3. Exemples de scénarios pour l'avenir

RÔLE DES FACTEURS DÉMOGRAPHIQUES DANS L'ÉVOLUTION DES BESOINS ÉNERGÉTIQUES D'INI À L'AN 2050, À RÉGIME ALIMENTAIRE CONSTANT

3.1 Contrairement à une opinion très répandue, les besoins énergétiques par habitant varient selon les populations. Ils varient en outre selon la composition de la population, indépendamment des effets que pourrait avoir la croissance démographique sur les besoins à l’échelle mondiale.

3.2 Il faut aussi rappeler que, depuis la Seconde Guerre mondiale, les nutritionnistes ont régulièrement révisé à la baisse leurs évaluations des besoins énergétiques de l’homme.

3.3 Il convient en premier lieu d’examiner l’impact du mouvement général de la population sur les besoins énergétiques de celle-ci. Dans le cas d’une forte croissance démographique, l’augmentation des effectifs constitue à l’évidence le facteur dominant. Toutefois, à vouloir accorder trop d’importance aux conséquences des chiffres, on tend à laisser de côté l’impact de l’évolution de la structure démographique. On verra qu’un tel oubli conduit à son tour à mal évaluer le processus à travers lequel les besoins énergétiques évoluent.

Evolutions démographiques

3.4 Selon les dernières projections des Nations Unies (variante moyenne), il se produira à nouveau une forte croissance démographique au niveau mondial entre 1995 et 2050 (72 pour cent) et la populaton mondiale devrait passer de 5,7 milliards d’habitants en 1995 à 9,8 milliards en 2050 (tableau 4) (Quesnel, Vimard et Guillaume, 1991).

 

Tableau 4

3.5 Cette projection tolère une variation d’environ 2 milliards d’habitants au-dessus ou au-dessous de l’estimation moyenne pour 2050, compte tenu de possibles variations du recul de la fécondité (variante moyenne: 9,8 milliards d’habitants; variante basse: 7,9 milliards; variante haute: 11,9 milliards) (Nations Unies, 1995a).

3.6 Les deux scénarios extrêmes (variantes haute et basse) sont fondés sur l’hypothèse où tous les pays adoptent simultanément, pour réduire la fécondité, des programmes modérés (variante haute) ou accélérés (variante basse). Comme il est peu probable que l’un ou l’autre de ces deux scénarios ne se réalisent jamais, il faut introduire la variante moyenne car certains pays adopteront des programmes étalés dans le temps, tandis que d’autres adopteront surtout des programmes de réduction accélérés.

3.7 Selon la variante moyenne, deux continents, l’Asie et l’Afrique, rassembleront la grande majorité de la population mondiale en 2050 (figure 5). En d’autres termes, le poids démographique des pays consommateurs de riz sera beaucoup plus important en 2050 (catégorie 1, figure 6). Les populations consommant essentiellement du blé augmenteront fortement (catégorie 3, figure 6). Le poids démographique des pays consommant surtout du manioc, des ignames ou du taro (catégorie 6, figure 6) sera proche de celui des pays consommant du maïs (catégorie 2, figure 6).

 

Figure 5

POPULATION TOTALE RECENSÉE ENTRE 1950 ET 1990 ET PROJECTIONS DÉMOGRAPHIQUES DE 1995 À 2050, PAR CONTINENT (variante moyenne)

La croissance démographique future est déjà inscrite dans la pyramide des âges

3.8 On doit l’actuelle structure par âge de la population mondiale aux taux de fécondité, qui restent élevés depuis déjà plusieurs dizaines d’années (Nations Unies, 1995a). Caractérisée par sa jeunesse, l’actuelle structure par âge laisse espérer une forte croissance démographique dans les années à venir, même si la fécondité devait diminuer rapidement. Un grand nombre de femmes nées pendant la période où la population mondiale a doublé une première fois atteignent actuellement l’âge de la maternité et assurent leur propre remplacement en donnant naissance à des filles, qui seront par leur capacité à procréer à l’origine d’une croissance démographique rapide. A l’évidence, le nombre d’enfants à naître sera d’autant plus important que le taux de fécondité de ces générations de femmes demeurera élevé. Ce sera sans doute le cas pour l’Afrique subsaharienne.

3.9 Selon la variante moyenne des projections des Nations Unies, la population mondiale augmentera de 4,7 milliards entre 1995 et 2050 (Nations Unies, 1992). Pour près de la moitié, cette augmentation ne peut être évitée. Même si le taux de fécondité tombait brusquement au niveau strictement nécessaire pour assurer le renouvellement de la population, le monde aurait malgré tout 2 milliards d’habitants supplémentaires.

 

Figure 6

POPULATION TOTALE RECENSÉE ENTRE 1950 ET 1990 ET PROJECTIONS DÉMOGRAPHIQUES DE 1995 À 2050, PAR TYPE DE RÉGIME ALIMENTAIRE (variante moyenne)

Les projections démographiques sont indépendantes des tendances concernant les ressources naturelles

3.10 L’évolution des ressources naturelles disponibles par habitant n’est pas prise en compte dans l’évaluation des taux de croissance démographique ou de leurs facteurs (mortalité ou fécondité) utilisés dans les projections démographiques. Une pénurie de terres arables ou de ressources en eau renouvelables peut mettre certains pays tributaires de l’agriculture dans l’incapacité de satisfaire leurs besoins énergétiques. Les seuils actuellement utilisés pour mesurer les ressources en eau renouvelables disponibles par habitant (le niveau dit «de rupture» est inférieur à 1 700 m3 d’eau par personne et par an, et le niveau dit «de pénurie chronique» inférieur à 1 000 m3 par personne et par an) devraient être analysés. Ils sont établis sur la base des travaux de Malin Falkenmak, un hydrologue, et utilisent les normes des pays les plus avancés. La consommation pourrait cependant être plus faible, comme on le voit en Israël, notamment dans l’agriculture, moyennant l’utilisation de technologies et de matériels adaptés ainsi qu’une gestion méticuleuse des ressources en eau.

Projections des Nations Unies en matière de mortalité

3.11 Un examen plus détaillé de la méthode utilisée pour établir ces projections montre qu’elles sont souvent fondées sur l’hypothèse d’une augmentation de l’espérance de vie de 2,5 années tous les cinq ans quand aucune information ne laisse prévoir, au début des années 90, une stagnation ou un recul de la mortalité. S’il existe des signes que l’espérance de vie a cessé de s’améliorer, on peut alors projeter pour l’avenir une stagnation, voire une diminution, de l’espérance de vie. Deux autres modèles d’évolution de la mortalité, qui prévoient respectivement une augmentation rapide et une augmentation lente de l’espérance de vie, ont été utilisés dans certains cas. On suppose qu’après 2025 l’espérance de vie à la naissance augmentera en fonction d’un modèle dans lequel l’augmentation moyenne est partagée par tous les pays.

3.12 Fondés sur des exemples historiques, tous ces modèles partent du principe que l’amélioration de l’espérance de vie se fait plus lente chaque fois que la mortalité recule et que l’espérance de vie augmente. L’espérance de vie la plus élevée à la naissance prévue par ces modèles est de 87,5 ans pour les femmes et 82,5 ans pour les hommes. Le modèle intermédiaire suppose en principe que l’espérance de vie des hommes à la naissance augmentera de 2,5 ans tous les cinq ans jusqu’à ce qu’elle atteignent 60 ans. Le gain moyen sur cinq ans est ensuite ramené graduellement à 0,4 an jusqu’à ce que l’espérance de vie atteigne l’âge de 77,5 ans, et plafonne ensuite à 0,4 an. L’espérance de vie des femmes à la naissance est supposée augmenter de 2,5 ans tous les cinq ans jusqu’à ce qu’elle atteigne 65 ans, après quoi le gain sur cinq ans est ramené graduellement à 0,4 an pour une espérance de vie de 82,5 ans et au-delà.

3.13 C’est en raison de cette hypothèse que ces projections indiquent une réduction substantielle des différences de mortalité et d’espérance de vie entre les pays du monde (tableau 5). Ainsi, l’espérance de vie des populations africaines n’est que de huit ans inférieure à celle des populations d’Amérique du Nord en 2050.

3.14 L’évolution prévue pour l’Afrique correspond à une accélération de la hausse de l’espérance de vie à partir de 1995-2000. Après une augmentation de 1,2 an pour les périodes 1995-2000 et 2000-2005, l’Afrique parviendra à une augmentation de 2,2 ans entre 2000-2005 et 2005-2010, puis 2,5 ans entre 2005-2010 et 2010-2015.

3.15 Ces projections de mortalité se fondent sur l’hypothèse d’une croissance économique régulière et d’une amélioration de la situation alimentaire qui pourraient intervenir en Afrique dans quelques dizaines d’années. Elles supposent que les besoins énergétiques des populations soient satisfaits, ce qui n’est pas garanti dans des pays caractérisés par des taux de fécondité élevés ou des pays qui pourraient connaître une pénurie de ressources naturelles en raison d’un fort taux de croissance démographique.

3.16 L’amélioration de l’espérance de vie à la naissance que supposent les projections des Nations Unies pour les pays d’Afrique subsaharienne, notamment ceux qui consomment du manioc, des ignames ou du taro (catégorie 6) ajoutera 20 années d’existence supplémentaire, ce qui semble signifier l’élimination des grands déficits alimentaires qui sont caractéristiques de ces pays. Une telle évolution paraît en contradiction avec les projections économiques utilisées par la FAO, qui prévoient une stagnation des disponibilités alimentaires moyennes par habitant pour l’ensemble du continent africain avant 2010.

3.17 Ces projections tiennent compte de l’impact supposé de la pandémie de Sida dans les pays gravement touchés. L’incidence du Sida est aussi liée au fait que cette affection ouvre la porte à d’autres maladies telles que la tuberculose et le paludisme. Etant donné le groupe d’âge particulier touché par le Sida, aucun modèle de table de mortalité ne représente la structure de mortalité par âge et par sexe propre à ces pays.

3.18 Un modèle établi par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1991 permet d’évaluer le nombre des futurs décès dus au Sida. Ce modèle utilise les données estimées d’infection par le VIH plus les taux de progression annuels observés et estimés des cas où l’infection par le VIH débouche sur le Sida, puis sur la mort.

Tableau 5

3.19 En appliquant ce modèle, l’Organisation des Nations Unies a posé comme principe qu’il n’y aurait pas de nouveau cas d’infection d’adultes par le VIH après 2010, mais des cas d’infection mère-enfant continueront d’apparaître après cette date, et des décès pour cause de Sida surviendront pendant de nombreuses années par la suite étant donné la longue période de latence entre l’infection par le VIH et le Sida.

