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L'influence des techniques culturales [planche photographique 17]

Il apparaît de plus en plus clairement que pour réduire le volume ruisselé ainsi que les pertes en terre, l'état de la surface du sol joue un rôle majeur.

Pour améliorer l'état de la surface du sol, il existe deux approches complémentaires. Nous venons de voir la première: il s'agit de couvrir le sol, de planter tôt et dense, voire à utiliser des engrais, et enfin de maintenir la surface du sol couverte par les résidus de culture.

La deuxième approche, que nous allons développer dans ce paragraphe, concerne le travail du sol. Il s'agit de maintenir une bonne rugosité à la surface du sol, d'augmenter l'aération et la macroporosité, d'améliorer l'enracinement tout en luttant contre les mauvaises herbes et en enfouissant les résidus organiques pour améliorer le statut organique du sol et la stabilité structurale. Enfin, la culture et le billonnage en courbes de niveau, si possibles cloisonnées, permettent de freiner ou d'annuler la vitesse du ruissellement à la surface du sol. Si ces techniques font appel à des moyens mécaniques pour réduire le ruissellement, il ne faut pas perdre de vue que le travail du sol favorise le développement des racines et par conséquent du couvert végétal: il s'agit donc de méthodes à la fois mécaniques et biologiques.

TABLEAU 19 : Effet d'un labour à la houe (Adiopodoumé, p = 7 %) (d'après Roose, 1973)

P = 605 mm

E t/ha

KR moyen %

KR max %

Sol nu, plat, tassé

15,3

27

54

Sol nu, labouré sur 15 cm à plat

26,6

11

48

TABLEAU 20 : Influence d'un labour suivi d'un hersage sur le ruissellement (%), l'érosion (t/ha) et la turbidité (gr/m3) sur des parcelles nues (Adiopodoumé; campagne 1971) (d'après Roose, 1973)

Date

Pluies

Ruissellement %

Erosion kg/ha

Turbidité gr/m3


Hauteur mm

Erosivité R





Pente

4,5%

7%

20%

4,5%

7%

20%

4,5%

%

20%

30.3

31,0

30,5

79.0

64.1

44,2

2494

4793

30 284

273

664

1225

6.4

36,0

17,4

48,7

53,6

12,1

1003

2250

4795

23

47

110

9.4

labour puis planage de toutes les parcelles terminé le 13.4

10.4

37,0

16,6

0

0

0

0

0

0

0

0

0

19.4

5,5

-

0

0

0

0

0

0

0

0

0

224

12,5

1,4

0

0

0

0

0

0

0

0

0

26.4

5,5

-

0

0

0

0

0

0

0

0

0

3.5

27,0

12,0

0

0

0

0

0

0

0

0

0

4.5

17,0

8,1

37,8

15,5

3.3

946

145

383

4281

5502

8562

10.5

17,5

1,0

31,6

17,6

2,7

543

549

379

1492

1796

4320

15.5

24,0

12,2

37,8

20,3

6,4

878

676

2316

624

2719

2467

21.5

23,5

10,8

53,8

30,1

6,3

989

659

2031

676

1 463

3692

26.6

36,0

17,3

46,9

34,8

15,2

1708

3074

23278

810

784

939

TABLEAU 21 : Réaction à la pluie en fonction du mode de préparation d'un sol nu ferrallitique gravillonnaire: CIRAD - Bouaké (d'après Kalms, 1975)

Année

Pluie

Ruissellement (% annuel) des pluies érosives

Erosion (t/ha/an)

Turbidité (mgr/l)


h

RUSA

L

L+P

+

O

L

L+P

+

O

L

L+P

+

O

1971

1345

523

34

32

35

(41)

11,5

14,9

12,9

-

-

-

-

-

1972

965

329

37

34

37

42

19,7

11,0

25,0

17,9

-

-

-

-

1973

959

352

35

40

47

40

17,6

9,3

48,6

41,1

690

730

680

210

1974

1121

464

31

31

36

31

12,2

11,2

43,8

51,9

580

340

570

260

L'EFFET DU LABOUR PROFOND

Des travaux préliminaires sur sol ferrugineux tropical à Gampela (Burkina Faso), (Birot, Galabert, Roose et Arrivets, 1968) ont montré que le travail du sol diminue temporairement le ruissellement et l'érosion mais qu'il augmente la détachabilité et donc à long terme, les risques d'érosion, même sur des pentes relativement faibles.

Au tableau 19, nous reportons l'effet sur l'érosion d'un labour à la houe au Centre ORSTOM d'Adiopodoumé (pente 7 %, sol ferrallitique très désaturé sableux). On constate une augmentation de l'érosion et une diminution du ruissellement sur la parcelle nue labourée.

On observe une augmentation de l'érosion malgré une diminution du ruissellement après travail du sol (ferrallitique sableux).

En effet, le labour augmente temporairement la porosité du matériau mais diminue sa cohésion. Au tableau 20, sont réunies les observations concernant l'érosion sous les pluies encadrant la date du labour (9 avril 1971) de trois parcelles nues de pente de 4 - 7 et 20 %.

