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PREMIERE PARTIE (continu)

CHAPITRE IV
L'AVENIR DES FORETS TROPICALES (continu)

4.3 Forêts tropicales et préoccupations écologiques

Le lien entre forêts tropicales et stabilité des conditions climatiques locales, voire régionales et mondiales, est largement admis, quoique encore mal connu. Des études menées dans l'Amazone et en Afrique occidentale ont montré l'influence de la transpiration des forêts tropicales sur la pluviométrie locale, et leur importance dans le cycle hydrologique (Salati, 1987; Shuttleworth, 1988). On pense que les forêts tropicales pourraient jouer un rôle capital dans les systèmes de circulation générale de l'atmosphère, avec une influence concomitante sur le régime des précipitations. Leur rôle d'emmagasinage du carbone est manifeste, bien que l'on suppose que les forêts à la phase de maturité soient approximativement en équilibre en ce qui concerne la fixation et la libération de bioxyde de carbone. A cet égard, la création de jeunes forêts artificielles à croissance rapide a certainement une plus grande influence potentielle sur le réchauffement du climat mondial, dans la mesure où celui-ci serait dû à des concentrations croissantes de bioxyde de carbone dans l'atmosphère.

La composition spécifique des forêts tropicales, si ce n'est dans la mesure où elle peut être essentielle pour le fonctionnement de l'écosystème en un endroit donné, n'a vraisemblablement pas une importance décisive pour leur rôle dans la stabilité du climat régional ou mondial. Il n'y a guère de preuves non plus de liens entre diversité spécifique et fonctionnement de l'écosystème (di Castri et Younes, 1990). A l'exception de certaines espèces “clefs de voûte”, il semble y avoir un degré élevé d'interchangeabilité des espèces dans le fonctionnement des écosystèmes forestiers tropicaux de grande diversité, et il semble probable que des forêts secondaires bien aménagées, composées en grande partie d'essences à croissance rapide caractéristiques des premiers stades de la succession écologique, peuvent remplir efficacement le rôle écologique que l'on attend de la forêt.

Cependant il est d'autre part de plus en plus admis que la perte de diversité biologique est en elle-même un problème écologique. Elle constitue un danger immédiat, par conséquent elle exige d'urgence une action internationale accrue tout comme la menace de changement du climat mondial.

En 1988, le PNUE, en même temps que les autres membres du Groupe de la conservation des écosystèmes (comprenant alors la FAO, l'Unesco, le PNUE, l'UICN et le WWF International). entreprit la préparation d'une Convention internationale sur la diversité biologique. Dès le départ l'importance particulière des forêts tropicales à cet égard fut reconnue. L'exigence fondamentale de la conservation in situ des ressources génétiques, et de la conservation des écosystèmes et des habitats naturels, fut érigée en principe fondamental, lié à des obligations générales de toutes les parties sur une convention éventuelle visant à la conservation in situ des habitats naturels, des espèces, de populations viables et des ressources génétiques. On a largement reconnu aussi la nécessité d'intégrer la conservation de la diversité biologique avec le développement, et le rôle possible à cet égard de forêts aménagées pour la production de bois et autres produits. Les divers projets de convention rédigés par le Groupe de la conservation des écosystèmes furent ensuite discutés par les gouvernements nationaux dans le cadre de la préparation de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (CNUED)1. Le WRI, l'UICN et le PNUE, en consultation avec la FAO et l'Unesco, rédigèrent d'autre part un document intitulé “Stratégie et plan d'action sur la biodiversité”, appelant à une décennie d'action, et à un financement international pour appuyer cette action (WRI, 1992).

Des discussions sur une convention-cadre, une charte, un protocole ou autre accord international visant à la conservation des forêts, tel que proposé par le Sommet des sept premiers pays industriels de Houston en juillet 1990, ont été activement poursuivies à la Commission des forêts de la FAO en septembre 1990, et au Conseil d'administration de la FAO lors de sa réunion de novembre 1990. Par la suite, il a été convenu de poursuivre ces discussions dans le cadre des comités préparatoires de la CNUED, et elles ont conduit à la formulation d'un projet de déclaration de principes sur l'aménagement, la conservation et la mise en valeur durable de tous les types de forêts2. Bien que non juridiquement contraignants, ces “Principes forestiers” pourront être utilisés comme base pour un futur accord international plus formel. Un tel instrument international, quel qu'il soit, devra accorder une attention toute particulière à l'importance des forêts tropicales dans la conservation de la diversité biologique et des ressources génétiques, et aux conséquences qui en découlent en matière d'assistance financière et technique à fournir aux pays tropicaux.

Si la diversité génétique des forêts tropicales n'a sans doute pas une très grande importance en ce qui concerne leur fonction climatique, en revanche il est certain qu'elle est vulnérable au changement climatique, dont les effets risquent d'être particulièrement graves dans les principaux écotones, ou zones de transition entre des biomes voisins, par exemple dans la zone de transition entre forêt dense tropicale et savane boisée (Holdgate et al., 1989). Dans une telle situation, où l'on a émis l'hypothèse qu'une modification de 3°C de la température moyenne entraînerait un déplacement en latitude des types d'habitat de l'ordre de 250 km (MacArthur, 1972, dans McNeely, 1990), chaque espèce réagira selon sa capacité propre. Le degré de diversité génétique entre populations et entre arbres individuels dans chaque espèce aura à cet égard une forte influence, ce qui souligne l'importance de la conservation des ressources génétiques d'espèces ligneuses dans de telles zones de transition.

Dans les forêts tropicales, les essences pionnières à graines légères anémochores (disséminées par le vent), et celles dont les graines sont efficacement disséminées par des oiseaux, chauves-souris ou autres animaux qui les dispersent sur une vaste étendue, s'adapteront vraisemblablement plus aisément au changement climatique que les essences à gros fruits lourds qui tombent au sol entiers, et dont les semis sont adaptés pour survivre sous le couvert forestier. Cela permet de penser que les arbres caractéristiques de la forêt climacique seront sans doute plus désavantagés par le changement climatique que les essences pionnières plus largement réparties, notamment si ces dernières montrent également un degré élevé de diversité et un mode de reproduction fortement allogame.

1 La Convention-cadre internationale sur la biodiversité qui en est issue a été signée à la CNUED à Rio de Janeiro (juin 1992) par 154 pays; elle entrera en vigueur après ratification par 30 pays signataires (voir par exemple FAO. 1992b).

2 “Déclaration de principes, non juridiquement contraignante mais faisant autorité, pour un consensus mondial sur la gestion, la conservation et l'exploitation écologiquement viable de tous les types de forêts”, adoptée à la CNUED, Rio de Janeiro (juin 1992).

4.4 Réseaux d'aires protégées

La reconnaissance de l'importance de la diversité biologique, et de l'exceptionnelle richesse des forêts tropicales à cet égard, faciliteront sans doute l'inclusion d'éléments de conservation in situ des ressources génétiques dans les aires de protection intégrale telles que parcs nationaux ou réserves autochtones. Les principes en ont été établis dans la Stratégie mondiale de la conservation (UICN, 1980), qui a été largement approuvée. Un point essentiel de la Stratégie est la reconnaissance de l'interdépendance entre conservation et développement. Ce thème est davantage développé dans l'adaptation de 1990 de la Stratégie (UICN, 1991a) qui préconise un réseau complet de forêts naturelles protégées et une intensification des actions de conservation des ressources génétiques forestières. Le terme d'“aire protégée” englobe une diversité d'approches de la protection et de la gestion des zones naturelles et semi-naturelles, classées en huit grandes catégories. Plusieurs de ces catégories permettent l'exploitation régulière de produits forestiers dans le cadre d'un aménagement rationnel ayant pour objectif à la fois de conserver la diversité biologique et de fournir des bénéfices durables aux populations locales et à l'économie nationale. C'est le cas par exemple des Catégories IV (Réserves naturelles dirigées/Sanctuaires de faune), VI (Réserves de ressources naturelles), VII (Réserves anthropologiques/Régions biologiques naturelles, pour la récolte traditionnelle de menus produits forestiers) et VIII (Régions naturelles aménagées à des fins d'utilisation multiple/Zones de gestion des ressources naturelles) (UICN, 1990). Toutefois les objectifs fondamentaux des aires protégées sont de maintenir les processus écologiques propres des systèmes naturels, et de conserver leur diversité et leurs ressources génétiques en vue d'une utilisation durable.