3.20 Les modèles utilisés dans ce cas devraient être analysés plus avant car ils tiennent compte de l’évolution du phénomène dans les zones urbaines, mais ils ne rendent peut-être pas compte avec précision du rythme d’évolution de la pandémie dans les zones rurales. Autre grande inconnue: l’évolution future de la maladie en Asie.

Projections des Nations Unies concernant la baisse de la fécondité

3.21 Trois hypothèses ont été retenues: avec la variante moyenne, le taux de fécondité est supposé atteindre le taux de renouvellement de 2,1 enfants par femme et se stabiliser à ce niveau; dans le cas de la variante haute, le taux de fécondité est supposé se stabiliser au niveau de 2,6 enfants environ (ou s’élever à ce niveau s’il est actuellement inférieur); dans le cas de la variante basse, le taux de fécondité est supposé se stabiliser à 1,6 enfant environ, niveau inférieur au niveau de renouvellement.

3.22 Pour l’ensemble des trois variantes, la période cible à partir de laquelle on suppose que le taux de fécondité va se stabiliser est établie au moyen de toute une série de facteurs socio-économiques tels que politiques et programmes démographiques, taux d’alphabétisation des adultes, niveau de scolarisation, situation économique (produit intérieur brut [PIB] ou produit national brut [PNB] par habitant), mortalité infantile et mariage, ainsi que de facteurs historiques, culturels et politiques.

3.23 Les tables de fécondité sont davantage basées sur les travaux des experts que sur des modèles mathématiques, compte tenu de la qualité inégale, voire du manque de données, et du caractère qualitatif de certaines des données.

3.24 Un fait remarquable que révèlent les projections est la baisse des taux de fécondité dans les pays africains. Selon les projections des Nations Unies, dans la variante moyenne, la baisse des taux qui pourrait être observée dans les pays africains entre 1990-1995 et 2045-2050 serait presque aussi rapide que celle observée et estimée pour les pays d’Amérique latine sur une période de la même durée, à savoir 1960-1965 et 2015-2020 (tableau 6).

3.25 Il faut signaler qu’il est extrêmement difficile de projeter les niveaux de fécondité et leur évolution. La baisse de fécondité en Amérique latine à la fin des années 60 a surpris de nombreux experts. Après avoir observé le phénomène, ils sont convenus que l’intensification de l’urbanisation et de l’alphabétisation, indicateurs liés à la baisse de la fécondité, avait contribué de manière déterminante à déclencher cette baisse et aurait pu être utilisée pour prévoir la tendance (Chesnais, 1985). Si, donc, nous connaissons relativement bien les facteurs qui influent sur les taux de fécondité des catégories sociales d’un pays donné, nous savons en revanche peu de chose sur les facteurs qui sont à l’origine d’une baisse de la fécondité. C’est pour cela que les ouvrages scientifiques évoquent d’abord les effets du développement, puis ceux de l’extrême pauvreté, sur la baisse de la fécondité (Cosio-Zavala, 1992; Quesnel, Vimard et Guillaume, 1991), ce qui a progressivement modifié le sens donné autrefois à l’expression «transition démographique».

Tableau 6

3.26 Il est d’autant plus difficile de faire des projections que certaines populations refusent toujours d’accepter les programmes de planification familiale. C’est la raison pour laquelle, comme l’indiquent les interventions faites par la délégation chinoise devant la Commission de la population en 1994 et 1995 (Peng, 1994, 1995), il est difficile de prévoir l’évolution de la fécondité dans un pays de la taille d’un continent comme la Chine, d’autant plus que le taux de fécondité actuel est sans doute sous-estimé, notamment dans la Chine rurale. Selon l’Institut chinois de planification familiale, qui s’appuie sur une enquête menée dans 32 villages, la fécondité pourrait avoir été sous-estimée dans une proportion de 37 pour cent en Chine rurale et la fécondité en milieu urbain de 19 pour cent dans certains cas. Si de telles observations se vérifient à une grande échelle, on pourrait en déduire que le taux de fécondité de l’ensemble de la Chine pourrait être sous-évalué (Zeng, 1995; Wang et Wang, 1995). Les projections des Nations Unies tiennent compte de cette éventuelle sous-évaluation.

3.27 En revanche, certains experts affirment aujourd’hui que la fécondité va chuter si rapidement dans les pays en développement qu’il faut s’en tenir à la variante basse des projections des Nations Unies (Chesnais, 1985), mais on peut se demander sur quoi ils fondent leur conviction.

La croissance démographique est le principal facteur à l’origine de l’augmentation des besoins énergétiques

3.28 Au cours de la période prévue de forte croissance démographique prolongée, comme dans les 50 dernières années, l’accroissement des besoins énergétiques sera conditionné pour l’essentiel par l’augmentation de l’effectif de la population qui se produira entre 1995 et 2050, ce qui représente un accroissement à l’échelle mondiale de 72 pour cent (variante moyenne), 38 pour cent (variante basse) et 108,4 pour cent (variante haute) (figure 7).

Incidence des autres facteurs démographiques

3.29 On a analysé rétrospectivement l’évolution des besoins énergétiques depuis la Seconde Guerre mondiale en appliquant la méthode adoptée par la FAO.

3.30 Les résultats présentés dans le document ont été obtenus en appliquant le programme ENREQ 2 aux évaluations démographiques par âge aux trois variantes utilisées dans les projections des Nations Unies (Nations Unies, 1995a). Les besoins futurs tiennent compte de l’incidence de l’urbanisation décrite dans les projections des Nations Unies (Nations Unies, 1995b), ainsi que de l’impact possible de l’allongement de la taille des populations.

3.31 La modification de la structure par âge accroît les besoins énergétiques des pays en développement. Les besoins énergétiques augmentent pendant les 25 premières années de la vie (les 18 premières selon les cas et les sources) et diminuent lentement après 60 ans.

 

Figure 7

VARIATION DES BESOINS ÉNERGÉTIQUES DE 1995 À 2050, SELON LE NIVEAU DE DÉVELOPPEMENT (variante basse, moyenne ou haute)

3.32 Le vieillissement d’une population est d’abord dû à la baisse de la fertilité et à la diminution du pourcentage des enfants; il entraîne de la sorte une augmentation des besoins en énergie par habitant (voir paragraphe 2.5). Par la suite, le vieillissement de la population est principalement causé par la baisse de la mortalité et par l’augmentation de la proportion des personnes âgées, ce qui entraîne une diminution des besoins énergétiques moyens. Actuellement, le premier processus s’applique aux pays en développement et le second aux pays développés (tableau 7).

3.33 Ces incidences sur les besoins moyens par habitant restent modérées à l’échelle mondiale (+2 pour cent), mais elles dissimulent d’importants écarts entre régions.

3.34 L’incidence de la structure par âge varie donc entre deux extrêmes: une augmentation de 7 pour cent de la ration énergétique moyenne requise entre 1995 et 2050 en Afrique (7,8 pour cent pour les populations consommant du manioc, des ignames ou du taro, 8,1 pour cent pour les populations consommant du mil ou du sorgho, 8,2 pour cent pour l’Afrique centrale et 8,5 pour cent pour l’Afrique de l’Est) et une baisse de 1 pour cent pour les pays développés.

3.35 L’allongement de la taille des individus entraîne une augmentation des besoins énergétiques par habitant. Un meilleur régime alimentaire dans la petite enfance entraîne une augmentation de la taille moyenne. Celle-ci dépend donc en partie du régime alimentaire des enfants. Des réactions très rapides aux changements de régime alimentaire ont été observées (Piazza, 1986), telles que des accroissements de taille supérieurs à 1 cm en 10 ans dans certaines régions de la Chine.

Tableau 7

3.36 Dans l’hypothèse où les régimes alimentaires s’amélioreraient et où la malnutrition disparaîtrait progressivement dans les pays en développement avant l’an 2050, la taille moyenne des populations pourrait augmenter de 1 cm en 10 ans. Telle est l’hypothèse retenue dans le présent document (la limite a été fixée à 1,75 m). Cet allongement de la taille moyenne des populations devrait entraîner une augmentation de leurs besoins énergétiques moyens.

3.37 L’augmentation pourrait atteindre 1 pour cent dans le monde entre 1995 et 2050. Les besoins énergétiques des pays en développement seraient ainsi accrus de 2 pour cent et l’augmentation pourrait atteindre 3 pour cent en Afrique australe ou en Asie de l’Est.

3.38 Il semble que l’urbanisation entraîne une diminution des besoins énergétiques. Cette diminution devrait être particulièrement perceptible dans les pays en développement, où l’on peut escompter un rythme d’urbanisation rapide (Popkins, 1994). La diminution des besoins énergétiques serait donc de 3 pour cent entre 1995 et 2050. C’est en Asie (- 4 pour cent) et en Afrique (-3 pour cent) que l’urbanisation devrait avoir le plus d’impact. Il faut aussi savoir que les nouvelles technologies et les nouveaux modes de vie peuvent également avoir des effets sur les besoins énergétiques; par exemple, les aliments traditionnellement prescrits aux femmes enceintes et aux nourrissons peuvent être modifiés. On ne dispose toutefois pas de données sur ces effets au niveau national.

3.39 On a constaté que l’incidence possible d’une diminution du nombre des grossesses sur les besoins énergétiques des populations en raison de la baisse de la fécondité était négligeable (tableau 7). Elle représenterait une réduction d’environ 1 pour cent pour les pays en développement. En cas de forte diminution de la fécondité, au Proche-Orient par exemple, la baisse pourrait atteindre 2 pour cent. Même si, dans ce document, tous les types de grossesse sont traités de la même manière, il faudrait étudier plus avant la question des grossesses d’adolescentes.

3.40 Dans l’ensemble, les facteurs d’augmentation des besoins énergétiques ont plus d’impact que les facteurs de diminution. L’effet combiné des premiers peut dépasser 10 pour cent, alors que l’effet cumulé des seconds n’atteint jamais 5 pour cent.

3.41 Fait remarquable, la modification de la composition par âge de la population peut entraîner une diminution des besoins énergétiques moyens, en raison du pourcentage accru de personnes âgées. Ainsi, le vieillissement et l’urbanisation auront ensemble pour effet de réduire de 2 pour cent les besoins énergétiques en Europe.

3.42 Les quatre effets démographiques structurels analysés précédemment agissent en sens inverse dans les pays en développement, ce qui tend à réduire leur impact final. Les effets des tendances de la structure par âge sont toujours supérieurs aux impacts des autres facteurs. L’effet positif de l’allongement de la taille sur les besoins énergétiques des populations annule les effets négatifs de l’urbanisation et la diminution du pourcentage de femmes enceintes dans les pays à taux de fécondité élevé. L’effet résultant de ces facteurs est égal à celui de la structure par âge, soit +7 pour cent pour l’Afrique par exemple. La même remarque vaut, à un degré accru, pour les pays présentant les taux de fécondité les plus élevés d’Afrique, ceux notamment qui consomment du manioc, des ignames ou du taro; dans leur cas, l’impact équivaut là aussi à celui de la structure par âge, mais il est de +8 pour cent.

