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3 FACTEURS LIMITANTS DE LA PRODUCTION PISCICOLE EN CANAUX

L'élevage de poissons et la pêche de capture sont limités par certains problèmes inhérents à un grand nombre de systèmes d'irrigation. Ces problèmes concernent les déperditions d'eau, la salinisation et la sédimentation. En outre, les pratiques habituelles d'aménagement des eaux dans les systèmes d'irrigation créent des problèmes pour la production piscicole. Il s'agit surtout des problèmes liés aux fluctuations de l'écoulement de l'eau, au drainage des canaux, à la prédominance de certaines pratiques agricoles, telles que l'emploi de pesticides et d'engrais, et à leurs effets sur la qualité de l'eau. Ces facteurs sont illustrés dans la Figure 7 et discutés dans les sections suivantes.

3.1 Pertes d'eau

Les pertes d'eau des systèmes d'irrigation, hormis les prélèvements programmés, sont dues aux infiltrations ou à l'évaporation. Le taux de ces pertes est influencé par le climat, le type de sol et la longueur du canal. Dans les canaux non renforcés, la profondeur de la nappe phréatique ainsi que la vitesse et le volume écoulé de l'eau interviennent également sur les infiltrations.

3.1.1 Pertes d'eau par infiltration

Les pertes d'eau par infiltrations à partir des principaux canaux d'irrigation peuvent constituer une part considérable des pertes d'eau globales, en particulier dans les canaux sans revêtement intérieur et dans des zones où le taux d'infiltration du sol est élevé (White, 1978; Michael, 1978). Il semblerait, par exemple, que les pertes dues aux infiltrations s'élèvent à 30 pour cent dans les plaines alluviales de Uttar Pradesh et Punjab en Inde (ICID, 1967); en Australie, il est habituel que les pertes atteignent 9 à 18 mm d'eau d'irrigation par jour dans les zones souterraines sableuses (Carruthers et Clarke, 1981). En URSS, les pertes en eau du canal de Kara-Kum durant sa première année de fonctionnement se sont élevées à 43 pour cent du débit total en amont (Holy, 1976).

On a estimé que les pertes par infiltration provenant des canaux, des fossés et des fermes dans la grande vallée (Grand Valley), aux Etats-Unis, étaient à l'origine du pourcentage élevé de la charge en sel de la vallée. Les canaux et les fossés y contribuaient pour 23 pour cent, les canaux quaternaires pour 32 pour cent, et les infiltrations à la ferme pour 45 pour cent (Hyatt et al., 1970). Le total des infiltrations provenant des canaux principaux a été estimé à 0,932 m3/m2/jour avec une moyenne de 0,071 m3/m2/jour. Le taux d'infiltration des plus petits fossés ou canaux latéraux est plus faible, mais les pertes annuelles totales sont presque trois fois supérieures en raison de la grande superficie couverte par ces petits canaux (Skogerboe et al., 1983). La relation entre l'irrigation et l'hydrologie globale de la zone est illustrée dans la Figure 8.

Figure 7

Figure 7 : Représentation schématique de diverses sources de pollution dans une agriculture irriguée

Les méthodes conventionnelles employées pour réduire les problèmes d'infiltration sont souvent de nature chimique. Elles comprennent le colmatage, utilisé dans le cas de sols sableux et poreux. Ce procédé consiste à injecter dans le système de l'eau contenant de petites particules en suspension, qui vont fermer les espaces interstitiels du sol, en réduisant ainsi sa porosité. L'alcalinisation, une autre technique de protection chimique, consiste à ajouter des sels de sodium au sol. Une fois saturé de sodium échangeable, le sol gonfle, et réduit ainsi sa porosité (Michael, 1978). Ces méthodes sont coûteuses et souvent au dessus des moyens de beaucoup d'organismes chargés de l'aménagement de l'irrigation. Les méthodes physiques consistent à renforcer les canaux avec des revêtements plastiques ou du béton, ce qui est également très onéreux.

3.1.2 Pertes d'eau par évaporation

Dans de nombreux pays arides, les problèmes d'évaporation deviennent très graves et sont tels que les productions agricoles souffrent de pénuries d'eau. Au Soudan par exemple, les taux quotidiens d'évaporation dans les environs de Khartoum s'élèvent à 7,5 mm et à 7,9 mm à Wadi Halfa. En Egypte, le taux annuel d'évaporation est de 2 500 mm au lac Nasser, de 1 140 mm en Birmanie, de 1 597 mm en Guyane et de 3 000 mm dans certaines ré gions de l'Inde (ICID, 1967; Holy, 1976). En Egypte, on a estimé que les canaux principaux véhiculent 15 000 millions de m3 d'eau durant les mois d'été et que les déperditions d'eau dues à l'infiltration à cette période de l'année représentent 1 500 millions de m3, soit 10 pour cent. En outre, la teneur en sel de l'eau augmente au fur et à mesure que l'eau s'évapore et peut être à l'origine de stress chez les poissons présents dans les canaux, en particulier lorsque la densité de population est élevée.

Dans les canaux de distribution de plus petite taille, il est possible de réduire les pertes d'eau par évaporation ou par infiltration en utilisant un système recouvert de transport de l'eau. Ce système est coûteux et ne représente pas une solution intéressante du point de vue économique pour de nombreux pays. Cependant, avec l'intensification des pratiques agricoles et l'augmentation de la valeur économique des cultures, ce type de système recouvert devient de plus en plus populaire. Ainsi, dans de nombreux pays industrialisés, les systèmes d'irrigation reposent souvent sur des réseaux de conduites d'eau qui ne conviennent pas à la production piscicole.

