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La cause et les processus d'érosion en nappe

La cause de l'érosion en nappe est l'énergie de la battance des pluies sur les sols dénudés (Ellison, 1944). L'arrachement des particules de terre vient de l'énergie des gouttes de pluie, lesquelles sont caractérisées par une vitesse de chute (fonction de leur hauteur de chute et de la vitesse du vent) et par un certain poids, fonction de leurs diamètres. Au bout de 10 m de chute, la vitesse des gouttes de pluie atteint 90 % de la vitesse finale, déterminée par l'équilibre entre l'attraction universelle et la résistance à l'air de la surface portante de la goutte (Lawson, 1940, Bradford, 1983). Le vent peut augmenter l'énergie des gouttes de pluie de 20 à 50 % (Lal, 1975) mais les turbulences réduisent la taille des gouttes de pluie à 3-5 mm de diamètre. Sous la cime des grands arbres, l'énergie des gouttes de pluie est souvent plus forte que dans la parcelle cultivée car les gouttes se réunissent sur les ligules des feuilles, formant des gouttes plus grosses (Valentin, 1983). Dans chaque région on peut observer le diamètre des populations de gouttes tombant pour des averses de différentes intensités. On peut aboutir à des régressions du type énergie d'une averse = énergie de chaque tranche de pluie tombant à une intensité donnée multipliée par le nombre de millimètres tombés à cette intensité: ces relations (figure 16) varient considérablement selon les régions. En l'absence de données régionales sur l'énergie des pluies, on peut utiliser les données de Wischmeier et Smith, 1978.

TABLEAU 9 : Influence de la saison, de l'intensité maximum en 30 minutes, et des pluies de la décade précédente (h 10 jours = indice d'humidité du sol) sur l'érosion et le ruissellement provoqués par des pluies de hauteur voisine sur un sol nu et un sol couvert (d'après Roose, 1973)

Dates

Pluie

Ruissellement (%)

Erosion (kg/ha)


h (mm)

h 10 jours (mm)

Intensité Max 30'

Sol nu

Panicum

Sol nu

Panicum

13.2.72

28 58

33

47

0

548

0


18.3.72

33 1

59

52

0,1

1104 0



27.3.72

32 45

23

26

0

327

0


21.5.72

34 20

28

26

0

1518 0



9.6.72

33 131

35

48

32

3833

21


11.6.72

34 164

26

44

11

2191

26


13.6.72

38 230

37

63

22

3264

31


2.7.72

32 212

43

73

0,1

6025

0,2


31.7.72

30 0

15

9

0

412

0


19.10.72

31 88

14

39

0,1

1501

0,1


23.11.72

28 18

43

71

0

1827

0


Cette énergie de battance est dissipée par quatre actions:

- tassement du sol sous l'impact des pluies après humectation rapide de la surface du sol,

- écrasement et force tangentielle d'arrachement (shearing stress): séparation des particules agrégées,

- projection des particules élémentaires selon une couronne sur sol plat et transport dans toutes les directions mais plus efficacement vers l'aval sur les pentes,

- bruit du choc des gouttes sur les matériaux résistants.

A cette énergie des pluies est opposée la cohésion ou la résistance d'un matériau terreux. Celui-ci peut être déjà plus ou moins dégradé:

• par éclatement au contact des gouttes sur les mottes desséchées,

• par humectation suivie de dessiccation qui donne des petites mottes fissurées,

• par tassement par les pneus ou par les rouleaux qui donnent des petites mottes éclatées,

• par dispersion des colloïdes, soit par humectation prolongée, soit par salinisation ou par la présence de sodium échangeable.

Le matériau sol peut être plus ou moins résistant du fait de la présence de cailloux ou bien en fonction du pourcentage de limon et sable fin (10 à 100 microns), de matières organiques et d'argile, de la présence de gypse ou de calcaire, d'hydroxydes de fer et d'alumine libre, en fonction également de la stabilité structurale et de la perméabilité du profil (voir érodibilité des sols).