Deux autres catégories de sites de conservation, qui peuvent dans une certaine mesure se recouvrir avec les catégories de l'UICN, sont internationalement reconnues. Il s'agit des Réserves de la biosphère, établies au titre du Programme Unesco “L'homme et la biosphère” (MAB), et des Sites du patrimoine mondial, désignés par les pays signataires de la Convention de l'Unesco sur le patrimoine mondial. Le Programme MAB de l'Unesco travaille en liaison étroite avec la FAO, le PNUE et l'UICN, et avec le Conseil international des unions scientifiques (CIUS). Toutes les Réserves de la biosphère sont conçues comme ayant un objectif scientifique en même temps qu'un objectif de développement, et peuvent admettre la récolte de produits, notamment de bois, lorsqu'elle est considérée comme propre à améliorer la connaissance des bases scientifiques de l'aménagement des ressources. Les zones classées comme Sites du patrimoine mondial peuvent bénéficier d'une assistance financière par le Fonds d'affectation spéciale pour le patrimoine mondial, ce qui peut entraîner certaines restrictions à l'utilisation de leurs ressources. Roche et Dourojeanni (1984) ont évalué les diverses catégories d'aires protégées en fonction de leur contribution à la conservation des ressources génétiques forestières.

Les réseaux d'aires protégées forment le “noyau” central des actions nationales et internationales pour la conservation de la diversité biologique, cependant les progrès de la biologie de la conservation (exemple: Harris, 1984; Soulé, 1986; Wilcox, 1990) ont révélé leurs limitations en matière de conservation des écosystèmes, des espèces et des ressources génétiques. La plupart des biologistes spécialistes de la conservation reconnaissent maintenant que les réseaux d'aires protégées, même dans l'hypothèse la plus optimiste sur les surfaces susceptibles de leur être affectées, ne seront pas en mesure de conserver la totalité, ou même la majorité, des espèces et des ressources génétiques désirables (FAO, 1989a; FAO, 1992c; McNeely et al., 1990). La surface totale et la répartition des aires protégées nécessaires excéderaient de loin les possibilités pratiques et la volonté des communautés locales et des gouvernements de soustraire ces surfaces à une mise en valeur productive, ou d'en limiter catégoriquement l'exploitation. La seule solution, par conséquent, est une mosaïque ordonnée d'aires protégées, intégrées avec des forêts de production aménagées de telle sorte qu'elles constituent une capacité complémentaire pour la conservation globale de la diversité biologique en général, notamment des ressources génétiques de leurs essences importantes.

La localisation des aires protégées est normalement déterminée par des considérations de valeur du paysage naturel, de richesse spécifique, d'endémisme, de degré de menace due à la destruction de l'habitat, de théories de refuges du pléistocène, et de l'attention portée à des “points névralgiques” pour décider des priorités (Wilson, 1988; Myers, 1988; Reid et Miller, 1989; McNeely et al., 1990; Wilcox, 1990). Leur représentativité du point de vue des ressources génétiques forestières est sérieusement limitée tant par le manque d'information sur les modes de distribution, notamment au niveau de la variation intraspécifique, que par les pressions qu'exercent les autres formes de mise en valeur des terres. La plupart des surfaces de forêt primaire ou de forêt climacique qui subsistent se trouvent sur des sols jugés impropres à l'agriculture intensive ou très éloignées des centres de population, ou les deux. Dans les plaines fertiles des tropiques, les forêts ont été soit fortement modifiées, soit éliminées. Là où existent encore des possibilités de sélectionner et mettre en réserve des aires protégées, les tentatives de conservation de populations potentiellement intéressantes d'espèces importantes doivent normalement s'appuyer sur les modèles de variation du milieu ou des communautés végétales, plutôt que sur une connaissance détaillée de la génétique et des modèles réels de variation des espèces composantes.

La taille et la forme de chaque aire protégée, d'autre part, sont fortement influencées, et souvent déterminées, par les pressions extérieures plutôt que par des considérations théoriques de taille minimale de population. Cependant même de petites surfaces peuvent apporter une contribution importante à la conservation (Simberloff, 1982, 1983), et des réserves de moins de 10 hectares, même, peuvent permettre de conserver des populations viables de nombreuses espèces végétables (McNeely et al., 1990). Un avantage de petites surfaces est qu'elles sont plus faciles à gérer, tant pour l'étude de leur composition spécifique et de l'auto-écologie des espèces qu'au plan de la protection, et qu'elles offrent davantage de possibilités de diversification sur l'ensemble du territoire national. Un inventaire complet de la flore arborescente, et autant que possible du reste de la flore et de la faune (présence, densité et distribution), est essentiel pour une conservation efficace, et peut permettre d'utiliser ces petites surfaces conjointement avec d'autres sites de conservation in situ, et avec une action ex situ (voir également l'étude de cas du Ghana).

La valeur des aires protégées pour la conservation des ressources génétiques est généralement affaiblie par le manque de ressources et de capacité de contrôle et d'aménagement. Roche et Dourojeanni (1984) ont attiré l'attention sur la nécessité d'un aménagement effectif des aires protégées, et sur le rôle capital à cet égard des “Régions naturelles aménagées à des fins d'utilisation multiple/Zones de gestion des ressources naturelles” (Catégorie VIII de l'UICN), du fait qu'elles permettent une manipulation des populations en vue d'utiliser et éventuellement d'enrichir leurs ressources génétiques. Ces auteurs ont également suggéré une révision de la législation relative aux autres catégories d'aires protégées, telles que les parcs nationaux, afin d'y permettre des activités telles que récolte de semences et autres matériels de reproduction. Ils soulignent que le noyau central de protection intégrale de nombreux parcs nationaux est suffisamment grand pour permettre de le diviser en différents secteurs, avec éventuellement des objectifs et des techniques d'aménagement différents. Ce principe d'association de différents modes d'aménagement entre des parcelles de forêt contiguës est très important pour l'intégration effective des objectifs de conservation et de mise en valeur. Il est bien illustré par les “Réserves de jungle vierge” à l'intérieur des forêts de production en Malaisie, et par le concept de “zones tampons” autour des forêts protégées.

4.5 Zones tampons

Les aires protégées, notamment celles qui n'ont pas une taille et un emplacement idéals, ne peuvent réaliser leurs objectifs de conservation que si les terres qui les entourent sont soumises à un aménagement approprié compatible avec les objectifs de l'aire protégée elle-même. Cela peut nécessiter la mise en place d'une “zone tampon”, qui pourra répondre à ces objectifs tout en procurant des bénéfices pour la population locale. L'expérience montre que la protection juridique est insuffisante par elle-même pour prévenir les empiétements et les déprédations en forêt, en particulier lorsqu'il y a des établissements humains proches des limites (Sayer, 1991). En outre, dans des réserves relativement petites, les arbres qui poussent naturellement à très faible densité seront soumis à un risque de consanguinité ou d'insuffisance de la régénération, auquel on pourra remédier si leurs populations s'étendent dans les zones voisines de la forêt aménagée. Une telle extension de la protection pourra aider à conserver une plus large gamme de variation intraspécifique.

Certaines tentatives de création de zones tampons se sont avérées décevantes (Wells et al., 1990), mais d'autres ont connu davantage de succès. Les avantages qu'elles procurent, outre l'accroissement de la taille de population de certaines espèces et la séparation entre l'aire protégée centrale d'un côté, et les établissements humains et l'agriculture intensive de l'autre, sont notamment de susciter un appui de la population locale aux objectifs de conservation par suite de sa participation à l'exploitation de la zone tampon, pour la chasse par exemple.

