matière première, spécialement lorsqu'il n'existe pas dans l'usine même les moyens de laboratoire nécessaires pour le contrôle qualitatif. En outre, les nouveaux administrateurs sont circonspects et avant tout soucieux de reconquérir la clientèle après l'échec de la gestion antérieure. Ils estiment que le meilleur moyen d'y parvenir est d'assurer à leur production une qualité constante. Toutefois, mention a été faite de l'utilisation future de matières premières jusqu'ici inexploitées telles que la mélasse, les déchets de brasserie et les sous-produits d'abattage.

L'usine de Tunis et celle de Bordj El-Amri possèdent toutes deux l'équipement voulu pour fabriquer des aliments en granulés. Celui de l'usine de Tunis était en cours de réparation et il était hors de fonctionnement depuis longtemps. L'usine de Bordj El-Amri produisait des granulés de 4 mm destinés à l'alimentation des veaux. L'équipement pourrait également être utilisé pour la fabrication de granulés submersibles pour poissons.

Après une étude des opérations des deux usines d'aliments pour animaux et après conversation avec l'administrateur de la plus grande des deux à Tunis, il est apparu que les usines du secteur public au moins sont disposées à coopérer avec l'ONP et à produire en quantités commerciales des aliments destinés à l'aquaculture, le cas échéant. Les formules de composition et les spécifications relatives à ces produits devront leur être communiquées, car l'industrie des aliments pour animaux ne possède pas encore de compétences techniques en matière de nutrition des poissons.

2. Aliments utilisables en aquaculture

2.1 Méthodes actuelles d'alimentation du poisson dans les établissements du secteur public

Aucune des trois stations piscicoles d'Etat visitées n'a entrepris de recherches dans le domaine de l'alimentation. Les stocks de poisson sont nourris avec ce dont on dispose sur le moment et qui peut aller de la nourriture vivante naturelle, telle que les artémias et les daphnies, distribuée aux alevins de bar et de daurade, aux aliments pour poulet et au couscous distribués aux juvéniles. Le couscous est un produit de transformation du blé, populaire en Tunisie.

2.1.1 Station expérimentale de l'INSTOP à Salambô

La plus grande partie des poissons de la station expérimentale se trouvait dans un réservoir en béton. Il s'agissait de mulets adultes et de juvéniles de bar et de daurade. Ils étaient nourris avec une pâtée pour poulets contenant 21 pour cent de protéines, fabriquée par la Société nationale de l'aliment à Tunis. Cette pâtée était d'abord mélangée avec de l'eau pour en faire une pâte, puis jetée aux poissons à l'heure du nourrissage. A l'époque de la visite, la station ne possédait pas d'équipement pour la fabrication de rations alimentaires.

2.1.2 Ecloserie de l'INSTOP à Ghar El Melh - El Ouaer Ali

Les poissons étaient installés dans des réservoirs en béton de forme rectangulaire. Les alevins de bar et de daurade étaient nourris d'artémias et de daphnies pendant les 45 premiers jours, après quoi leur alimentation consistait en tissu musculaire de poisson de rebut, distribué cinq fois par jour. Avec ce régime, les juvéniles âgés de sept mois avaient une longueur de 5 à 6 cm. Indépendamment de cette mauvaise croissance, on a signalé un taux de mortalité élevé jusqu'au troisième ou quatrième mois.

L'équipement utilisé pour la fabrication des rations consistait en deux hachoirs à viande pouvant être utilisés pour fabriquer des aliments en granulés du type humide. L'un de ces hachoirs a été employé par le consultant pour préparer des rations expérimentales à Salambô.

2.1.3 Projet de pisciculture de l'ONP à Monastir

Seulement deux étangs de 0,5 ha étaient empoissonnés, l'un avec des mulets et des bars, l'autre avec des mulets et des daurades. Les poissons étaient nourris avec tous les produits les moins chers qu'il était possible de se procurer.

Quoi que la possibilité d'un approvisionnement en poisson de rebut entre avril et août ait été signalée, rien n'indiquait que cet article soit utilisé au moment de la visite. L'alimentation des sujets consistait en déchets d'une minoterie et en couscous impropre à la consommation humaine. Ces produits étaient distribués à raison de 80 kilos par jour pour les deux étangs (contenant environ une tonne de poisson). Il est clair que ce régime était insuffisant, en particulier pour le bar et la daurade qui sont carnivores.

