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Télédétection et prévision des crues : l'exemple du fleuve Gambie


Soussou Sambou, Université Cheikh Anta Diop,

Faculté des sciences, Département de physique, Dakar, Sénégal

Jean-Pierre Lamagat, ORSTOM HYDROCONSULT, Montpellier, France

Resumé

Parmi les nombreuses possibilités offertes par la télédétection figure la détermination du niveau d'eau à partir de l'imagerie radar. L'avènement de satellites ayant à leur bord des radars altimétriques (Geosat, Seasat, Eros-1, et plus récemment TOPEX/Poseidon), a permis aux hydrologues de mesurer les niveaux d'eau à la précision du centimètre. L'entrée d'un modèle de propagation est généralement constituée par les débits. Cependant, sur une section stable, suffisamment large, avec une courbe de tarage univoque, le débit peut être obtenu à partir du tirant d'eau H, que l'on peut relier aux niveaux d'eau grâce aux échelles de crue. La méthode de prévision que nous allons présenter est basée sur l'utilisation des tirants d'eau ou des niveaux d'eau comme données d'entrées. Elle permet de calculer la hauteur à l'échelle en une station donnée, connaissant la hauteur à l'échelle en une autre station située en amont, en supposant vérifiée l'hypothèse de l'onde cinématique, et en s'inspirant de la méthode des caractéristiques. Compte tenu de la difficulté d'intégrer les caractéristiques hydrauliques et géométriques du cours d'eau et de la section, on utilise une approche stochastique, basée sur de longues séries d'observations de niveaux. Une application est faite sur le bief Kédougou-Mako du fleuve Gambie.

Abstract

Remote sensing techniques offer many opportunities to hydrological sciences. One of these is the estimation of water surface levels by using radar imagery. Satellites with radar altimeters (Geosat, Seasat, Eros-1, and the recent TOPEX/Poseidon) on board allow hydrologists to measure river levels within a centimetre with frequent repeat cycles. Hydraulic model inputs are generally discharges, but remote sensing techniques cannot directly estimate these discharges. When a river is wide enough, and has a stable section-discharge relationship, discharges can be estimated from measurements of river levels using a radar altimeter. In this paper, we develop a flood forecasting method using river levels as inputs based on the kinematic wave model and the characteristics method. Since hydraulical and geometrical features of the river are always changing, a stochastical approach is preferred, using a long sequence of river level measurements between two stream gauging stations. Application of this method is made on the Gambia River, between Kédougou and Mako.


Introduction

Les modèles hydrauliques de prévision des crues utilisent comme entrées soit les hauteurs à l'échelle de crue, soit les débits. S'il est impossible d'obtenir les débits directement à partir d'informations obtenues par télédétection (Schultz, 1996), on peut par contre les calculer à partir des niveaux d'eau, que l'on peut aisément relier aux échelles de crues. Ceci suppose bien entendu une station de jaugeage stable, avec une courbe de tarage univoque. Les niveaux d'eau peuvent être mesurés à partir de satellites grâce aux radars altimétriques (Birkett, 1994) et ainsi être introduits comme entrées dans un modèle de prévision des crues. Dans ce qui suit, nous allons présenter une méthode de prévision des crues qui utilise les hauteurs à l'échelle comme entrées.

Différentes méthodes de prévision des crues

La prévision des crues sur un cours d'eau peut être faite de plusieurs manières:

· soit en résolvant les équations hydrodynamiques générales à l'aide d'un schéma de résolution numérique approprié (Cunge et Wegner, 1964; Thirriot, 1960; Abbot1975);

· soit en simplifiant les équations hydrodynamiques générales à la lumière des conditions naturelles de l'écoulement;

· soit en utilisant uniquement l'information entre deux biefs amont et aval (Habaieb, 1987; Sambou,1989).

Les deux premières approches se heurtent au caractère fortement non linéaire des phénomènes qui régissent l'écoulement tel qu'il se produit dans les conditions naturelles, et à la détermination des caractéristiques hydrauliques du lit, qui peuvent varier en cours de crue, et d'une crue à l'autre. La dernière approche ne fait pas intervenir l'information entre les deux biefs.

Dans cet article, on part du modèle de l'onde cinématique issu des équations hydrodynamiques de base; en utilisant des hypothèses simplificatrices justifiées par les conditions naturelles d'écoulement, on fait intervenir la méthode des caractéristiques, pour déterminer les expressions théoriques des équations horaires et des équations de compatibilité. Ces équations permettent de calculer respectivement les temps de transfert correspondant aux hauteurs à l'échelle amont et les hauteurs à l'échelle aval correspondant aux hauteurs à l'échelle amont pour un retard égal au temps de transfert. Les expressions théoriques ainsi obtenues font intervenir les caractéristiques géométriques et hydrauliques du cours d'eau. Ces quantités varient d'une crue à une autre, et au cours de la même crue, de sorte que l'intégration des équations obtenues se fait très difficilement. Pour pallier cet inconvénient, une approche mixte stochastique a été utilisée, qui est basée sur la dépendance existant entre les hauteurs aux échelles amont et aval. On utilise des échantillons de grande taille pour déterminer les expressions empiriques des lois horaires et des équations de compatibilité. Les essais ont été menés sur les fleuves à plaine d'inondation (Lamagat, 1987; Thirriot, Sambou, et Lamagat, 1991; Morel-Seytoux et Lamagat, 1993) et sur la partie amont du fleuve Gambie (Lamagat et al., 1987).