La définition du concept de zone tampon par MacKinnon (1981) est la suivante: “Des zones périphériques de parcs nationaux ou de réserves, dont l'utilisation fait l'objet de restrictions afin de fournir une barrière de protection supplémentaire pour la réserve elle-même, et une compensation aux villageois pour la perte d'accès à la zone de réserve intégrale”. Cependant, Sayer (1991) propose une interprétation plus large du concept, pour y inclure une gamme d'activités de mise en valeur possibles susceptibles d'apporter des avantages à la population locale aussi bien que d'étendre l'influence de l'aire protégée, au moins pour certaines espèces animales et végétales. Ces activités pourront dans certains cas inclure l'agroforesterie, les plantations forestières ou diverses autres formes d'utilisation mais, du point de vue de la conservation in situ des ressources génétiques de la forêt, la forme la plus appropriée est évidemment une utilisation adaptée de la forêt naturelle. Le Corbett National Park, dans le nord de l'Inde, est un exemple ancien qui montre de quelle manière l'entretien de forêts semi-naturelles de Sal (Shorea robusta) a constitué une zone tampon pour le parc national lui-même tout en fournissant au service forestier une production de bois de qualité et à la population locale des menus produits forestiers.

Les meilleures perspectives réalistes de maintien d'une zone tampon de forêt naturelle relativement peu modifiée dans sa composition spécifique, et contribuant par conséquent au maximum à la conservation in situ, se situent dans les quelques grands massifs forestiers subsistants, par exemple en Amazonie, dans le bassin du Zaïre et dans certaines parties de l'Indonésie. Des possibilités existent encore ailleurs en Afrique, là où la pression démographique en lisière des forêts n'est pas encore trop forte, d'établir des zones tampons de forêt secondaire, avec une concentration plus élevée d'essences pionnières. Cependant, des coupes sélectives légères, propres à maintenir le rendement soutenu, ou la récolte de menus produits forestiers, ou une combinaison des deux, seraient sans doute mieux à même de conserver une large gamme de diversité totale. L'important est que l'aménagement de l'aire protégée et celui des terres voisines soient conçus et conduits comme une unité intégrée. De cette façon, on pourra convenablement traiter, dans des zones d'aménagement distinctes, les ressources génétiques des essences de stades avancés de la succession écologique, et des essences des premiers stades. Il faut fixer des objectifs et des priorités clairs pour chaque zone. depuis le “noyau” central, où la conservation de la diversité bioloogique d'ensemble doit être prépondérante, en passant par la forêt exploitée par jardinage en veillant à la conservation des ressources génétiques des essences importantes, jusqu'aux zones extérieures où la production de bois et autres produits forestiers pourra être prioritaire, avec l'étroite participation des communautés locales (voir l'étude de cas de l'Inde).

Un autre rôle important des zones de forêt aménagée en dehors des aires protégées proprement dites est de servir de couloirs pour les mouvements de populations animales, notamment dans le cas de changements possibles du climat. Si ces couloirs sont suffisamment larges et bien protégés, ils pourront permettre également la migration de certaines espèces végétales, notamment d'essences forestières. Toutefois, étant donné la rapidité probable des changements et le morcellement intense des forêts tropicales, les mouvements des ressources génétiques d'essences forestières importantes seront davantage conditionnés par des stratégies de conservation ex situ.

CHAPITRE V
STRATEGIES DE CONSERVATION IN SITU DANS LES FORETS DE PRODUCTION

5.1 Politiques nationales

Les ressources génétiques font partie du patrimoine national de chaque pays, et leur utilisation et leur conservation doivent donc faire l'objet de politiques nationales explicites. La contribution potentielle que chaque forêt ou unité d'aménagement à l'intérieur d'une forêt est susceptible d'apporter aux objectifs nationaux de conservation ou de production soutenue variera selon son emplacement, sa composition spécifique, sa taille, sa forme, ses caractéristiques écologiques et bien d'autres facteurs. Sa contribution réelle sera déterminée par les objectifs et la qualité de l'aménagement, en rapport avec sa valeur potentielle pour la conservation. Il n'est ni possible ni nécessaire de prescrire des priorités et des intensités de conservation in situ identiques dans toutes les forêts de production. A un niveau minimum, un aménagement rationnel doit inclure des dispositions pour la protection des conditions stationnelles, des arbres semenciers, des semis naturels et des préexistants d'essences désirables dans des proportions adéquates en fonction de prescriptions de sylviculture et d'aménagement. Pour le généticien forestier, une gamme de modes d'aménagement possibles pourront être acceptables du point de vue de leur influence sur les ressources génétiques, selon les populations visées. Un raffinement extrême dans la conduite des peuplements, visant à obtenir une composition de la forêt qui favorise une ou quelques essences dans une forêt originellement polyspécifique, s'il s'appuie sur une connaissance poussée de la dynamique de l'écosystème et des effets de son fonctionnement à long terme, pourra être un moyen acceptable de conserver les ressources génétiques des essences principales, quoique aux dépens d'une plus large diversité (spécifique) de la forêt, qui devra faire l'objet de l'attention voulue dans d'autres parties du domaine forestier. Même la coupe à blanc et le remplacement de la forêt mélangée par des plantations d'une seule essence indigène, si ces dernières sont faites à partir de récoltes de semences suffisamment représentatives sur la même station, pourront être considérées comme une forme de conservation in situ. Cependant, de telles approches ne seraient que des dérogations à la règle générale qui est de rechercher la conservation par la régénération naturelle des espèces composantes dans l'écosystème considéré.

Dans de nombreux cas, la nécessité de maximiser la production de bois et d'autres produits sur une surface limitée exige de concentrer le potentiel de la station sur la végétation d'une essence ou d'un petit nombre d'essences à croissance rapide ou groupes d'essences, qui seront très probablement des groupes écologiques d'essences pionnières ou colonisatrices de trouées, et souvent d'exotiques. L'aménagiste forestier pourrait avancer l'argument qu'une telle manière de faire vient à l'appui de l'affectation d'autres zones de forêt à la conservation in situ, dans le cadre d'une stratégie d'ensemble. Cependant, l'expérience passée en matière de développement de reboisements “compensatoires” en vue de sauvegarder les forêts naturelles fait ressortir la nécessité d'un plan général plus net et plus cohérent pour assurer que les objectifs de conservation soient également satisfaits. Comme on l'a dit plus haut, le rôle de chaque surface de forêt de production dans la conservation in situ doit être déterminé par rapport aux modes de distribution et de variation des essences et des populations visées, et de la contribution du réseau d'aires de protection intégrale, parcs nationaux, etc. dans le cadre d'une stratégie nationale d'ensemble de la conservation. Outre l'utilisation des forêts de production pour compléter le réseau d'aires protégées, en comblant des lacunes importantes dans les aires des espèces ou dans les types de forêt, les forêts de production peuvent présenter un intérêt supplémentaire pour la conservation si elles sont contiguës à une aire protégée, ou si elles constituent un couloir de liaison avec d'autres aires protégées ou aménagées.

L'intérêt croissant porté au plan régional et international à la conservation de la diversité biologique et des ressources biologiques concernant des espèces dont l'aire de répartition s'étend sur plusieurs pays, et la reconnaissance de l'importance mondiale des forêts tropicales à cet égard, offrent de nouvelles possibilités d'obtenir un appui financier et technique pour des actions de conservation. Ces préoccupations internationales, notamment lorsqu'elles portent sur la valeur d'existence de la diversité biologique, risquent certes d'aller au-delà de la valeur d'utilisation immédiate des ressources génétiques forestières pour le pays où elles se trouvent, mais elles peuvent être mises à profit pour renforcer les objectifs nationaux dans la conservation de certaines forêts et populations. Toutefois, pour tirer le meilleur parti de ces nouvelles possibilités d'une manière qui serve tant l'intérêt national que des objectifs plus larges à l'échelle mondiale, il est essentiel d'avoir une politique nationale claire et cohérente sur la conservation des ressources génétiques.

