Page précédente Table des matières Page suivante


Le pluralisme institutionnel dans le secteur forestier: Les outils analytiques et opérationnels

B. Vira, O. Dubois, S. Daniels et G. Walker

Bhaskar Vira travaille auprès du Département de géographie de l'Université de Cambridge, (Royaume-Uni).

Olivier Dubois est chercheur associé à l'Institut international pour l'environnement et le développement, à Londres (Royaume-Uni).

Steven E. Daniels travaille auprès du Département des ressources forestières de l'Université de l'Etat de l'Oregon, Corvallis, Oregon (Etats-Unis).

Gregg B. Walker travaille auprès du Département de la communication orale, Université de l'Etat de l'Oregon, Corvallis, Oregon (Etats-Unis).

A la recherche d'outils pour mettre en pratique le pluralisme.

Une réunion entre un forestier et des responsables villageois.

L'identification de ceux qui ont un intérêt (parties prenantes) dans la ressource est une étape cruciale du choix des systèmes d'aménagement

Dans le contexte forestier actuel, un grand nombre de personnes s'intéressent à la gestion des ressources. Au cours des deux dernières décennies, en particulier, on a vu apparaître une série de nouvelles approches de planification et d'aménagement des forêts, élaborées en collaboration avec des groupes d'intérêts ou des parties prenantes qui étaient jusque là exclus, ou ne parvenaient pas à obtenir l'appui politique requis. Les objectifs se sont également multipliés dans le secteur forestiers, dont l'aménagement est devenu beaucoup plus complexe qu'au début du siècle. Il est désormais unanimement reconnu que la gestion exclusive des ressources forestières axée sur un seul objectif n'est plus viable comme stratégie à long terme, exception faite pour un très petit nombre de zones bien délimitées. Le pluralisme décrit le jeu conjugué de cette multiplicité d'idéologies, d'intérêts, d'acteurs et d'organisations, qui se sont combinés pour créer le scénario actuel et peuvent contribuer au développement futur.

Analyse de la situation

Identification des intérêts - parties prenantes dans le secteur forestier

Selon Grimble et al. (1995), les parties prenantes sont «celles qui ont une influence sur - ou qui sont affectées par - les politiques, les décisions et les actions du système, qu'il s'agisse d'individus, de communautés, de groupes sociaux ou d'institutions de toute taille, agrégation ou couche sociale. Le terme englobe donc les décideurs, les planificateurs et les administrateurs d'organisations gouvernementales ou non, ainsi que les groupes d'utilisateurs à des fins commerciales ou de subsistance». L'identification des principales parties prenantes dans le secteur forestier nous permet de nous représenter mentalement les différents groupes d'intérêts intervenant dans la gestion des ressources. Cependant, cette définition est si large qu'elle peut théoriquement englober la population tout entière. Il va de soi que toutes les parties prenantes ne sont pas en mesure de participer directement à l'aménagement des forêts, même si elles peuvent avoir une incidence sur les activités menées dans ce secteur ou être affectées par elles. Il existe quatre groupes de parties prenantes ayant un intérêt direct dans les forêts:

· les individus (ménages privés);

· les communautés et associations collectives;

· les personnes morales (entreprises commerciales et organisations non gouvernementales); et

· le gouvernement.

D'autres groupes peuvent aussi se sentir concernés par les systèmes d'aménagement forestier, soit parce qu'ils sont directement affectés par les résultats dans ce secteur, soit parce que leur intérêt pour les ressources forestières n'est pas strictement limité aux avantages qu'ils peuvent eux-mêmes en tirer. Des groupes de ce type peuvent se situer aux niveaux local, régional, national et international et leurs principaux intérêts sont l'accès aux produits forestiers, la protection des sols, les régimes hydriques et climatiques, le développement du tourisme, et la conservation de la diversité biologique. Ils jouent un rôle moins direct, mais influencent les résultats en réformant les politiques et la législation, en modifiant la nature des débouchés commerciaux, en influençant les priorités de développement et en contrôlant le financement et le crédit pour encourager ou décourager certains modes d'utilisation des ressources. Les intellectuels, les groupes d'écologistes et autres groupes d'intérêts spécifiques, les donateurs et certaines institutions multilatérales ont aussi une influence notable sur le cadre politique et fournissent un appui à des modalités d'exécution spécifiques, qui ont une incidence sur le choix des stratégies d'aménagement forestier.