Nous présentons ici la méthode appliquée au bief Kédougou-Mako. Les résultats obtenus sont satisfaisants et peuvent être étendus à l'ensemble du cours d'eau. Ainsi présentée, cette méthode, qui utilise comme entrées du modèle les niveaux d'eau, peut servir d'exemple d'application de la télédétection à la prévision des crues, les niveaux d'eau pouvant être obtenus à l'aide de radar altimétrique.

Cadre physique

Le bassin du fleuve Gambie s'étend sur une superficie de 77 100 km2 entre 11,5° et 15° de latitude Nord et 11° et 16,5° de longitude Ouest. Il se répartit entre les Etats de la Guinée, de la Gambie, du Sénégal et dans une certaine mesure de la Guinée-Bissau.

Le bassin comprend quatre zones d'altitude décroissante du Sud au Nord (Lamagat et al., 1987) (fig. 1) :

· le haut-bassin, au Sud de la bordure Nord du Fouta Djallon en République de Guinée, où le fleuve prend sa source, à 1 125 m d'altitude;

· une deuxième zone entre le parallèle 12° N et la frontière du Sénégal où l'altitude est comprise entre 250 m et 600 m, le relief étant moins marqué;

· une zone comprise entre le confluent du Diahra et la frontière de la Guinée, englobant entre autres les collines Bassari;

· la zone maritime ou bassin inférieur ( en aval de Wassadou amont).

En amont de Goulombo, le réseau hydrologique est très dense. Le fleuve est formé par l'association de nombreux petits cours d'eau à pente très forte dont le plus important est la Djimma. Entre Kédougou et Mako il reçoit sur la rive droite le Diaguéry. Après Mako, le Tiokoye, puis le Diahra viennent successivement se joindre à lui côté rive gauche; sur sa rive droite, peu avant Siminti, il reçoit le Niokolo-Koba. Après le Gué de Wassadou, il reçoit le Niériko sur sa rive droite et le Koulountou, son affluent le plus important rive droite. Peu avant Gouloubou vient se jeter le Niaoulé. Le fleuve a une longueur totale de 1 180 km, dont 500 km sont influencés par la mer et 200 km constituent le cours supérieur.

Sur le plan climatique, le bassin de la Gambie se trouve dans la zone de climat tropical, dans laquelle on distingue deux zones: la zone sahélienne au Nord, avec une saison des pluies plus courte, et la zone guinéo-foutanienne à hivernage plus pluvieux et plus long. L'alternance des saisons sèches et pluvieuses conditionne le régime hydrologique du fleuve: une période de hautes eaux pendant l'hivernage et une période de basses eaux pendant la saison sèche.

Données de base

Les données utilisées dans cette étude proviennent du Service hydrologie du Ministère de l'hydraulique du Sénégal. Il s'agit des hauteurs moyennes journalières, des débits moyens journaliers et des courbes de tarages. Les cartes ont été pour l'essentiel extraites de la monographie du fleuve Gambie.

Méthode d'analyse

Les modèles de propagation des crues sont basées sur le système hyperbolique complet des équations de Saint-Venant:

(I-1)

(I-2)

La résolution numérique de ce système peut être faite de plusieurs manières, notamment par les différences finies implicites (Cunge et Wagner, 1964 ) et la méthode des caractéristiques (Thirriot, 1969a). Elle nécessite une description topographique détaillée et précise, ainsi que la connaissance des caractéristiques hydrauliques et géométriques du cours d'eau. La résolution analytique peut être menée, à condition de faire des approximations, concernant en particulier l'évaluation des termes de perte de charge, en linéarisant autour du régime porteur, qui peut être soit l'écoulement uniforme, soit une courbe de remous (Thirriot, 1994; Benyada, 1995)

Dans le cas de l'écoulement naturel, compte tenu de la difficulté d'évaluer les paramètres déjà énumérés, on peut procéder à des simplifications de l'équation dynamique d'une part en négligeant les termes d'inertie si la pente est élevée et, d'autre part, en supposant à chaque instant que l'écoulement est uniforme (Thirriot, 1969b). Moyennant ces deux importantes approximations le système [I] s'écrit :

[II-1]

II-2]

En prenant comme variable fondamentale le tirant d'eau H l'équation [II-2] s'écrit:

Q=f(H) (1)

f(H)=

est la débitance au sens de Bakhmeteff, S la section de l'écoulement, B la largeur au miroir et k le coefficient de rugosité du lit. S et B sont reliés par:

dS=BdH (2)

Par ailleurs, on a :

S=S(H,X) (3)

B=B(H,X) (4)

I=I(X) (5)

k=k(X) (6)