Comme on peut le voir dans les études de cas du Ghana et de l'Inde, par exemple, les actions nécessaires pour assurer une conservation efficace doivent prendre attentivement en compte les intérêts des populations locales vivant en forêt et alentour, et elles devront de plus en plus s'étendre hors des forêts dans le domaine de l'industrie et du commerce des bois, et hors du secteur forestier pour englober des domaines de responsabilité dans d'autres secteurs publics. Elles pourront toucher les politiques centrales relatives à l'allocation de recettes et de dépenses, et les pratiques du commerce tant intérieur qu'extérieur. Dans ces cas, les changements qu'il sera nécessaire d'apporter dans la gestion de chaque massif forestier seront conditionnés par des décisions prises à un haut niveau et intéressant plusieurs secteurs. Une révision des réglementations en vigueur pourra être nécessaire. De nombreuses actions, telles que la révision des taxes forestières, l'adoption de barèmes différentiels de prix des bois sur pied, les systèmes d'attribution, la durée, la taille et le mode d'exploitation des concessions forestières, etc. sont nécessaires pour répondre tant aux objectifs généraux de l'aménagement forestier qu'à des objectifs de conservation, mais ces derniers devront également être gardés clairement en évidence dans la détermination de la politique d'ensemble. Des considérations analogues s'appliquent aux changements nécessaires dans les techniques d'aménagement forestier, et éventuellement dans les réglementations, afin d'incorporer les produits forestiers autres que le bois, et d'associer la population locale à l'aménagement. Les possibilités à cet égard ressortent bien dans les trois études de cas présentées en deuxième partie de ce document. Afin d'assurer que les objectifs de conservation soient mieux pris en considération dans les forêts de production, il faudra un système cohérent d'incitations à l'aménagement durable des forêts, à tous les niveaux depuis les populations locales jusqu'aux autres groupes nationaux tant dans le secteur privé que dans le secteur public, et aux conditions des marchés internationaux et aux politiques d'investissement, se rapportant par exemple aux pratiques commerciales, à l'appui à la transformation locale des bois, à l'assistance en matière de commercialisation, et à la valorisation maximale des produits pour le pays d'origine. Ces incitations doivent faire l'objet d'une formulation nationale, et elles pourront requérir une assistance internationale (voir l'étude de cas du Ghana).

Une tâche urgente est la détermination des espèces, populations, zones et actions prioritaires du point de vue de la conservation des ressources génétiques dans chaque pays. Il faudra à cet égard tenir compte des possibilités de conservation ex situ aussi bien qu'in situ, dans le cadre d'un programme national cohérent s'inscrivant dans la politique nationale. Dans un contexte plus large, englobant tous les secteurs des ressources naturelles, la formulation de stratégies nationales de la conservation a pu parfois fournir une aide pour la révision des politiques et la redéfinition des priorités (Poore et Sayer, 1987). Il s'avère difficile d'englober le vaste champ de sujets et de problèmes qui interviennent dans un domaine aussi large que la conservation de la diversité biologique dans une évaluation complète unique, et certains estiment qu'il faudrait une définition plus précise des politiques et des pratiques liant mise en valeur et conservation (FAO, 1985b; Prescott-Allen, 1986). Dans le contexte plus étroit de la conservation des ressources génétiques, l'aménagement polyvalent des forêts de production et de protection en vue de la production de bois, de menus produits forestiers pour l'usage local, de la protection de l'environnement et de la conservation des ressources génétiques apporte une contribution utile en fournissant un exemple et en aidant à définir une stratégie de la conservation plus générale.

Pour toutes les raisons ci-dessus, il est indispensable de formuler une Stratégie nationale pour la conservation des ressources génétiques forestières, afin d'utiliser au mieux les terres et autres ressources consacrées à la production, à la protection et à la conservation, et les possibilités de coopération régionale et internationale. Une tâche importante dans le cadre de cette stratégie sera d'établir un ordre de priorité des actions et de coordonner les activités, notamment de recherche, afin d'utiliser au mieux les ressources financières et humaines disponibles à l'échelon national et international. Faute d'inclure la recherche dans la stratégie d'ensemble, il y aurait un risque que les compétences scientifiques limitées soient mal utilisées, du fait du choix de sujets de recherche hors de propos, ou du défaut d'intégration du travail de différents spécialistes pour résoudre un problème particulier. C'est ce que l'on a observé en particulier dans les domaines de la biologie, de la reproduction et de la génétique des arbres tropicaux en relation avec leur conservation et leur aménagement (voir par exemple Bawa et Krugman, 1991; Wadsworth, 1975).

Les études des effets de perturbations sur la forêt, et de la réaction des principales essences d'intérêt économique à ces perturbations à différentes étapes de leur vie, sont importantes tant pour les objectifs d'aménagement que pour ceux de la conservation. Il est nécessaire de coordonner les actions entre de nombreux domaines biologiques différents, mettant en jeu des degrés divers de compétence, d'expérience et de complexité technique. Cependant bien souvent les études écologiques et auto-écologiques effectuées ne se rapportent pas directement aux activités d'aménagement forestier, par exemple parce qu'elles omettent de comparer ce qui se passe dans les forêts exploitées et non exploitées.

Une Stratégie nationale de la conservation pourrait aider à orienter les activités de recherche vers les domaines les plus prioritaires pour le pays.

Il est probable que les mêmes éléments et les mêmes orientations de recherche sont nécessaires dans de nombreux pays, et qu'au moins au niveau régional - ou écorégional - on retrouvera de nombreux points communs dans l'intérêt porté aux principales essences et ressources génétiques requérant une étude. Une coordination plus efficace des actions, notamment de la recherche au niveau régional, a souvent été recommandée, mais rarement réalisée. L'établissement de priorités nationales pour la recherche dans le cadre d'une Stratégie nationale de la conservation pourrait aider à une coopération régionale plus productive.

Une autre tâche dans la formulation de la Stratégie nationale de la conservation des ressources génétiques forestières sera la définition des structures institutionnelles appropriées pour guider et coordonner les actions qui seront entreprises. La nature exacte des dispositions institutionnelles à adopter devra être décidée en fonction des structures et des mécanismes nationaux existants. Il incombera de préférence au service forestier national de prendre les mesures en vue de formuler la stratégie, mais la nécessité d'assurer une forte coopération intersectorielle et l'élaboration de politiques à un haut niveau montre que les structures administratives centrales doivent y être étroitement associées, sinon en prendre elles-mêmes la direction. Un exemple en est l'adoption par la Commission nationale de planification du Népal du Programme de mise en oeuvre de la Stratégie nationale de la conservation dans ce pays. C'est sans doute la meilleure assurance d'une coordination intersectorielle et d'une intégration des politiques à un haut niveau, qui sont essentielles. Toutefois, dans une première étape, la mise en place d'une Unité nationale des ressources génétiques, telle qu'envisagée dans le Programme d'action forestier tropical (FAO, 1985b), pourra être suffisante s'il n'existe pas déjà un organisme analogue approprié. Le PAFT est actuellement le mécanisme international le plus approprié pour aider le secteur national à étudier tous les aspects de la question, entre autres pour mieux apprécier la valeur économique de la forêt naturelle et de ses ressources génétiques. C'est le défaut de compréhension ou d'acceptation de la valeur d'usage et de la valeur d'option de la diversité génétique dans l'économie nationale qui a constitué un obstacle à l'investissement nécessaire dans la conservation génétique.

5.2 Information en vue de l'aménagement

Outre la sous-évaluation de la ressource, et par suite de l'insuffisance d'investissement pour sa conservation et son aménagement, la principale déficience dans l'approche de l'aménagement réside dans le manque d'information sur la structure et la dynamique de la forêt. Pour élaborer un aménagement efficace, il faut avoir des données sur la composition de chacun des grands types de forêt, les caractéristiques sylvicoles de leurs essences principales et des autres qui peuvent les concurrencer aux divers stades de leur développement, leur comportement en matière de régénération, leur vitesse de croissance, et leur réponse à l'ouverture du couvert, à l'exploitation forestière et aux interventions sylvicoles. Dans la plupart des cas, on ne dispose même pas d'une information élémentaire sur la croissance et le rendement des principales essences économiques. L'aménagement en vue de la conservation in situ des ressources génétiques requiert des données de base sur l'écologie et l'auto-écologie qui sont dans une large mesure les mêmes que celles sur lesquelles s'appuient les tentatives de sylviculture en forêt naturelle, mais en mettant davantage l'accent sur la biologie de la reproduction et la structure génétique. Néanmoins un inventaire forestier général, tel que celui décrit dans l'étude de cas du Ghana, accompagné de prospections sur les menus produits forestiers et sur les modes de variation de la composition floristique des forêts, est d'importance fondamentale tant pour les objectifs de production que pour ceux de conservation génétique. Cet inventaire pourra aussi fournir une information sur les modes de distribution des espèces, qui constituent le premier pas dans l'étude de la variation intraspécifique, à inclure dans les stratégies de conservation in situ. Le réseau de placettes d'échantillonnage permanentes ou parcelles d'inventaire continu requis pour l'aménagement en vue de la production peut également être utilisé par exemple pour des études phénologiques et pour une recherche plus fondamentale, à laquelle pourront éventuellement participer des chercheurs d'universités nationales ou étrangères (voir également section 3.3).