Effet général des facteurs démographiques sur les besoins énergétiques à l’échelle mondiale

3.43 Si ce n’est pour les pays développés dans leur ensemble, l’effet de la croissance démographique en effectif sur les besoins énergétiques est incontestablement supérieur à l’effet d’une modification de la pyramide des âges (tableaux 7 et 8).

3.44 En ce qui concerne les pays développés, l’augmentation de 4 pour cent de l’effectif de la population entre 1995 et 2050 prévue par les Nations Unies au titre de la variante moyenne compense la modification de la pyramide des âges (-2 pour cent).

3.45 La situation change du tout au tout dans le cas des pays en développement. L’augmentation des besoins due à la croissance démographique atteindra jusqu’à +95 pour cent, alors que les effets combinés des modifications de la structure de la population seront à peine supérieurs à 3 pour cent.

3.46 Il en résultera une augmentation des besoins de 76 pour cent pour l’ensemble du monde, soit 74 pour cent en raison de la croissance démographique et 2 pour cent en raison de la modification de la pyramide des âges.

3.47 A l’échelle mondiale, les effets combinés des mouvements généraux de population laissent prévoir une augmentation de 75 pour cent des besoins énergétiques. Ce résultat n’est ni surprenant ni particulièrement inquiétant étant donné que la stagnation, voire la baisse, de la production agricole mondiale en chiffres absolus ou par habitant est due au coût de frein décidé par les grands exportateurs de céréales, qui ont ainsi bloqué leur capacité d’expansion. Cette remarque ne doit cependant pas apparaître comme une conclusion essentielle de la présente étude.

3.48 L’augmentation moyenne des besoins énergétiques cache de profondes différences entre régions (tableau 8) (figure 8). Les besoins des pays européens diminueront et ceux des pays d’Amérique du Nord n’augmenteront que d’un tiers. Les pays d’Asie et les pays d’Amérique latine et des Caraïbes devront probablement faire face à un accroissement des besoins atteignant 69 et 80 pour cent, respectivement, entre 1995 et 2050. L’Afrique, selon la variante moyenne des projections des Nations Unies, affrontera un triplement des besoins énergétiques (figure 8).

Tableau 8

3.49 Les pays dont les besoins énergétiques sont couverts par le blé – pour l’essentiel, les pays arabes et spécialement ceux du pourtour méditerranéen – verront probablement croître leurs besoins de 142 pour cent (tableau 8) (catégorie 3, figure 9). On peut en déduire que ces pays vont accroître sensiblement leurs importations de céréales, dans la mesure où ils restent solvables.

3.50 En Afrique, le contraste entre les pays qui appartiennent à la catégorie 3 et ceux qui appartiennent aux catégories 5 et 6 devrait s’accentuer. Les pays de la catégorie 3 verront probablement doubler leurs besoins énergétiques, tandis que les autres les verront multiplier par plus de trois pour des raisons d’évolution démographique. Les pays qui consomment essentiellement du mil ou du sorgho (catégorie 5, figure 9) et les pays qui tirent l’essentiel de leurs besoins énergétiques du manioc, des ignames, du taro ou des plantains verront leurs besoins augmenter de 243 et 251 pour cent, respectivement (catégorie 6, figure 9).

Importance déterminante d’une diminution de la fécondité

Caractère aléatoire de l’hypothèse retenue en matière de fécondité (2,1 enfants par femme)

3.51 Les projections des Nations Unies ont permis jusqu’à présent de travailler sur la base d’une variante moyenne de fécondité qui suppose une stabilisation du taux de renouvellement, soit 2,1 enfants par femme. Nous l’avons vu, ce scénario favorable à l’échelle mondiale repose sur l’hypothèse selon laquelle un allongement important de l’espérance de vie grâce à l’amélioration des conditions d’existence et des régimes alimentaires s’accompagnera d’une diminution nette de la fécondité. Il est difficile de croire que tous les pays du monde se conformeront aux projections établies pour eux. Dans certains d’entre eux, l’évolution sera plus rapide qu’ailleurs.

 

Figure 8

VARIATION DES BESOINS ÉNERGÉTIQUES DE 1995 À 2050, PAR CONTINENT (variante moyenne)

Autre hypothèse de travail: stabilisation de la fécondité au niveau de 1,6 enfant par femme

3.52 La stabilisation du nombre d’enfants à un niveau très inférieur au niveau de renouvellement modifierait grandement l’évolution des besoins énergétiques (figure 7). Au lieu de doubler leurs besoins, comme dans la projection de la variante moyenne, les pays en développement n’auraient à faire face qu’à une augmentation de 59 pour cent. Les besoins énergétiques de l’Afrique, augmenteraient de 165 pour cent au lieu d’être multipliés par deux selon la projection de la variante moyenne (figure 10). Cependant, dans les situations extrêmes – où la transition démographique n’a pas lieu ou a lieu tard – ils ne seraient pas fondamentalement modifiés. Les besoins en énergie des pays consommant du mil ou du sorgho ou des pays consommant du manioc, des ignames, du taro ou des plantains tripleraient, alors que dans le cas d’une projection correspondant à la variante moyenne, ils augmenteraient de 250 pour cent de 1995 à 2050 (catégories 5 et 6, figure 11). Le défi à relever par les pays confrontés à un tel déficit alimentaire resterait considérable. Le problème qui se pose à ce niveau est celui du mode de développement. Si, toutefois, des mesures appropriées étaient prises, la population pourrait augmenter suivant la variante basse du scénario des Nations Unies car, comme il est indiqué dans le Programme d’action (paragraphe 1.8) adopté par la Conférence internationale sur la population et le développement tenue au Caire en 1994 (Nations Unies, 1995c), il existe effectivement des stratégies permettant de ralentir la future croissance démographique, spécialement sur le long terme. Ces stratégies recouvrent la santé de la reproduction, y compris la planification familiale, qui facilite aussi la réalisation des objectifs touchant les projections de l’alimentation et de la sécurité alimentaire.

 

Figure 9

VARIATION DES BESOINS ÉNERGÉTIQUES DE 1995 À 2050, PAR TYPE DE RÉGIME ALIMENTAIRE (variante moyenne)

Autre hypothèse: stabilisation de la fécondité au niveau de 2,6 enfants par femme

3.53 Si pour quelques raisons, la transition démographique a lieu plus tard, une part beaucoup plus importante de la population mondiale sera confrontée à des défis d’une toute autre dimension. L’Afrique pourrait ainsi devoir assumer une augmentation de plus de 250 pour cent de ses besoins énergétiques (figure 12). Les pays consommant du maïs, et même les pays consommant du riz, pourraient être amenés à prévoir un doublement de leurs besoins et les pays consommant du blé un quasi-triplement des leurs. Du fait de l’évolution démographique, les besoins des pays consommant du mil ou du sorgho et de ceux qui consomment du manioc, des ignames, du taro ou des plantains devraient quadrupler entre 1995 et 2050 (catégories 5 et 6, figure 13). Cela montre combien il est important de mettre intégralement en œuvre le Programme d’action de la Conférence internationale sur la population et le développement (Nations Unies, 1995c; FNUAP, 1995).

3.54 Il pourrait aussi exister des écarts par rapport à l’hypothèse moyenne. Par exemple, les estimations des taux de fécondité futurs en Asie de l’Est sont aussi incertaines que le niveau de fécondité actuel. Un niveau de fécondité élevé en Asie de l’Est et le nouveau doublement des besoins énergétiques de cette région que cela supposerait rendraient nécessaire une nouvelle révolution verte, mais avec de plus grandes difficultés encore car la précédente révolution verte a déjà bénéficié de l’allocation des meilleures terres, notamment des terres irriguées.

 

Figure 10

VARIATION DES BESOINS ÉNERGÉTIQUES DE 1995 À 2050, PAR CONTINENT (variante basse)



Figure 11

VARIATION DES BESOINS ÉNERGÉTIQUES DE 1995 À 2050, PAR TYPE DE RÉGIME ALIMENTAIRE (variante basse)

3.55 Il est possible que dans certains pays d’Afrique la transition démographique soit décalée dans le temps. Les conséquences d’une telle situation seraient sans doute très graves. Pour assurer le quadruplement des besoins énergétiques dont nous avons parlé plus haut, les infrastructures et le contexte macro-économique nécessaires pour que les pays soient en mesure d’importer des céréales devraient être fort différents.

3.56 Sans exclure ces possibilités, il semble que la transition démographique ait lieu en Afrique, et il est encourageant de noter que, malgré la pauvreté et les difficultés économiques de bon nombre des pays concernés, les programmes concernant la population sont acceptés et se développent rapidement en Afrique. La fécondité est en diminution dans les régions pauvres. L’urbanisation apparaît aussi comme un facteur à l’impact déterminant sur la baisse de la fécondité.


COMBLER LE DÉFICIT DES BESOINS EN ÉNERGIE

3.57 Nous ne disposons d’aucune information permettant de prévoir de façon sûre l’évolution des modes d’alimentation d’ici à 2050. Cela étant, sauf si la dégradation de l’environnement est générale et que l’humanité est incapable d’assurer le degré de développement nécessaire pour satisfaire ses besoins énergétiques, deux grandes tendances peuvent être définies. La première irait dans le sens d’une évolution des disponibilités alimentaires qui permettrait de satisfaire les besoins énergétiques de l’humanité. L’analyse de cette première tendance fera l’objet de la présente section. La seconde tendance irait dans le sens d’une diversification de la composition des rations. Elle aboutirait à une modification des modes d’alimentation, en partie provoquée par l’urbanisation, qui permettrait de fournir aux populations d’importants compléments nutritifs (vitamines, acides aminés essentiels, etc.). Cette seconde tendance sera analysée dans la prochaine section.

 

Figure 12

VARIATION DES BESOINS ÉNERGÉTIQUES DE 1995 À 2050, PAR CONTINENT (variante haute)

Augmenter les disponibilités alimentaires n’est pas le seul moyen de régler le problème

3.58 Un point essentiel doit être souligné: les projections définies dans le présent document n’impliquent en aucun cas que la crise alimentaire peut être résolue par des mesures conçues simplement pour accroître les disponibilités alimentaires par habitant. Quel que soit le niveau projeté des disponibilités, ces mesures doivent être envisagées comme partie intégrante de politiques s’attaquant aux racines mêmes du problème de l’alimentation, de la pauvreté, de sa dimension sexospécifique et de l’absence d’accès des pauvres à la nourriture dans les zones tant rurales qu’urbaines. Il faut signaler que ces politiques vont de pair dans les pays où la plupart des pauvres sont actuellement employés dans l’agriculture.