Pour la préparation des produits de rebut destinés au nourrissage des sujets, le projet dispose d'un grand hachoir actionné par un moteur à essence. Au moment de la visite, cet appareillage n'était pas utilisé parce que le moteur était en panne. Un examen plus attentif a également montré que le hachoir était équipé d'une roue à couteaux ne permettant pas de réduire efficacement le poisson. La filière n'était pas assez épaisse et le diamètre des trous (20 mm) était trop grand. Pour que cet équipement puisse fonctionner convenablement il faudra réparer ou remplacer le moteur et remplacer la roue à couteaux par une autre de conception mieux adaptée. Il faudra également des filières à trous de plus petit diamètre (5 mm pour le hachage et 2 à 4 mm pour les granulés extrudés).

2.2 Nourrissage des mulets, des bars et des daurades

Si la nourriture vivante telle que les artémias et les daphnies représente un bon régime alimentaire pour le fretin de ces trois espèces, il peut être très difficile de la produire et de se la procurer en quantités suffisantes pour l'élevage sur une grande échelle. L'emploi exclusif de tissu musculaire de poisson pour l'alimentation des sujets, sans un appoint convenable de substances minérales (spécialement calcium) et de vitamines, pourrait avoir été l'une des principales causes de la mauvaise croissance des alevins et des juvéniles. La mise au point d'aliments artificiels bien équilibrés, en utilisant comme ingrédient principal le poisson de rebut disponible, devrait permettre d'améliorer la production de juvéniles à l'écloserie de Ghar El Melh.

Le nourrissage d'espèces carnivores telles que le bar et la daurade avec des rations à faible teneur en protéines à base d'aliments pour poulets et de graines fourragères n'est pas une pratique agréée dans l'aquaculture de ces espèces. Même les mulets requièrent une alimentation contenant davantage (et de meilleures) protéines qu'il n'y en a dans les seules céréales en grains. Pour améliorer la croissance et l'utilisation des aliments, il faudrait que ces poissons reçoivent des rations équilibrées ayant une teneur appropriée en protéines: jusqu'à 40 pour cent pour le bar et la daurade et 30 pour cent pour le mulet.

2.2.1 Aliments en granulés de type humide

Au cours de l'expertise-conseil, on s'est efforcé de démontrer au personnel de contrepartie la possibilité pratique de formuler et de préparer des rations alimentaires satisfaisant aux trois critères principaux pour les régimes utilisés en aquaculture, à savoir que ces rations doivent être: a) satisfaisantes sur le plan nutritionnel, b) stables à l'eau et c) d'un emploi économique.

Etant donné que l'on peut se procurer tout au long de l'année du poisson de rebut et/ou des déchets des conserveries de thon et de sardine, les démonstrations ont englobé la préparation d'aliments en granulés du type humide. Trois des régimes dont l'emploi a été démontré contenaient du poisson de rebut et deux n'en contenaient pas. Leur composition était la suivante 1:

  1. aliment pour poulet associé à du poisson de rebut: convient pour le mulet, le bar et la daurade;

  2. poisson de rebut associé à du son de blé: convient pour les juvéniles de bar et de daurade;

  3. poisson de rebut associé à du son de blé et à de la farine de soja: convient pour les alevins et les juvéniles de bar et de daurade;

  4. aliment pour poulet: convient pour le mulet;

  5. aliment pour poulet cuit à la vapeur: convient pour le mulet.

Les régimes i), ii) et iii) ont été expérimentés à Salambô et à Ghar El Melh. Les régimes ii) et iii) ont été particulièrement bien acceptés par le bar et la daurade. Le régime i) a été apprécié par les grands juvéniles de mulet.

2.2.2 Coût des aliments utilisables en aquaculture

En admettant que dans l'avenir les régimes utilisés pour l'aquaculture des trois espèces consistent principalement en ingrédients disponibles sur place et que le coût des aliments représente 60 pour cent du coût total de la production, la viabilité économique de ce type d'alimentation dépendra dans une large mesure du coût du poisson de rebut: celui-ci augmentera naturellement avec l'augmentation de la demande à cet usage. Le poisson de rebut, qui peut être actuellement obtenu au prix de 33 millimes le kilo, pourra encore être utilisé de façon rentable à celui de 50 millimes 2 pour la fabrication de rations alimentaires équilibrées à l'intention des deux espèces de plus haute valeur marchande, à savoir le bar et la daurade.