Il existe souvent une profusion de données non publiées provenant de sources diverses, depuis des herbiers jusqu'à des rapports d'expéditions et des thèses universitaires, et susceptibles de contribuer à l'information nécessaire sur la composition de la forêt, la répartition des espèces, la phénologie de la floraison et de la fructification, etc. Les méthodes modernes de traitement de l'information peuvent être utilisées pour enregistrer ces données et aider à leur interprétation, et guider la collecte d'information complémentaire pour combler les lacunes les plus importantes (Jenkins, 1988; Davis et al., 1990). Le recours à des systèmes d'information géographique (SIG) peut apporter une aide efficace à la définition et à l'interprétation des modes de distribution des espèces en fonction des variables écologiques et des types de végétation. De même, des systèmes informatiques de traitement des données taxonomiques ont amélioré l'accessibilité et l'utilité de l'information sur la diversité génétique en ce qui concerne tant les groupes taxonomiques (exemple: ILDIS = Base de données et service d'information internationaux sur les légumineuses) que les zones géographiques. Le système ILDIS incorpore l'information sur l'importance économique et l'état de la conservation de chaque espèce, ainsi qu'une nomenclature des noms botaniques et vernaculaires, les types de végétation, des références cartographiques, etc. (Jury, 1991). Le Système de recherche botanique et de gestion d'herbier (BRAHMS) élaboré à l'Oxford Forestry Institute (Royaume-Uni) a été conçu spécialement pour traiter les données relatives à un programme de recherche de génétique forestière (Filer, 1991). De nombreux organismes de pays tropicaux utilisent des SIG et autres systèmes de gestion de base de données. Etant donné l'importance d'un traitement efficace des données nécessaires pour la conservation in situ, un Centre national de données à cet effet doit être un élément de la stratégie nationale, qui pourra non seulement aider mais encourager activement la collecte de données provenant de nombreuses sources et de collaborateurs potentiels.

Ce Centre de données aidera à la coordination des actions dans le pays et à la liaison avec des bases de données régionales et internationales telles que celle du World Conservation Monitoring Centre (WCMC) à Cambridge (Royaume-Uni), appuyé par l'UICN, le WWF et le PNUE, et avec le Département des forêts de la FAO, qui assure le secrétariat du Groupe FAO d'experts des ressources génétiques forestières. Une activité importante de ce dernier groupe est la préparation et la révision, lors de ses réunions périodiques qui se tiennent actuellement tous les trois ans, de listes mondiales d'essences de première urgence, par régions et par priorités d'action (prospection, récolte, évaluation, conservation, reproduction, utilisation). A sa septième session en décembre 1989, le Groupe d'experts a noté la nécessité de révisions plus fréquentes et plus radicales des listes de priorités. Une liaison et une coopération étroites entre les Centres nationaux de données et le Secrétariat du Groupe d'experts à la FAO seront à cet égard un élément important.

Les Centres nationaux de données ont d'autre part un rôle essentiel à jouer dans la coopération régionale, par exemple pour le projet proposé de Conservation et utilisation rationnelle des écosystèmes forestiers d'Afrique centrale, reliant les activités dans les sept pays concernés. Une action concertée analogue serait utile en Afrique occidentale (Tufuor, 1990b), en Amérique centrale et dans d'autres régions et sous-régions.

5.3 Modes d'aménagement

Le principe fondamental qui doit guider le choix du mode d'aménagement à appliquer à une forêt donnée, en prenant en compte les besoins de conservation des ressources génétiques, est qu'il doit s'appuyer sur une bonne connaissance de l'écologie de la forêt et de l'auto-écologie des principales essences d'intérêt socio-économique qui la composent.

Un problème fondamental, qui a sapé les tentatives d'aménagement des forêts tropicales en vue de résultats prévisibles, est la difficulté d'adapter les interventions à la nature et à l'état réels de la forêt et de la station. C'est la raison principale pour laquelle des expérimentations sylvicoles, exécutées avec soin et réalisées avec succès, n'ont souvent pu être transposées en grandeur réelle par suite de la diversité de conditions sur l'ensemble de la forêt. Toute tentative d'appliquer un mode d'aménagement donné, qu'il soit monocyclique ou polycyclique, et souvent de prescrire en bloc des traitements sylvicoles uniformes, sans tenir dûment compte des variations dans les types de forêt, les associations végétales et les stades d'évolution, ne saurait réussir que localement, partiellement, et dans une large mesure accidentellement. A l'exception des zones où des interventions intensives visant à “affiner” la composition spécifique de la forêt peuvent être poursuivies sur plusieurs rotations de coupes, l'impact sur les ressources génétiques de la forêt risque lui aussi d'être aléatoire et parfois irréversible. En revanche, les études de la régénération avec divers modes de traitement dans différents pays montrent une résilience générale de la composition de la forêt, à condition que le passage des coupes ne soit pas suivi de nouveaux impacts catastrophiques pour la régénération, tels qu'incendie ou culture illicite.

L'information dont on dispose sur la génétique et la variation de chaque essence, y compris les essences principales d'intérêt commercial des forêts tropicales et subtropicales, est généralement insuffisante pour prédire les effets de l'exploitation et des interventions sylvicoles sur leurs ressources génétiques, sinon de manière très générale. Cependant, comme on l'a observé dans les sections qui précèdent, on sait que des rotations courtes des coupes et l'utilisation sans discernement d'engins lourds ont des chances d'être plus préjudiciables tant à la composition spécifique qu'aux systèmes de reproduction que des rotations plus longues (70 à 100 ans). De même, une coupe sélective légère, laissant une population bien répartie de semenciers des principales essences économiques, sera vraisemblablement préférable à ces deux points de vue qu'une perturbation plus importante de la forêt. Les méthodes propres à réduire les dégâts d'abattage (cartographie du terrain et des peuplements, marquage des arbres, planification et construction des routes, abattage dirigé, choix des équipements, etc.) peuvent être rentables économiquement aussi bien que du point de vue écologique. Au niveau le plus élémentaire, par conséquent, une bonne planification et un contrôle effectif des coupes, même en l'absence de prescriptions d'aménagement plus élaborées, tels que pratiqués par exemple dans les Unités forestières d'aménagement au Congo (FAO, 1989b), sont susceptibles de satisfaire aux objectifs tant de production que de conservation.

Au-delà de ce niveau d'aménagement, les contraintes financières et humaines liées à la faible valeur attribuée à la forêt naturelle entraînent une divergence croissante entre le degré d'information et de précision requis pour la gestion des ressources génétiques, en adaptant exactement les interventions à la condition réelle de la forêt, et le niveau d'investissement dans l'aménagement autorisé par les calculs de coûts, de rendements et de taux d'actualisation. Outre le fait d'assurer des niveaux de revenus plus appropriés, comme dans l'étude de cas du Ghana, et de les appliquer à l'aménagement forestier, il convient d'attribuer une valeur supplémentaire à la conservation in situ des ressources génétiques, afin de réduire les pressions visant à une intensification des rendements. Ces pressions, qui agissent tant sur la durée des rotations de coupes que sur la concentration des accroissements sur un petit nombre d'essences actuellement commercialisées, entrent nécessairement en conflit avec les objectifs plus généraux de la conservation, qui concernent la richesse spécifique, la conservation des écosystèmes et les valeurs d'option. Cependant la valeur exacte à attribuer aux ressources génétiques doit être estimée, et un compromis acceptable doit être établi pour chaque forêt ou unité d'aménagement, en tenant compte de la Stratégie nationale de la conservation.