 

Figure 13

VARIATION DES BESOINS ÉNERGÉTIQUES DE 1995 À 2050, PAR TYPE DE RÉGIME (variante haute)

Prévoir des disponibilités alimentaires supplémentaires dans les pays en développement d’ici à l’an 2050

3.59 Pour répondre aux besoins énergétiques moyens, les quantités de vivres disponibles dans les pays en développement devront sans doute dépasser largement ces besoins en 2050. La demande sera d’autant plus forte si la répartition intérieure devient plus équitable. Elle comprendra également les pertes au niveau des ménages (lors des périodes de préparation et de stockage des produits de base, par exemple).

3.60 Comment faut-il donc évaluer l’effort requis? La FAO (1992) a estimé le nombre de personnes souffrant de malnutrition dans le monde en combinant les disponibilités alimentaires moyennes de chaque pays, un indicateur de la répartition des vivres et une estimation des besoins minimaux. Cette estimation ne donne cependant aucune information sur l’ampleur des déficits alimentaires des pays où le phénomène de la faim reste répandu. Elle n’indique pas non plus quelle serait la réduction en pourcentage des personnes sous-alimentées si les disponibilités augmentaient de 10, 20 ou 30 pour cent. Aux fins de la présent étude, il convient de proposer un ordre de grandeur. La tâche est délicate. Les deux principales explications de l’écart entre les besoins énergétiques des populations et la disponibilité des approvisionnements alimentaires nécessaires – qui correspond aux pertes entre les stades de la vente au détail et de la consommation ainsi que celles dues à une répartition inégale des produits à l’échelon national – varient sans doute considérablement d’un pays à l’autre, en fonction du degré de pauvreté.

3.61 Nous savons que les pertes entre les stades de la vente au détail et de la consommation peuvent varier fortement d’un pays à l’autre et d’une année sur l’autre. On a avancé des proportions de l’ordre de 10 pour cent pour les réserves constituées par les populations pour se prémunir contre l’insécurité alimentaire. Les pertes au niveau du ménage diminueront sans doute d’ici à 2050. Les appareils électro-ménagers devraient permettre d’améliorer la situation, et la réglementation des marchés devrait dispenser les familles de stocker des produits alimentaires pendant de longues périodes.

3.62 Selon la FAO (1992), quand la répartition des vivres est inégale, la proportion de la population souffrant de malnutrition atteint 10 pour cent lorsque les disponibilités alimentaires moyennes par habitant représentent 2 700 Calories et 15 à 35 pour cent quand elles se situent entre 2 200 et 2 500 Calories. On peut donc supposer que, pour assurer la sécurité totale des approvisionnements vivriers, la moyenne devrait dépasser 2 800 Calories (2 900 ou 2 950 Calories sans doute) si l’on considère que, dans des conditions bien meilleures, les pertes pourraient être sensiblement réduites (au-dessous de 5 pour cent peut-être). Ce chiffre ne devrait être évalué que sur la base d’informations techniques fiables, qui seraient nécessaires pour éliminer tout risque d’erreur.

3.63 On peut craindre que les problèmes de répartition persistent en 2050. Il est vrai qu’ils n’ont jamais été totalement éliminés dans les sociétés humaines. On peut espérer que d’ici là les populations s’attaqueront à ces inégalités pour les réduire davantage. L’état de santé d’une grande partie de la population mondiale et sa capacité de maîtriser son propre avenir en dépendent.

3.64 On peut supposer que les pays en développement relèveront le niveau de leurs disponibilités alimentaires jusqu’à un niveau de 30 pour cent supérieur à leurs besoins énergétiques et que les conditions d’un recul de la malnutrition seront ainsi créées. Avec des besoins moyens des pays en développement se situant à 2 160 Calories par personne et par jour en 1990, les disponibilités alimentaires devraient atteindre un niveau minimal de 2 808 Calories. Cette estimation est supérieure à l’estimation des quantités de vivres par habitant disponibles dans le monde (2 700 Calories selon une estimation FAO de 1988-1990), ainsi qu’à la moyenne des besoins énergétiques prévus par la FAO pour l’ensemble des pays en développement en 2010 (2 730 Calories), mais elle est inférieure à la moyenne des besoins projetés par la FAO pour l’ensemble du monde en 2010 (2 860 Calories). La même règle des 30 pour cent a été retenue pour 2050.

3.65 Ces ajustements ont été effectués même si les pays présentent de grandes différences en matière de pertes et d’inégalité d’accès aux vivres. Ce choix peut s’expliquer par deux raisons qui relèvent de la logique de la présente étude. Premièrement, ces nécessaires accroissements des approvisionnements alimentaires doivent être évalués en fonction des besoins moyens des populations de chaque pays. La méthode utilisée pour estimer ces besoins doit être identique pour tous les pays et ne saurait être influencée par un manque d’informations sur un pays donné (spécialement pour ce qui concerne les pertes d’aliments et la répartition inégale des ressources). Cette procédure ne signifie pas qu’en augmentant les disponibilités alimentaires on résoudra le problème de la malnutrition. Le véritable enjeu est l’accès des pauvres à la nourriture. Or, comme la plupart des pauvres de la planète vivent dans les zones rurales et tirent leur subsistance de l’agriculture, le complément dont il est question ici est un complément indispensable.

Fixation des disponibilités alimentaires par habitant dans les pays en développement d’ici à 2050 pour atteindre le niveau prévu pour l’an 2010 en Asie de l’Est

3.66 En fixant des disponibilités minimales pour les pays les plus pauvres, les disponibilités moyennes par habitant dans le monde augmentent considérablement: 14 pour cent de 1995 à 2050. Pour les pays en développement, l’augmentation est en moyenne de 18 pour cent. D’une manière générale, la ration énergétique des pays en développement correspondrait à celle projetée par la FAO pour l’Asie de l’Est en 2010 (FAO, 1995a), à savoir 3 040 Calories.

3.67 L’importance du rattrapage nécessaire (disponibilités supplémentaires) dépend de la situation du moment et varie considérablement selon les régions. Ce rattrapage suppose une augmentation d’un tiers des disponibilités alimentaires pour l’Afrique en général, mais de 50 pour cent pour l’Afrique de l’Est. L’augmentation requise est moindre pour l’Asie (+14 pour cent) et pour l’Amérique latine et les Caraïbes (+8 pour cent).

3.68 Les pays qui consomment essentiellement du mil ou du sorgho et ceux qui consomment avant tout du manioc, des ignames, du taro ou des plantains devront accroître leurs disponibilités alimentaires de 40 pour cent. Il convient de souligner qu’une telle augmentation suppose une intensification des efforts déjà considérables que doivent consentir les pays qui devraient connaître une forte croissance démographique.

Tendances dans les pays développés

3.69 Les pays développés n’ont pas plus d’informations sur l’évolution des régimes alimentaires que les pays en développement.

3.70 Les populations de certains pays développés continuent d’accroître leur consommation bien au-delà de 3 500 Calories, ce qui entraîne des problèmes d’obésité. D’autres populations ramènent leur consommation énergétique à 3 200, voire 2 900 Calories. Après avoir enregistré une progression pendant 10 ou 20 ans, la ration énergétique moyenne des populations des pays développés pourrait se rapprocher du niveau constaté dans certains pays d’Europe du Nord (3 000 à 3 200 Calories) (FAO, 1995a). Il faut signaler que la FAO (1995a) projette aussi pour 2010 une ration énergétique moyenne élevée (3 470 Calories). En l’absence de plus de précisions, on a supposé dans la présente étude que la ration énergétique des pays où les disponibilités enregistrées en 1990 étaient supérieures de plus de 30 pour cent aux besoins nutritionnels prévus pour eux en 2050 ne varierait pas de 1990 à 2050 (3 400 Calories).


COMBLER L'ÉCART REPRÉSENTÉ PAR LES CARENCES QUALITATIVES

Changement des habitudes alimentaires

3.71 L’évolution des régimes alimentaires se fait actuellement dans deux directions opposées. En premier lieu, les nutritionnistes ont observé une diminution sensible des quantités d’énergie consommée dans certains pays développés. A l’inverse, une part importante de la population mondiale diversifie actuellement et pourrait continuer de diversifier son régime alimentaire. Cette diversification permet aux populations d’introduire dans leur régime alimentaire des éléments indispensables à la santé, comme les acides aminés, les vitamines, les oligo-éléments. Tel est le cas dans certains grands pays comme la Chine et l’Inde ou d’autres sous-régions où la croissance économique est soutenue et régulière et où la demande effective augmente. Ces populations constituent une large proportion de l’humanité, en augmentation. Cette tendance en sera vraisemblablement renforcée et elle influera sur le niveau des disponibilités alimentaires nécessaires pour assurer la subsistance des populations.

Changement des habitudes alimentaires en fonction des pays

3.72 La croissance économique entraîne une modification des habitudes alimentaires. Avec l’introduction de viande, de produits de la mer, de fruits et de légumes, les rations quotidiennes deviennent moins riches en céréales. La consommation de viande n’augmente pas toujours quand la ration alimentaire augmente. On peut le vérifier en classant tous les pays d’après la quantité d’énergie disponible et en n’isolant que les deux déciles pour lesquels les disponibilités ont augmenté le plus entre 1962 et 1990, soit une augmentation de 535 à 789 Calories par habitant pour le 9e décile (moyenne: 630) et de 814 à 1 629 Calories par habitant pour le 10e décile (moyenne: 995). On peut ainsi observer que la viande, qui représente entre 0,79 et 56,56 pour cent, contribue de manière variable à ces augmentations selon les pays. Par ailleurs, les pays où la viande occupe la part la plus faible (entre 0,79 et 4,89 pour cent) sont des pays qui, en 1962, disposaient de moins de nourriture que les pays où la viande représente une part plus importante de la ration (entre 5 et 56,56 pour cent). On constate une différence de quelque 350 Calories. Les pays où la viande occupe la plus faible part (moins de 5 pour cent) sont ceux où les céréales représentent la part la plus importante et les oléagineux la plus réduite.

3.73 Il est prouvé que dans les pays où l’augmentation de l’apport énergétique a été sensible, la structure de la consommation a évolué différemment selon que ces pays appartiennent au monde développé ou au monde en développement. Ainsi, en Egypte, la ration est passée de 2 290 Calories en 1962 à 3 310 Calories en 1989, alors que la consommation de viande doublait presque, passant de 10 à 18 kg par habitant et par an, ce qui est encore faible par rapport aux pays développés où la consommation de viande atteint 80 kg par personne. Dans les pays en développement, l’augmentation de l’apport énergétique a surtout été obtenue par un accroissement de la consommation de céréales.