Etant donné que les aliments représentent le principal élément des coûts (entre 40 et 60 pour cent du coût total du produit) en aquaculture intensive, un aliment sec de bonne qualité ne devrait pas revenir à plus du cinquième du prix qui pourra être obtenu de la vente du poisson et un aliment semi-humide de qualité analogue à plus du dixième. Il ressort du tableau présenté à l'Appendice 2a que le prix de revient des deux régimes (2 et 3) évalués pour le bar est inférieur à 70 millimes le kilo (coût de fabrication inclus). Dans ces conditions, la recette du pisciculteur doit être d'au moins 700 millimes par kilo de poisson vendu pour que l'opération soit profitable. Le prix actuel de vente au détail pour le bar, qui est de 4,00 dinars tunisiens le kilo, indique de fortes marges bénéficiaires pour l'élevage de ce poisson.

1 On trouvera à l'Appendice 2 des détails sur la composition et les méthodes de préparation
2 Voir Appendice 2

3. Resumé des conclusions et recommandations

Le fonctionnement de l'écloserie de bar de l'INSTOP à Ghar El Melh et du projet ONP à Monastir se heurte à de graves problèmes, notamment celui de l'alimentation des stocks de poisson. Dans le passé, les autorités ne se sont pas suffisamment intéressées à cet aspect critique de la pisciculture. Les alevins et les juvéniles de bar et de daurade élevés à l'écloserie de L'INSTOP à Ghar El Melh avaient une croissance ralentie et accusaient des taux de mortalité élevés parce qu'ils recevaient une nourriture à la fois inadaptée et insuffisante. De même, au projet de l'ONP à Monastir, par suite de l'approvisionnement insuffisant en aliments de types convenables et de l'arrêt de fonctionnement de l'équipement servant à préparer les rations, les poissons n'ont pas été nourris comme il le fallait pour assurer leur croissance. Les installations de la station expérimentale de l'INSTOP à Salambô ne permettent pas encore la conduite des expériences voulues en vue de mettre au point des régimes alimentaires appropriés utilisables à Ghar El Melh et à Monastir. On ne dispose pour le moment à Salambô d'aucun équipement pour la préparation de rations.

Une enquête sur les aliments pour animaux a montré que, bien que l'industrie nationale soit fortement tributaire des importations des matières premières principales telles que le maïs et la farine de soja, des ingrédients d'origine locale tels que du poisson de rebut (et même de la farine de poisson) et du son de blé sont actuellement disponibles pour l'aquaculture. La possibilité de se procurer du poisson de rebut et de la farine de poisson à cet usage s'explique par le fait que le gouvernement subventionne les importations de farine de soja, si bien que les usines d'aliments pour animaux ont intérêt à utiliser cette dernière plutôt que la farine de poisson. Les conserveries de l'ONP à Monastir produisent également des déchets qui peuvent être utilisés comme ingrédient dans des aliments pour poissons.

Des études ont également montré qu'il est possible de préparer à partir des ingrédients disponibles des rations alimentaires satisfaisant à trois critères importants pour une utilisation réussie en aquaculture, à savoir la stabilité à l'eau, l'acceptation par le poisson et l'économie. Leur rentabilité devra être évaluée dans le cadre d'essais comparatifs d'alimentation judicieusement conçus. Ces essais pourront être effectués à Salambô lorsque les canaux en cours de construction seront prêts. Les résultats des expériences permettront d'atteindre deux buts importants:

  1. faire entreprendre par le personnel scientifique de l'Institut des recherches sur la nutrition des poissons, en vue de déterminer les besoins nutritifs d'espèces commercialement importantes utilisables en aquaculture dans diverses conditions d'aménagement et d'environnement;

    et

  2. mettre au point des régimes alimentaires économiques, à base d'ingrédients disponibles sur place, qui puissent être utilisés pour assurer le succès de la production aquacole.

Pour que la station expérimentale de l'INSTOP puisse travailler à la mise au point de rations alimentaires il faudra lui fournir des installations et un équipement appropriés, et mettre à sa disposition des compétences techniques en matière de nutrition des poissons. Le projet de pisciculture à Monastir aura besoin de l'équipement voulu pour préparer en grandes quantités les rations destinées à l'expérimentation en étangs ainsi qu'à la production piscicole.