La nécessité d'une certaine souplesse de l'aménagement, en fonction de la nature et de l'état actuel de la forêt, est reconnue au moins en ce qui concerne la production ligneuse dans les deux méthodes d'aménagement élaborées en Malaisie: le Malayan Uniform System (MUS) - bien que souvent non appliqué - et le Malaysian Selective Management System (SMS), qui permet d'adapter l'aménagement et les interventions sylvicoles éventuelles à l'état des populations de jeunes arbres susceptibles de constituer le peuplement futur, après le passage de la coupe (FAO, 1989c). Les prescriptions du SMS ont également pour objet de prendre en compte les considérations écologiques, celles-ci incluant entre autres la conservation des ressources génétiques telles que définies pour chaque massif forestier dans le cadre d'une Stratégie nationale de la conservation. La connaissance de la composition, de l'écologie et de la sylviculture des forêts de la Malaisie péninsulaire notamment est sans doute plus avancée en Malaisie que dans aucune autre région de forêt tropicale comparable (exemple: Wyatt-Smith, 1963; Burgess, 1975; Ng, 1978 et 1989; Tang, 1987; Whitmore, 1990; Appanah et Salleh, 1991). La pratique des éclaircies de dégagement pour améliorer la croissance des arbres d'avenir sélectionnés pour constituer le peuplement principal, telle qu'appliquée initialement au Sarawak (Hutchinson, 1987), a été adoptée apparemment avec succès dans plusieurs pays, notamment en Côte d'Ivoire (Maitre, 1991) et au Suriname (Graaf, 1991), au moins à échelle expérimentale. De telles méthodes peuvent être utilisées pour favoriser différentes essences ou différents groupes d'essences en fonction des prescriptions édictées pour une forêt ou une parcelle donnée. C'est plus facile à appliquer dans les forêts de Malaisie, qui renferment une plus large gamme d'essences potentiellement commercialisables, sur lesquelles on dispose d'une base d'information solide tant pour leur conduite en forêt que pour leur groupement en vue de la commercialisation. Toutefois le même principe peut être appliqué aux forêts moins riches en essences commerciales, si l'on y trouve une ou deux essences communes fournissant des bois d'usage courant et ayant une régénération vigoureuse. C'est ce que l'on étudie par exemple au Costa Rica, en s'appuyant sur Pentaclethra macroloba pour réaliser la conservation de populations d'essences connues de valeur telles que Cedrela odorata (Finegan, comm. pers., 1991)3.

Les conséquences des tendances à long terme dans le marché international des bois, dont nous avons parlé au Chapitre IV, seront que les débouchés les plus sûrs pour les bois tropicaux concerneront vraisemblablement des essences de haute qualité pour les placages précieux, les menuiseries, les meubles, les instruments de musique, et autres usages spéciaux. Le volume total de ce commerce sera sans doute modeste, mais les prix seront élevés (OIBT, 1991). Une exploitation très sélective d'essences destinées à de tels emplois, dont la plupart seront probablement des essences à croissance lente caractéristiques de la phase de maturité de la forêt, éventuellement en association avec la récolte de menus produits, pourra être compatible avec la conservation de leurs ressources génétiques et autres éléments de diversité génétique, qui peut le mieux se réaliser dans des forêts au stade de maturité ou de climax.

A l'autre extrême, l'acceptation croissante, en particulier sur les marchés intérieurs ou régionaux, d'une plus large gamme d'essences actuellement peu utilisées, notamment celles à bois léger, peu durable mais susceptible d'être traité, offre de nouvelles possibilités pour d'autres modes d'aménagement, également compatibles avec la conservation des ressources génétiques. Ce pourra être un aménagement avec régénération par coupes d'abri uniformes (“uniform systems”), tel que la méthode des coupes d'abri par bandes appliquée à une échelle pilote dans la vallée de Palcazu au Pérou (Hartshorn, 1989), où les premiers résultats indiquent qu'il serait sans doute possible de maintenir une forte proportion des essences originelles dans un système de production viable, avec l'appui et la participation des communautés locales. Une utilisation accrue d'essences secondaires pour aider à la conservation des ressources appauvries d'essences de plus grande valeur, et les diverses actions qui peuvent être nécessaires pour réaliser un tel aménagement, sont illustrées dans l'étude de cas du Ghana.

L'aménagement des forêts de production à l'appui de la conservation des ressources génétiques pourra être plus efficace s'il est fait en liaison étroite avec l'aménagement d'aires protégées, telles que parcs nationaux. Celles-ci fournissent un réservoir de semences et un refuge pour les animaux vecteurs de semences et de pollen. Comme on l'a exposé plus haut, il se peut que de très petites surfaces de forêt intacte assurent cette fonction, par exemple en hébergeant des populations suffisantes d'oiseaux et de petits mammifères frugivores intervenant dans la dissémination des graines, mais dans certains cas il faudra des surfaces bien plus grandes. C'est le cas par exemple en ce qui concerne le rôle des éléphants, dans les écosystémes forestiers naturels d'Afrique, dans l'écologie et la répartition de certaines essences telles que Tieghemella heckelii (Martin, 1991). L'association du Parc national de Bia, au Ghana, avec la forêt de production contiguë, en est un bon exemple. En même temps les forêts de production peuvent procurer une extension effective de la gamme d'essences présentes dans l'aire protégée. L'incorporation d'aires de protection, telles que les Réserves de jungle vierge de Malaisie, au sein des forêts de production, constitue un excellent principe qui devrait figurer en bonne place dans toute stratégie nationale de conservation des ressources génétiques forestières.

3 B. Finegan, CATIE, Turrialba (Costa Rica).

5.4 Plans d'aménagement

C'est au niveau de la forêt, de la série et de la parcelle, et par l'élaboration de plans d'aménagement détaillés, que les principes de l'aménagement forestier et de la conservation des ressources génétiques doivent être mis en oeuvre. Dans la mesure où ces plans sont préparés avec soin et scrupuleusement appliqués, ils fournissent un exemple de plus de l'avantage qu'il y a pour les objectifs de conservation de les associer à la production ligneuse. Comme on l'a souligné plus haut, de nombreux aspects de l'aménagement forestier, depuis les inventaires et les études de croissance et de régénération jusqu'à l'exploitation ordonnée, devraient en même temps servir les objectifs de conservation génétique. Cela s'applique particulièrement aux dispositions visant à assurer une régénération satisfaisante, par exemple en faisant coïncider l'exploitation avec des années de fructification abondante ou en maintenant un nombre suffisant de semenciers bien répartis en l'absence de régénération des essences désirables, ainsi qu'en évitant les dommages aux réserves de graines du sol.

La collecte et l'exploitation de données sur la croissance et la prévision exacte des futurs rendements soutenus de bois sont essentielles pour l'aménagement forestier, et sont également d'importance capitale pour les objectifs de conservation. On a de nombreux exemples de menaces sérieuses sur les ressources génétiques d'essences importantes du fait d'une surexploitation des forêts due à une surestimation de la possibilité, et d'écrémage répété des peuplements. Cette possibilité surestimée a parfois servi d'argument pour justifier un développement à grande échelle d'industries forestières, qui engendre ensuite une demande insatiable et destructive sur les ressources forestières. C'est un domaine où les intérêts à long terme de l'aménagement forestier et de la conservation des ressources génétiques coïncident étroitement.

Il y a d'autres aspects de l'aménagement où la nécessité de veiller à la conservation des ressources génétiques va au-delà des objectifs de production, et peut parfois même paraître en contradiction avec ceux-ci. Comme on l'a dit plus haut, il n'est ni possible ni nécessaire de tenter d'imposer des mesures de conservation avec une priorité et une rigueur égales dans toutes les forêts de production; cela ne ferait qu'affaiblir parmi les gestionnaires forestiers l'appui à l'idée générale de la conservation génétique, et inciterait à négliger l'application des principes correspondants dans la pratique. C'est pourquoi il est indispensable d'apprécier de manière réaliste la situation dans chaque zone de forêt, de façon à pouvoir inclure dans chaque plan d'aménagement des prescriptions fermes en ce qui concerne les objectifs, les actions et les critères de contrôle de leurs effets. Lorsque les techniques à appliquer pour l'aménagement forestier et pour la conservation des ressources génétiques coïncident étroitement, les prescriptions devront s'appliquer dans toutes les forêts de production, et il sera seulement nécessaire de mentionner l'importance d'un surcroît d'attention par exemple à la réduction des dégâts d'abattage sur les jeunes régénérations, ou encore l'importance de la protection contre le feu, dans le cadre de la Stratégie nationale de conservation des ressources génétiques forestières.

