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L'erodibilité des sols

L'érodibilité d'un sol [planche photographique 2], en tant que matériau plus ou moins cohérent, est sa résistance à deux sources d'énergie: d'une part, la battance des gouttes de pluies à la surface du sol et d'autre part, l'entaille du ruissellement entre les mottes, dans les griffes ou les rigoles. Les premières études d'érodibilité des matériaux ont été effectuées par Hjulström dans des canaux (figure 19). Le diagramme de Hjulström montre qu'il existe trois secteurs en fonction de la vitesse des eaux et du diamètre des particules des matériaux terreux. L'analyse du secteur érosion montre que les matériaux les plus fragiles ont une texture telle que le diamètre des particules est de l'ordre de 100 microns, c'est à dire des sables fins. Lorsque les matériaux terreux sont plus fins, se développe une cohésion par simple frottement entre les surfaces des argiles et lorsque les matériaux sont plus grossiers ils deviennent de plus en plus lourds et par conséquent, plus difficiles à transporter. Dans ce type d'essai il s'agit de la résistance en milieu humide aux forces d'arrachement par une rivière ou par un ruissellement.

Depuis longtemps, les pédologues ont constaté que les sols réagissaient de façon plus ou moins rapide à l'attaque des gouttes de pluie et à la dégradation de la structure. Toute une série de tests de laboratoire ou de terrain ont été mis en place pour tenter de définir la stabilité de la structure vis-à-vis de l'eau. Citons par exemple, les capsules de Ellison (1944) où des agrégats tamisés sont soumis à l'énergie des gouttes de pluie, le test de stabilité structurale de Hénin (1956), où des agrégats sont plongés dans l'eau et tamisés sous l'eau, le test des gouttes d'eau où des mottes calibrées (30 gr) sont soumises à des gouttes de pluie tombant d'une hauteur déterminée (Mc Calla, 1944) ou encore le test de dispersion de Middleton (1930) qui cherche à comparer la teneur en particules dispersées naturellement dans l'eau, avec ou sans dispersant.

FIGURE 20

: Erodibilité des sols tunisiens testés au simulateur de pluies (d'après Dumas, 1965)

Les travaux de Quantin et Combeau (1962) sur 10 parcelles d'érosion à Grimari en République Centrafricaine ont montré que lorsque l'indice d'instabilité de Hénin augmente, l'érosion augmente, la charge solide moyenne des eaux augmente, et les produits entraînés sont plus fins.

E(t/ha) = 4,9 log 10 IS - 0,5


R = 0,902

C (g / litre) = 2,47 IS - 0,1;


R = 0,904

Ces auteurs ont constaté que l'indice d'instabilité IS varie avec les saisons, avec le couvert végétal et au fur et à mesure que l'on s'éloigne de l'époque de défrichement. Les sols tropicaux seraient donc moins sensibles vers la fin de la saison sèche lorsque le couvert végétal diminue, et plus sensibles sur des vieilles défriches: ceci a été vérifié sous coton au Nord Cameroun (Boli, Bep et Roose, 1991).

Pour se rapprocher des conditions naturelles, de nombreux auteurs ont soumis en laboratoire des populations d'agrégats prélevées dans les horizons labourés à des pluies simulées en vue de classer les sols selon leur résistance à l'érosion (Ngo Chang Bang (1967) à Madagascar, Elwell au Zimbabwe, Bryan au Canada, Moldenhauer (1971) aux Etats-Unis et bien d'autres...). Lors d'une étude comparative, Bryan (1981) a montré que selon les types de simulateur et les protocoles d'expérimentation, les sols se classaient de façons différentes. Récemment, Le Bissonnais (1988) a bien montré qu'il s'agissait en fait de différents processus de dégradation des sols qui interviennent en fonction des programmes de simulation de pluie.

De nombreux essais furent réalisés sur le terrain, sous pluie simulée. Par exemple, Meyer et Swanson (1965) aux Etats-Unis, Dumas (1965) en Tunisie, Pontanier au Cameroun (1984) et Tunisie, Roose, Lelong et Dartoux (1992), Masson (1992) et Gril en France, Asseline et Roose (1978), Collinet (1979 et 1984), Valentin, en Afrique de l'Ouest, Asseline et Delhoume (1989) au Mexique. Travaillant sur des sols calcaires en Tunisie, sur des parcelles de 50 m2, Dumas a montré que l'érodibilité des sols est fonction du taux de cailloux, du taux de matières organiques, et de l'humidité équivalente du sol, laquelle est fonction de la texture (figure 20). Sur cette figure et dans le cas des sols calcaires méditerranéens, on peut constater que l'augmentation de 1 % du taux de matières organiques ne réduit l'érodibilité du sol que de 5 %. Par contre, la présence de 10 % de cailloux dans l'horizon de surface va réduire l'érodibilité du sol de plus de 15 %. Au-delà de 40 % de cailloux, la réduction de l'érodibilité du sol diminue. Dans les paysages méditerranéens jeunes et calcaires, le pourcentage de cailloux est donc un signe d'une bonne résistance à l'érosion de ces sols.

