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Document No. 5
Sécurité alimentaire et les prochaines négociations sur le commerce: principales questions soulevées par le Sommet Mondial de l'Alimentation
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Le présent document contient une analyse des principales questions liées à la sécurité alimentaire soulevées par le Sommet mondial de l'alimentation, qui s'est tenu en novembre 1996, dans le contexte des prochaines négociations commerciales qui doivent s'ouvrir sous l'égide de l'OMC. Le Plan d'action du Sommet mondial de l'alimentation contient sept engagements, dont trois ont trait directement à l'interface sécurité alimentaire - commerce international. Ces engagements concernent les politiques du commerce de produits alimentaires et agricoles et les politiques commerciales dans leur ensemble; une production et des pratiques durables en matière d'alimentation et d'agriculture; et l'amélioration de l'accès physique et économique de tous, à tout moment, à une alimentation suffisante. Ce document contient également une analyse du caractère multifonctionnel de l'agriculture dans des secteurs autres que le domaine commercial.

I. Introduction

Le présent document analyse, dans le contexte des prochaines négociations commerciales, les principales questions soulevées par les résultats du Sommet mondial de l'alimentation, sans aucunement prendre position sur l'une quelconque d'entre elles. L'article 20 de l'Accord sur l'agriculture stipule que le processus de réforme doit tenir compte, également des aspects non commerciaux. Ces aspects, qui sont évoqués dans le préambule de l'Accord, comprennent la sécurité alimentaire et la nécessité de protéger l'environnement, compte tenu des effets négatifs que peut avoir la mise en oevre du processus de réforme sur les pays les moins avancés et les pays en développement importateurs nets de denrées alimentaires. La sécurité alimentaire a été le thème principal du Sommet mondial de l'alimentation, particulièrement dans la perspective des pays en développement et des pays les moins avancés.2 Le Sommet mondial de l'alimentation a également accordé l'attention qu'elle mérite à la protection de l'environnement, dans la mesure où elle constitue la base de la durabilité à plus long terme des systèmes de production alimentaire.

La section ci-après rappelle les résultats du Sommet mondial de l'alimentation et analyse brièvement la complexité des multiples aspects de la sécurité alimentaire, que l'on est amené à prendre en considération comme l'accès aux marchés, la qualité et l'hygiène de l'alimentation, ainsi que les normes alimentaires, lesquelles, à strictement parler, sont des aspects relevant davantage du commerce international. L'important est de distinguer les aspects de la sécurité alimentaire liés au commerce international au sens large et les résultats du Sommet mondial de l'alimentation. Celui-ci a également défini l'agriculture en termes larges, comme englobant également les pêcheries et la foresterie. Toutefois, sans entrer dans le détail des questions de classification, toutefois, le présent document porte principalement sur les systèmes terrestres de production alimentaire.

II. Les résultats du Sommet mondial de l'alimentation

La principale réalisation des chefs d'État ou de gouvernement ou des représentants des 186 États qui ont participé au Sommet mondial de l'alimentation a été l'approbation par consensus, le 13 novembre 1996, de la Déclaration de Rome sur la sécurité alimentaire mondiale et du Plan d'action du Sommet mondial de l'alimentation. Afin que le projet de Plan d'action puisse être adopté par consensus, 15 délégations ont formulé des réserves et/ou des déclarations interprétatives concernant la Déclaration et le Plan d'action, qui sont consignées dans le rapport du Sommet. En substance, cependant, ces réserves ou déclarations n'affectent pas les résultats du Sommet. La Déclaration, qui souligne que les gouvernements participants sont convenus que le commerce est un élément clé de la sécurité alimentaire, contient une liste de sept engagements portant sur les principaux éléments d'une stratégie de renforcement de la sécurité alimentaire: un environnement politique, social et économique propice; un accès plus large à l'alimentation; une production vivrière durable; les politiques du commerce de produits alimentaires et agricoles et les politiques commerciales en général; la prévention des catastrophes naturelles et des crises provoquées par l'homme; les investissements; et l'exécution, le contrôle et le suivi du Plan d'action.3 Ces engagements sont développés sous les rubriques "raisons d'agir" et "objectifs et actions".