Le ruissellement est nul pendant trois semaines où il a plu 87 mm. Il reprend ensuite brutalement sur faible pente dès que la surface est lissée mais beaucoup plus progressivement sur forte pente. Le labour a ralenti le ruissellement pendant 50 jours (correspondant à 170 mm de pluie).

L'érosion n'est guère mesurable tant que le ruissellement est nul. Il est cependant évident que la battance joue un rôle à courte distance puisque la surface du sol, de motteuse et ouverte au départ, devient lisse et fermée au bout de 4 à 6 semaines (effet splash sur les mottes et sédimentation dans les parties basses). Au bout de 50 jours l'érosion atteint un niveau exceptionnellement élevé, puis diminue au bout de 2 mois suite au tassement et à l'encroûtement de la surface du sol. Il semble que sur pente forte l'effet du labour se fasse sentir plus longtemps que sur pente faible; mais, à la reprise du ruissellement, l'érosion redevient beaucoup plus intense sur pente forte à cause de l'énergie élevée du ruissellement.

La turbidité des eaux de ruissellement (charge fine en suspension) est faible durant la saison sèche (le sol est encroûté), mais augmente très brutalement lors des premières pluies ruisselantes après le labour (charge 10 à 100 fois plus forte) puis elle décroît lentement à mesure que se reforme une surface glacée et battue. En résumé, sur ce sol ferrallitique sableux, un labour à la houe sur 15 cm, lorsqu'il laisse la surface motteuse, peut absorber totalement les pluies totalisant 45 à 80 mm et son action modératrice sur l'érosion et le ruissellement peut se faire sentir pendant 3 à 5 semaines (correspondant à 50 à 190 mm de pluie) sur parcelle nue.

Ces résultats, obtenus en Basse Côte-d'Ivoire sur sols ferrallitiques et parcelles nues, semblent défavorables à l'usage du labour puisque les bénéfices concernant l'infiltration ne durent qu'un mois et qu'au bout de l'année les pertes en terre sont plus importantes sur le sol labouré (25 % de plus que sur le sol tassé). En fait, il ne faut pas oublier l'interaction qui joue entre les effets sur le labour (amélioration temporaire de la porosité) et la croissance des plantes (meilleur enracinement = meilleure couverture végétale).

Un autre essai très instructif sur l'influence du travail du sol a été réalisé par le CIRAD dans les parcelles de Bouaké au Centre Côte d'Ivoire sur un sol ferrallitique remanié sableux, comportant un horizon gravillonnaire vers 30 cm de profondeur (Kalms, 1975).

On y a comparé pendant 4 ans, le comportement à la pluie d'un sol nu, gravillonnaire, soumis à quatre modes de préparation du sol effectué dans le sens de la pente, deux fois par an: labour à25 cm à la charrue à soc (L), labour semblable suivi d'un pulvérisage léger (L + P), pulvérisage superficiel à 5 à 10 cm (P) et non travail du sol (0) (tableau 21).

On constate que le travail du sol (profond ou même superficiel) a amélioré l'infiltration: le ruissellement est toujours le plus fort sur sol nu non travaillé, et le phénomène est encore plus marqué si on ne s'intéresse qu'aux pluies érosives survenues après le labour. L'érosion par contre, évolue au cours du temps, mais à partir de la troisième année, elle est nettement plus faible sur sol nu labouré et pulvérisé que sur sol nu travaillé superficiellement ou pas du tout. Le travail du sol augmente nettement la charge fine en suspension dans les eaux de ruissellement. Sur le terrain on peut observer en surface les graviers remontés par le labour (teneur en gravier: 10 à 13 % sans labour, 22 à 28 % avec labour). Sur ce sol ferrallitique gravillonnaire de Bouaké, le labour a donc augmenté l'infiltration et diminué l'érosion en remontant des graviers qui ont joué un rôle de mulch protecteur à la surface du sol.

Ces deux essais se sont déroulés sur des sols nus. Qu'advient-il lorsqu'on considère les interactions sur l'érosion de la préparation du sol et du développement végétal ? Rappelons d'abord les résultats et les mesures d'érosion et du ruissellement sous ananas en fonction des techniques culturales à Adiopodoumé sur des pentes de 4 - 7 et 20 % (tableau 11). Le ruissellement moyen sur sol nu s'est élevé à 36 %. Avec le couvert végétal de l'ananas et les résidus brûlés il est réduit à 6,4 %. Lorsque les résidus sont enfouis et que l'on constate une amélioration de la structure du sol, le ruissellement n'est plus que de 2 % et lorsque les résidus sont laissés à la surface du sol sous forme de paillage, on constate un ruissellement inférieur à 1 %. Dans ce dernier cas, sur un sol qui n'a pas été travaillé, on constate malgré tout une bonne infiltration grâce à l'effet du paillage. Du point de vue de l'érosion, on a observé des pertes de 200 t/ha/an sur sol nu, 25 t/ha/an sur résidus brûlés, 12 t/ha/an sur résidus enfouis et 0,4 t/ha/an seulement, lorsque les résidus sont laissés à la surface du sol. On constate donc que le labour associé à une couverture de l'ananas réduit considérablement l'érosion; l'enfouissement des résidus améliore la structure - du sol, favorise l'infiltration et réduit encore de 50 % l'érosion, mais le non travail du sol, associé cette fois à une couverture par les résidus de culture, réduit le ruissellement et l'érosion à une part négligeable.