Etant donné qu'il n'y a pas de nationaux qualifiés dans les domaines de la nutrition des poissons et de la mise au point de régimes alimentaires pour poissons, un expert international devra être recruté pour aider au démarrage du programme et pour former un noyau de nationaux aux fins de poursuivre le travail ainsi que de fournir aux projets d'aquaculture le personnel qualifié dont ils pourront avoir besoin.

APPENDICE I

Composition d'aliments pour animaux utilisés en Tunisie 1

Aliment% de matière sèche
Protéines brutesMatières grasses brutesFibre bruteCendreEEN 2Millimes/kg 3
Blé16.92.0  2.81.876.4  NP 4
Couscous 512.71.0  0.40.485.4  NP
Son de blé17.04.411.77.059.9  40
Maïs (E.-U.)10.94.5  2.41.480.8  55
Orge13.92.2  5.62.675.7  80
Farine de soja (E.U.)50.91.3  6.56.734.6120
Tourteau de graines de coton44.05.012.16.632.3  NP
Farine de poisson55.08.0-30.0  -180
Poisson de rebut70.05.4 1.117.0    6.5  33
dl-méthionine98.000002 400
Sel (fin)       34
Sel (gros)       31
DCP     150
CaCo3       23

1 Exception faite de la farine de poisson et du poisson de rebut, les chiffres sont fondés sur ceux indiqués dans la littérature; les chiffres relatifs au poisson de rebut concernent les sardines

2 Extrait exempt d'azote

3 Pour la farine de soja et le maïs, les prix indiqués sont les prix subventionnés

4 Aucun prix n'a été indiqué

5 La composition est supposée identique à celle du gruau de blé. Le couscous a été fourni gratuitement au projet à Monastir

APPENDICE II

A. Composition et évaluation des aliments en granulés du type humide qui ont été préparés1

Régime No     
Composition, %12345
Pâté pour poulets50--5555
Poisson de rebut505555--
Son de blé-4522.5--
Farine de soja--22.5--
Eau---4545
Suppléments222--
Quantité préparée, kg20.9     0.9    1.0    1.0
Teneur estimative en humidité, %45   48.5   48.55555
Teneur estimative en protéines, %
(sur la base du produit sec)
3230422323
Coût de la matière première par kg d'aliment préparé
(millimes de dinars tunisiens)
   81.5     43.15     59.15   66.0   66.0
Coût par kg, sur la base du produit sec
(millimes de dinars tunisiens)
14984115133133

1 Les constituants secs de chaque régime ont été envoyés à une installation de meunerie en vue d'un broyage fin. Le poisson de rebut a été broyé à l'état congelé, en utilisant un hachoir de 0,5 CV muni d'une filière de 4 mm. Les rations alimentaires ont ensuite été préparées comme suit:
Régime 1
Des portions de pâté pour poulet additionnées de vitamines et de poisson de rebut ont été pesées en proportion convenable et mélangées manuellement (avec une louche) dans un seau de plastique jusqu'à obtenir un produit ayant la consistance d'une pâte. L'opération de mélange a été achevée en faisant passer la pâte une fois dans le hachoir équipé de la filière de 4 mm.
Pour finir, les granulés ont été obtenus en faisant passer une deuxième fois le produit dans le hachoir équipé d'une filière de 3 mm.
Régimes 2 et 3
Mêmes opérations que pour le régime 1.
Régime 4
Mêmes opérations que pour le régime 1, à ceci près que l'eau qui précédemment était déjà présente dans le poisson de rebut a été ajoutée directement à la préparation.
Régime 5
Il a été préparé à partir du régime 4, le produit étant cuit à la vapeur pendant 15 minutes avant la production des granulés.

2 Pour des raisons de commodité, la composition préparée a été additionnée après le broyage d'un mélange de vitamines à usage humain, à raison de un comprimé (dose quotidienne pour l'homme) par kilogramme de produit. Le coût de l'adjonction de mélanges vitaminés du type utilisé pour l'alimentation animale est estimé à 5 millimes par kilogramme de granulés humides. Pour un aliment de type humide dans la composition duquel entre du poisson de rebut, la nourriture préparée devrait être complétée par des vitamines aux doses suivantes (par kilogramme):

Vitamine A  4 000 i.u.
Vitamine D3     750 i.u.
Hydrochlorure de thiamine  2.5 mg
Riboflavine12.5 mg
Pantothénate de calcium40.0 mg
Niacine30.0 mg
Inositol40.0 mg
Pyridoxine  4.0 mg
Biotine  0.025 mg
Acide ascorbique50 mg
Vitamine E25 mg

Evaluation de régimes expérimentaux

a) Propriétés physiques:

A l'exception du No. 4, tous les régimes se sont révélés d'une bonne homogénéité et stabilité à l'eau.

