RWANDA

Son Excellence Monsieur Pierre Célestin Rwigema, Premier Ministre de la République rwandaise


Permettez-moi tout d'abord d'adresser mes chaleureuses félicitations à Monsieur le Président pour sa brillante élection à la présidence de ce Sommet mondial de l'alimentation. Je voudrais profiter de l'opportunité qui m'est offerte pour féliciter la FAO et son Directeur général, M. Jacques Diouf, pour la qualité exceptionnelle du travail préparatoire du Sommet, tant sur le plan technique qu'organisationnel. J'adresse enfin mes remerciements au Gouvernement italien et aux dirigeants de cette ville historique de Rome pour l'excellent accueil et la sollicitude dont la délégation du Rwanda et moi-même sommes l'objet.

Il y a 20 ans déjà, lors de la Conférence mondiale de l'alimentation, les gouvernements ont examiné les problèmes de la production et de la consommation alimentaires à l'échelle planétaire, et ont proclamé solennellement que "chaque homme, femme et enfant a le droit inaliénable d'être libéré de la faim et de la malnutrition afin de développer pleinement ses facultés physiques et mentales".

La première résolution de cette Conférence déclarait que tous les gouvernements devaient se fixer pour but qu'en une décennie aucun enfant ne devra aller se coucher en ayant faim, qu'aucune famille ne devra vivre dans la crainte de manquer de pain pour le lendemain, et que l'avenir et les capacités d'aucun être humain ne devront être compromis par la malnutrition. Cependant, force nous est de constater que ce noble objectif visant en définitive l'élimination de la faim, de l'insécurité alimentaire et de la malnutrition n'a pas été atteint.

Les chiffres effrayants sur lesquels sont revenus plusieurs orateurs sont le résultat de nos échecs en matière de développement en général et, plus particulièrement, du développement agricole et rural. Ils sont également le résultat de catastrophes naturelles ainsi que de multiples crises socio-politiques et des conflits qui secouent certaines régions du monde. Ils traduisent, en tout cas, une situation intolérable et franchement scandaleuse.

Les Nations Unies ont organisé au cours des cinq dernières années une série de conférences au sommet, balisant ainsi ce que seront les grands enjeux à l'aube du prochain millénaire en matière d'environnement, de développement social, de population, de promotion de la femme, d'établissements humains en général et d'urbanisation en particulier.

Le Sommet mondial de l'alimentation qui nous réunit aujourd'hui se place, bien entendu, dans la suite logique des précédents sommets. Mais il a la particularité de traiter du besoin le plus fondamental de l'être humain, à savoir la nourriture, et ce dans un contexte qui appelle des solutions immédiates car c'est la survie d'une partie de l'humanité qui est en jeu.

C'est pourquoi, il faudra éviter que ce sommet ne soit "qu'un sommet en plus". Au-delà de la Déclaration de Rome et du Plan d'action que nous avons adoptés, je voudrais lancer un appel en faveur de l'éradication de l'indifférence qui est un des plus grands fléaux qui minent les relations entre les habitants de cette planète.

Je reviendrai tout à l'heure sur ce point car l'histoire récente du Rwanda, marquée par l'un des génocides les plus effroyables que l'humanité ait connus, nous a montré jusqu'à quel point la communauté internationale, ou si vous voulez les hommes, pouvaient être indifférents aux souffrances des autres. Mais en matière de sécurité alimentaire, je reste convaincu que la coopération et la solidarité entre les peuples et les nations sera le levain indispensable pour la réalisation de notre ambition à tous, à savoir "nourrir le monde".

Situé dans la région des Grands Lacs, le Rwanda est un pays essentiellement agricole. Le secteur agricole emploie plus de 90 pour cent de la population active, il contribue pour 40 pour cent au PIB et pour plus de 80 pour cent aux recettes d'exportation. La population rwandaise vivant dans le pays est de plus de 6 millions d'habitants et il existait environ 1,3 million de réfugiés encore en exil, principalement dans les camps de réfugiés de la Tanzanie. Comme vous avez pu le suivre par les médias, les choses viennent de changer.