Régimes de production simple et mixte

Dans la gestion forestière traditionnelle, une instance principale se charge directe ment des fonctions d'administration, de production et d'aménagement des forêts, ou fait appel à d'autres qui s'en acquittent sous son contrôle. Cette instance coordonne et réunit les ressources de façon à optimiser la réalisation de ses propres objectifs. Une fois les coûts couverts, elle a un droit légitime sur tous les profits, ce qui l'incite à entreprendre des tâches de supervision, telles que le suivi et l'évaluation des performances. Ces tâches étant concentrées entre les mains d'une seule entité, ces régimes de gestion des ressources sont qualifiés de «simples».

Contrairement aux régimes «simples»; les régimes mixtes produisent des biens et services en utilisant les apports d'au moins deux individus ou entités juridiques ne faisant pas partie de la même organisation, et n'étant pas sous le contrôle d'une unique entité principale. Chaque partenaire décide indépendamment du niveau de l'apport qu'il fournira pour contribuer au processus de production mixte et le ou les objectifs globaux sont déterminés ensemble. La responsabilité du coût des apports est négociée entre les partenaires, de même que la part sur les éventuels bénéfices, et aucune entité ne peut modifier ces conditions de manière unilatérale. Les régimes de production mixte sont souvent intersectoriels, en ce sens que les partenaires appartiennent à différents «niveaux» d'organisation sociale (individu, société, collectivité, ou Etat).

Les régimes mixtes sont de plus en plus populaires dans le domaine de la gestion des ressources naturelles et pour la prestation de services publics antérieurement fournis par le gouvernement. Cela laisse à penser que l'administration du gouvernement était loin d'être parfaite dans ces deux domaines. En outre, on s'est rendu compte que d'autres groupes ont à la fois l'intérêt et la capacité de travailler dans ces secteurs, et qu'ils souhaitent et sont capables de contribuer à ces activités, soit de façon indépendante, soit en collaboration avec des institutions publiques. La foresterie est l'un des nombreux contextes dans lesquels une révision radicale de la dichotomie traditionnelle entre les secteurs public et privé s'impose, et on assiste à la naissance d'un nouveau courant qui décrit une nouvelle mosaïque institutionnelle complexe, constituée d'une multiplicité d'idéologies, d'intérêts, d'acteurs, d'organisations, de cadres juridiques et d'arrangements informels poursuivant en collaboration une série d'objectifs.

Certaines initiatives introduites au cours des deux dernières décennies ont déclaré explicitement leurs intentions de collaboration, alors que d'autres ont implicitement embrassé ce point de vue sans le reconnaître comme une caractéristique centrale. (NDLR: il y en a aussi qui se prononcent en faveur des régimes de production mixte - voir article de Hildyard et al., p. 26). Il y a eu des innovations dans les techniques d'aménagement des ressources aussi bien sur les terres privées que sur les terres domaniales. Sur les terres privées, l'Etat a apporté son soutien et collaboré à des initiatives de foresterie paysanne sur des terres individuelles, de boisement sur des terres communales, et de foresterie industrielle sur des terres appartenant à des sociétés. Sur les terres domaniales, il y a eu des cas de participation d'individus par le biais de programmes de tenure d'arbres, de participation communautaire et de gestion conjointe des forêts, ainsi que de sociétés forestières. Deux caractéristiques de ces systèmes de collaboration sont particulièrement intéressantes d'un point de vue opérationnel: premièrement, la nature du processus de production, qui détermine la portée technique des régimes mixtes; et deuxièmement, l'ampleur des coûts de transaction dont dépend en partie la viabilité économique de ces régimes.

Fonctions de production et possibilités de synergie. La fonction de production est remplie à travers la gamme d'options technologiques disponibles pour fournir un bien ou un service. Ce qui est «produit» dans ce contexte, ce n'est pas à proprement parler un bien privé, mais un bien ou un service (quasi-) public qui, selon la théorie économique, serait vraisemblablement fourni en quantité insuffisante par le secteur privé. La fonction de production est typiquement «intersectorielle», en raison de la possibilité d'associer des apports de l'Etat (secteur public) et du secteur privé (individus, communautés ou sociétés: plus généralement, société civile) pour produire des biens publics qui, dans le passé, étaient exclusivement fournis par le gouvernement, ou qui n'étaient pas fournis du tout. Les possibilités de production et le champ d'application technique de la spécialisation et de la coopération sont le plus souvent liées à la nature du bien ou du service produit, mais aussi à la dynamique sociale et politique entre les institutions publiques et les diverses parties prenantes dans la société civile.