De ces sept engagements, ceux qui concernent l'accès à l'alimentation, une production vivrière durable et le commerce international sont les plus pertinents aux fins de la sécurité alimentaire. Ils seront examinés ultérieurement plus en détail mais il convient de relever d'ores et déjà un certain nombre de points.

  1. Le Plan d'action développe une définition antérieure de la sécurité alimentaire.4. Il y est dit que: "La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active". Pour garantir la sécurité alimentaire, une action concertée s'impose à tous les niveaux; aux niveaux de l'individu et du ménage comme aux niveaux national, régional et mondial. C'est l'ensemble de cette "action concertée" que vise le Sommet.
  2. Si la Déclaration de Rome réaffirme "le droit de chaque être humain d'avoir accès à une nourriture saine et nutritive conformément au droit à une nourriture adéquate et au droit fondamental de chacun d'être à l'abri de la faim", elle n'est pas, tout comme le Plan d'action simplement un reflet du droit à l'alimentation. L'objectif 7.4 du Plan d'action, toutefois, précise ce que recouvre le droit à une nourriture adéquate et le droit fondamental de chacun d'être à l'abri de la faim, et souligne que la réalisation progressive et intégrale de ce droit est un moyen de garantir la sécurité alimentaire pour tous.
  3. Le Sommet reflète l'évolution de la pensée- aussi bien des pays industrialisés que des pays en développement - touchant le processus de développement. Le lien environnement-développement-sécurité alimentaire avait été étudié lors des sessions annuelles de la Commission du développement durable, créée par la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement qui s'est tenue à Rio de Janeiro en juin 1992. Le Sommet mondial de l'alimentation, toutefois, a mis l'accent sur la perspective du développement durable axée sur l'alimentation et le développement agricole et rural.

III. Examen de certains des engagements

i) Engagement quatre: politiques concernant le commerce des denrées alimentaires et agricoles et les échanges en général

Si nous abordons cet engagement en premier, c'est parce qu'il est celui qui est le plus pertinent dans le contexte qui nous occupe. Les "raisons d'agir" indiquées sous cette rubrique commencent par l'affirmation selon laquelle "Le commerce est un élément essentiel à la sécurité alimentaire mondiale". Il y a lieu de noter que le mot "commerce" est utilisé seul et qu'il concerne par conséquent tous les produits et pas seulement les produits alimentaires et agricoles. Le texte poursuit en stipulant que le commerce contribue à la sécurité alimentaire en stimulant "l'expansion économique, indispensable à toute amélioration de la sécurité alimentaire" Par ailleurs, le commerce a un impact majeur sur l'accès à l'alimentation par l'effet positif qu'il a sur l'expansion économique, les revenus et l'emploi. Toutefois, il reconnaît également que ces avantages pourraient ne pas parvenir jusqu'aux plus pauvres. Il souligne par conséquent la nécessité d'adopter "des politiques économiques et sociales appropriées" pour veiller à ce que "tous, y compris les pauvres, profitent de la croissance économique" stimulée par un régime commercial plus libéral.

L'Engagement quatre tout en affirmant que "le commerce permet à la consommation alimentaire de dépasser la production vivrière", reconnaît implicitement que le commerce permet également à la production vivrière (et à la production agricole non vivrière) de dépasser la consommation, ce qui évoque le rôle de débouchés pour les excédents que peut jouer le commerce de produits agricoles dans le contexte du développement économique. De ce fait, le commerce de denrées alimentaires non seulement améliore l'accès physique et économique à l'alimentation, du côté de l'offre, en accroissant la disponibilité d'aliments, ce qui contribue également à faire baisser les prix à la consommation des denrées alimentaires au plan national, mais encourage, du côté de la demande, les échanges d'excédents de produits alimentaires et agricoles. Autrement dit, il accroît ce à quoi chacun peut prétendre grâce aux échanges et, ce faisant, élargit la gamme de denrées alimentaires offertes à la consommation, améliore les régimes alimentaires et satisfait les préférences en matière d'alimentation. Mais le commerce de denrées agricoles et alimentaires peut aussi, par le biais de ses effets sur la concurrence, avoir un impact néfaste sur les systèmes traditionnels de production vivrière et sur les exploitants qui participent à ses systèmes. Dans ce contexte, le Plan d'action mentionne expressément la nécessité, entre autres, de faire en sorte que les accords commerciaux n'aient pas de retombées négatives "sur les activités économiques nouvelles ou traditionnelles, entreprises par les femmes pour parvenir à la sécurité alimentaire".