Une méthode alternative pour réduire l'évaporation de l'eau consiste à utiliser des canaux implantés plus profondément et plus étroits, et de les protéger par de la végétation sur les berges. Les plantes apportent de l'ombre, ce qui permet de réduire l'évaporation superficielle (Carruthers et Clarke, 1981). Une végétation en surplomb améliore également l'environnement du canal pour le poisson et elle permet le développement d'un microclimat humide au-dessus de la surface de l'eau, ce qui contribue également à réduire les déperditions d'eau par évaporation.

Figure 8

Figure 8 : Diagramme du débit annuel moyen dan's l'hydrologie des plaines (Grand Valley) (Skogerboe et al., 1983)

3.1.3 Conséquences pour la production piscicole

Les taux élevés de pertes d'eau des systèmes d'irrigation, que ce soit par infiltration ou par évaporation, créent un environnement imprévisible et instable ce qui a des conséquences pour la production de poissons. Une aquaculture intensive souffrira davantage d'une telle situation qu'une pêche naturelle car le stock est tributaire du maintien d'un débit d'eau élevé dans les filets ou les enclos. Dans certaines situations, le système d'irrigation risque de s'assécher durant certaines périodes de l'année, en particulier quand les taux de déperdition par infiltration sont élevés et que les débits sont faibles. En outre, l'augmentation de la température (si le niveau de l'eau baisse) peut entraîner des stress physiologiques assez sévères chez des espèces de poissons plus sensibles. La production de poissons devrait être planifiée en tenant compte de tels facteurs, en ayant, par exemple, des cycles de production courts.

Dans les eaux ayant un taux d'évaporation élevée, la qualité de l'eau est détériorée par la teneur en sels, métaux lourds et autres polluants. Chez certaines espèces, cela peut même entraîner une diminution de croissance et une altération de l'état sanitaire des animaux, car les poissons qui ont un stress sont plus sensibles vis-à-vis des agents pathogènes présents dans l'eau. Certaines espèces de poissons supportent malgré tout de telles conditions. Le Tilapia en est peut-être le meilleur exemple de sorte que, même si le choix de poissons est limité, la pisciculture est quand même possible.

Dans ces conditions, le recours à l'aquaculture ou à la pêche comporte obligatoirement un facteur de risque, mais la production piscicole pourrait dans ce cas servir à compenser ou réduire les dépenses occasionnées par les pertes d'eau.

Les canaux plus étroits peuvent poser des problèmes pour l'élevage de poissons en cages puisque celles-ci sont susceptibles de réduire le débit de l'eau si elles sont plaçées sur toute la largeur du canal (un canal secondaire “étroit” peut avoir une largeur d'un mètre seulement). En revanche, pour pouvoir supporter le même débit d'eau, les canaux étroits doivent être creusés plus profondément et habituellement, ils conviennent ainsi mieux à l'élevage de poissons en cages (la profondeur des canaux secondaires n'excède généralement pas un mètre). Dans ce cas, les cages pourraient être suspendues au dessus du fond des canaux, réduisant ainsi l'effet potentiel de sédiments anoxiques autour des cages.

3.2 Surirrigation et salinisation

Une mauvaise gestion de l'eau dans les systèmes d'irrigation entraîne souvent une salinisation du sol. Un sol imbibé d'eau en raison d'une surirrigation est un exemple courant d'une gestion défectueuse de l'eau et peut conduiren à une élévation de la nappe phréatique suivie d'une augmentation de la salinitéet de l'alcalinité du sol. Des sols alcalins et riches en sodium, ce qui est souvent le cas des sols mal gérés, peuvent contenir des quantités suffisantes de sodium échangeable pour interférer avec la croissance des plantes (Donneen et Westcot, 1984). Par la suite, l'alcalinité des eaux de surface augmente et atteint souvent un taux limitant pour la croissance des poissons.

3.2.1 Etendu du problème

On estime à environ 50 millions d'acres la superficie mondiale de terres irriguées touchées par la salinisation. Aux Etats-Unis, 20 à 25 pour cent de l'ensemble des terres irriguées subit une diminution de rendement en raison du sel (El Ashry et al., 1985). En Inde, sur les 40 millions d'hectares irrigués en 1978/79, on estime que 10 millions ont subi une imprégnation d'eau excessive (Michael, 1987).

Les sols salés sont improductifs pour l'agriculture, et la terre devient inutilisable avec le temps. Ceci est le cas pour de nombreuses régions en Inde où de tels sols sont appelés “Usar” ce qui signifie infertile (Michael, 1978). Au Rajasthan, par exemple, sur une superficie de 1,1 million d'hectares irrigués par de l'eau de puits, 57 pour cent présentent des problèmes d'alcalinité et de salinité (Paliwal, 1972). Dans la région des grandes plaines, aux Etats-Unis, la charge nette en sel due à l'infiltration d'eau provenant de l'irrigation et de l'exploitation agricole varie entre 450 000 et 800 000 tonnes par an (Hyatt et al., 1970). On estime que cela représente la moitié de la quantité totale de sel atteignant le système fluvial du Colorado chaque année (Riggle et Kysar, 1985). Il semblerait d'autre part, qu'en Chine, la superficie de terre soumise à la salinisation soit actuellement de 2,7 ×106 ha, dans les provinces de Hebei, Henan et Shangdong, toutes approvisionnées par le grand canal Beijing-Hangzhou, dont la longueur totale est de l 150 km. Avec l'augmentation des infiltrations provenant du canal, on considére qu'une superficie atteignant 4,7 × 106 ha pourrait être atteinte (Dakang, 1987). Or, á partir du moment où une terre est inutilisable pour l'agriculture, elle est généralement abandonnée et n'est plus approvisionnée en eau.