3.74 Les modes d’alimentation sont très influencés par l’histoire et par la culture. La modification des régimes alimentaires dépend de l’évolution économique ainsi que de la capacité des sociétés à s’exposer aux idées, aux produits et aux hommes venus d’ailleurs. Toute prévision à long terme est toujours risquée. Le présent document ne propose donc aucun scénario de consommation pour l’année 2050.

3.75 Il est toutefois utile de noter que l’urbanisation influe considérablement sur les modes d’alimentation. L’évolution de la consommation alimentaire dépendra probablement pour une large part de l’approvisionnement des villes. Il est parfois plus facile d’acheter de la nourriture sur les marchés d’importation que sur les marchés locaux. La diversité des produits alimentaires disponibles ainsi que les contraintes exercées sur les femmes par l’évolution des modes de vie pourraient avoir une incidence profonde sur les tendances de l’alimentation, car ce sont généralement les femmes qui décident des aliments qui sont produits, achetés et cuisinés. Des études des relations existant entre l’évolution des rôles joués par l’un et l’autre sexes et la sécurité alimentaire seraient très utiles pour l’élaboration des politiques. Les conditions des marchés ont aussi un effet sur les tendances en matière d’alimentation. Par exemple, il peut être moins coûteux d’emprunter pour le court laps de temps qui s’écoule entre l’achat et la vente plutôt que d’emprunter sur de plus longues périodes du fait d’accords à long terme passés avec des producteurs locaux. Cela peut conduire à augmenter les approvisionnements alimentaires d’importation plutôt que la production locale. En outre, l’évolution des modes d’alimentation dans les pays en développement sera probablement liée de façon directe à la multiplication des élevages avicoles et porcins à haut rendement.

Quelques incidences de la modification des modes d’alimentation

3.76 Les besoins énergétiques des populations ne sont manifestement pas influencés par l’évolution de leur mode d’alimentation. La quantité d’énergie nécessaire pour satisfaire les besoins nutritionnels peut être obtenue davantage grâce à une ration riche en produits animaux qu’à une ration riche en énergie d’origine végétale. Toutefois, à quantité d’énergie égale, une ration riche en produits de l’élevage nécessitera un supplément d’énergie d’origine végétale (nécessaire pour permettre les productions animales).

3.77 La consommation de produits de l’élevage s’accompagne d’une pression accrue sur les ressources naturelles. La pression qui s’exerce sur celles-ci augmente beaucoup plus vite que la consommation d’énergie de la population elle-même. Voilà pourquoi il importe de pousser l’étude plus avant, en évaluant aussi la quantité d’énergie d’origine végétale nécessaires pour produire les rations alimentaires. Force est de reconnaître que l’absence de données ne favorise pas la réalisation d’une telle étude, mais il faut avoir quelque idée de la manière dont la pression qui s’exerce sur les ressources naturelles augmente avec la diversification des régimes alimentaires.

3.78 Au fur et à mesure que la valeur énergétique des rations quotidiennes des populations s’accroît, la qualité des produits suit; parallèlement, les pressions qui s’exercent sur les ressources naturelles semblent augmenter plus vite que la consommation. Il s’agit là d’un phénomène difficile à interpréter. Le problème ne peut être traité directement ici. En tout état de cause, les données disponibles ne seraient pas suffisantes.

Rôle du bétail

3.79 La diversification des modes d’alimentation entraîne l’introduction de produits de l’élevage dans la ration quotidienne; or, la production animale nécessite de grandes quantités d’énergie d’origine végétale.

3.80 Faute de données concernant la composition du cheptel des différents pays (espèces et races par sexe, âge et poids), on suppose arbitrairement, en se référant aux documents de travail utilisés par la FAO, qu’il faut:

3.81 Cette base de calcul est discutable et les chiffres indiqués doivent être considérés comme des estimations très approximatives. De telles normes varient en fonction de la constitution du troupeau et des méthodes utilisées pour élever les animaux. Un troupeau de bovins élevé sans souci immédiat de rendement peut présenter un ratio de 50/1 Calories ou plus. Il est probable en outre que les moyennes ont baissé, notamment en ce qui concerne les troupeaux élevés industriellement, qui sont de plus en plus nombreux. Toutefois, nous l’avons indiqué, on ne possède pas d’informations pertinentes sur les différents pays. En fait, il n’existe pas de statistiques par pays dans ce domaine, et les scientifiques de la FAO ne disposent pas d’évaluations par pays pour travailler sur la nutrition animale.

3.82 Etant donné les incidences qu’ont les changements de régime alimentaire sur la production agricole, une estimation très approximative est préférable à l’absence d’information. Il est donc utile pour l’étude d’estimer la quantité d’énergie alimentaire nécessaire pour produire une ration donnée et évaluer le processus de transformation de l’énergie d’origine végétale en énergie consommée.

3.83 Les résultats ainsi obtenus doivent être interprétés en tenant compte des facteurs suivants:

3.84 La difficulté consiste à évaluer l’importance relative de ces effets ainsi que les conditions dans lesquelles ils se produisent. Il convient de rappeler ici que l’extension, le cas échéant par déboisement, des pâturages destinés à l’élevage des bovins peut entraîner un coût écologique.

Une conversion calorique qui pèse lourd sur le niveau des disponibilités en énergie nécessaires

3.85 Les chiffres susmentionnés indiquent que toute addition de produits de l’élevage aux rations alimentaires impose aux ressources naturelles une sollicitation au moins quatre fois supérieure au niveau d’énergie fourni. Le reste de l’étude tient compte de ce type de considération.

3.86 Pour être complet, il faut souligner que ce mode de calcul des besoins en énergie d’origine végétale exclut les produits alimentaires provenant des océans, des lacs ou de l’aquaculture. Les produits alimentaires obtenus grâce à la chasse ne sont pas comptabilisés non plus. Il aurait été difficile de tenir compte de ces produits.

3.87 Il serait possible de comptabiliser les produits tirés des activités aquacoles, en particulier celles à caractère très intensif qui comportent l’utilisation de nourriture artificielle, comme cela se fait en particulier en Chine. Les autres pays en développement n’emploient pas sur une grande échelle le savoir-faire acquis en Chine. Ces facteurs ne pourraient toutefois pas être mesurés avec les informations disponibles.

Hypothèses relatives au changement de la composition du régime alimentaire dans les pays en développement

Hypotèse de changement des modes de consommation alimentaire

3.88 Il n’est pas possible d’établir des projections pour une date aussi éloignée que 2050; on ne peut donc que risquer une hypothèse. Cette hypothèse tient compte des problèmes d’urbanisation, qui contribuent, d’une part, à la diversification des rations et, d’autre part, à l’importation de vivres d’autres pays. Il a été tenu compte du rapport existant entre le nombre de Calories nécessaires pour produire la quantité de Calories correspondant à une ration moyenne et le nombre de Calories contenues dans cette ration, à savoir 1,783 en 1990. Pour simplifier, on peut supposer que tous les pays qui n’avaient pas atteint ce niveau en 1990 l’auront atteint d’ici à 2050. D’après cette hypothèse, les pays en développement auront besoin de 5 477 Calories d’origine végétale par personne et par jour pour produire les différents produits composant la ration, laquelle sera plus riche en produits animaux qu’en 1990. Ce chiffre est manifestement supérieur au nombre de Calories d’origine végétale nécessaires pour produire les quantités correspondant aux besoins moyens en énergie du monde (4 900 Calories en 1995). En 2050, avec les 5 477 Calories d’origine végétale nécessaires pour produire 3 040 Calories consommables, les populations des pays en développement auraient un régime alimentaire proche de celui du Mexique en 1988-1990.

Hypothèse de stabilisation des modes de consommation alimentaire

3.89 Nous n’avons pas à notre disposition les données ou les analyses fiables qui nous permettraient de dire que le mode d’alimentation moyen d’un pays fournirait tous les éléments nutritifs nécessaires pour maintenir la population en bonne santé. A cet égard, aucun pays ne peut être pris comme modèle. Nous ne pouvons donc proposer de cibles aux pays. Nous retiendrons par conséquent une hypothèse brute. Pour les besoins de la présente étude, prenons comme hypothèse que, dans les limites des niveaux existants de disponibilités énergétiques, le degré actuel de diversification du mode d’alimentation global garantirait l’élimination des carences nutritionnelles graves. Ainsi, avec le taux de conversion moyen des Calories d’origine végétale en Calories consommées (1,783 en 1990), on peut assumer que la composition de la ration alimentaire de chaque pays sera identique en 2050 à ce qu’elle était pour l’ensemble du monde en 1990. Au-delà du taux de conversion moyen des Calories d’origine végétale en Calories consommées, la composition de la ration de chaque pays est supposée constante entre 1990 et 2050, sauf si le niveau énergétique de la ration augmente (comme indiqué aux paragraphes 3.59 à 3.65). Comme nous l’avons suggéré pour la ration énergétique – et par manque d’informations plus fiables –, nous pouvons supposer que les populations dont le ratio Calories d’origine végétale nécessaires/Calories consommées par ration est supérieur à 1,783 en 1995 ne modifieront pas leur régime alimentaire entre aujourd’hui et 2050. Il en va de toute évidence autrement pour les pays dont les besoins énergétiques en 1990 n’étaient pas supérieurs de plus de 30 pour cent à leurs besoins projetés pour 2050.

Résultats

La diversification des régimes alimentaires accroît fortement la quantité d’énergie d’origine végétale nécessaire

3.90 L’hypothèse de départ pour 2050 est donc que tous les pays du monde auront accès à un régime alimentaire supposant un ratio minimal Calories d’origine végétale nécessaires/Calories consommées par ration moyenne par habitant. Ce ratio minimal, soit 1,783, est obtenu à partir des observations faites à l’échelle mondiale en 1990.

3.91 Les conséquences sont les suivantes:

3.92 Le taux d’augmentation varie considérablement en fonction de la région. Il est de 20 pour cent en Asie et de 23 pour cent en Afrique. De même, il varie considérablement à l’intérieur du continent africain. Il est ainsi de 29 pour cent, par exemple, dans les pays consommant surtout du riz et 46 pour cent dans ceux qui consomment surtout du manioc, des ignames ou du taro.

Effets conjugués de deux types d’évolution des habitudes alimentaires (accroissement de la teneur en énergie et diversification)

3.93 L’incidence des deux tendances examinées ci-dessus, conjuguée avec l’augmentation des besoins en énergie par habitant et la diversification des régimes alimentaires, accentue considérablement les effets du mouvement général de la population. Les pays en développement pourraient être à l’origine d’une augmentation moyenne de 28 pour cent de la quantité d’énergie d’origine végétale nécessaire pour satisfaire les besoins mondiaux et d’une augmentation de 40 pour cent de leurs propres besoins.

