L'étranger ne saisit pas toujours très bien les raisons pour lesquelles on élève des ruminants dans les pays en développement. Il existe à cet égard de multiples raisons dont la priorité varie selon le lieu et les propriétaires du bétail, à savoir:
pour l'alimentation (par exemple la viande, le lait et le sang ou l'association de ces éléments) et aussi comme réserve alimentaire fiable pour les années de sécheresse;
comme emblèmes de prestige et signes extérieurs de richesse;
comme moyen d'accumuler la richesse pouvant être utilisée à diverses fins (par exemple pour faire face à des événements qui mettent la vie en danger; pour couvrir les dépenses d'un mariage; pour rembourser des dettes, etc.);
comme garantie contre l'inflation;
pour disposer de combustible (la bouse peut être vendue ou utilisée pour cuire les aliments);
pour la production d'engrais (par exemple la bouse);
à des fins religieuses ou comme source de divertissement (par exemple les béliers de combat en Indonésie);
pour le travail (le labour, le piétinage des rizières, etc.);
comme moyen de transport;
pour transformer les peaux en cuir;
comme investissement effectué par les hommes d'affaires des villes dont ce placement dans l'agriculture est souvent motivé par la possibilité d'obtenir des dégrévements fiscaux;
pour l'exploitation des terrains médiocres qui, sinon, ne seraient pas utilisés pour l'agriculture.
Le désir qu'éprouve l'éleveur d'accroître la productivité de ses bêtes dépend en grande partie du but de l'élevage. Il y a parfois avantage à maintenir la productivité à un niveau assez bas. Par exemple. si le nombre d'animaux est plus important que la production par tête, l'éleveur a intérêt à posséder des animaux émaciés et maigres qui ne nécessitent qu'un faible apport de fourrage.
Les animaux visés par le présent ouvrage sont ceux qui constituent les troupeaux des petits exploitants agricoles qui ont pour objectif majeur la production de viande ou de lait ou le travail des bêtes, ou une association quelconque de ces facteurs (viande/travail, viande/lait, lait/travail) car ce sont là les prineipaux propriétaires de bétail dans les pays en développement et ils sont la cible de beaucoup des projets parrainés par des organismes d'assistance.
Rares sont les pays en développement qui disposent de terres excédentaires qui puissent être consid dérées comme fertiles, done susceptibles de produire un fourrage de haute qualité. En général, la pression démographique et la nécessité primordiale de nourrir la population humaine font en sorte que le bétail ne dispose que:
de terrains de pacage de qualité médiocre (souvent soumis à un surpâturage), soit non fertiles, soit avec un relief qui rend impossible leur exploitation pour les cultures, ou bien qui sont inutilisables par suite de l'érosion;
des résidus de cultures ou des plantes adventices qui poussent après la récolte lorsque les conditions écologiques sont défavorables pour la croissance des végétaux et qu'il est impossible d'obtenir une nouvelle récolte la même année;
des résidus de récoltes emmagasinés;
des sous-produits agro-industriels;
de vastes pâturages de mauvaise qualité et très dispersés (par exemple les llanos de Colombie et du Venezuela).
Bovins | Buffles | |
Europe | 68 | 50 |
Asie/Pacifique | 5 | 7 |
Il en résulte en général un niveau de productivité extrêmement bas avec des bêtes qui n'atteignent souvent leur maturité qu'à l'âge de cinq ans et dont le rendement n'équivaut qu'à 0,1–0,25 de celui des ruminants des pays à climat tempéré élevés sur des pâturages fertilisés ou nourris au moyen de fourrages de haute qualité constitués de céréales et de végétaux de pacage immatures. Les tableaux 2.1, 2.2 et 2.3 comparent les niveaux de production des bovins dans les pays développés et dans les pays en développement.
Bovins | Buffles | |
Europe | 185 | 206 |
Asie/Pacifique | 120 | 161 |
Pays/région | Rendement moyen par vache (kg/an) | Augmentation en pourcentage (1976 à 1986) | |
1976 | 1986 | ||
Amérique du Nord | 3 250 | 5 200 | 60 |
Pays de la CEE | 2 900 | 4 100 | 35 |
Asie | 620 | 700 | 13 |
Afrique | 322 | 354 | 7 |
En règle générale, la recherche en biotechnologie dans les pays industrialisés n'a pas pour cible les animaux à bas rendement. Outre une mauvaise alimentation, des conditions météorologiques défavorables et des maladies, d'autres facteurs de stress sont également importants en général, surtout dans les pays tropicaux. Ces contraintes supplémentaires risquent d'affecter et souvent d'éliminer tout avantage qu'aurait pu apporter une biotechnologie transférée des pays développés.