La production mixte n'est une stratégie viable que s'il y a une synergie entre les apports des différentes parties prenantes: s'ils se trouvent en compétition les uns avec les autres, on obtiendra avec le système de production mixte une production plus faible que la somme des productions séparées des différents régimes simples. En outre, les apports ne doivent pas être intersubstituables car, dans ce cas, la production mixte ne permettrait pas de minimiser les coûts - il est plus rationnel sur le plan économique que le secteur le plus officient se spécialise dans la production et que les autres fassent appel à lui pour garantir une fourniture globale suffisante du bien ou du service public en question. La production obtenue dans le cadre d'un régime mixte n'est pas simplement le total de la production prise séparément des secteurs public et privé, mais un processus à travers lequel les contributions de chaque participant sont structurées et se complètent de façon à élever le niveau global de productivité, ce qui suppose des coûts d'organisation de la production distincte de chaque secteur inférieurs aux coûts de l'organisation du processus plus complexe de production mixte. Ainsi, étant donné que les régimes de production mixte intersectorielle entraînent des coûts de transaction plus élevés qu'avec les différents systèmes de production simple dans chacun des secteurs, il va de soi qu'ils ne seront viables sur le plan économique que s'ils permettent d'obtenir des gains de productivité importants.

Les conditions préalables de la gestion mixte dans le secteur forestier

Coûts de transaction dans le cadre des régimes de production mixte. Les coûts de transaction se rapportent aux coûts de l'organisation, du suivi et de la mise en application des relations économiques entre les partenaires, et ils couvrent la recherche de partenaires potentiels, les négociations, la stipulation des contrats, le suivi du comportement, l'exécution des contrats et la protection des droits de propriété. Ces coûts interviennent nécessairement lors de l'établissement de régimes de cogestion des forêts, car plusieurs points font l'objet de négociations: i) définition des intérêts communs, ou négociation de l'objectif commun du régime de production mixte; ii) détermination, suivi et mise en application de la contribution de chaque partenaire au régime; et iii) détermination des recettes des partenaires potentiels (paiements), et de la base de répartition des bénéfices.

Détermination des responsabilités dans un régime de coproduction an Inde

Définition des intérêts communs. L'entretien et la gestion des ressources forestières sont censés présenter un intérêt mutuel pour les partenaires potentiels et constituent de ce fait le point de départ de la coopération, mais cela peut être insuffisant pour résoudre tous les conflits d'intérêts. Les partenaires potentiels peuvent avoir des points de vue différents quant à l'objet la gestion de la forêt (préservation pour les utilisations futures, conservation de leurs valeurs écologiques et de leurs autres valeurs d'usage et de non-usage, exploitation du bois ou des produits non ligneux pour les utilisations actuelles, voire conversion permanente de la forêt au profit d'une autre forme d'utilisation des sols). En outre, si le coût de la définition des intérêts communs est fonction du nombre de participants, il sera nécessairement plus élevé dans le cadre d'un système de production mixte que dans les autres systèmes possibles de production simple.

Détermination, suivi et mise en application du rôle de chaque partenaire. Une fois le plan de production commun négocié, les partenaires doivent s'accorder sur leur rôle individuel dans l'exécution de ce plan. Cet accord peut être stipulé par des mécanismes formels ou informels. Les mécanismes formels sont des accords contractuels détaillés définissant les obligations de chaque partenaire, et supposent l'existence d'un arrangement acceptable avec des tiers, pour le suivi des performances et la résolution des différends. Le coût de l'institutionnalisation de ces mécanismes est généralement élevé. Les mécanismes informels encouragent les individus à agir dans l'intérêt de la collectivité, même si cela semble coûteux au niveau individuel. Les résultats des études montrent que les individus ont intérêt à ne pas s'écarter des stratégies de coopération dans le contexte d'une interaction de groupe de longue durée et répétée. En outre, il arrive que les individus ne soient pas uniquement motivés par leur propre intérêt et la théorie selon laquelle le «comportement orienté vers la collectivité» dominerait dans certaines situations de groupe (Elster, 1989) est dans l'ensemble confirmée. Les comportements opportunistes sont moins encouragés lorsque les partenaires se font mutuellement confiance pour ne pas exploiter la relation de dépendance. Dans le cas où il existerait une réserve de «capital social» suite, par exemple, à des activités menées en coopération, les individus seraient incités à promouvoir les intérêts du groupe (Seabright, 1997). En outre, un capital social peut être créé (et détruit) par des modifications des structures juridiques, des institutions formelles et par la mobilisation active d'un appui politique à des objectifs spécifiques (NDLR: voir l'article de Bebbington et Kopp, p. 11).