3.94 Les deux tendances décrites peuvent avoir des effets très variables selon les régions. Elles sont sans effet pour l’Amérique du Nord et l’Europe et n’interviennent que dans une proportion de 7 pour cent en ce qui concerne l’Amérique latine. En revanche, l’Asie enregistrera une augmentation de 38 pour cent et l’Afrique une augmentation de 64 pour cent. Les populations qui consomment du manioc, des ignames et du taro devront doubler les quantités d’énergie d’origine végétale nécessaires pour satisfaire leurs besoins.


IMPACT CONJUGUÉ DES FACTEURS DÉMOGRAPHIQUES, DES BESOINS EN ÉNERGIE ET DES CHANGEMENTS D'HABITUDES ALIMENTAIRES

Les effets démographiques ont davantage d’impact que les changements d’habitudes alimentaires

3.95 Quel que soit le pays ou la région, les conséquences des évolutions démographiques sur le niveau des besoins énergétiques sont beaucoup plus importantes que les changements de modes d’alimentation. Cette situation tient en partie au fait que les hypothèses émises au chapitre précédent sont prudentes. L’impact de l’évolution de la population sur le niveau des besoins en énergie d’origine végétale est amplifié pour les pays à taux de fécondité élevé – l’Afrique par exemple – dans la mesure où les facteurs de multiplication sont de 2,94 pour les effets démographiques de tous types et 1,64 pour les effets des changements de modes d’alimentation. Dans les pays où les pénuries alimentaires sont les plus marquées – ceux où les populations se nourrissent essentiellement de racines ou de tubercules – les facteurs de multiplication sont respectivement de 3,51 et 2,04. Là encore, les effets démographiques sont beaucoup plus marqués que les changements de modes d’alimentation.

3.96 Les conséquences de la modification de la structure par âge des populations sur les besoins en énergie pourraient paraître négligeables par rapport aux effets de la croissance démographique. Dans le cas des pays en développement, les augmentations (3 pour cent pour la première et 90 pour cent pour la seconde) ne sont pas de la même ampleur (tableau 7). Toutefois, l’effet de la modification de la structure par âge ne doit pas être sous-estimé. Ainsi, l’augmentation des besoins qu’elle engendrera d’ici à 2050 reviendrait à ajouter dans le monde un nouveau pays de la taille du Bangladesh. De plus, ces effets varieront d’un pays à l’autre et, dans certains cas, il en résultera une augmentation de plus de 8 pour cent de leurs besoins énergétiques.

Quelques moyens d’équilibrer nourriture et population

3.97 Les effets combinés de l’évolution démographique et des changements de modes d’alimentation sur les niveaux des besoins en énergie d’origine végétale aboutissent à des résultats dont la fiabilité doit être analysée (tableaux 9 à 11).

3.98 La quantité d’énergie d’origine végétale devrait doubler pour l’Asie ainsi que pour l’Amérique latine et la région des Caraïbes (où la quantité d’énergie d’origine végétale serait multipliée respectivement par 2,34 et 1,92). Cela correspond à des taux de croissance annuelle de 1,6 pour cent (Asie) et 1,2 pour cent (Amérique latine et Caraïbes). Par taux de croissance, il faut entendre ici le pourcentage d’accroissement sur une période de 55 ans. Il s’agit-là du taux de croissance de la production d’énergie d’origine végétale nécessaire pour produire les vivres d’origine végétale ou animale. Ces taux de croissance sont inférieurs aux taux dus à la révolution verte dans l’Asie productrice de riz ou à l’introduction du maïs hybride en Amérique latine. Des recherches accélérées concernant de nouvelles variétés de céréales représenteront incontestablement un facteur de croissance fondamental pour le maintien des niveaux actuels pendant 55 ans dans des régions où l’état des infrastructures est plus favorable qu’en Afrique. Il reste à savoir si ces taux de croissance sont durables.

Tableau 9

Tableau 10

Tableau 11

3.99 La multiplication par cinq (5,14 pour être précis) de la quantité d’énergie d’origine végétale requise pour la production alimentaire en Afrique et par sept (7,17 exactement) dans les pays dont le régime alimentaire est à base de manioc, ignames, taro ou plantains a une toute autre signification. Elle suppose des taux de croissance annuels moyens de 3,0 et 3,6 pour cent, respectivement, pendant 55 ans, soit un changement total de l’échelle de développement. Un tel taux serait proche du taux observé entre 1975 et 1990 en Asie de l’Est qui a connu le taux de croissance le plus élevé de toute l’histoire de l’Asie de l’Est: 4,3 pour cent par an. Mais le contexte économique général de l’Asie à l’époque créait un climat tout à fait favorable au développement rural. L’Afrique subsaharienne, qui connaît un recul économique, n’est en aucun cas en situation aussi favorable; le taux de croissance le plus élevé observé dans la région pendant une période de 15 années a été de 2,4 pour cent entre 1971 et 1990 (FAO, 1995a).

3.100 Ce changement d’échelle suppose qu’un effort soit fait pour accroître la capacité des pays à construire des infrastructures de base, accompagnées de politiques agricoles et de politiques d’approvisionnement internationales adaptées à ce type de situation extrême. Face à une telle menace, on ne peut que souligner l’inefficacité de la lutte menée sur le plan national et international contre la pauvreté. Cette inefficacité est responsable du retard de la transition démographique.

3.101 La FAO avait, dès 1980, indiqué que certains pays de ces régions rencontreraient de sérieux problèmes de sécurité alimentaire avant l’an 2000 (FAO,1982). Quelques-uns d’entre eux ont déjà connu de graves confrontations ethniques ou religieuses, probablement dues dans une certaine mesure à la compétition pour les ressources naturelles. Ils font désormais partie des régions ou groupes de pays susmentionnés qui courent des risques considérables à long terme, mais cette fois sur une plus vaste échelle. Les facteurs de conflits locaux peuvent-ils être battus en brèche? Les migrations internationales peuvent-elles être contenues? Peut-on continuer d’ignorer la menace de troubles civils graves qui plane sur des sous-régions entières? La conséquence logique de l’absence de moyens permettant de produire ou d’importer des denrées alimentaires conduirait à un règlement absurde des problèmes agrodémographiques, à savoir une augmentation de la mortalité: l’évolution inverse à celle prévue par les Nations Unies.

Rôle crucial des taux de fécondité

3.102 La stabilisation du taux de fécondité à 1,6 (variante basse des projections des Nations Unies), 2,1 (variante moyenne) ou 2,6 (variante haute) enfants par femme supposerait que le continent africain multiplie la quantité d’énergie d’origine végétale disponible par 4, 5 ou 6. Pour les populations consommant essentiellement du manioc ou d’autres racines ou tubercules, les quantités devraient être multipliées par 6 ou 7,2, voire 8,4.

3.103 Avec de telles perspectives en matière de pressions sur les ressources, on pourrait être tenté de conclure hâtivement que, quel que soit le taux de fécondité, il n’existe pas de solution. Il faut préciser qu’une telle conclusion est contraire à la raison.

3.104 Force est de reconnaître que ces résultats démontrent l’inertie des phénomènes démographiques et leurs effets de transmission d’une génération à l’autre: le taux de fécondité élevé d’une génération donnée détermine le nombre de femmes de la génération suivante qui seront en âge d’enfanter quelque 15 ou 20 ans plus tard, et produit un minimum d’enfants nés de cette génération de filles, même si la fécondité diminue. C’est la raison pour laquelle nous avons indiqué les conséquences du mouvement général de la population sur l’augmentation de la demande d’énergie dans l’hypothèse d’une fertilité élevée et faible, même si, appliqués à l’échelle mondiale, ces deux cas extrêmes ne constituent que des hypothèses d’école.

3.105 Il faut cependant considérer les faits: des taux de fécondité faibles font paraître les mutations économiques nécessaires moins absurdes et plus dans le champ du possible. Ainsi, dans le cas de l’Afrique, à chaque scénario de diminution de la fécondité correspond un modèle de développement et un taux d’accroissement différents. Ce taux d’accroissement se réfère à la production d’énergie d’origine végétale nécessaire pour assurer la production de vivres. Ce taux atteindrait 2,6, 3,0 et 3,3 pour cent par an pendant 55 ans pour les trois scénarios, respectivement. Chacun de ces taux est supérieur au taux maximal de croissance de la production agricole constaté pour l’Afrique subsaharienne entre 1971 et 1990 (2,4 pour cent), mais il reste inférieur au taux maximal enregistré en ce qui concerne l’Asie de l’Est pour la même période (4,3 pour cent). Il faut toutefois signaler que l’Asie est la région la plus densément peuplée du monde, qu’elle bénéficie d’infrastructures plus développées et d’un degré supérieur de valorisation du capital humain (en termes d’alphabétisation par exemple), et que le climat général y est plus dynamique qu’en Afrique. La situation paraît plus difficile encore dans les pays dont la population consomme du manioc, des ignames, du taro ou des plantains, car la croissance de la production d’énergie d’origine végétale requise devrait atteindre des taux aussi élevés que 3,3, 3,6 et 3,9 pour cent par an dans les trois scénarios, taux proches du maximum réalisé en Asie orientale. Il s’agit là sans doute d’objectifs très difficiles à atteindre, voire impossibles, dans le climat économique et structurel qui est celui de l’Afrique actuellement.

3.106 Le retard de la transition démographique de l’Afrique et, partant de son développement, explique pourquoi elle obtient d’autres résultats que l’Asie de l’Est. L’Asie de l’Est est la région la plus fortement peuplée du monde, où la situation alimentaire restera problématique en 2010 et où le taux de croissance de la production agricole devrait être maintenu au niveau de 2,2 pour cent par an jusqu’à cette date. Il est donc incontestable que, dans le cas de l’Afrique, la capacité pose un important problème.

3.107 La rationalisation des choix budgétaires et la priorité donnée aux problèmes immédiats de sécurité alimentaire expliquent pourquoi les gros investissements consentis dans la recherche agronomique ont privilégié les régions fortement peuplées (rizicoles particulièrement). Les efforts vont maintenant porter sur les régions où l’agriculture a été négligée et où des investissements sont urgents parce que la population y croît rapidement. Ces régions abritent déjà le plus grand nombre de pauvres de la planète. Ces investissements doivent aboutir à la mise au point de cultivars de racines, tubercules et légumineuses qui représentent l’apport en protéines indispensables pour des populations qui consomment peu de viande ou de plantains. A elles seules, ces innovations techniques ne suffiront sans doute pas. Le développement en profondeur de ces pays suppose la réunion de tous les facteurs nécessaires dans le domaine des infrastructures.