Etant donné les différences considérables entre les ressources fourragères disponibles dans les pays en développement et celles des pays développés (où est actuellement centrée la majeure partie de la recherche en biotechnologie), et le faible coût des systèmes de production dans le monde en développement par rapport aux pays industrialisés (où les subventions à l'agriculture dépassent souvent 40% de la valeur de la production), il est fort peu probable qu'un transfert direct de technologie puisse être couronné de succès.
Les fourrages qui sont disponibles pour les ruminants dans les pays en développement sont fibreux et relativement riches en ligno-cellulose. Leur digestibilité est habituellement assez faible et ils présentent souvent une carence en nutriments essentiels, y compris les protéines, l'azote non protéique et les minéraux.
D'une manière générale, les fourrages consommés par les ruminants dans les pays en développement ont presque toujours une digestibilité inférieure à 55% (habituellement 40–45%) et leur teneur en protéines brutes est souvent inférieure à 8%, étant le plus fréquemment aux alentours de 3 à 5%, par exemple la paille de céréales. On observe la seule exception au début de la croissance des herbages et lorsque la charge à l'hectare est extrêmement faible et que les bêtes peuvent sélectionner le feuillage. Les données récapitulatives fournies par Walker (1987) (voir figure 2.1) indiquent les bas niveaux de production par tête et par hectare de la plupart des systèmes de pâturage. En l'absence d'une alimentation de complément, ces bas niveaux de production aboutissent à une utilisation extrêmement inefficace du fourrage disponible, avec le risque de voir jusqu'à 30% du fourrage perdu sous forme d'énergie thermique. La chaleur exerce parfois des effets considérables sur l'apport de fourrage, en particulier sous les tropiques (voir chapitre 3).
Dans un exposé sur la nutrition des ruminants, il est donc nécessaire de prendre en considération la digestion des rations à base de fourrage et les obstacles que fait peser sur l'assimilation des nutriments un système de digestion fermentative, car les connaissances à ce sujet devront déterminer en grande partie les priorités de la recherche.
La littérature consacrée à la valeur nutritionnelle des fourrages met beaucoup l'accent sur leur composition chimique brute. Bien que les analyses indiquant les matières cellulaires solubles et les matériaux composant les membranes des cellules soient extrêmement utiles pour étudier les caractéristiques fermentatives d'un fourrage, elles n'ont guère de rapport avec la valeur alimentaire de ce dernier pour l'animal (voir plus loin). Il arrive souvent que l'on consacre à l'analyse du fourrage des efforts considérables qui sont totalement injustifiés, en particulier dans les pays en développement. Le présent rapport met l'accent sur les effets primordiaux d'une conception de l'alimentation animale fondée sur un équilibre des nutriments. Il y est indiqué que, dans la plupart des systèmes de production pour ruminants basés sur un fourrage de qualité médiocre, la préoccupation principale doit être l'équilibre des nutriments qui constituent les éléments majeurs pour la synthèse des tissus et la production laitière. Pour la plupart des fourrages, et contrairement à l'argument avancé dans le passé suivant lequel la carence énergétique était le principal obstacle à la production des ruminants nourris avec des fourrages de mauvaise qualité, l'efficacité de l'utilisation du fourrage est le facteur principal qui détermine les niveaux de production atteints. Cet aspect doit donc être la préoccupation centrale lorsqu'on examine la nécessité de la recherche en biotechnologie.
Il ressort d'une évaluation récente des données provenant d'études menées dans des pays tropicaux qu'il est possible d'obtenir des niveaux de production moyens à élevés avec un très fort rendement en ce qui concerne la conversion du fourrage chez des ruminants absorbant du fourrage de mauvaise qualité, à condition que ce dernier soit complété de façon adéquate par un apport de nutriments esentiels (voir Preston et Leng (1987)). Encore plus important est le fait que l'efficacité de l'énergie métabolisable peut être meilleure avec une ration à base de paille complétée par un apport approprié de nutriments qu'avec une ration à base de céréales (Leng, 1989b). Cela donne à penser qu'une simple alimentation de complément permet d'améliorer de façon marquée (jusqu'à dix fois plus) l'efficacité d'utilisation de l'énergie métabolisable d'un fourrage. Cela dément en outre les théories selon lesquelles les nutriments digestibles de ces fourrages seraient utilisés moins efficacement que ceux d'une ration à base céréalière.