La durabilité dans l'eau était accrue lorsque les rations étaient préalablement mises à sécher. La préparation la plus stable dans l'eau était le No. 5, ce qui était prévisible puisque la cuisson entraîne une gélatinisation totale de l'amidon contenu, donnant à celuici des propriétés adhésives. Pour les espèces autres que les crustacés, on ne juge pas nécessaire que la stabilité dans l'eau dépasse 5 à 10 minutes.

b) Acceptation par le poisson:

Les poissons ont été nourris avec des rations des types 1, 2 et 3 à Salambô. Les rations du type 1 ont également été administrées aux poissons de Ghar El Melh.

Les régimes 2 et 3 ont été extrêmement appréciés par la daurade (et peut-être aussi par le bar, mais le poisson n'est pas monté assez près de la surface pour être observé directement). Les mulets (de 15 à 20 cm) ont accepté très volontiers le régime l. La taille des granulés ne devrait cependant pas dépasser 3 mm. Les alevins et les juvéniles de bar et de daurade ont aussi assez bien accepté ce régime. Le fait que les régimes 2 et 3 contiennent davantage de poisson de rebut et pas du tout de céréales pourrait être une des raisons de leur préférence par les espèces carnivores.

Le moment de l'ingestion des granulés était fonction de leur taille ainsi que de l'espèce de poisson. Les petits juvéniles (4–6 cm) de bar et de daurade ont immédiatement accepté des granulés humides de 3 à 4 mm de long. Les poissons plus grands ont accepté des granulés plus grands. Par ailleurs, on a observé que les mulets juvéniles et adultes n'ingéraient pas immédiatement les granulés s'ils n'avaient pas moins de 5 mm de long.

B. Régimes expérimentaux proposés pour des essais comparatifs d'alimentation du bar dans des canaux à Salambô 1

Régimes No  1  2  3  4  5
Poisson de rebut6060606060
Son de blé3934292419
Farine de soja-  5101520
Supplément vitaminé2  1  1  1  1  1
Total100  100  100  100  100  
Teneur estimative en matière sèche, %4848484848
Protéine (sur la base du produit sec), %3032353840
Coût de la matière première (millimes/kg)   40.8   44.8   48.8   52.8   58.8

1 Les rations devraient être préparées de la manière décrite plus haut. Ces régimes répondent à un degré variable aux besoins nutritifs du bar, de la daurade, du mulet et de la carpe commune. Ceux qui contiennent le plus de protéines devraient convenir pour toutes les tailles et pour tous les âges des espèces carnivores, ainsi que pour les alevins et les juvéniles de mulet et de carpe commune. Il sera plus économique de nourrir les juvéniles et les adultes de ces deux dernières espèces avec des ration à moindre teneur en protéines.

2 Voir Appendice II-A, note infrapaginale 2, pour la composition. S'il est préparé par la station, du son de blé pourra être utilisé comme support.

APPENDICE III

Equipement qu'il est recommandé de se procurer immédiatement pour la fabrication et l'expérimentation des rations

  1. INSTOP-Salambô

    1. Malaxeur avec accessoire pour le hachage et la présentation en granulés, par exemple Hobart D-300 (Etats-Unis)

      • Moteur de 0,5 CV

      • Accessoire pour le hachage de la viande et des autres ingrédients, avec filières de 2 mm, 3 mm, 4 mm et 6 mm

    2. Balance pour le pesage du poisson

    3. Balance pour le pesage des aliments pour poissons

    4. Congélateur de grande taille

      • 2 m3

  2. ONP-Monastir

    1. Malaxeur en béton (pour effectuer les mélanges)

      • Capacité: 100 litres

    2. Moteur électrique pour le hachoir - machine à granuler

      • 2 CV

    3. Roue à couteaux modifiée pour le hachoir - machine à granuler

    4. Filières de 3 mm, 4 mm et 6 mm pour le hachoir - machine à granuler.


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