(3) et (4) permettent d'écrire:

(7)

(8)

Il vient, en dérivant (1) par rapport à X , en tenant compte des relations 2 à 8 et en remplaçant dans [II] la relation (9) ci-dessous:

(9)

par :

(10)

(11)

En utilisant la méthode des caractéristiques, et en posant H=H(X,T), on a:

(12)

En identifiant (9) et (12), on obtient après arrangement:

(13)

(14)

En intégrant les équations différentielles ci-dessus on obtient:

équation horaire (15)

équation de compatibilité (16)

L'intégration est théoriquement possible, si les expressions analytiques des fontions C(H) et g(H) sont connues, ou si on peut les déterminer de façon empirique. Mais ceci va être difficile puisque ces fonctions font intervenir les caractéristiques hydrauliques k(X), I(X), m et géométriques S(H,X),B(H,X),H(X,T) de la section. Ces caractéristiques varient d'un bief à un autre, et au cours de la crue. Nous allons contourner cet inconvénient en utilisant une approche stochastique basée sur des échantillons de niveaux journaliers de grandes tailles, comportant de nombreuses années d'observation. Nous allons choisir à la station amont une tranche de hauteurs comprises dans l'intervalle (H, H+ symb3.gif (847 bytes)H), observées à des instants i. A ces hauteurs on va faire correspondre des hauteurs à la station aval observées à des instants i+t. Pour chaque valeur de t on calcule le coefficient de corrélation p(t) entre les hauteurs amont et aval ainsi définies, et on trace le corrélogramme défini par l'ensemble des points (t, p(t)).

La valeur t0 de t correspondant au maximum du corrélogramme est la valeur la plus probable du temps de propagation correspondant à la moyenne H0m des hauteurs de l'échantillon amont (H, H+ symb3.gif (847 bytes)H). La moyenne des hauteurs aval correspondant aux hauteurs amont décalées d'un délai égal à t0 est associé à H0m. Cette opération est menée sur l'ensemble des hauteurs de l'échantillon; les courbes empiriques obtenues représentent respectivement les équations horaires et les équations de compatibilité.

Application

La méthode ci-dessus a été appliquée au fleuve Gambie, sur le bief Kédougou-Mako. Les données de base sont les hauteurs moyennes journalières observées à l'échelle de ces stations. L'échantillon utilisé dans l'étude comprend cinq années, 1975,76,77,78, 80. Les trois premières années ont servi à déterminer les fonctions empiriques T(H1) et H2(H1) représentant respectivement l'équation horaire et l'équation de compatibilité. Les deux dernières ont servi de test. Les figures 2 et 3 représentent respectivement, pour le bief Kédougou-Mako, les courbes expérimentales correspondant aux équations horaires et de compatibilité. Ces courbes obéissent aux relations empiriques ci-dessous:

avec T en jours H en cm (17)

H2 et H en cm (18)

La prévision a été faite en utilisant ces deux courbes de la manière suivante:

· pour une hauteur amont Hm(i) observée à la date i, on utilise la relation (17) pour déterminer le temps de propagation jusqu'à l'aval correspondant, soit t0.;

· à partir de la relation (18) on calcule la hauteur aval correspondant à la hauteur amont, avec un décalage t0, soit à la date i+t0.

Les résultats obtenus pour les deux années de test sont représentés sur les figures 4 et 5. Bien entendu, les prévisions se font à des délais n'excédant pas le temps de transfert, ce qui exclut la prévision à long terme. Par ailleurs, un examen attentif de ces graphes met en évidence un amortissement du maximum calculé par rapport au maximum observé, ainsi qu'un léger déphasage dans le temps. Ces deux inconvénients peuvent s'expliquer par la taille de l'échantillon utilisé qui est assez faible, de sorte que pour les valeurs extrêmes on a peu d'observations.

Conclusion

Les progrès récents de la télédétection permettent, grâce à l'utilisation de radars altimétriques montés sur des satellites, de déterminer les niveaux d'eau à des points donnés d'un cours d'eau. Ces radars altimétriques mesurent la distance entre la surface du sol et la position orbitale du satellite; l'élévation de la surface du sol peut être obtenue à partir d'un ellipsoïde de référence.(Kite et Pietrorino, 1996).

Brakenridge et al. (1994), ont combiné les données topographiques au 1:24 000 à l'information obtenue à l'aide du radar SAR monté sur ERS-1 pour mesurer les niveaux d'eau. La précision est cependant moins bonne que celle des mesures de niveau obtenues in situ (Hall, 1996). La méthode de prévision des crues que nous venons de présenter utilise comme entrées les niveaux observés en une station stable, univoque du cours d'eau. Elle peut donc, de ce fait, être utilisée de concert avec l'information obtenue à partir des radars altimétriques montés sur satellites dans un système de prévision des crues.

FIGURE 2

Courbe horaire

FIGURE 3

Bief Kédougou-Mako : courbe de correspondance amont-aval

FIGURE 4

Simulation de l'hydrogramme de 1978

FIGURE 5

Simulation de l'hydrogramme de 1980

 

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