Détermination des recettes des partenaires potentiels. Le des partenaires potentiels. troisième domaine dans lequel peuvent surgir des conflits concerne le «paiement» à chacun des partenaires et la répartition du bénéfice final. En théorie, les recettes devraient être proportionnelles à la productivité marginale de chaque partenaire, mais celle-ci est difficile à déterminer dans un régime mixte, en raison de la complémentarité des fonctions de chacun. En pratique, la prise en charge des coûts et les droits sur les bénéfices font généralement l'objet de négociations entre les partenaires. Compte tenu des multiples produits et avantages qui peuvent être tirés des forêts (en même temps et au même endroit), les éventuels conflits devraient pouvoir se résoudre à l'amiable, pour peu que les partenaires manifestent un peu de bonne volonté.

L'identification du typa et du pourcentage des rabattes revenant à chaque partenaire dans un système de cogestion est capitale.

Par exemple au Bengale occidental, ce sont les femmes qui entretiennent les eucalyptus, mais les hommes sont les seuls à retirer les fruits de la vante de leur bois

Etablir un régime de production mixte et choisir les partenaires qui y contribueront n'est pas une tâche facile. Etant donné que plus la complexité augmente, plus les coûts de transaction s'accroissent, il est nécessaire de justifier l'adoption de stratégies spécifiques, et de démontrer les gains potentiels qui peuvent être réalisés grâce à ces arrangements. Deux principes généraux de conception se dégagent de la présente analyse: il doit être possible d'identifier une complémentarité et une synergie entre les souhaits et les besoins des partenaires et les coûts de transaction associés à l'établissement et à la mise en pratique d'un régime de collaboration ne doivent pas annuler les gains pouvant dériver des arrangements de production mixte.

Outils opérationnels

Les rôles de ceux qui participent à la gestion des forêts auront une connotation plus opérationnelle s'ils sont définis par leurs droits et leurs responsabilités respectives, les recettes qu'ils peuvent retirer de la ressource et les relations qui les lient. L'utilisation de cette approche à quatre éléments révèle une évolution globale intéressante des rôles des principaux individus ou entités intervenant dans l'utilisation et l'aménagement des forêts.

Droits à la terre et aux ressources forestières. Il est de plus évident que la sécurité des régimes fonciers n'a pas toujours pour corollaire une utilisation plus efficace et plus durable des ressources (Dubois, 1994; Platteau, 1996). En fait, de nombreux observateurs conviennent que l'usufruit ou le droit à la gestion des ressources ont plus d'importance que la propriété, à condition que l'accès futur soit plus ou moins garanti et que les droits soient mutuellement reconnus. En réalité, il peut être nuisible d'accorder des droits de propriété ou d'une autre nature à des individus ou groupes n'ayant ni les moyens ni les connaissances voulus pour les gérer et les défendre. Les nombreux partisans d'une approche flexible aux droits à la terre et aux ressources naturelles soutiennent que ceux-ci ne devraient pas être régis par un ensemble de règles fixes, mais être définis en fonction de la situation, à travers un processus de négociations continues, au fur et à mesure de l'évolution des conditions écologiques, sociales et économiques (McLain et Sankaré, 1993). Dans la même ligne d'idées, Karsenty (1996) conseille d'organiser la gestion des ressources naturelles en tenant compte de la coexistence possible de différentes utilisations des ressources dans la même zone, plutôt que simplement en fonction de l'espace, contrairement à ce que stipule en général le droit formel, basé sur la notion exclusive des zones; le premier élément à prendre en considération serait donc l'utilisation et non la zone géographique. En d'autres termes, la définition claire des droits - et des obligations - sur la ressource pourrait être plus importante que les questions de propriété spatiale, en particulier dans le contexte de la cogestion. Pour résoudre les problèmes liés aux régimes fonciers, il faudrait tenir compte non seulement des droits, mais aussi des modes de contrôle des ressources.

Responsabilités. La décentralisation est souvent considérée comme la panacée à l'aménagement des ressources naturelles, en raison de la petite taille des exploitations et du fait que les décisions se prennent au niveau microéconomique. Cependant, la décentralisation n'est pas toujours une stratégie rentable pour résoudre les questions économiques et environnementales d'ordre général. En outre, l'expérience montre que la décentralisation ne constitue ni une condition préalable, ni une garantie du développement rationnel et de la gestion de l'environnement (Dubois, 1997).

