MALI

Son Excellence Monsieur Alpha Oumar Konaré, Président de la République du Mali


Les enfants nous interpellent; l'avenir nous questionne, incertain.

Je pense en cet instant profondément à nos enfants, aux nombreux enfants du Mali dont beaucoup, le long des routes et des pistes que nous empruntons, nous acclament, scandent quelquefois notre nom, avec le sourire, l'innocence, la confiance, mais dont beaucoup aussi sont sortis le ventre creux et n'ont aucune assurance de pouvoir déjeuner ou souper, de plus en plus nombreux et de plus en plus souvent, laissant derrière eux des parents dont seule la dignité empêche d'étaler leur misère.

Chez moi, chez nous, encore maintenant, quand l'enfant a faim c'est que les parents n'ont plus rien à lui donner. Le foyer, symbole de la famille, de la solidarité, du partage, ne s'allume plus, souvent faute de ressources.

Sept maliens sur dix survivent en dessous du seuil de la pauvreté.

C'est notre devoir d'aider à améliorer avec eux cette situation. C'est pourquoi je suis aujourd'hui, de par mes fonctions actuelles, leur porte-parole auprès de vous.

C'est pourquoi mon pays, de par la volonté de toutes les maliennes et de tous les maliens, est déterminé à toujours approfondir son processus démocratique.

Mais la démocratie n'aurait aucun sens pour des jeunes maliennes et maliens si pour eux demain, demain en marche dès aujourd'hui, il n'y a pas d'espoir d'eau potable, d'espoirs de nourriture, d'école, de vaccination, disons de santé. A la fin de ce XXe siècle.

Je pense aussi aux souffrances des enfants et des peuples des pays sous embargo. Cependant, nul ne devrait cautionner la violence, l'épreuve de force aveugle, le terrorisme.

Nous devons trouver une forme de règlement autre que l'embargo répétitif ou permanent. Les décisions du Conseil de sécurité doivent aussi refléter l'opinion de tous les Etats Membres des Nations Unies.

Je pense aujourd'hui, actualité obligeant, avec un sentiment de révolte et d'impuissance, je l'avoue (n'ayant pas les moyens que certains présents ici ont, parce que c'est la responsabilité première des Africains) à nos enfants du Burundi, du Rwanda, du Zaïre, à ces nombreux enfants sans toit, sans foyer, parfois sans pays, sans parents et sans avenir.

Combien elles ont raison, toutes ces hautes autorités qui depuis l'ouverture de notre Conférence ne cessent d'attirer notre attention sur la situation actuelle de la Région des Grands Lacs.

Cette situation à tous égards était prévisible. L'implosion de toute la zone, voire au-delà, est probable si seuls continuent de prévaloir les intérêts de quelques Etats, si nous ne nous engageons pas dans un règlement global de la situation politique de toute la région avec un sens du compromis, qui nous permettra de parer au déficit démocratique et de rétablir la confiance.

Soyons nets par ailleurs.

Il n'y aura pas d'aide humanitaire s'il n'y a pas de sécurité rétablie par des forces neutres.

Aucun couloir ne pourra être préservé si la situation d'ensemble du pays reste instable.

Aucun réfugié ne retournera dans un pays où il ne se sent pas en sécurité. Il est temps que l'impunité cesse, plus particulièrement à l'endroit des assassins d'enfants et des criminels qui mettent en mouvement des enfants soldats.

Nous devons aussi nous interroger sur la notion du droit et du devoir d'ingérence, en fixer les limites et non pas continuer à évacuer sournoisement le débat.

Que l'engagement à aider, à régler politiquement, militairement, humanitairement la situation dans la région des Grands Lacs soit le premier acte concret de cette Conférence!

Cela nous aiderait à sortir du scepticisme gagnant autour des grandes conférences.

Prenons un exemple:

Au moment où se tenait en 1974 la Première Conférence Mondiale de l'Alimentation, le Sahel, région à laquelle appartient mon Pays, traversait une des sécheresses les plus terribles de toute l'histoire, avec son cortège de famine, de ruine économique, de pertes en vies humaines et de traumatismes pour les survivants. Devant l'ampleur de cette tragédie et dans un élan de solidarité sans précédent, dont il me plaît encore aujourd'hui de saluer la noblesse, la communauté internationale s'était fixé comme objectif de parvenir en l'espace d'une décennie à l'élimination de la faim dans le Monde.

Deux décennies après cet engagement, qu'en est-il aujourd'hui de la situation alimentaire des habitants de notre planète?

En dépit des sommes colossales mobilisées au nom de la lutte contre la faim et la pauvreté, la situation générale des pays pauvres n'a pas notablement changé; pire, leur nombre semble s'accroître tous les jours, creusant davantage le fossé qui les sépare des pays riches.

Pouvons-nous fermer plus longtemps les yeux devant le spectacle insoutenable de ces enfants faméliques suçant des seins desséchés ou distrayant la faim avec de l'eau lactée? Non de l'eau blanchie, oui de l'eau blanchie avec un soupçon de lait! Et cet autre spectacle de ces enfants s'agglutinant autour d'un biscuit? Et l'image de ces enfants à la gamelle vide? Ceux-là à la recherche de quelque nourriture, écrasés par les mouvements de foule? Allons-nous continuer à assister impuissants à cette tragédie sans réagir? L'homme, dit-on, est l'être le plus évolué de la nature, serait-il aussi le moins raisonnable et le plus ridicule de toutes les créatures?