Le déplacement des particules se fait d'abord par effet "splash" à courte distance et ensuite par le ruissellement en nappe. La battance des gouttes de pluie envoie des gouttelettes et des particules dans toutes les directions mais, sur les pentes, la distance parcourue vers l'amont est inférieure à la distance parcourue vers l'aval, si bien que dans l'ensemble, les particules migrent par sauts vers l'aval. Les expériences de Christoï (1960) à la station IRHO de Niangoloko, au sud du Burkina Faso ont montré que les particules de sol peuvent sauter jusqu'à 50 cm de haut et jusqu'à plus de 2 m de distance durant les gros orages de fin de saison sèche. Ce n'est qu'après formation des flaques et débordement de l'eau non infiltrée d'une flaque à l'autre, que naît le ruissellement en nappe. Celui-ci s'étalant à la surface du sol gardera une faible vitesse même sur des pentes de 5 à 10, % à cause de la rugosité du sol (mottes, herbes, feuilles, racines, cailloux, etc...) qui l'empêchent de dépasser la vitesse limite de 25 cm/seconde. Au-delà de 25 cm/seconde, le ruissellement, peut non seulement transporter des sédiments fins, mais aussi attaquer le sol et creuser des rigoles hiérarchisées où la vitesse augmente rapidement. On passe alors à l'érosion linéaire (griffes, rigoles et ravines). Voir les courbes de Hulström (figure 19).

Sédimentation: c'est au cours de la battance des pluies que des particules ou même des agrégats (en particulier si des grosses gouttes d'orage tombent sur des mottes sèches) vont quitter les mottes pour sédimenter dans les creux et y former des croûtes de sédimentation à très faible capacité d'infiltration (figure 15).

L'érosion en nappe observée sur parcelle d'érosion dépend à la fois (tableau 9):

- de l'intensité maximale des pluies qui déclenchent le ruissellement (I max en 15 mn sur pentes fortes ou I max en 30 minutes sur les pentes moyennes),

- de l'énergie des pluies (E C) qui détachent les particules susceptibles de migrer,

- de la durée des pluies et/ou de l'humidité avant les pluies.

Hudson (1965 et 1983) au Zimbabwé, puis Elwell et Stocking (1975) sur des sols ferrallitiques bien structurés (oxisols) trouvent de meilleures relations entre l'érosion et l'énergie des pluies au-dessus d'un certain seuil d'intensité (I > 25 mm/h) (E = K E si I > 25 mm/h). Ces auteurs ont observé que seules les pluies intenses provoquent de l'érosion. On peut cependant penser que toutes les pluies laissent une trace en dégradant la surface du sol. Même si toutes les pluies ne ruissellent pas, elles favorisent la naissance de croûtes peu perméables et accélèrent le ruissellement lors des averses suivantes.

S'il existe effectivement une intensité limite de pluie en-dessous de laquelle on n'observe pas de ruissellement, cette intensité varie en fonction du degré d'humectation du sol et de la dégradation de la surface du sol avant le début de la pluie (voir travaux de Lafforgue, 1978; Boiffin, 1984; Raheliarisoa, 1986; Casenave et Valentin, 1989). Lal (1976) pense que l'intensité maximale instantanée en 7 mn ou en 15 mn, est encore mieux corrélée avec l'érosion que l'intensité en 30 mn. Ceci peut être vrai localement (De Noni et al., en Equateur sur sol volcanique, 1985) mais pas forcément partout. Sur les sols ferrallitiques sableux de Basse Côte d'Ivoire, Roose (1973) a montré que plus la durée de l'intensité maximale de la pluie est importante, et plus le coefficient de régression est élevé. De son côté, Lal (1976) a montré que le vent pouvait augmenter l'énergie des gouttes de pluie; cependant il est difficile d'en tenir compte car on dispose rarement à la fois de l'intensité des pluies et de l'intensité du vent.

FIGURE 17

: Esquisse de la répartition de l'indice d'agressivité climatique annuel moyen (RUSA de Wischmeier) en Afrique de l'Ouest et du Centre-Situation des parcelles d'érosion (d'après les données pluviométriques rassemblées par le Service Hydrologique de l'ORSTOM et arrêtées en 1975)

Wischmeier (1959) a combiné dans un seul indice d'érosivité (EI30) l'énergie de chaque averse multiplié par l'intensité maximale en 30 minutes (en mm/h). Cet indice tient bien compte des trois conditions exprimées plus haut: énergie, intensité de pointe et durée des pluies.

Comme le dépouillement du pluviogramme de chaque averse est une opération minutieuse et fastidieuse, et comme par ailleurs on ne dispose pas toujours de toutes les informations nécessaires sur l'intensité des pluies, de nombreux auteurs ont tenté de simplifier l'estimation de l'indice d'érosivité des pluies.

En Afrique de l'Ouest, Charreau (1970), puis Delwaulle (1973), Galabert et Millogo (1973) ont trouvé des relations linéaires entre l'énergie cinétique et la hauteur des pluies, donc:

Lal au Nigeria, propose: R' = hauteur de pluie x I max 7'.