La surirrigation n'a pas seulement des effets graves pour l'agriculture en raison de la salinisation qu'elle entraîne, mais elle comporte également un problème sanitaire. En Inde, par exemple, on a corrélé l'expansion de l'irrigation et la recrudescence de la malaria (Michael, 1987). L'augmentation de la superficie des terres imbibées d'eau en est probablement la cause. En effet, l'eau stagnante offre un habitat pour de nombreux vecteurs de maladies et les systèmes d'irrigation reprèsentent ainsi souvent un habitat idéal pour ces organismes. Cet aspect sera abordé ultérieurement, dans la section 5.

3.2.2 Causes de surirrigation

La surirrigation résulte souvent de défaillances dans l'aménagement des ressources aquacoles disponibles, avec pour conséquence une distribution d'eau inefficace. Dans de telles situations, les agriculteurs ont tendance à faire des réserves d'eau afin de surmonter les pénuries périodiques. Un exemple de cette pratique est celui de Maharashtra en Inde (Carruthers et Clarke, 1981). De même, au Soudan, on a trouvé des canaux de champs contenant de l'eau au-delà de la période de croissance végétale, ce qui signifiait soit que les fermiers essayaient de stocker de l'eau afin d'accroître les rendements, soit que les vannes contrôlant l'arrivée d'eau dans les champs étaient mal entretenues (Redding-Coates et Coates, 1981).

Ce type de situation conduit inévitablement à des écoulements et à des niveaux d'eau irréguliers dans les canaux d'alimentation, ce qui est susceptible d'engendrer des problémes pour n'importe quelle installation d'aquaculture telle que des enclos ou des cages remplies de poissons, et par conséquent dépendant d'un approvisionnement en eau constant.

Une partie du problème réside dans le fait que les besoins individuels en eau des végétaux n'ont pas été précisés en raison du nombre très important de variables à prendre en considération. Celles-ci comprennent les mélanges de cultures, le lessivage, les types de sols, la durée de la période de croissance, le pourcentage de sols stériles et le degré d'évapotranspiration. Les besoins en eau sont actuellement calculés en fonction de mélanges présumés de cultures, d'une estimation approximative de l'efficacité de l'utilisation de l'eau, des lessivages et des taux d'infiltrations estimés de facon arbitraire, et d'un nombre insuffisant de données relatives à l'évapotranspiration. Carruthers et Clarke (1981) ont suggéré que, pour tenir compte de ces variables, la planification des besoins en eau devrait être flexible.

3.2.3 Causes de salinisation

L'importance de l'accumulation de sel et le degré d'alcalinisation du sol dépendent i) du type de sol, ii) de sa perméabilité et iii) de la qualité de l'eau d'irrigation.

  1. Les sols à texture fine ont tendance à être moins salinisés, mais sont plus susceptibles d'être alcalins si l'eau d'irrigation contient une plus grande proportion de sodium et de bicarbonate que de calcium et de magnésium, ou s'il y a une couche dure de chaux ou d'argile (Michael, 1978).

    Dans le projet d'irrigation de Chambal en Inde, l'irrigation de terrains à haute teneur en argile et mal drainés a, par exemple, entraîné une augmentation de la salinité pour 25 pour cent de la terre après seulement 10 ans d'irrigation. Dans de telles situations, la nappe phréatique s'éléve jusqu'à la zone des racines et cette eau est tirée par capillarité vers la surface où elle s'évapore en laissant une couche superficielle de sels (Michael, 1987; Dakang, 1987; Skogerboe et Walker, 1972). Ceci augmente la salinité du sol et diminue son aptitude à être utilisé en agriculture.

  2. Dans les sols perméables, cela se traduit par de fortes pertes d'eau dues à l'infiltration provenant des canaux et des prssés. Ceci entraîne un ruissellement excessif dans les régions en aval, ce qui contribue au processus de salinisation. Les eaux d'infiltration ont tendance à augmenter la salinité et la dureté de l'eau en aval en mettant en solution des substances minérales provenant des sols traversés par l'eau. Par exemple, au niveau du bassin versant de Sugar Creek en Oklahoma, la dureté totale de l'eau en aval d'une série de sites de barrages avant leur construction était de l'ordre de 220–340 mg/l alors qu'elle a augmenté jusqu'à 720 mg/l après leur construction. (Yost et Naney, 1975). La marge de dureté varie habituellement entre 50 et 300 mg/l pour la pisciculture. Ces mêmes auteurs ont trouvé une augmentation de 150 à 660 pour cent dans la dureté totale des eaux collectées à partir de neuf réservoirs différents et leurs eaux d'infiltration. L'augmentation semble être plus importante dans le schiste argileux que dans le grès, étant donné que dans ce dernier la plupart des ions lessivables ont déjà été perdus.

  3. Dans le cas où une eau de mauvaise qualité, polluée par les sels, est réutilisée pour l'irrigation en aval, le taux de salinisation des terrains ainsi irrigués va augmenter. Cette situation est particulièrement problématique dans le bassin de la rivière Murray en Australie. Ce bassin de réception couvre un septième du continent et approvisionne une région agricole très importante. L'eau est ici utilisée plusieurs fois tout au long de son trajet vers la mer et pour résoudre les problémes de salinisation des régions en aval, des zones éloignées des terres agricoles ont été désignées pour recevoir les eaux de drainage salines (Framji et al., 1981).

    L'évaporation représente également un facteur de salinisation significatif dans les climats arides, étant donné qu'elle cause une augmentation de la tenieur relative en sels de l'eau d'irrigation, réduisant ainsi sa qualité (voir section 3.1.2).

    Dans certaines régions, l'intrusion de l'eau de mer dans la nappe phréatique peut contribuer à la salinisation, si cette eau est employée pour l'irrigation. Par exemple, dans l'estuaire de Changjiang en Chine, des augmentations de la teneur en chlorure et de la dureté de l'eau ont été enregistrées à 120 km en amont du delta (Dakang, 1987). Ce probléme est plus fréquent lorsque les aquifères côtiers sont utilisés intensément comme source d'eau d'irrigation.