Pouvons-nous continuer à nous satisfaire de modèles de société, fussent-ils universels, où les droits fondamentaux des plus faibles ne peuvent s'exprimer simplement parce qu'ils ne correspondent pas à une demande solvable? La faim dans le monde n'est ni une fatalité, ni un problème de production! C'est un problème essentiellement politique.

Dans les pays les moins avancés comme le Mali, où 80 pour cent de la population vivent de l'Agriculture et contribuent pour près de 50 pour cent à la constitution du PIB, la solution du problème de la faim et de la pauvreté passe par l'accroissement de la production agricole.

Outre l'assurance de la disponibilité des produits alimentaires, le développement du secteur agricole constitue la seule occasion d'emploi, donc de création de revenus pour l'écrasante majorité de la population. D'où la priorité accordée à ce secteur par les gouvernements successifs du Mali depuis l'accession de notre pays à l'indépendance; à l'heure actuelle près du tiers du budget d'investissement de l'Etat est consacré à la relance et à la modernisation du secteur de l'agriculture.

Avec l'instauration de la démocratie dans le pays en mars 1991 et la mise en oeuvre par la troisième République d'une politique rigoureuse de libéralisation et d'ajustement de l'économie, des progrès significatifs ont été réalisés. En année de pluviosité normale, le Mali subvient à l'heure actuelle à l'ensemble de ses besoins en céréales sèches, la base de l'alimentation de ses habitants. La situation du riz, elle aussi, s'est structurellement améliorée, avec un rendement moyen qui a doublé en moins d'une décennie dans la zone de l'Office du Niger.

Bien entendu la sécurité alimentaire n'est pas encore assurée pour tous et elle ne peut l'être à brève échéance du seul fait de l'application des mesures d'ajustement macroéconomique. Mais les mesures institutionnelles et les réformes sectorielles induites par l'application du programme d'ajustement, en particulier celles relatives à l'adoption d'une politique de prix agricoles conséquente, ont été de véritables leviers qui ont permis de libérer les forces que recèle la petite exploitation paysanne du pays et, partant, de révéler son gigantesque potentiel de production quand la disponibilité de l'eau est assurée.

Il s'agit à présent de corriger les fluctuations interannuelles du PIB agricole par un accroissement durable du volume de production (en particulier céréalière), en mettant à la disposition des exploitants une infrastructure de production et un équipement agricole adaptés.

Les efforts doivent porter désormais sur l'accélération du rythme des aménagements hydro-agricoles, des investissements plus appropriés dans le domaine de l'élevage, un encadrement plus ciblé des producteurs et la modernisation des systèmes de production. L'élaboration en cours du Plan national d'action environnementale permettra, à terme, d'assurer aux activités du secteur un développement durable.

Mais les seules ressources nationales sont insuffisantes pour ce faire. Nous avons besoin de la solidarité de nos partenaires pour la mise en valeur de nos potentialités; nous avons besoin de votre accompagnement!

Aujourd'hui, par exemple, la montée du cours du blé sur le marché mondial nous oblige à augmenter le prix du pain (avec les conséquences sociales qui en découlent) ou à le subventionner au détriment des investissements à faire au niveau de l'aménagement des terres.

Vaincre la faim et la pauvreté, nous le pouvons, et c'est à la portée de notre unité d'action.

Regardez les budgets d'armement de certains Etats, des ressources inestimables sont ainsi englouties dans l'illusion de la force et dans le développement de la capacité de nuisance.

Regardez les sommes colossales englouties chaque année dans le "dumping" des produits alimentaires par les pays riches, soi-disant pour conquérir des marchés mais dont le seul résultat en réalité est l'anéantissement des capacités de production agricole dans les pays pauvres.

Regardez enfin le volume impressionnant des stocks de produits alimentaires qui continuent d'être détruits sous nos yeux sur notre planète, non pas parce qu'ils sont avariés mais, nous dit-on, pour maintenir l'offre au niveau de la demande solvable!

Pendant ce temps, des hommes, des femmes et des enfants meurent parce que le pain quotidien n'est pas assuré. Pendant ce même temps et sur la même planète, d'autres doivent se contenter de survivre ou de mener une vie amputée; oui, amputée de sa dimension essentielle, une vie sans dignité humaine.

Lutter contre la faim et la pauvreté doit être un acte permanent de notre politique de développement. Elle doit concerner tous les acteurs au développement: organisations non-gouvernementales, associations, secteur privé dans un cadre de décentralisation et une vision d'intégration régionale.

Lutter efficacement contre la faim suppose un redéploiement de ressources financières, technologiques et scientifiques de la communauté internationale pour accroître les niveaux de production des pays à déficit vivrier et ne disposant pas des ressources nécessaires aux importations de denrées alimentaires.

Nous devons ensemble définir un cadre rénové de coopération qui prenne en compte les préoccupations immédiates des populations et la nécessité de soulager de manière significativement les états du fardeau de la dette, pour permettre aux pays en voie de développement de reprendre l'initiative.

L'indispensable démocratisation à l'intérieur de nos pays doit s'accompagner de la nécessaire démocratisation des relations internationales.

Toute la place doit être faite à l'Homme.

L'Homme seul peut sauver l'Homme. Grace à Dieu.


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