En dépouillant 20 stations d'Afrique de l'Ouest, situées entre Séfa au Sénégal et Deli au Tchad, et entre Abidjan en Basse Côte d'Ivoire et Allokoto au Niger, Roose (1977) a montré qu'il existait en Afrique occidentale une relation simple entre l'indice d'agressivité annuel moyen et la hauteur annuelle moyenne des pluies de la même période (sur plus de dix ans).

en Afrique de l'Ouest,
0,6 en bordure de l'océan sur 40 km,
0,3 à 0,2 en montagne, au Cameroun (Roose), Rwanda, Burundi et Madagascar (Sarrailh),
0,1 en zone méditerranéenne algérienne (Arabi, 1991), moins de 0,01 en zone tempérée océanique.

Il est cependant intéressant d'étudier l'ampleur des phénomènes d'érosion en fonction des classes de hauteur de pluie. On a constaté à Adiopodoumé que durant la campagne 1965 (maïs billonné selon la pente) il n'y eut pas de ruissellement pour les pluies de hauteur inférieure à 15 mm, ni d'érosion sérieuse pour moins de 30 mm. Il a fallu au moins 30 mm pour observer un ruissellement à chaque pluie et plus de 90 mm pour constater à coup sûr des transports solides. Chaque parcelle caractérisée par la nature du sol mais aussi par la couverture végétale et les façons culturales a ainsi des seuils de délenchement au-dessous desquels ne se manifeste aucun phénomène d'érosion (Roose, 1973): en réalité, les hauteurs de pluie ne sont pas totalement indépendantes des intensités des pluies ... tout au moins, des intensités pendant 30 minutes et plus.

La figure 17 donne un schéma de répartition de l'indice R en unité américaine, moyen pour l'Afrique de l'Ouest et du Centre, basé simplement sur les isohyètes moyens modulés en fonction des différents coefficients. Ceci a été possible du fait qu'il existe, dans cette région d'Afrique, de bonnes corrélations entre l'intensité maximale des pluies et la hauteur annuelle de fréquence 1/10 (Brunet-Moret, 1963-67; Roose, 1977).

Voir les courbes: intensité, durée en fonction de la hauteur des pluies (figure 18).

FIGURE 18

: Courbes intensité/durée pour des averses de fréquence connue en chaque point, en Afrique Occidentale (d'après Brunet-Moret, 1967)

Aux Etats-Unis, l'indice de Wischmeier varie de 20 à 650 unités (Wischmeier, 1960). En Europe, l'indice varie de 20 à 150: Pihan (1970), Bolline & col. en Belgique (1982).

En région méditerranéenne, RUSA = 50 à 350 (Masson, en Tunisie, Kalmann, au Maroc, Heusch au Maroc, Arabi en Algérie, Pihan en France).

En zone tropicale sèche, RUSA = 100 à 450.
En zone tropicale humide, de 500 à 1200.

Il faut cependant noter de graves écarts constatés entre l'érosion en nappe dans certaines régions et l'agressivité des pluies selon l'équation de Wischmeier. En effet les pluies agressives peuvent être des orages de début de saison des pluies comme en Afrique de l'Ouest ou bien des orages d'été comme en Europe ou encore de longues averses de fines pluies saturantes, peu énergétiques, tombant sur un sol détrempé en fin d'hiver ou début de printemps, comme en France ou en Algérie. Dans ce cas, l'érosion provenant de ces longues averses saturantes a pour origine bien plus l'énergie du ruissellement et donc de l'érosion linéaire, que l'énergie des gouttes de pluies elles-mêmes (il peut aussi s'y développer des mouvements de masse si la pente est suffisante).

A l'échelle de bassins versants de plus de 2000 km2 , Fournier a montré en 1960 que les transports solides étaient essentiellement fonction de deux facteurs: d'une part, la topographie et d'autre part, l'agressivité ou l'indice de continentalité des pluies. Cet indice (c) est égal au rapport entre le carré des pluies du mois le plus humide divisé par la pluie annuelle moyenne. Cet indice tel qu'il est présenté là ne concerne que les transports solides sur des grands bassins versants. Il ne peut pas être appliqué directement à l'érosion en nappe sur parcelle qui dépend beaucoup trop du couvert végétal et des techniques culturales. Par contre, on a tenté d'estimer l'indice d'agressivité des pluies de Wischmeier à partir de la somme des indices mensuels de Fournier et on a pu trouver de bonnes corrélations régionales entre l'indice de Wischmeier et cet indice de Fournier modifié, mensualisé (Arnoldus, 1980).


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