    Les terres alcalines et salines étant moins fertiles, les apports d'engrais nécessaires sont souvent élevés, ce qui affecte la qualité des eaux de drainage et les rend moins propices à une utilisation en pisciculture.

3.2.4 Conséquences pour la production piscicole

Les eaux salines, malgré leurs effets négatifs sur la production agricole, pourraient être utilisées pour la production aquacole lorsque les mesures de contrôle de salinité pour l'agriculture s'avèrent trop onéreuses. Pour régler ce problème dans les bassins hydrographiques présentant une surcharge de sel, par exemple, on a développé des modèles de salinité destinés à caractériser les régimes des sels et des eaux et ceux-ci ont été incorporés dans le cadre d'une planification destinée à développer des stratégies d'aménagement des eaux. Ainsi, si l'on envisageait d'incorporer l'aquaculture dans le plan général de ce type d'aménagement, l'eau trop saline pour la production agricole pourrait être employée pour la production aquacole. Ceci libérerait une partie de l'argent consacré au contrôle de la concentration en sel des eaux. En outre, certaines espèces de poisson d'eau saumâtre (par exemple, Epinephelus tauvina) peuvent être élevées assez intensivement et peuvent s'avérer plus rentables que les méthodes de dessalage utilisées dans certaines régions pour améliorer l'eau d'irrigation pour l'agriculture.

En Israël, les zones d'eau saumâtre utilisées auparavant pour l'aquaculture sont devenues compétitives depuis le développement de végétaux susceptibles d'y être cultivés. Néanmoins, un grand nombre de pisciculteurs ont été capables de s'intégrer dans le systéme d'aménagement des eaux en restructurant les étangs de poissons pour qu'ils puissent être utilisés comme réservoirs d'irrigation. Ainsi, on obtient toujours une productivité importante avec un système de polyculture utilisant ces réservoirs, qui sont périodiquement desséchés à la fin de la période de croissance des végétaux (Milstein, communication personnelle; Sarig, 1984; Hepher, 1985). Bien que ce type de culture soit pratiqué en réservoirs, ce système montre que l'intégration des régimes d'aménagement des eaux de l'aquaculture et de l'agriculture irriguée est réalisable avec succès.

3.3 Dépôt de limon et sédimentation

Les canaux sans revêtement intérieur ne fonctionnent de façon efficace qu'avec un débit d'eau spécifique. La majorité de ces canaux sont conçus pour supporter un écoulement maximum représentant seulement 1,6 fois l'écoulement minimum. Les débits d'eau excessifs provoquent une érosion et les débits trop faibles la déposition de limon à l'intérieur des canaux. Pour remédier à ce type de problèmes, on peut inclure un barrage dans le système d'irrigation si le réservoir est profond, pour qu'une quantité plus faible de limon n'atteigne les canaux, car le barrage agira comme piège à limon.

Cependant, lorsque le réservoir est si peu profond que l'eau y est déversée et mélangée régulièrement, il peut malgré tout survenir une surcharge des canaux en limon, tout comme lorsque la source hydrique est une rivière. En réalité, la charge en limon dépendra en grande partie du type du bassin d'alimentation. Par exemple, les bassins touchés par le déboisement ou supportant d'importantes activités minières, seront caractérisés par une teneur élevée en solides en suspension dans le système fluvial.

3.3.1 Problèmes relatifs à l'augmentation de la charge en limon

Des activités forestiéres ou minières non contrôlées aboutissent souvent à des charges élevées en limon dans le système fluvial, ce qui entraîne en aval une augmentation de la sédimentation dans les riviéres, les réervoirs et les systémes d'irrigation. Le systéme d'irrigation de la riviére Agno (ARIS) aux Philippines en est un exemple caractéristique: en raison de la sédimentation, l'efficacité d'arrosage est réduite et il existe une pollution importante due aux métaux lourds (Baluyut, 1985).

Ce système d'irrigation utilise l'eau de la rivière Agno pour irriguer environ 40 000 ha de terre agricole. Cependant, depuis le début de son fonctionnement en 1957, il y a eu un afflux constant de sédiments de la rivière en raison de l'érosion importante du bassin versant et de la décharge de résidus provenant de deux mines situées plus en amont. Les canaux d'irrigation se sont ainsi envasés et ont été contaminés par des métaux lourds, toxiques pour les végétaux et les organismes aquatiques. (Baluyut, 1985).

Dans ce système, les débits d'eau des canaux ont chuté de 28 m/s à 7,5 m/s, ce qui s'est traduit par une perte de 27 000 ha de terre et de 20–50 pour cent des productions végétales (Baluyut, 1985). Il semblerait que 26 380 millions de tonnes de résidus miniers soient déversés chaque année dans la rivière Agno, mais la quantité atteignant le système ARIS n'a pas encore été établie. Ainsi, compte tenu de ces taux élevés de déchets toxiques et de solides en suspension, ce système n'offre qu'un faible potentiel pour la production piscicole.

3.3.2 Problèmes relatifs à la diminution de la charge en limon

On a pu observer dans de nombreux systèmes d'irrigation une diminution de la charge en limon à la suite de la construction d'un barrage, ce qui est le cas, en particulier, du barrage d'Assouan en Egypte et du réservoir de Danjiangkou, en Chine (Dakang, 1987). En conséquence, l'apport en éléments nutritifs du système diminue, ce qui peut indirectement affecter la diversité et le nombre des organismes aquatiques en présence. En outre, la réduction de l'approvisionnement nutritif affectera finalement la production végétale et entraînera ainsi une utilisation plus intensive d'engrais, ce qui aura des conséquences sur la qualité de l'eau et donc sur la pisciculture.