Les stratégies et les modalités permettant d'améliorer la qualité du développement et de la gestion de l'environnement des forêts doivent être envisagées aux niveaux de la communauté, de l'administration locale et de l'Etat. Pour pouvoir participer à l'aménagement des ressources, les communautés doivent avoir un pouvoir et des droits réels; les compétences requises; un intérêt économique; et le désir de jouer ce rôle responsable, qui est largement conditionné par les trois premiers facteurs. Elles doivent en outre être représentées comme il convient dans les organes de décision et dotées des procurations nécessaires. Ces deux conditions sont nécessaires pour que les communautés locales aient suffisamment de poids dans les négociations sur les ressources et sur l'établissement des partenariats. Au niveau de l'administration locale, les conditions à remplir sont les suivantes: les institutions doivent avoir un pouvoir reconnu par la loi et une autonomie suffisante pour entreprendre des activités de développement et modifier les réglementations et les institutions locales; les fonctionnaires doivent rendre davantage compte de leur action devant les organes de décision, qui doivent être plus responsables devant les citoyens; les citoyens doivent avoir une possibilité de recours contre l'attribution arbitraire des ressources; et les décisions doivent être prises à un niveau où les parties prenantes se connaissent suffisamment pour pouvoir se contrôler mutuellement et ce, pour un coût raisonnable. Enfin, l'Etat peut jouer un rôle de facilitateur pour les initiatives locales de gestion des forêts, notamment en fournissant: une assistance et des conseils aux groupes locaux, en particulier une assistance financière pour les activités de suivi; une protection contre des facteurs d'ordre plus général et/ou d'autres secteurs de l'économie; un cadre juridique clair précisant clairement les droits du groupe et les avantages aux quels il peut prétendre, ainsi que les règles à observer pour la résolution des conflits; des incitations économiques directes, en particulier pour aider les communautés à satisfaire leurs besoins essentiels; et des mécanismes pour diffuser les informations.

Recettes. Les recettes influencent dans une large mesure le choix entre les différentes options d'utilisation des forêts. Elles doivent être suffisamment importantes pour inciter les parties prenantes à prendre part au processus de cogestion de la forêt, afin de compenser les coûts de transaction (parfois élevés) associés à cette stratégie. Les bénéfices susceptibles d'être tirés des ressources forestières peuvent être monétaires ou non, et sont influencés par trois types de facteurs: valeurs que les différents acteurs attribuent aux ressources forestières; incitations matérielles ayant une incidence sur le mode de gestion de ces ressources; et cadre juridique et institutionnel réglementant l'accès à ces bénéfices. Les valeurs comprennent les valeurs d'usage directes, par exemple pour la consommation et la vente; les valeurs d'usage indirectes, telles que les fonctions environnementales; et les valeurs de non-usage, telles que valeurs culturelles, religieuses ou intrinsèques. Si les différents groupes d'intérêts attribuent une valeur totale élevée à la ressource, les initiatives de gestion des ressources naturelles, basées sur le partage des responsabilités, auront plus de chances d'être couronnées de succès. Mais, si cette valeur est élevée, des problèmes peuvent surgir et le partenaire nominal dominant (souvent l'Etat) peut hésiter à partager le pouvoir et les avantages. Une valeur élevée peut même inciter un ou plusieurs partenaires à proposer un changement de l'utilisation des sols (forêts) pour exploiter une autre valeur plus grande, tels les loisirs (un terrain de golf, par exemple).

Relations. Il va de soi que l'introduction de systèmes d'aménagement pluralistes des ressources forestières dépend de la qualité des relations entre les principales parties prenantes. Etant donné que leurs rôles dans cette approche à quatre éléments sont inégaux, et leurs intérêts souvent divergents, ces relations peuvent être caractérisées par un manque de confiance réciproque, qui compromet les possibilités de partenariat constructif permettant de gérer durablement les ressources. Pour pouvoir gérer le pluralisme et préparer une collaboration efficace, le premier impératif est de comprendre la nature des relations. D'après l'Office allemand de la coopération technique (GTZ, 1996), les relations entre les acteurs se caractérisent par six facettes: services; juridiques/contractuelles; de marché (déterminées par l'offre et la demande de biens et de services); échange d'informations; interpersonnelles; et de pouvoir.

La nature de la relation de pouvoir mérite une attention particulière. Pour la définir, il faut répondre à trois questions clés (GTZ, 1996): sur quelle base repose le pouvoir? Comment le pouvoir affecte-t-il la relation? Quand et comment les relations de pouvoir changent-elles? En ce qui concerne la première question, le pouvoir dérive souvent d'un certain type de dépendance, économique (dépendance financière), sociale (dépendance hiérarchique, compétence) ou personnelle (dépendance due au népotisme ou au favoritisme, etc.) Les dimensions de la relation doivent être évaluées pour déterminer la source du pouvoir. Le pouvoir peut affecter les relations de trois manières: physiquement, matériellement, ou en termes de statut social. La troisième question nous aide à comprendre comment induire les changements les plus appropriés pour tenter de corriger les inégalités des rôles des différentes parties prenantes. Par exemple, l'un des principaux facteurs empêchant d'améliorer les relations dans le domaine de l'aménagement des forêts est que les agents forestiers ont du mal à modifier leur attitude envers les communautés locales. Même s'ils souhaitent sincèrement la changer, cela leur est difficile par manque de temps d'une part et, d'autre part, souvent à cause de l'impression négative qu'ont les populations rurales, héritage d'une expérience antérieure.