L'histoire récente du Rwanda est marquée, comme vous le savez, par une tragédie caractérisée par une guerre qui a duré quatre ans, entre 1990 et 1994, ainsi que des massacres et un génocide qui ont failli l'anéantir à jamais, causant la mort de plus d'un million de personnes entre avril et juillet 1994 et entraînant des milliers d'autres sur les routes de l'exil.

Ces événements tragiques ont, non seulement entraîné la perte de tant de vies humaines, mais ont également laissé un pays ruiné, aux infrastructures socioéconomiques endommagées ou détruites et un système de production complètement paralysé.

Après la libération du pays par le Front patriotique rwandais, le Gouvernement d'union nationale, mis en place en juillet 1994, s'est donné d'autres objectifs comme priorité: la restauration d'un climat de paix et de sécurité; la restauration et la consolidation de l'unité nationale; l'installation des réfugiés et le retour des personnes déplacées dans leurs biens; la résolution des problèmes sociaux consécutifs à la guerre, en l'occurrence le cas des orphelins, veufs et infirmes; la relance de l'économie nationale; et la consolidation de la démocratie.

Deux ans seulement après cette terrible tragédie, la situation sociopolitique et économique du Rwanda s'est largement normalisée. Le Gouvernement d'union nationale a réussi en fait à maintenir un climat de paix et de sécurité et a continué à promouvoir la politique de réconciliation nationale. Des efforts importants ont été consentis afin d'offrir les services publics de base et constituer aux niveaux central et local une administration publique efficace pouvant répondre aux besoins de la population et de l'économie.

Fortement appuyée sur une relance de la production agricole, la situation économique s'est améliorée. Le niveau de production a augmenté de 25 pour cent en termes réels et le gouvernement a réussi à stabiliser à la fois le taux de change et l'inflation au cours de l'année 1995, mettant ainsi un frein à la détérioration du revenu réel de la population.

La production agricole vivrière atteint déjà plus de 75 pour cent de son niveau d'avant la guerre, cela étant le résultat des efforts consentis en matière de rapatriement des réfugiés, de réinstallation des personnes déplacées, d'encadrement des paysans et de distribution des intrants et matériels agricoles. Quant à l'élevage, le nombre de bovins qui était réduit de 80 pour cent en 1994 atteint déjà 85,2 pour cent du niveau de l'année 1990. Des efforts importants de repeuplement du pays pour les autres espèces animales restent cependant à faire.

Pour des raisons conjoncturelles évidentes consécutives à la guerre, mais aussi pour des raisons structurelles, la production vivrière de cette année ne couvre que 62 pour cent des besoins. Les importations commerciales couvrent en partie ce déficit mais l'aide alimentaire reste nécessaire.

L'insécurité alimentaire reste ici la première manifestation de la pauvreté. Celle-ci touche en effet 12 pour cent des ménages ruraux. La pauvreté rurale généralement structurelle est due à un manque de terres, combiné à l'absence de revenus extra-agricoles. Elle est aussi conjoncturelle pour une catégorie vulnérable de notre population qui est composée essentiellement de veuves, d'enfants non accompagnés et de rapatriés récents.

Il y a lieu de noter également que le génocide a particulièrement visé les hommes, de façon que les femmes représentent actuellement 63 pour cent de la population rwandaise, plusieurs d'entre elles étant chef de ménage. Conscient du rôle incontournable joué par la femme rwandaise en agriculture et dans le développement socio-économique du pays, le Gouvernement rwandais a placé la promotion féminine au centre de ses préoccupations.

La Déclaration de Rome et le Plan d'action qui ont fait l'objet d'un consensus historique constituent un cadre de référence permettant d'envisager la sécurité alimentaire universelle au début du prochain millénaire.

Les sept engagements adoptés sont certes pertinents, mais nous devons garder à l'esprit que, lors de la Conférence mondiale de l'alimentation de 1974, nos gouvernements n'étaient pas moins animés d'intentions aussi louables.

Comme l'a dit le Directeur général de la FAO lors de la commémoration du 50e anniversaire de la FAO à Québec, les principaux ennemis qu'il nous faut vaincre pour atteindre notre but ultime sont la pauvreté, l'ignorance, l'iniquité dans la répartition des fruits de la terre et du travail, l'indifférence, et surtout la peur d'avoir de grandes ambitions à la mesure du génie humain. Puissions-nous tous conjuguer nos efforts pour que notre ambition de nourrir le monde devienne enfin une réalité!