Dans certaines forêts qui seront désignées au titre de la Stratégie nationale de la conservation, il faudra des mesures supplémentaires, qui seront fonction de l'importance estimée de la forêt pour la conservation des ressources génétiques des principales essences d'intérêt socio-économique reconnu, d'essences secondaires, de menus produits ou de types particuliers de végétation ou de forêt. Un critère important à cet égard sera l'emplacement de la forêt dans l'aire des essences considérées et en relation avec les conditions écologiques. L'intérêt de conserver une large gamme de provenances a été démontré plus haut, et on y parviendra dans une large mesure grâce à l'application d'aménagements rationnels sur l'ensemble du domaine forestier. Il faudra apporter un soin particulier, toutefois, dans les zones où les essences considérées sont soumises à des contraintes écologiques extrêmes en rapport avec le climat, les sols, l'altitude, etc. ou se trouvent à la limite de leur aire naturelle. Non seulement ces populations ont des chances d'être génétiquement distinctes, du fait de leur adaptation au milieu local, mais elles peuvent aussi être plus vulnérables aux perturbations, qui risquent de compromettre radicalement leur viabilité à long terme. Il faut accorder une attention particulière à ces populations marginales, en limitant l'intensité des coupes et en intensifiant la recherche sur leur structure génétique et leur biologie de reproduction.

L'autre grand critère dans le choix des zones nécessitant une attention spéciale se rapporte aux modes d'aménagement en usage dans des formations forestières ou zones de végétation particulières. Si, comme c'est très probable, ils tendent à favoriser des essences pionnières ou colonisatrices, et donc à réduire la possibilité de maintenir des populations de reproduction satisfaisantes d'essences de la phase de maturité, il faudra veiller tout particulièrement à la conservation des ressources génétiques de cette phase de l'évolution de la forêt. La mesure dans laquelle il faudra le faire dans les forêts de production dépendra du rôle et de la contribution effective à la conservation génétique des réseaux d'aires protégées existants, mais il est peu vraisemblable que les forêts de production puissent à elles seules assurer un degré suffisant de couverture géographique et écologique pour les espèces et les populations concernées.

La conservation des ressources génétiques doit être un facteur important dans la délimitation et la gestion des séries d'aménagement à l'intérieur de la forêt. Jusqu'à présent l'affectation à une série de protection (conservation) se faisait presque invariablement en fonction de considérations d'accessibilité, de raideur de pente, de conditions géologiques ou de drainage défavorables, etc. plutôt que de leur intérêt pour la conservation des ressources génétiques. La protection de sites particuliers tels que les berges de cours d'eau est désirable pour diverses raisons, et entre autres pour la conservation de la diversité biologique. En revanche la localisation d'aires de conservation telles que les Réserves de jungle vierge doit chercher à conserver des associations représentatives de la diversité et des ressources génétiques de l'ensemble de la forêt, ou d'un type de forêt déterminé. Il y aura sans doute en l'occurrence fréquemment conflit avec les objectifs immédiats de production, mais plus l'aménagement dans le reste de la forêt sera intensif, et plus importants seront sans doute la diversité et les ressources génétiques des Réserves de jungle vierge ou autres aires de conservation. Du point de vue de la conservation des essences économiques les plus intéressantes, il sera sans doute nécessaire d'adopter la pratique de laisser de petites taches de forêt intacte, et des arbres semenciers bien répartis, en plus de l'affectation de surfaces plus importantes, telles qu'une parcelle entière, en Réserves de jungle vierge.

Le problème réel est généralement de concilier ces divers objectifs avec les intérêts du concessionnaire forestier. Les dispositions recommandées pour intéresser réellement l'exploitant forestier à la régénération et à l'aménagement à long terme de la forêt devraient aussi favoriser la conservation des ressources génétiques des principales essences commerciales. Cependant, pour conserver les valeurs d'option désirables de la diversité génétique, qui n'ont pas de valeur marchande actuelle évidente, il faudra faire intervenir d'autres incitations. L'idée la plus intéressante pourrait être la fixation de loyers élevés pour les concessions, en même temps que d'objectifs de conservation clairement définis, se rapportant par exemple au maintien de taches de forêt soustraites à la coupe. Dans la mesure où les objectifs de conservation seront atteints, le contrat pourrait prévoir le remboursement d'une partie des redevances, et inversement, en cas de grave infraction, le concessionnaire devrait payer une pénalité. On a émis l'idée que, dans l'idéal, les concessions ne devraient pas être accordées exclusivement pour l'extraction de bois, mais devraient constituer un contrat entre l'Etat et le secteur privé pour l'aménagement de la forêt en vue de la production d'une gamme de biens et services, dont le bois (Johnson et al., 1991).

Dans tous les aspects de l'aménagement forestier et de la conservation, le non-respect des prescriptions et conditions d'exploitation (cahier des charges) est souvent la cause de dommages aux peuplements sur pied, concernant en particulier leur capacité de régénération. Un contrôle strict des opérations de coupe, tant pour juger de leur conformité aux prescriptions que pour apprécier leurs effets par rapport aux objectifs fixés, est dans l'intérêt tant de la pérennité de la production que de la conservation des ressources génétiques. Ce pourra aussi être un aspect important de la “comptabilité forestière”, destinée à suivre l'état des ressources et évaluer la qualité de l'aménagement. Il y interviendra des critères scientifiques, concernant par exemple la conservation des ressources génétiques, aussi bien que d'autres se rapportant aux objectifs techniques et socio-économiques. Les critères de contrôle doivent être clairement définis dans le plan d'aménagement, en tenant compte des objectifs fixés au titre de la Stratégie nationale de la conservation des ressources génétiques forestières.

L'intérêt des concessions forestières du point de vue de la conservation des ressources génétiques, tel que déterminé dans le cadre de la Stratégie nationale de la conservation, doit être pris en compte dans l'évaluation de la qualité de l'aménagement forestier. Il faudra des systèmes et des critères pour l'évaluation de la durabilité de l'aménagement, au moins pour ce qui est des forêts aménagées en vue de l'exportation de bois, conformément aux directives et objectifs de l'OIBT mentionnés plus haut (OIBT, 1990). Il pourrait y avoir des incitations positives, par le jeu du marché, au respect des directives admises, qui incluront la prise en compte des effets sur la diversité biologique de la forêt. Dans tous les cas, il est de l'intérêt national que les objectifs fixés dans le cadre de la Stratégie nationale de la conservation en ce qui concerne les ressources génétiques forestières soient atteints. Tant dans l'évaluation de la valeur des ressources génétiques et la fixation d'objectifs à cet égard que dans la définition de critères de mesure des résultats, il faudra sans doute l'avis de spécialistes de la génétique forestière. Ce sera particulièrement le cas lorsqu'une intervention d'aménagement sera nécessaire pour la conservation des ressources génétiques d'essences ou de populations déterminées, pouvant mettre en jeu des considérations de génétique des populations et de taille de population viable. D'autres avis de spécialistes pourront aussi être nécessaires en ce qui concerne l'écologie forestière, le rôle des espèces “clefs de voûte” dans le fonctionnement de l'écosystème forestier, et les systèmes génétiques des essences d'intérêt économique.