Approches de collaboration

Une fois que l'analyse d'une situation particulière a montré qu'un système de production mixte offrait de bonnes possibilités, des questions très pratiques et concrètes se posent sur la façon de procéder. La collaboration est un processus dans lequel des parties interdépendantes travaillent ensemble sur une question d'intérêt commun (Gray, 1989). Plus spécifiquement, Gray (1985) définit la collaboration comme «la mise en commun de points de vue ou d'intérêts concrets tels que l'information, l'argent et la main-d'œuvre, par au moins deux parties prenantes pour résoudre une série de problèmes qu'aucune ne pourrait résoudre à elle seule». Dans la même ligne d'idée que Gray, Selin et Chavez (1995) font valoir que «la collaboration implique de prendre des décisions en commun pour résoudre les problèmes, dans le cadre d'une approche où le pouvoir est partagé et où les parties prenantes sont collectivement responsables de leurs actions et des conséquences ultérieures de ces actions». Dans les processus collaboratifs de gestion des conflits et de prises de décisions, les populations ont une possibilité réelle de «faire entendre leur voix», c'est-à-dire de se faire connaître en tant que participants, pour des aspects importants. Leurs idées et leurs interactions influencent à la fois le processus et le résultat de la situation.

Etant donné qu'une institution interagit avec les citoyens et les groupes de parties prenantes (son public), la collaboration est radicalement différente du modèle traditionnel de participation du public. Elle se distingue par sept aspects importants:

· Elle est moins compétitive et accepte plus facilement que de nouveaux partenaires interviennent dans le processus, car ceux-ci sont vus comme des participants potentiels, plutôt que comme des concurrents potentiels.

· Elle est basée sur des procédures d'apprentissage et d'enquête conjoints; l'information n'est pas utilisée de façon à encourager la concurrence.

· Elle permet une étude des différences des valeurs de base et des valeurs communes pouvant apparaître.

· Elle ressemble à une négociation fondée sur des principes, du fait qu'elle est plus focalisée sur des intérêts que sur des positions.

· Les responsabilités de l'exécution sont réparties entre autant de participants que la situation le justifie.

· Les conclusions sont tirées par les participants à travers un processus d'interaction, d'itération et de réflexion. Le processus est donc moins déterministe et linéaire.

· Il s'agit d'un processus continu; il n'est pas question pour les participants de se réunir une fois pour discuter un point de divergence, puis de se séparer. Cependant, les collaborations peuvent avoir une durée limitée, si les questions qui ont amené les participants à se réunir sont résolues.

La collaboration pluraliste diffère de la participation traditionnelle des collectivités par deux autres aspects. Premièrement, une institution spécialisée dans la gestion des ressources naturelles ou de l'environnement n'est pas en mesure, à elle seule, de résoudre les problèmes. Certaines ressources additionnelles dont l'institution a besoin peuvent être apportées par d'autres parties prenantes: points de vue différents sur le problème qui s'annonce et sur les solutions possibles, compréhension des valeurs sociales qui évoluent rapidement, données scientifiques, savoir des populations autochtones, appui politique, accord et coordination d'autres institutions et de propriétaires terriens privés, finances, main-d'œuvre bénévole, etc. Etant donné que la gestion des terres n'est plus focalisée sur des ressources spécifiques (peuplements d'arbres, troupeaux de gros gibier, aires de pâturage) mais sur des écosystèmes, il semble que les tâches de planification et d'exécution puissent être mieux réalisées avec des systèmes basés sur la collaboration qu'avec les systèmes de participation traditionnels. Dans un régime de collaboration, les relations entre les parties prenantes sont organisées d'une manière correspondant mieux aux ressources que chacun apporte et aux responsabilités que chacun exerce dans le processus. Tout comme le développement rural et l'agriculture durable mettent l'accent sur les relations «systémiques» dans le monde naturel, les processus collaboratifs peuvent mettre en évidence les relations «systémiques» dans le monde social.