3.3.3 Conséquences pour la production piscicole

Un problème majeur lié directement à la diminution de la charge en limon dans les canaux est celui de l'augmentation de la végétation aquatique envahissante qui profite d'une pénétration accrue de la lumière dans les eaux plus claires. Cela peut entraîner une réduction des frayères adéquates pour des pondeurs sur substrat, tel que le saumon, la truite arc-en-ciel et l'espèce Oreochromis. Toutefois, les géniteurs tels que la carpe, qui se reproduisent à la surface ou dans la végétation, peuvent tirer profit d'une telle situation.

En revanche, la production de phytoplancton augmente lorsque la turbidité de l'eau diminue, ce qui favorise la production piscicole dans le système. On ne connaît pas encore exactement quels sont les taux caractéristiques de production de phytoplancton dans les canaux d'irrigation, si bien qu'il est difficile d'estimer jusqu'à quel point une réduction de turbidité serait intéressante. En effet, la production naturelle de phytoplancton sera faible, même dans les canaux larges avec un écoulement lent. Cependant, lorsqu'il y a apport d'eau superficielle à partir de réservoirs, on peut s'attendre à des densités de phytoplancton élevées, du moins de façon saisonnière.

La charge élevée en limon peut avoir plusieurs conséquences. Certains poissons sont sensibles aux fortes concentrations de limon, qui peuvent user et entraver leurs branchies et causer ainsi des hémorragies sévères, des déséquilibres osmotiques et des difficultés respiratoires. Chez les smolts de salmonidés, par exemple, on enregistre souvent une mortalité élevée après de fortes pluies, ce qui peut être directement lié à l'augmentation de la charge en limon de l'eau d'approvisionnement.

Dans le cas des canaux d'irrigation, les taux de sédimentation élevés peuvent avoir des conséquences néfastes pour l'élevage des poissons. Par exemple, si on envisageait un élevage en enclos dans les canaux, les parois de l'enclos seraient susceptibles de ralentir le débit suffisamment pour entraîner une sédimentation, même si elles permettent le passage de l'eau. Dans ce contexte, l'enclos à poissons agirait comme un piège à sédiments, créant ainsi des difficultés de fonctionnement et réduisant le succès des prises lors des pêches de capture (Ojiako, 1988).

Le problème de la contamination de l'eau par les métaux lourds est également préoccupant. Les effets d'un tel environnement sur les poissons peuvent ne pas être apparents en terme de pertes de production, mais les conséquences pour la santé humaine peuvent être graves. En effet, certains polluants, pesticides ou métaux lourds persistent longtemps dans l'environnement et se concentrent dans les tissus corporels des animaux situés plus loin dans la chaîne alimentaire. Les poissons semblent particuliérement sensibles à ce type de pollution et il existe de nombreux cas d'intoxications aux métaux lourds dûs à la consommation de poissons, le plus notoire étant probablement celui de Minamata. Cette intoxication sévère par le mercure provoqua en effet la mort de centaines de personnes dans un village de pêcheurs japonais.

3.4 Aménagement des eaux

Les végétaux suivent un rythme saisonnier de croissance, et par conséquent, leurs besoins en eau fluctuent sur une base saisonniére. En terme de pisciculture, ceci représente un probléme en raison des modifications de l'environnement aquatique des canaux d'irrigation qui en résultent: dans de nombreux systémes d'irrigation, l'eau reste dormante durant de longues périodes, tandis qu'à d'autres époques de l'année, l'écoulement de l'eau est constant (bien que les débits puissent varier considérablement). Lorsqu'elle est dormante, l'eau de ces canaux peut être propice à des concentrations élevées de phyto- et de zooplancton.

3.4.1 Ecoulement irrégulier du canal

Malgré le potentiel considérable que représentent les canaux d'irrigation pour la pisciculture, le probléme des variations de débits est l'un des obstacles majeurs à l'intégration de la production piscicole dans les systèmes d'irrigation.

Comme nous l'avons expliqué dans la section 3.2.1, il est difficile d'estimer les besoins exacts en eaux des cultures et par conséquent d'estimer précisément les prélèvements possibles (qui modifient l'apport d'eau au canal d'irigation). Les niveaux et les débits d'eau peuvent ainsi fluctuer. Ce probléme est pariculièrement apparent dans des systèmes mal gérés et aux endroits où les prélèvements d'eau par les agriculteurs sont incontrôlés.

Les eaux d'irrigation sont soit partiellement soit entièrement contrôlées et l'eau dans les canaux peut ainsi avoir des débits variables au cours de l'année comme elle peut devenir dormante à certaines périodes.

De nombreux systèmes d'irrigation ont également pour fonction de maîtriser les inondations; en cas de pluies abondantes, ils seront souvent touchés de facon disproportionnée et l'on sera fréquemment confronté à des crues durant la saison des pluies. Des inondations peuvent se produire dans les cas extrêmes, comme au Bangladesh en 1987 et 1988. Puisque ces événements sont imprévisibles, ce facteur revêt une importance particulière. Une inondation subite non seulement balayerait les cultures, mais également les installations aquacoles qui ne sont pas surélevées. De même, les périodes de sécheresse sont parfois difficiles à prévoir, comme cela a été le cas au Brésil (Hall, 1978) et dans de nombreux autres pays tels que le Soudan, l'Ethiopie etc. Ainsi, les besoins en eau peuvent varier considérablement d'une année à l'autre.

3.4.2 Prélèvement d'eau - sur l'environnement naturel

Dans de nombreux pays, l'eau est prélevée sans autorisation. Des prélèvements importants non contrôlés auront ainsi des conséquences sur la profondeur et le débit de l'eau dans les canaux. Dans l'Indus inférieur, par exemple, la pêche a souffert durant quelques années car l'ensemble des ressources hydriques étaient utilisées pour les systèmes d'irrigation durant l'hiver. Au Kenya, il semblerait que les effets régulateurs des barrages d'irrigation sur le fleuve Tana aient des effets néfastes sur les pêches en plaines inondables des parties inférieures du fleuve, en influençant l'étendue et la durée du cycle d'inondation (Litterick, 1981).