Je ne saurais terminer mon propos sans vous brosser rapidement la situation qui prévaut actuellement dans la région de l'Afrique centrale des Grands Lacs, situation dont les multiples facettes touchent à la politique, à la sécurité, à l'humanité et bien entendu à la sécurité alimentaire.

Vous vous souviendrez, en effet, que les responsables du génocide rwandais de 1994 ont entraîné dans leur exil des milliers de nos compatriotes, et se sont opposés par l'intimidation ou par la violence à leur retour, alors que la situation a été très vite normalisée au Rwanda.

Malgré nos multiples appels, la communauté internationale a continué à apporter l'aide humanitaire indistinctement aux réfugiés innocents et aux bourreaux du peuple rwandais, qui faisaient des camps de réfugiés de l'est du Zaïre de véritables camps militaires d'où partaient des incursions meurtrières au Rwanda, destinées le plus souvent à éliminer les rescapés du génocide et parachever ainsi leur sinistre dessein.

Ces criminels ont non seulement pris en otage des milliers de réfugiés innocents, mais ils ont également exporté dans l'est du Zaïre l'idéologie du génocide et ont orchestré des opérations de purification ethnique contre une catégorie de ressortissants zaïrois parlant le Kinyarwanda.

Par ailleurs, considérant les récents développements à l'est du Zaïre, qui résultent d'un conflit interne à ce pays, le Gouvernement rwandais a exprimé sa grave préoccupation sur la détérioration de la situation dans cette zone et la menace que cela constitue contre la paix et la stabilité de l'ensemble de la région des Grands Lacs.

Nous sommes affligés par le sort de nos compatriotes réfugiés qui sont gravement affectés par cette crise. C'est dans ce cadre que le Président de la République rwandaise, S.E. Monsieur Pasteur Bizimungu, a appelé les parties en conflit à observer un cessez-le-feu et a demandé à la communauté internationale d'intensifier les efforts en vue de favoriser le rapatriement volontaire des réfugiés rwandais.

Je voudrais, du haut de cette tribune, réitérer l'appel lancé par le Gouvernement rwandais aux réfugiés pour qu'ils rentrent tous dans leur mère patrie.

Au nom du Gouvernement rwandais, je tiens aussi à remercier tous les orateurs qui se sont exprimés pour une action humanitaire en faveur des populations en situation désastreuse à l'est du Zaïre.

A cet effet, la force multinationale neutre que nous avions soutenue en vue de créer des corridors de sécurité pour l'acheminement de l'aide d'urgence, mais aussi et surtout pour permettre aux réfugiés de rentrer au Rwanda, n'est plus nécessaire puisque, depuis hier, les réfugiés rentrent en masse, civils et militaires confondus.

Le Gouvernement rwandais demande instamment à la communauté internationale de mobiliser tous les moyens supplémentaires requis pour l'accueil, la réinstallation et la réinsertion socio-économique de ces réfugiés. Hier même, le chef de l'Etat, S.E. Monsieur Pasteur Bizimungu, et tous les membres du Gouvernement ont passé la journée entière sur la frontière rwando-zaïroise, poste frontière de Ginsengi, en accueillant des milliers de réfugiés, estimés à 400 000 personnes pour la seule journée d'hier, et l'opération se poursuit même aujourd'hui.

Le Gouvernement rwandais, de concert avec les Chefs d'Etat de la région des Grands Lacs, trouve que si tel était l'objet de déployer une force militaire dans cette région et que les choses sont en train de changer positivement sur le terrain, le Conseil de sécurité devrait revoir rapidement la globalité des résolutions adoptées à cette fin.

Le Gouvernement rwandais, par ma voix du haut de cette tribune, lance un appel vibrant à la communauté internationale pour que la grande partie de l'aide destinée à ces réfugiés soit acheminée immédiatement au Rwanda pour secourir ces populations, et pour que le budget alloué au déploiement de cette force internationale serve à la réinstallation et à la réinsertion urgentes de ces populations.


Début de page
Autres déclarations
WFS home

Déclaration précédente   Déclaration suivante