Le deuxième trait distinctif est que la collaboration ne demande pas aux participants de mettre de côté leur intérêt personnel et que son succès ne dépend pas de cela. Au contraire, les participants sont même censés exprimer clairement leurs intérêts et œuvrer énergiquement pour les satisfaire. L'essentiel est que leurs efforts ne soient pas orientés vers un but opposé à celui des autres participants, mais que les objectifs soient déterminés de concert. Ce qu'il faut, c'est créer un contexte propre à encourager l'analyse des divergences et non à l'entraver.

Deux principes généraux sont utiles pour réorienter les relations en matière d'aménagement des ressources naturelles et de développement rural, de la compétition vers la collaboration: bien choisir les situations où la collaboration est une stratégie appropriée; et structurer le processus de façon à encourager et à récompenser la coopération plutôt que la concurrence. On l'a vu, toutes les situations ne se prêtent pas à la coopération. Il est également irréaliste d'annoncer simplement qu'une collaboration s'amorce et de s'attendre à que les relations et les types de comportement actuels changent d'eux-mêmes. La collaboration passe par la mise en place de nouveaux types de structures décisionnelles qui doivent être conçues en prêtant la plus grande attention aux incitations qu'elles créent. S'il n'est pas clairement établi qu'elles récompensent la collaboration et découragent la concurrence, il n'y a guère d'espoir d'obtenir un réel changement.

Plusieurs méthodes ont vu le jour pour promouvoir une participation des populations de type collaboratif pour la résolution des conflits et les prises de décisions sur l'environnement. On peut notamment citer: Planification transactive (Friedmann, 1973; 1992); Communautés d'intérêt et prise de décisions ouverte (Sirmon, Shands et Ligget, 1993); Conférences de recherche et atelier de conception participative (Diemer et Alvarez, 1995); Confrontation constructive (Burgess et Burgess, 1996); Apprentissage coopératif (Daniels et Walker, 1996); Approche des avantages réciproques (Susskind et Field, 1996); Aménagement coopératif du territoire (Salvesen et Porter, 1995); Planification de la conservation des habitats (Beatley, 1995); et, Dialogues politiques (Gray, 1989). Le choix d'une approche appropriée et son adaptation au cas spécifique doivent être fonction des particularités de la méthode en question et de ses chances de résoudre, par la collaboration, la situation de conflit.

Conclusions

Cet article a donné un aperçu de quelques nouveaux outils permettant d'analyser le pluralisme institutionnel dans le contexte de la foresterie et du développement rural. L'approche à quatre éléments, mise au point par Dubois, aide à identifier d'éventuels obstacles à la collaboration entre les parties prenantes et permet aux décideurs de commencer à atténuer certaines de ces contraintes. Les travaux sur les approches de collaboration et l'analyse des systèmes de production mixte soulignent l'importance de la synergie et des pouvoirs de décision conjoints, mais mettent en garde contre le fait que ces techniques peuvent être coûteuses et ne sont pas nécessairement applicables à toutes les circonstances.

Ces principes généraux fournissent un cadre préliminaire à l'analyse du pluralisme, mais il faudra encore vérifier leur bien-fondé à la lumière des données d'expérience, pour mieux comprendre le fonctionnement des régimes coopératifs de gestion des forêts. En outre, nous devons nous rappeler que le pluralisme ne porte pas seulement sur le fonctionnement de ces régimes, il se réfère aussi à une multiplicité de points de vue éthiques et idéologiques qui définissent le contexte des pratiques sylvicoles et fournissent des critères permettant d'évaluer les performances des régimes d'aménagement des forêts. Il y a un conflit, mais aussi une synergie possible, entre certains objectifs comme la régénération de l'écosystème, la conservation de la diversité biologique, la lutte contre la pauvreté, et le renforcement du pouvoir des plus faibles. Il reste à savoir s'il est possible de combiner suffisamment ces valeurs pour qu'elles servent d'indicateurs plausibles à l'évaluation des performances, ou si un certain degré de conflit «à un niveau plus élevé» est le prix inévitable à payer pour le pluralisme.

Bibliographie

Amy, D. 1987. The politics of environmental mediation. Columbia University Press, New York, Etats-Unis

Bassett, T.J. 1993. Introduction. The land question and agricultural transformation. In T.J. Bassett et D.J. Crummey, (éds.) Land in African agrarian systems. Etats-Unis, University of Wisconsin Press, Madison.

Beatley, T. 1995. Preserving biodiversity through the use of habitat conservation plans. In D.R. Porter et D.A. Salvesen, (éds.) Collaborative planning for wetlands and wildlife. D.C., Island Press, Washington

Buckle, C. et Thomas-Buckle, S. 1986. Placing environmental mediation in context: lessons from "failed" mediations. Environmental Impact Assessment Review, 6(1): 55-70.