Pour sa part, Welcomome (1979 a, b) a suggéré une corrélation entre la pisciculture en plaine inondable et le cycle d'inondation, puisque une production plus élevée était observée aprés les inondations maximales. En Afrique, la construction sur une large échelle de systèmes de régulation des fleuves depuis les deux dernières décennies a entraîné une désorganisation écologique et une rupture de la production des plaines inondables (Awachie, 1981). En conséquence de cette chute potentielle de la pêche fluviale, les besoins de produire une source protéique par d'autres méthodes, comme celle qu'offre toute forme d'aquaculture, augmentent.

3.4.3 Conséquences pour la production piscicole

Selon certaines études, le risque d'extinction des espèces est lié à la qualité et l'étendue des habitats, qui diminuent en raison des chutes annuelles des niveaux d'eau au printemps et durant la saison sèche. Aux Etats-Unis, par exemple, la diminution de la population de Cyprinodon elegans dans les fossés d'irrigation de Phantom Cave Springs, au Texas, a été attribuée à la réduction de son habitat, provoquée par les drainages périodiques effectués pour l'entretien de routine des canaux dans lesquels vit ce poisson (Davies, 1979). Dans de nombreux autres systémes, par exemple en Chine (Tapiador et Coche, 1977), l'entretien du canal est également assuré par un drainage de routine.

Des prélèvements importants et fréquents about issent à une baisse significative du niveau de l'eau et posent naturellement des problèmes pour tous les types d'aquaculture ou de pêche intensives dans de tels canaux puisque la densité de population, l'apport d'oxygène et l'élimation des déchets dépendent du débit et de la profondeur de l'eau.

De plus faibles fluctuations du niveau et du débit de l'eau ont également des répercussions sur la production piscicole. En ce qui concerne les pêches, des fluctuations fréquentes du niveau de l'eau auront des répercussions négatives sur la croissance de macrophytes aquatiques le long des bords du canal; cet effet, souhaitable du point de vue des ingénieurs hydrologues, a en revanche des conséquences fâcheuses sur la population piscicole, en raison de la réduction de l'habitat (voir section 6.2).

Les répercussions des plus faibles fluctuations de niveau et de débit d'eau sont encore plus nettes dans le cas de l'aquaculture. Ici, le poisson est élevé dans des conditions confinées et son réapprovisionnement en oxygéne et l'élimination des déchets excrétoires dans son environnement immédiat dépendent d'un apport adéquat en eau. Les systémes intensifs, et peut-être semi-intensifs, sont particuliérement vulnérables aux réductions de l'approvisionnement en eau puisque la densité du stock est soigneusement calculée pour une utilisation maximale de l'eau disponible, alors que ce facteur n'est pas aussi critique pour les faibles densités de population.

Les augmentations de débit posent également probléme. Ainsi, en présence de débits élevés, les taux de solides en suspension peuvent être augmentés, ce qui est traité dans la section 3.3.3. En outre, les inondations représentent potentiellement un problème grave. Les systémes d'irrigation ont souvent également comme fonction de maîtriser les inondations et sont ainsi affectés de façon disproportionnée par les pluies abondantes. La plupart des cages et des enclos d'élevage peuvent être détruits dans des conditions de crues et la majorité de la production sera perdue en cas de brèches dans les berges des canaux.

Les pratiques de gestion des eaux dans les systèmes d'irrigation sont souvent de type régulier, saisonnier et leurs aspects les plus négatifs pourraient étre évités par une production piscicole saisonniére asynchrone. Dans les climats tropicaux, la plupart des poissons élevés peuvent être engraissés jusqu'à la taille de vente en moins de six mois, de sorte qu'une utilisation des canaux n'est pas nécessaire toute l'année.

3.5 Qualité de l'eau et pollution

3.5.1 Qualité de l'eau

Les eaux naturelles transportent une certaine quantité de sels minéraux dissous et de composés organiques naturels éliminés par le lessivage du sol et des rochers. La pollution résulte de l'addition de products chimiques à cette charge naturelle. Ces produits peuvent provenir d'utilisations industrielles, agricoles (irrigation) ou municipales. Ces apports potentiels, qu'ils soient directs ou indirects, comprennent les insecticides, les herbicides, les fongicides, les bactéricides, les nématocides, les hormones végétales, les détergents, les métaux lourds, les sels et de nombreux composés organiques (Law et Skogerboe, 1972). La présence de quantités importantes de polluants rend l'eau inapte à l'irrigation, à la consommation et à la production piscicole.

Généralement, la qualité de l'eau joue un rôle encore plus important dans l'aquaculture que dans les pêches de capture, car la densité de population y est élevée par rapport à l'environnement naturel, ce qui est le cas de tous les plans d'eau utilisés pour l'élevage de poissons. Cet aspect ne sera donc pas traité ici. Cependant, les canaux d'irrigation représentent un cas à part car ils reçoivent les charges résiduelles d'une grande variété de produits chimiques utilisés pour la production végétale et qu'ils présentent donc souvent des taux élevés de pesticides et d'engrais.

Une étude concernant les effets de deux systèmes d'irrigation sur le fleuve Anambra au Niger, montre que les quantités de polluants provenant des canaux sont trés importantes (Ojiako, 1988). En effet, outre les pesticides et les engrais, on administre réguliérement à la terre des produits chimiques destinés à réduire les effets de la salinisation (gypse, pyrite, sulfure de chaux sèche). Ultérieurement, les résidus de ces traitements pénètrent dans les canaux par écoulement direct et par drainage en sous-sol, en particulier au cours des premiéres pluies. Par conséquent, les eaux de rivières situées en aval des lieux d'émergence présentent de plus faibles teneurs en oxygène dissous, ainsi qu'une DBO, une turbidité et un pH plus élevés. Ces facteurs entraînent finalement une diminution de la pêche de capture dans le fleuve, ce qui nous amène à nous demander si, dans ces conditions, la pêche de capture est viable dans les canaux d'irrigation.