AU-DELÀ DE LA PRÉSENTE ÉTUDE: LA SATISFACTION DES BESOINS D'INFORMATION

3.108 La présente étude doit être poursuivie. Tout au long du document, nous avons appelé l’attention sur les problèmes que constitue le manque de données, d’estimations ou d’informations.

3.109 La principale tâche est d’analyser les effets des pénuries de ressources (en hommes, en terres et en eau) sur les différentes hypothèses concernant la productivité des facteurs du développement rural. Pour cela, il faudra que chaque pays dispose des informations nécessaires pour analyser tous les éléments interdépendants: population, formation de base, formation professionnelle, situation alimentaire, évaluation qualitative et quantitative des ressources naturelles renouvelables disponibles, infrastructures et végétation.

3.110 La technologie nécessaire à la réalisation de ces études progresse rapidement. Les données disponibles sont beaucoup plus nombreuses. Les techniques de collecte de l’information ont elles aussi évolué. Ainsi, la télédétection fournit toute une masse d’informations sur la géographie et sur les hommes, qui pourraient être utiles dans ce domaine.

3.111 Les techniques d’analyse se sont améliorées. L’examen des interdépendances au niveau local a progressé sous la forme d’études pilotes, et en particulier d’études des liens entre l’évolution de la couverture végétale et le mouvement général de la population. Le recours à la télédétection pourrait favoriser la réalisation de telles études.

Manque d’informations sur les principaux facteurs conditionnant la sécurité alimentaire

3.112 Il n’en reste pas moins qu’à l’heure actuelle données et analyses sont souvent incomplètes. On connaît mal les facteurs qui déterminent la mortalité et notamment le lien entre sous-alimentation et mortalité. Les interactions entre disponibilités en eau et utilisation de l’eau, d’une part, et mortalité, d’autre part, n’ont pas été suffisamment étudiées. La qualité des estimations en matière de fécondité est souvent médiocre. De plus, les facteurs qui déterminent la baisse de la fécondité ne sont pas clairement définis. La situation en matière de collecte de l’information est alarmante. Dans de nombreux pays, l’enregistrement et la qualité de statistiques indispensables ne s’améliorent pas. La structure socio-économique des populations est souvent mal évaluée et le nombre d’actifs dans l’agriculture ou la pêche n’est estimé qu’approximativement.

3.113 Du point de vue agrogéographique, la situation n’est pas aussi bonne qu’elle l’était en 1980 quand la FAO a réalisé son étude agrodémographique (FAO, 1982) dans la mesure où les données géographiques établies d’après l’état des sols n’ont été que marginalement augmentées et améliorées en qualité. Le couvert végétal mondial n’a toujours pas été cartographié. D’importantes lacunes subsistent dans les domaines suivants: ressources agricoles, utilisation des terres par zones agro-écologiques (ZAE), détérioration des terres irriguées, dégâts dus à l’érosion dans les régions non irriguées et données qualitatives et quantitatives sur les ressources en eau. Faute d’informations sur la situation actuelle, il est difficile de déterminer l’évolution des ressources agricoles en termes de dégradation, d’entretien et d’amélioration.

3.114 Les informations concernant les conditions environnementales sont elles aussi insuffisantes. Les informations disponibles sur l’impact de l’homme en ce qui concerne le phénomène de la photosynthèse, la densité maximale de population sur différents types de terre, les effets de l’intensification des activités agricoles sur le climat et l’évolution de la diversité génétique sont imprécises.

3.115 Tous ces aspects sont essentiels pour mesurer l’état et l’évolution des ressources naturelles et pour savoir quels sont les facteurs qui sont nécessaires pour établir les conditions du développement durable (FAO/UNESCO/OMM, 1977; UNESCO, 1985a, 1985b; Commision mondiale sur l’environnement et le développement, 1987).

Insuffisance d’études sur les interactions

3.116 Souvent, les études sur les liens entre les différents facteurs conditionnant la production agricole font eux aussi défaut. On peut donner quelques exemples de domaines dans lesquels les phénomènes démographiques jouent un rôle:


CONSÉQUENCES POLITIQUES DE CES ÉVOLUTIONS SUR LES BESOINS ÉNERGÉTIQUES ET LES DISPONIBILITÉS ALIMENTAIRES

3.117 L’objet du présent document est de décrire dans les grandes lignes les tendances concernant les besoins énergétiques et les disponibilités alimentaires nécessaires pour les satisfaire. Notre intention n’est pas de proposer des solutions politiques ou économiques aux problèmes soulevés. Cependant, il importe de présenter certaines des conséquences politiques des évolutions définies.

3.118 Certaines régions du globe et, partant, l’ensemble de l’humanité devront affronter un véritable défi social et économique dû au décalage de certaines régions en matière de développement et au retard qui en résulte concernant leur transition démographique.

3.119 Or, les populations qui doivent relever ce défi sont les plus faibles et les moins aptes à affronter les difficultés. Elles ont à peine (ou pas du tout) entamé leur transition démographique. Elles souffrent de pénuries alimentaires et leur taux de mortalité reste élevé. Ces populations doivent surmonter des obstacles considérables pour briser le cercle infernal pauvreté/fécondité et mortalité élevées. La tentation d’émigrer pour y échapper devient souvent irrésistible. Au-delà des problèmes éthiques que cela soulève, le succès ou l’échec que rencontreront ces populations aura forcément un impact régional et mondial.

Un défi qui pourrait être relevé grâce à l’ensemble de la production agricole mondiale

3.120 Le fléchissement des taux de croissance de la production agricole observé depuis le milieu des années 80 est exclusivement dû à un recul de la production chez les principaux exportateurs nets de céréales. Cette évolution n’a pas dopé les cours mondiaux, qui ont même enregistré un recul. Elle ne peut donc être interprétée comme un signe avant-coureur de pénuries alimentaires ou comme une limite due aux facteurs écologiques conditionnant les activités agricoles. Le rythme de production constaté permet de satisfaire une demande effective en augmentation. Le recul de la production peut s’expliquer principalement par le ralentissement de son taux de croissance, décidé par quelques grands pays exportateurs soucieux d’éviter la baisse des prix qui pourrait résulter d’une stagnation des ventes et d’un gonflement des excédents.

3.121 L’un des principaux problèmes qui se pose est donc la faible progression de la demande effective ou, en d’autres termes, le problème de la pauvreté. On constate ainsi que les tendances observées dans les principaux pays exportateurs se traduisent par une limitation de l’augmentation des disponibilités alimentaires par habitant dans un contexte social où 800 millions d’êtres, qui devraient pouvoir consommer plus pour satisfaire leurs besoins énergétiques, ne disposent pas du revenu nécessaire pour acheter davantage de vivres. La pauvreté agit comme un frein sur la demande et donc sur la production alimentaire. Les moyens dont dispose l’agriculture mondiale sont parfaitement capables d’accroître le volume de la production, mais il faut pour cela que la demande s’accroisse. En même temps, il importe aussi de contenir la croissance des besoins énergétiques en favorisant une décélération de la croissance démographique.

3.122 Le développement est avant tout synonyme d’accroissement de la demande. Le développement économique, au stade initial en tout cas, repose essentiellement sur un accroissement de la demande intérieure et notamment de la production nécessaire pour répondre à cette demande. Il ne dépend que très accessoirement de la progression des exportations, particulièrement en cas de malnutrition chronique (Asie de l’Est, Asie du Sud, Afrique subsaharienne, etc.).

3.123 La croissance de la consommation intérieure dépend pour une large part de la baisse constante des prix réels des vivres, c’est-à-dire du soutien constant des Etats et de la communauté internationale au développement agricole durable. Cet effort exige que les différents facteurs de production (ressources humaines, terres, eau) bénéficient d’incitations suffisamment fortes pour qu’il en résulte des gains de revenu appréciables et pour que la demande effective augmente, ainsi que de politiques en faveur de la santé, de la nutrition et de l’éducation. Dans un contexte de malnutrition, ce type d’investissement pourrait être très rentable (Rosegrant, Agcaoili-Sombilla et Perez, 1995).

3.124 L’agriculture demeure la principale activité dans le monde en développement. La population agricole active ne représente plus la majorité de la population économiquement active dans le monde depuis 1980-1984, mais elle représente la plus grande partie de la population active dans les pays en développement (plus de 55 pour cent) (FAO, 1993a). La population du monde en développement continue de croître du seul fait du mouvement naturel des naissances. La population active des pays en développement représente plus de 1 milliard de personnes depuis 1980.

3.125 En outre, la grande majorité des êtres les plus pauvres de la planète vivent dans des zones rurales et travaillent la terre (Banque mondiale, 1990). On estimait la population rurale des pays en développement à 3,1 milliards de personnes en 1995.

3.126 En d’autres termes, pour la majorité de la population du monde en développement, c’est avant tout l’agriculture qui nourrit la famille. En outre, elle génère un revenu qui permet d’acheter les biens indispensables que les populations ne peuvent produire elles-mêmes.

3.127 La croissance de la production agricole est un moyen essentiel de combattre la pauvreté. Nous savons déjà que les êtres humains doivent satisfaire des besoins nutritionnels élémentaires qui leur permettent d’exercer un niveau minimal d’activité. Il s’agit là d’une condition indispensable pour permettre aux populations de maîtriser leur destin. Il est aussi devenu manifeste que, tant que les pays en développement resteront très tributaires de l’agriculture, la lutte contre la pauvreté dépendra d’un accroissement de la production alimentaire et de la productivité agricole ainsi que d’une amélioration de la condition des femmes dans le secteur de la production alimentaire. Combat contre la pauvreté et effort en vue d’accroître la production de vivres sont indissociables au niveau de développement où l’agriculture joue le premier rôle.

3.128 Il est encore possible de dégager une capacité pour intensifier la production agricole. Toute tentative d’établir des projections dans ce domaine est aléatoire, compte tenu de l’incapacité des méthodes de prévisions dont nous disposons à évaluer l’évolution des innovations technologiques. Par le passé, cette lacune a souvent conduit à une sous-évaluation systématique des gains de productivité.

3.129 D’ici à l’an 2010, la production céréalière devrait croître de 40 pour cent (FAO, 1995a). Les rendements moyens des trois principales cultures céréalières (riz, blé et maïs) devraient augmenter sensiblement entre 1988/89 et 2010 (36, 42 et 39 pour cent respectivement). On peut donc prévoir un accroissement annuel de la production céréalière de plus de 1,5 pour cent.