Au Nigeria (station IITA de Ibadan), Lal (1975) considère que les risques d'érosion sur sol nu après labour sont tels - suite à la dégradation de la structure à la surface du sol - qu'il préconise un travail minimum du sol réduit à la ligne de plantation tandis que les interlignes sont couverts des résidus de la culture précédente. Cette méthode de travail minimum du sol, combinée au paillage, pose certains problèmes de lutte contre les mauvaises herbes et de protection phytosanitaire: les rendements ne sont pas toujours les meilleurs lors des années correctement arrosées. Mais au cas où les pluies sont insuffisantes ou mal réparties, l'amélioration de l'infiltration, la limitation des pertes par érosion, le maintien de la structure à son niveau original, l'activité accrue de la mésofaune (surtout les vers de terre) et l'amélioration du régime thermique assure une production plus soutenue.

Par contre, sur les sols ferrugineux tropicaux sableux des zones tropicales sèches du Sénégal, Charreau et Nicou (1971) ont montré que sans labour profond, les rendements diminuent de moitié car l'alimentation hydrique n'est pas correcte: le réseau racinaire n'est pas assez développé, les pluies s'infiltrent mal dans ces sols sensibles à la battance, ce qui retarde la date du semis. Charreau (1969) a observé qu'en enfouissant les matières organiques lors d'un labour grossier effectué en fin de cycle, avant la saison sèche, on augmente la stabilité de la structure et l'infiltration: les problèmes d'érosion s'en trouvent réduits d'autant.

De nombreuses expérimentations effectuées au simulateur de pluie, de 1975 à ce jour par Asseline, Collinet, Lafforgue, Roose et Valentin confirment:

- l'amélioration très temporaire de l'infiltration par le labour; après une pluie totalisant 120 mm de hauteur, on ne trouve pratiquement plus trace de cette amélioration sur aucun des sols testés entre Abidjan et le centre du Burkina Faso;

- l'augmentation de la charge en suspension fine des eaux de ruissellement après le travail du sol;

- le rôle extrêmement bénéfique et durable sur la conservation de l'eau et du sol du couvert végétal et des résidus de cultures laissés à la surface du sol;

- le rôle très efficace mais temporaire du billonnage cloisonné et des autres méthodes qui visent à augmenter la rugosité du sol (Lafforgue et Naah, 1976; Roose et Asseline, 1978; Collinet et Lafforgue, 1979; Collinet et Valentin, 1979).

A Bidi, Serpantié et Lamachère (1991) ont montré que sur couverture sablo-argileuse, le labour augmente l'infiltration les premières années ainsi que les rendements (+ 50 à 100 %) mais épuise très vite le sol et le fragilise: au bout de trois ans, l'érosion augmente et les gains de rendement diminuent.

Des essais de simulations de pluies ont été réalisé, autour du lac de Bam (Burkina Faso) pour comparer un sol battant, à un labour grossier, recouvert ou non de paillis et à un billonage cloisonné. La figure 29 rapporte des observations effectuées sous pluies simulées de 62 mm/h pendant deux heures sur des sols ferrugineux de la zone tropicale sèche au nord de Ouagadougou. Les mesures confirment:

- la mauvaise infiltration des orages de fin de saison sèche tombant sur un sol encroûté, - une infiltration réduite à 36 mm,

- le rôle intéressant mais temporaire du labour qui retarde le ruissellement et permet une infiltration de 82 mm,

- le rôle très positif du travail du sol suivi d'un paillage permettant une infiltration de 104 mm,

- le rôle très intéressant du sol billonné et cloisonné qui permet d'infiltrer les premiers 60 mm de pluie et maintient une infiltration finale toujours supérieure aux autres cas. Quelle que soit la technique proposée, elle n'est efficace que dans la mesure où elle élimine durablement la pellicule de battance superficielle qui commande pour une bonne part la dynamique de l'eau dans le profil sauf s'il existe un horizon colmaté proche de la surface (Collinet, Lafforgue, 1979).

FIGURE 29 : Evolution du ruissellement en fonction de l'état de surface du sol et des techniques culturales sous une averse simulée de 62 mm/h pendant 2 heures (d'après Roose et Collinet. 1976)

POUNI (pente 1%)

A: Sol nu, non travaillé
B: Sol nu, labouré
C: Sol labouré, paillé
D: Sol nu , billonné , cloisonné


Coeff. ruiss. %

Ruiss. max. mm./h

Infiltration mm

A

71

50

36

B

33,5

58

92

C

16

29

104

D

22

36

97

ADIOPODOUME (pente 20%)

9 : Sol nu, non travaillé
10 : Ananas, résidus brulés
11 : Ananas, résidus enfouit
12 : Ananas, résidus en mulch


Coeff. Ruiss %

Ruiss. max. mm,/h:

Infiltration mm

9

51

39,5

61

10

9,6

9,9

112

11

2,2

3

121

12

0

0

124

Continué


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