3.5.2 Pesticides

L'utilisation répandue des pesticides et leur présence dans l'eau destinée à la pisciculture constituent un problème très impoertant. De nombreux pesticides sont des molécules organiques complexes persistant longtemps dans l'environnement et transmissibles par l'intermédiaire de la chaîne alimentaire. Ainsi, les poissons carnivores peuvent accumuler des quantités importantes de pesticides provenant de leurs proies. En Malaisie et en Thaïlande, la diminution de la production piscicole pourrrait être attribuée aux quantités de pesticides trouvées dans les rizières (Koesoemadinata, 1980; Khoo et Tan, 1980).

Dans les pays en voie de développement, l'utilisation des pesticides augmente constamment et en 1975, elle a été estimée à 36-40 pour cent de la consommation totale mondiale (approximativement 890 000 tonnes) (Alabaster, 1981). Dans les pays industrialisés, on a également enregistyré une augmentation de l'irrigation et l'emploi des pesticides. Aux Etats-Unis, ce cas est clasique, mais a des conséquences néfastes: depuis une quinzaine d'années, plusieurs Etats ont ainsi enregistré la présence de pesticides dans les nappes phréatiques souterraines (Lavy et al., 1985).

Un grand nombre d'insecticides, herbicides et fongicides utilisés dans les pays en voie de développement ont été totalement ou partiellement supprimés dans les pays industrialisés. Leur utilisation accrue est partiellement due à l'expansion de l'agriculture irriguée (Michael, 1987) et à la disponibilité sur le marché mondial de produits chimiques efficaces, mais souvent néfastes pour l'environnement. En outre, l'emploi répandu d'herbicides destinés à maîtriser la très prolifique jacinthe d'eau a aggravé la situation.

Il est très difficile d'estimer la quantité totale de produits chimiques répandue sur les terres, mais ce facteur doit être connu avant d'envisager toute forme de production piscicole, en particulier dans les canaux de drainage. Au Soudan par exemple, la culture principale est le coton, qui nécessite l'utilisation d'approximativement 4 kg/ha/an de pesticides divers pour maintenir un niveau de production rentable. Les quantités de pesticides divers utilisés dans le système d'irrigation de Gézira en 1977 représentaient, pour le coton uniquement, (en livres de produit actif): pour le DDT, 3 x 106; le Diméthoate, 1,7 x 106; le Toxaphène, 1 x 106. En outre, des quantités similaires de cinq autres produits chimiques étaient employées (Zorgani et al., 1978; Coates et Redding-Coates, 1981). Finalement, la mortalité élevée des poissons des canaux du système d'irrigation de Gézira a été attribuée à la contamination par les pesticides et des résidus de pesticides ont été retrouvés dans les tissus corporels des poissons (George, 1975).

Dans d'autres pays d'Afrique, l'emploi des pesticides est en plein essor. Au Kenya par exemple, 5 000 tonnes de pesticides sont utilisées par an sur une petite superficie comprenant un système d'irrigation(Alabaster, 1981), avec pour conséquence la présence dans l'eau et dans les organismes aquatiques de produits provenant de la dégradation des pesticides. L'utilisation non réglementée de produits chimiques tels que le DDT, la dieldrine et l'aldrine demeure un problème. Au Burundi, en Tanzanie et en Zambie, aucune législation ne fait référence de façon spécifique à l'emploi de pesticides et l'utilisation du DDT est donc trés répandue dans les zones irriguées. Au Malawi, où les pêches représentent une part importante de l'économie, on a trouvéde faibles quantités de DDT dans les tissus des poissons. En outre, dans la plupart des pays africains, le manque de crédits pour la recherche a contribué à cette utilisation illimitée de ces produits chimiques (Alabaster, 1981). Actuellement, il existe un code international sur les pesticides, formulé selon les indications de la FAO, qui contribuera, nous l'espérons, à améliorer les perspectives de production piscicole dans les canaux d'irrigation.

3.5.3 Conséquences de l'emploi de pesticides pour la production piscicole

Les conséquences des contaminations se traduisent par une mortalité élevée chez les poissons, une productivité piscicole réduite et la présence de taux plus importants de produits chimiques potentiellement toxiques dans les tissus des poissons (Alabaster, 1981). Au Canada, il a été établi que le pesticide Thiodane, utilisé pour lutter contre les insectes ou les plantes nuisibles pour les cultures de pomme de terre, tue le poisson à 200 m sous le vent et que de nombreux autres pesticides ont le même effet nuisible s'ils sont transportés par le vent à partir des zones cibles (Fish Farming, Canada 1989). Considérant les possibilités offertes par les canaux d'irrigation pour la pisciculture, Pantulu (1980) indique que le taux d'utilisation des pesticides dans les régions irriguées constitue peut-être l'obstacle majeur à ce type d'activité.

La contamination par les pesticides devient un problème grave dans les pays où le poisson reprèsente une proportion importante des protèines alimentaires. En Afrique, les protèines de poisson constituent un pourcentage assez important de la ration alimentaire: 20 pour cent au Kenya et au Soudan, 20–24 pour cent au Burundi, en Tanzanie et en Zambie (Coche, 1980), jusqu' à 65 pour cent au Malawi (Alabaster, 1981) et elles représentent plus de 70 pour cent au Bangladesh (Marr, 1986).