3.130 Plusieurs facteurs vont jouer un grand rôle:

3.131 L’utilisation efficace des engrais est un autre facteur important pour accroître les rendements (Treche, 1995). Il est difficile de prévoir quelle sera l’évolution dans ce secteur. Néanmoins, il est indispensable d’analyser ces questions compte tenu de l’importance des investissements à consentir et des questions annexes: lieu de production, coûts des transports, etc. Dans beaucoup de pays en développement, des doses insuffisantes d’engrais sont appliquées, ce qui engendre une dégradation des terres. Il faut se souvenir à cet égard que la régénération des sols est longue et coûteuse. L’un des défis qui restent à relever est d’intensifier l’agriculture dans le cadre d’activités de subsistance.

3.132 Il ne faut donc pas déduire de ces remarques que l’amélioration génétique constitue une panacée. Certaines caractéristiques essentielles du développement rural ont aussi un rôle non négligeable dans des pays de la catégorie 6 (producteurs de manioc, d’ignames, de taro et de plantains). Ces pays ont généralement d’importantes réserves de terres humides sur lesquelles les cultures peuvent être développées. Il faut se souvenir à ce titre que la qualité des sols peut représenter un grave problème. Certains de ces pays – Congo par exemple – ont une très faible population. Dans ces conditions, le développement de la culture de racines et tubercules peut apporter une solution à la crise alimentaire (Lee et al., 1988). Il faut rappeler que la culture du manioc ne nécessite pas un degré de technicité élevé, mais que la culture de l’igname, culture pratiquée au Nigéria en particulier, nécessite davantage de capacités techniques. Par ailleurs, les réserves foncières de pays tels que le Cameroun, le Gabon, la Côte d’Ivoire ou le Togo sont limitées, et des gains de rendement sont donc nécessaires. Enfin, le Rwanda et le Burundi sont confrontés à une situation différente en raison de la pression très forte qui s’exerce sur leurs ressources naturelles. Ces deux pays tirent une part importante de leurs besoins énergétiques des racines et tubercules, mais complètent utilement leur alimentation à l’aide de légumineuses riches en protéines. Ils doivent donc améliorer la productivité des différents facteurs de production (hommes, terres et eau).

3.133 Une part importante des terres non irriguées exploitables demeure disponible. Beaucoup de pays en développement disposent encore de nombreuses terres inexploitées qui se prêtent bien à l’agriculture pluviale. Les terres disponibles représentent une superficie équivalant à celle des terres déjà exploitées (plus de 700 millions d’hectares). Ces terres ne comprennent pas les zones inhabitées, pas plus que les forêts ni les zones protégées. Les peupler pourrait donner lieu à d’importants flux de population.

3.134 On trouve surtout ce type de terres en Afrique subsaharienne et, à un moindre degré, en Asie de l’Est (Chine exceptée) et en Amérique latine (qui possède une vaste superficie de terres forestières en réserve) et, dans une faible mesure, en Asie du Sud. Il faut toutefois rappeler que les forêts ont un rôle qui peut être important dans le maintien du revenu agricole. Il semblerait toutefois que ces zones ne soient guère fertiles naturellement et que les programmes de colonisation qui visaient à conquérir de nouvelles terres ces dernières années n’aient guère absorbé de populations rurales excédentaires. Par ailleurs, une partie de ces terres sera de plus en plus utilisée pour l’implantation d’établissements humains. Selon la FAO, l’augmentation de la superficie des terres arables ne dépassera probablement pas 12 pour cent d’ici à l’an 2010.

3.135 Le développement dépend pour une large part de la diffusion du savoir-faire technique. L’accélération du développement rural dépendra dans une large mesure de la diffusion de techniques agricoles et de la distribution à bas coût de cultivars améliorés. Cette remarque vaut tout particulièrement pour les pays qui possèdent surtout des terres arables et ceux où la terre disponible est peu abondante. Une telle diffusion est favorisée par de bonnes infrastructures, un accès aisé au marché et des coûts salariaux compétitifs.

Rôle des ressources humaines

3.136 Les facteurs qui conditionnent le développement (mise en place d’infrastructures agricoles, de politiques d’approvisionnement en intrants, de méthodes de conservation, de politiques en matière de vulgarisation et de formation, d’une réglementation des marchés agricoles, d’infrastructures bancaires, d’infrastructures politiques et d’infrastructures de crédits) ne sont pas traités dans le présent document.

3.137 Toutefois, il convient de faire observer qu’une fois acquis les gains de productivité dus à l’utilisation d’intrants et de cultivars améliorés, le combat permanent pour la productivité dépend de plus en plus des ressources humaines. Ce n’est qu’en reconnaissant l’importance de leur valorisation qu’on peut gagner ce combat. Parallèlement au programme de formation professionnelle et d’intégration des populations agricoles dans le processus de développement, il faut donc prévoir une amélioration des conditions sanitaires et nutritionnelles et un relèvement du niveau d’alphabétisation des populations.

Apporter des réponses globales aux problèmes

3.138 Dans le présent document, on considère que les populations se composent d’individus qui ne présentent pas simplement des caractéristiques particulières de fécondité, de mortalité ou de migrations, mais qui ont aussi des besoins énergétiques et dont les régimes alimentaires évoluent avec le temps. De ce point de vue, l’ampleur des problèmes démographiques ayant une incidence directe (accroissement de la population en particulier) et indirecte (facteurs tels que les modes d’alimentation) conduit à s’interroger sur les stratégies de développement. On sait avec certitude que des stratégies holistiques sont préférables à des stratégies sectorielles isolées à tous les niveaux. Les défis peuvent être relevés mais pas si les politiques en matière démographique ou agricole sont appliquées indépendamment les unes des autres. Il est urgent de prévoir une synergie efficace entre ces différents domaines. Pour être plus efficients, les programmes démographiques doivent tenir compte de la sécurité alimentaire et de l’environnement biophysique, social, économique et institutionnel des populations rurales, qui peuvent influer sur leur comportement démographique. Les stratégies agricoles peuvent être soit favorisées, soit au contraire compromises en fonction des caractéristiques et des évolutions démographiques des populations qu’elles sont censées aider. Nous avons souvent souligné dans le présent document l’ampleur des défis: pour être efficaces, les décideurs doivent appliquer des solutions adaptées à l’ampleur des problèmes. Enfin, compte tenu de l’inertie des facteurs démographiques et de la durée des programmes de valorisation des ressources humaines et de développement agricole, le facteur temps est déterminant. Découvrir et appliquer des solutions qui répondent à la fois aux problèmes d’ampleur et de durée est déterminant.


4. Conclusions

4.1 Le monde va hériter d’une situation très diversifiée en matière d’alimentation à la fin du deuxième millénaire.

4.2 L’aspect positif de la situation peut être résumé ainsi: alors qu’elle connaissait un déficit vivrier très grave en 1962, l’Asie a constamment amélioré le taux de couverture de ses besoins énergétiques par ses disponibilités alimentaires et rattrape l’Amérique latine où, après une période d’expansion, on observe une certaine stabilisation.

4.3 Côté négatif, l’Afrique n’est pas parvenue à améliorer sa situation alimentaire. En outre, certains pays – ceux qui consomment essentiellement du manioc, de l’igname ou du taro – ont enregistré un important recul. La transition démographique en Afrique faciliterait la réalisation de la sécurité alimentaire. Le taux de croissance annuel des disponibilités énergétiques d’origine végétale serait de 2,6 pour cent dans la variante basse, au lieu des 3,3 pour cent de la variante haute des projections démographiques des Nations Unies.

4.4 Les besoins énergétiques des pays en développement vont augmenter jusqu’en 2050 en raison de l’accroissement démographique et, à un moindre degré, de la modification de la pyramide des âges. Le vieillissement de la population et l’allongement de la taille que permet l’amélioration de la nutrition sont des facteurs qui favorisent l’accroissement des besoins énergétiques, tandis que le recul de la fécondité et l’urbanisation agissent en sens contraire. En conséquence, d’ici à l’an 2050, les besoins énergétiques auront doublé dans les pays en développement en tant que groupe (mais plus que triplé en Afrique subsaharienne).

4.5 Les pays en développement devront compléter leur régime alimentaire afin de créer les conditions nécessaires pour éliminer la dénutrition chronique. A cause de la répartition inégale de la nourriture dans les pays, ce processus pourrait requérir une augmentation des disponibilités de 30 pour cent en Afrique (mais de 40 pour cent pour les populations subsahariennes), 15 pour cent en Asie et moins de 10 pour cent en Amérique latine.

4.6 Pour être équilibrés (en acides aminés, vitamines et éléments nutritifs), les régimes alimentaires devront être diversifiés. L’Afrique devra de ce fait accroître ses disponibilités en énergie d’origine végétale de 25 pour cent (46 pour cent dans le cas des pays consommant principalement des racines et des tubercules) et l’Asie de 21 pour cent.

4.7 Au total, les pays en développement devront accroître leurs disponibilités en énergie d’origine végétale de 174 pour cent. En d’autres termes, les pays d’Amérique latine et d’Asie devront à peu près doubler leurs disponibilités, mais l’Afrique devra les multiplier par cinq (par sept dans le cas des pays consommant des racines et des tubercules).

4.8 Alors que pour l’Asie et l’Amérique latine cet impératif représente un taux de croissance de la productivité inférieur à celui de ces 15 dernières années, dans le cas de l’Afrique l’accélération devra être considérable.

4.9 Le changement climatique pourrait jouer, à l’avenir, un rôle crucial dans la production alimentaire. Cette question complexe va créer de nouveaux défis en matière de satisfaction des besoins énergétiques de l’humanité et d’évolution des régimes alimentaires; elle pourrait modifier les pathologies végétale, animale et humaine, ainsi que la distribution et l’emplacement des établissements humains.

4.10 Là où les terres deviennent rares, l’accroissement des rendements pourra être obtenu essentiellement grâce à une exploitation accrue des ressources naturelles et par la valorisation des ressources humaines. Avec leur niveau d’éducation, nombre de pays d’Asie semblent être préparés à un changement touchant à la nature du développement. En revanche, le niveau actuel de développement des infrastructures et des ressources humaines représentera un lourd handicap dans le cas de l’Afrique. Ce continent sera ainsi confronté à un double défi: améliorer ses ressources humaines et ses infrastructures et gérer une situation très difficile dans le domaine de l’alimentation. Ce faisant, l’Afrique jettera ainsi les bases d’un règlement durable du problème de la sécurité alimentaire, après 2025.

4.11 Compte tenu de l’importance des relations qui existent entre les tendances démographiques et l’alimentation, les décideurs et les chercheurs se trouvent devant le défi permanent qui consiste à harmoniser les politiques et programmes agricoles et démographiques, afin de contribuer à mettre au point une approche tendant à réaliser, au profit de l’humanité toute entière, la sécurité alimentaire universelle.


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