Burgess, H. et Burgess, G. 1996. Constructive confrontation: a transformative approach to intractable conflicts. Mediation Quarterly, 13: 305-322.

Daniels, S.E. et Walker, G.B. 1996. Collaborative learning: improving public deliberation in ecosystem-based management. Environmental Impact Assessment Review, J.A. et Alvarez, R.C, 16: 71-102.

Diemer, J.A. et Alvarez, R.C. 1995. Sustainable community - sustainable forestry: a participatory modal. J. Forest., 93(11): 10-14.

Dubois, O.1994. A contribution to community-based approaches for forest management in the tropics. First draft of DFS Technical Report No. 8, septembre de 1994 (inédit).

Dubois, O. 1997. Decentralisation and local management of forest resources in sub-Saharan Africa: let it go or let it be? A comparative analysis. International Institute for Environment and Development, Londres

Eggertson, T. 1988. Economic behaviour and institutions., Cambridge University Press. Cambridge, Royaume-Uni

Elster, J. 1989. The cement of society. Cambridge University Press. Cambridge, Royaume-Uni

Friedmann, J. 1973. Retracking America: a theory of transactive planning. Garden City, Anchor Press, NEW YORK

Friedmann, J. 1992. Empowerment: the politics of alternative development. Blackwell, Cambridge, Massachusetts, Etats-Unis.

Gray, B. 1985. Conditions facilitating interorganizational collaboration. Human Relat., 38: 911-936.

Gray, B. 1989. Collaborating. Jossey-Bass, San Francisco, Californie., Etats-Unis.

Grimble, R., Chan, M.-K., Aglionby, J. et Quan, J. 1995. Trees and trade-offs: a stakeholder approach to natural resource management, Gatekeeper Series No. 52., International Institute for Environment and Development, Londres

GTZ. 1996. Process monitoring - Work document for project staff. Document No. 402/96 22e. NARMS, Department 402.

Karsenty, A. 1995. Gestion des ressources forestières et problématique d'une décentralisation fondée sur les modes d'appropriation. Document présenté au séminaire «Démocratisation, gouvernance, gestion foncière et des ressources naturelles en Afrique Noire: transformations actuelles et défis de l'an 2000», Louvain-la-Neuve, France, mai 1995.

Karsenty, A. 1996. Jeux a sommes nulles sur les massifs forestiers? Bois et forets des tropiques N° 247, p. 73-74, 1er trimestre, 1996.

Laurent, P.-J. et Mathieu, P. 1995. Actions locales, enjeux fonciers et gestion de l'environnement au Sahel. Cahier du CIDEP 27, p. 292, november 1995.

Lekanne dit Deprez, B.E.J.C., et Wiersum, K.F. 1995. The forestry agent at the interface between local-level environmental management and external policies: reflections on forestry interventions in the Sahel. In J.P.M. van der Bremer, C.A. Drijver et B. Venema, (éds). Local resource management in Africa. John Wiley, Chichester, Royaume-Uni

McLain, R.J. et Sankaré, O. 1993. Decentralized management of the Segue Forest: institutional analysis. CARE International au Mali, septembre 1993.

Platteau, J.P. 1996. The evolutionary theory of land-rights as applied to sub-Saharan Africa: a critical assessment. Dev. Change, 27: 29-86.

Salvesen, D.A. et Porter, D.R. 1995. Introduction. In D.R. Porter et D.A. Salvesen, (éds) Collaborative planning for wetlands and wildlife., Island Press, Washington

Seabright, P. 1997. Is co-operation habit forming? In P. Dasgupta et K.-G. Mäler, (éds). The environment and emerging development issues. Clarendon Press, Oxford, Royaume-Uni

Selin, S. et Chavez, D. 1995. Developing a collaborative modal for environmental planning and management. Environmental Management, 19: 189-195.

Shepherd, G., Kiff, L. et Robertson, D. 1995. The importance of common property issues, tenure and access rights in relation to land use management and planning at the forest/agriculture interface. Literature review for the Natural Resources Systems Programme, Natural Resources Institute/Overseas Development Administration, (avant-project).

Sirmon, J., Shands, W. E. et Liggett, C. 1993. Communities of interests and open decision-making. J. Forest., 91(7): 17-21.

Susskind, L. et Field, P. 1996. Dealing with an angry public: the mutual gains approach. New York, The Free Press, Etats-Unis

Weber, J. 1995. L'occupation humaine des aires protégées a Madagascar: diagnostic et éléments pour une gestion viable. Nature - Sciences - Sociétés, 3(2): 157-164.


Page précédente Début de page Page suivante