3.5.4 Déchets de poisson

La littérature concernant l'impact de l'aquaculture sur l'environnement est de plus en plus abondante (Conseil de la conservation de la nature, 1987). Elle concerne principalement l'enrichissement nutritif de l'environnement (eutrophisation) par les déchet fécaux et alimentaires. Les sédiments anoxiques et les proliférations d'algues sont les résultats majeurs de cet enrichissement.

Un problème particulier des canaux d'irrigation utilisés pour les cultures en cages ou en enclos, semi-intensives ou intensives, est celui du dépôt de déchets fécaux et alimentaires, qui aboutit à la formation d'un sédiment anoxique riche en matières organiques. Ceci peut avoir des conséquences pour l'élevage lui-même et pour l'envirionnement d'une façon générale.

3.5.5 Conséquences de l'enrichissement nutritif pour la production piscicole

A notre connaissance, l'effet de l'eutrophisation dans les canaux d'irrigation n'a jamais été étudié. Le facteur critique permettant d'évaluer un effet néfaste possible de l'enrichissement nutritif est le temps de séjour de l'eau dans le système. Dans la plupart des systèmes d'irrigation, ce temps devrait être relativement court de sorte que le probléme devrait être négligeable ou, du moins, rester local. Cependant, cela n'est pas nécessairement le cas des lacs et réservoirs situés plus en aval, puisque les temps de séjour sont généralement longs: ils sont donc concernés par l'eutrophisation et l'afflux d'eau d'irrigation enrichie peut être important. Ainsi, une aquaculture intensive à grande échelle pourrait contribuer à l'un système d'irrigation.

Dans le cas d'élevage en cage et en enclos, les déchets de poissons peuvent également avoir un effet direct sur le fonctionnement de l'aquaculture elle-méme. En effet, les solides qui atteignent les sédiments sont enrichis en azote, phosphore et carbone (Merican et Phillips, 1985). Si ces sédiments deviennent anoxiques par dégradation microbienne, il peut se produire une émanation de gaz tels que le sulfure d'hydrogéne, l'ammoniac et le méthane, qui sont potentiellement nuisibles pour le poisson (Enell et Lof, 1983). Dans des élevages de sérioles au Japon, la fréquence des maladies a été corrélée à la concentration en sulfure d'hydrogéne dans les sédiments (Arizono, 1979).

3.5.6 Qualité de l'eau et potentiel piscicole des canaux alimentés par des eaux hypolimnétiques ou épilimnétiques

La qualité de l'eau des canaux alimentés par des réservoirs dépendra, dans une large mesure, de la profondeur à partir de laquelle l'eau est prélevée et du degré de stratification des plans d'eau. En effet, dans les lacs profonds, une stratification se produit car les eaux superficielles (l'épilimnion) sont mieux réchauffées et donc à une température significativement plus élevée que les eaux profondes (l'hypolimnion). Le gradient de température qui en résulte empéche le brassage des eaux par le vent. Ainsi, les conditions physiques présentes dans chaque couche étant différentes, les propriétés chimiques de l'eau peuvent varier de facon significative pour chacune d'entre elles. La stratification est souvent un phénoméne permanent caractéristique des lacs tropicaux profonds, alors qu'elle représente un événement saisonnier dans les eaux tempérées.

Réservoirs peu profonds (eau épilimnétique)

Dans les réservoirs peu profonds des barrages à faible dérivation (atteignant 8 m de hauteur), la qualité de l'eau varie peu du barrage jusqu'au canal. Ces eaux sont généralement eutrophiques, et présentent des températures élevées et une faible stratification annuelle. Leur teneur en algues et autres organismes tend à s'accroître avec le temps, d'où le danger de proliférations occasionnelles d'algues toxiques (Hotes et Pearson, 1977). Ce type de source hydrique doit étre favorable à la production piscicole puisque les températures plus élevées améliorent la croissance des poissons (à condition que les températures n'atteignent pas des valeurs extrémes), et le niveau de production primaire doit être suffisant pour supporter une péche ou une aquaculture utilisant des espéces de poissons planctonophages. L'éventualité de proliférations d'algues toxiques doit étre examinée afin d'évaluer les risques encourus.

Réservoirs profonds (eau hypolimnétique)

Les réservoirs plus profonds sont souvent stratifiés. Ainsi, dans l'eau hypolimnétique, la teneur en oxygéne, en biomasse de plancton ainsi que la température peuvent être faibles alors que les teneurs en nutriments tels que le phosphore et l'azote peuvent être élevées. On peut parfois également observer des taux importants de sulfure d'hydrogéne, de fer et d'autres métaux lourds. Les eaux de surface sont ainsi plus riches en plancton, ce qui, associé aux températures plus élevées de l'eau, risque d'entraîner une déplétion en oxygéne. On peut lutter contre ce phénoméne par une aération des eaux déversées dans les canaux, mais la qualité de l'eau hypolimnétique restera probablement impropre à la production piscicole dans la partie du canal localisée prés du barrage.

Il apparaît ainsi que l'eau provenant de l'épilimnion convient mieux à la pisciculture en canaux d'irrigation, la température et la qualité de l'eau étant plus favorables à l'aquaculture et de facon générale à la production de poissons. Cependant, en Iran, une écloserie de truites localisée prés d'un barrage, sur un canal recevant de l'eau fraîche hypolimnétique de température standard, produit des juvéniles, des alevins et des poissons de taille commercialisable.

3.5.7 Résumé

En résumé, l'eau contenue dans les canaux d'irrigation pourrait servir à deux activités complémentaires, l'irrigation et l'élevage de poissons, mais cela n'est généralement pas le cas. En effet, il existe des problémes propres aux systémes d'irrigation qui entravent l'utilisation efficace de cette eau non seulement pour l'agriculture, mais également pour la production piscicole. Cependant, il semble possible d'adapter, avec quelques aménagements, certains canaux à la production de poissons.


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