Aux Etats-Unis, Wischmeier et Smith ont défini la parcelle nue standard de référence de 9 % de pente, 22,2 m de long, travaillée dans le sens de la pente et sans enfouissement de matière organique depuis trois ans. Sur ces parcelles de référence, sous pluie naturelle et sous pluie simulée, Wischmeier et ses collaborateurs ont calculé des régressions multiples entre l'érodibilité des sols et 23 paramètres différents du sol. Après simplification, il s'avère que l'érodibilité dépend essentiellement du taux de matières organiques du sol, de la texture du sol, en particulier des sables de 100 à 2000 microns et des limons de 2 à 100 microns, et enfin est fonction du profil, la structure de l'horizon de surface et sa perméabilité (figure 21). Quelques années plus tard, Singer (1978), en Californie, a montré qu'il faut rajouter quelques facteurs supplémentaires dans le cas des sols californiens, en particulier, tenir compte du fer et de l'alumine libre, du type d'argile et de la salure des matériaux. Connaissant aujourd'hui la texture des horizons de surface, leur taux de matières organiques, les teneurs de fer et alumine libre et le type d'argile et avec quelques observations sur le profil, on peut aujourd'hui avoir une première estimation de la résistance des sols à l'érosion en nappes et rigoles.

FIGURE 21

: Nomographe permettant une évaluation rapide du facteur "K" d'érodibilité des sols (d'après Wischmeier, Johnson et Cross, 1971)

Procédure: En suivant l'analyse des échantillons de surface appropriés entrer par la gauche dans le graphe et pointer le % de silt (0,002 à 0,100 mm) puis de sables (0,10 à 2 mm) puis de matières organiques, la structure et la perméabilité dans le sens indiqué par les flêches. Interpoler si nécessaire entre les courbes dessinées. La ligne fléchée pointillée illustre le mode opératoire pour un échantillon ayant: 65% de limon + STF, 5% de sables, 2,8% de matières organiques, 2 de structure et 4 de perméabilité. K = 0,31.

Comme ces paramètres ne sont pas pris en compte au plus haut niveau des classifications pédologiques, on ne trouve pas de relation stricte entre l'érodibilité et les différents types pédologiques existants. Cependant, l'indice K d'érodibilité varie aux Etats-Unis entre 0,70 pour les sols les plus fragiles, 0,30 pour les sols bruns lessivés, et 0,02 pour les sols les plus résistants. En Afrique, les chercheurs (Roose, 1980; Roose et Sarrailh, 1989) ont trouvé des valeurs variant entre 0,12 pour les sols ferrallitiques sur matériaux sablo-argileux, 0,15 pour les sols ferrallitiques sur granit, 0,20 pour les sols ferrallitiques sur schiste et jusqu'à 0,40 si les sols ferrallitiques sont recouverts de dépôts volcaniques. Nous avons trouvé 0,20 à 0,30 sur les sols ferrugineux tropicaux et 0,01 à 0,10 sur vertisols, et enfin 0,01 à 0,05 sur les sols gravillonnaires dès la surface. L'ensemble des mesures effectuées au simulateur de pluie, même sur des parcelles de 50 m2 donne des valeurs inférieures aux mesures de longue durée sur parcelles sous pluies naturelles car sur ces dernières, se développent plus facilement des rigoles. En réalité, il n'existe pas un indice d'érodibilité par type de sol, mais cet indice évolue au cours du temps en fonction de l'humidité du sol, de sa rugosité, du couvert végétal, de la pente et des matières organiques.

Pour lutter contre l'érosion en cherchant à améliorer la résistance des sols, nous disposons de deux moyens. Le premier est de choisir dans un paysage, les sols les plus résistants pour installer les cultures les moins couvrantes, les sols les plus fragiles devant être en permanence sous couverture végétale. Deuxième solution, c'est la gestion des matières organiques du sol. L'enfouissement des matières organiques dans l'ensemble de l'horizon travaillé aboutit rarement à une amélioration de 1 % du taux de matières organiques. Or, une amélioration de 1 % des matières organiques ne réduit l'érodibilité que de 5 % (voir graphe de Dumas et le nomographe de Wischmeier). Il faut donc envisager soit, de gérer la matière organique à la surface du sol, c'est le paillage, soit de ne l'enfouir que dans l'horizon tout à fait superficiel. On peut aussi apporter des marnes, c'est à dire des argiles et du carbonate de chaux, lesquels améliorent de 5 à 10 % la résistance du sol à l'agressivité des pluies.

En conclusion, il est évident que l'on n'a pas encore réussi à résoudre le problème méthodologique d'estimation de la résistance des sols à l'érosion et son évolution au cours du temps. Actuellement, on cherche à classer les sols en fonction de différents tests adaptés à différents processus que l'on peut rencontrer dans différentes circonstances. Valentin (1989) a montré que l'indice d'instabilité structurale de Hénin était en bonne relation avec la résistance du sol à l'érosion si les gouttes tombent sur sol sec, c'est à dire au début de la saison des pluies (C = éclatement des agrégats). Par contre, sur les sols humides de fin de saison des pluies, on obtient de meilleures corrélations entre les pertes en terre et les limites de liquidité d'Atterberg. De Ploey (1971), sur des sols bruns lessivés d'Europe, a mis au point un indice semblable. Il faut également évaluer la capacité d'infiltration et la résistance du matériau au ravinement (force de cisaillement) dans le cas où les sols sont très sensibles au ruissellement (voir le cahier ORSTOM Pédologique 1989, n° 1; numéro spécial sur l'érodibilité des sols).


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