Comme on l'a indiqué plus haut, et comme le soulignent les études les plus récentes sur l'aménagement des forêts tropicales, la participation des communautés locales vivant en forêt et à proximité à tous les aspects de l'aménagement forestier revêtira vraisemblablement une importance croissante vis-à-vis des objectifs de conservation à long terme. L'idée de planification et aménagement concertés, différenciés en fonction des objectifs de chaque zone, comme décrit dans l'étude de cas de l'Inde, envisage une relation contractuelle avec la population locale, sans affaiblir le statut juridique ou l'autorité de l'Etat sur les forêts. Un tel équilibre prudent entre la sécurité à long terme des ressources génétiques dans des zones nécessitant une stricte protection, et l'exploitation durable d'une diversité d'arbres indigènes et autres végétaux dans des zones soumises à un aménagement approprié, offre de larges possibilités pour la conservation des ressources génétiques. Cependant, dans une mesure encore plus large que l'aménagement des forêts naturelles en vue de la seule production ligneuse, de tels systèmes d'utilisation multiple requerront vraisemblablement une formulation spécifique en fonction de chaque situation écologique et socio-économique, et l'incorporation dans le plan d'aménagement forestier d'un ensemble de préoccupations de toute nature.

L'aménagement de zones de forêt de production jouant le rôle de “zone tampon” pour un parc national ou autre aire protégée a été discuté au Chapitre IV. L'aspect le plus important est que l'aménagement des deux zones doit être pleinement intégré et placé sous un contrôle effectif unique dans un système de gestion global. Cela pourra exiger des dispositions administratives spéciales dans le cas où la forêt de production d'une part et l'aire de protection intégrale d'autre part sont sous la responsabilité de ministères distincts. Toutefois, on devra appliquer le même principe de planification et aménagement conjoints, avec des objectifs et un plan d'aménagement explicites pour chaque zone. Une gestion efficace des ressources génétiques d'essences importantes représentées dans un parc national ou autre aire protégée peut exiger des interventions spécifiques, par exemple la récolte de graines ou autres matériels de propagation pour des actions ex situ, ou des éclaircies de dégagement pour favoriser le développement de jeunes sujets des essences faisant l'objet de conservation in situ. Ces interventions pourront parfois être en contradiction avec la réglementation concernant les aires protégées. Il faudra examiner la question à la lumière de la stratégie nationale de conservation, et on pourra alors apporter des amendements à cette réglementation afin de permettre des interventions en vue de la conservation des ressources génétiques forestières, avec les sauvegardes et restrictions appropriées en accord avec la stratégie nationale de conservation.

Les préoccupations internationales concernant les forêts tropicales ne pourront que se renforcer, à mesure que les surfaces de forêts continueront de rétrécir. Ces préoccupations, et les financements à un niveau suffisant pour conserver les écosystèmes naturels existants et les espèces qui les composent, viendront bien souvent trop tard pour les sauvegarder. Cependant, à l'exception des endroits où de grandes surfaces ont été dévastées, par exemple par le feu ou par une culture intensive continue, il y a beaucoup de chances que dans des forêts rationnellement aménagées puissent survivre des ressources génétiques précieuses, qui permettront de régénérer ou restaurer des écosystèmes forestiers naturels d'une grande diversité de forme et d'utilité.

Encadré 2
Aménagement de la diversité par la diversité de l'aménagement

Le réseau d'aires protégées, qui constitue le noyau de la conservation des écosystèmes, risque de se trouver de plus en plus insuffisant pour répondre aux objectifs à long terme de la conservation des ressources génétiques. Outre les limitations de sa couverture géographique, restreinte souvent arbitrairement par les autres demandes de terres, il risque aussi d'être limité du point de vue de la diversite écologique par la taille, la forme et le mode de gestion de chaque réserve. La conservation dynamique, dans un monde où les besoins humains et les conditions climatiques seront de plus en plus incertains de génération en génération, exige davantage qu'une tentative de prévention de l'érosion génétique et de maintien de la diversité en son état actuel. Elle suppose que soit conservé le processus évolutif, afin que progressent et évoluent la diversité des écosystèmes et les ressources génétiques intéressantes, dans des directions qui semblent devoir s'avérer les plus utiles, et que subsiste un large éventail de choix possibles pour poursuivre le processus dans un avenir très lointain. Dans cet esprit, les interventions telles qu'exploitation forestière et traitements sylvicoles peuvent être créatrices de diversité, si elles sont libérées des tendances passées à l'uniformisation à outrance, axée sur un petit nombre d'essences avec un minimum de réinvestissement de ressources financières et humaines.
Les opérations d'exploitation forestière, si elles ne sont ni trop intensives ni répétées à trop courts intervalles, mais respectent les principes établis de “bonne pratique” (Dykstra et Heinrich, 1992) sont susceptibles à elles seules, dans des forêts originellement diverses, de laisser des niveaux de complexité de la composition spécifique et des associations végétales qui, bien que n'étant pas exactement identiques aux modes antérieurs de distribution, pourront maintenir ou même accroître la diversité génétique d'ensemble. Si l'on dispose d'une information suffisante sur la répartition de cette diversité entre parcelles (ou, dans des cas critiques, entre sous-parcelles), ainsi que sur l'ensemble des unités d'aménagement forestier et du domaine forestier national, et compte tenu du développement continu des systèmes modernes de traitement et d'interprétation de données, on saura à l'avenir concevoir des aménagements adaptés à chaque cas particulier pour répondre à des stratégies de conservation dynamique en même temps qu'aux besoins de l'industrie en flux prévisibles de matière première. Il faudra toutefois pour cela une plus grande coordination de la planification au plan national, ainsi qu'une intégration des préoccupations de conservation dans les prescriptions d'aménagement tant des forêts de production que des aires protégées, dans le cadre d'une stratégie nationale coordonnée de la conservation des ressources génétiques forestières.
Au plan national, un inventaire forestier national complet, associé à un inventaire botanique détaillé, comme dans l'exemple de l'étude de cas du Ghana (voir deuxième partie), fournira une bonne base pour cette planification stratégique, sous la forme de données géographiquement localisées sur la répartition de nombreuses essences forestières et associations végétales. Au niveau de l'unité d'aménagement forestier, un échantillonnage diagnostique, conçu pour rassembler une information à l'appui de stratégies de conservation génétique, ainsi que des prévisions de production ligneuse et autre exploitable, pourra fournir beaucoup d'informations, à un degré suffisant de précision (souvent présence ou absence plutôt que données quantitatives ou qualitatives) et à un coût acceptable (Hutchinson, 1991).
Le Malaysian Selective Management System (FAO, 1989c) prévoit un ajustement des interventions sylvicoles à l'état réel de la forêt après le passage des coupes, en tenant compte des objectifs écologiques. Il est probable que, étant donné la planification et le contrôle consciencieux des coupes effectués, les influences dans une large mesure aléatoires sur la composition spécifique des régénérations préexistantes, se superposant aux différences stationnelles, laisseront une diversité considérable dans chaque massif forestier, et a fortiori sur l'ensemble du domaine forestier national. L'aménagement coordonné de cette diversité existante pourra contribuer de manière très importante aux objectifs de la conservation dynamique, liée à l'utilisation productive de la forêt. Toutefois, en certains endroits, il pourra être nécessaire de pratiquer des interventions sylvicoles soigneusement étudiées pour conserver les ressources génétiques de populations déterminées d'arbres d'intérêt socio-économique, ou pour maintenir une richesse spécifique ou une diversité d'écosystèmes donnée. Cela pourra amener à prendre des décisions d'aménagement en vue d'allonger la rotation des coupes ou de laisser sur pied des arbres sélectionnés ou des taches de forêt non exploitées, ainsi qu'à pratiquer des interventions sylvicoles, par exemple pour dégager les préexistants d'essences choisies en certains endroits, dans le cadre d'une stratégie nationale coordonnée. Les prescriptions concernant chaque zone à traiter tiendront compte de sa valeur comparative du point de vue tant de la production que de la conservation génétique.
Certaines zones, en particulier en lisière des forêts de production, pourront être affectées à l'aménagement intensif de productions non ligneuses destinées à un usage local ou national. Cela pourra accroître la diversité des systèmes d'aménagement, en introduisant l'influence de la diversité culturelle sur la composition de la forêt, tout en maintenant le principe de l'association de la conservation et de la production. Le principe fondamental, dont l'application sera coordonnée au plan national, doit être l'aménagement de la diversité par la diversification ordonnée de l'aménagement.

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