L'objectif 4.1 évoque également le problème posé par le risque de conflits entre les politiques commerciales et environnementales en stipulant que les États devront s'efforcer "d'assurer le soutien mutuel des politiques en matière de commerce et d'environnement à l'appui de la sécurité alimentaire durable". La Décision ministérielle sur le commerce et l'environnement du 14 avril 1994 représente un infléchissement des politiques qui devront désormais tendre à faire en sorte que les mesures environnementales n'affectent pas indûment l'accès aux marchés des exportations de produits agricoles et alimentaires, y compris les produits de la pêche, des pays en développement. Ces deux préoccupations sont distinctes, la première ayant trait à la nécessité de concilier la durabilité à plus long terme de la sécurité alimentaire et la conservation de l'intégrité des ressources naturelles qui sont à la base de la production vivrière ainsi que les ressources humaines - connaissances et expériences - requises pour les gérer. Ce problème important sera examiné plus loin sous la rubrique de l'Engagement trois. La deuxième préoccupation a trait à la nécessité de garantir l'accès aux marchés qui est indispensable pour pouvoir exploiter les possibilités de gains provenant de la possibilité d'écouler les excédents, ce qui devrait permettre d'améliorer la sécurité alimentaire.

Deux autres aspects dans l'Engagement quatre et également liés à l'Engagement Trois ont trait à l'innocuité des produits alimentaires et aux normes sanitaires, domaine dans lequel la communauté internationale doit continuer à aider les pays à "ajuster leurs institutions et normes" pour se conformer aux prescriptions en matière de salubrité et d'hygiène des aliments". La question de la salubrité des produits alimentaires a revêtu ces dernières années une importance particulière quand a éclaté la crise de l'Encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) ou maladie de la vache folle, maladie dont il semble qu'elle puisse se transmettre aux êtres humains, et, tout récemment, lorsque de la dioxine a apparemment été trouvée dans certains produits animaux exportés entre différents pays d'Europe par suite de la contamination des aliments pour le bétail. La question de l'innocuité des denrées alimentaires a même été évoquée lors de la réunion du G7 qui s'est tenue à Cologne en juin 1999. La sécurité des produits alimentaires, y compris, du point de vue des consommateurs, la question des organismes génétiquement modifiés, est un problème qui constitue un défi majeur pour les partisans d'une plus grande libéralisation du régime applicable au commerce de denrées alimentaires et agricoles. L'actuel Accord sur l'application de mesures sanitaires et phytosanitaires, qui tend à promouvoir l'application de mesures harmonisées fondées sur des normes, directives et recommandations internationales, ne permet apparemment pas d'éviter que les défaillances des systèmes nationaux de contrôle affectent la qualité des produits alimentaires exportés, en particulier dans le cas des produits pour lesquels le processus de traitement après production est relativement long, comme l'est habituellement le processus de traitement des produits animaux.5 À cet égard, la FAO a élaboré un projet de Code de pratiques optimales en matière d'alimentation animale, sous l'égide de la Commission du Codex Alimentarius, mais tous ces codes doivent, pour être efficaces, être accompagnés de mesures de suivi et de contrôle appropriées au plan national. Si les mouvements de panique qui se sont produits récemment parmi les consommateurs de différents pays sont une indication correcte de la réalité, il sera effectivement indispensable d'aider les pays à ajuster leurs institutions et normes pour se conformer aux prescriptions en matière de salubrité et d'hygiène des aliments".6

Le commerce international de denrées alimentaires non seulement permet à la consommation alimentaire de dépasser la production au plan national (un pays ne devrait donc pas nécessairement se suffire à lui-même sur le plan alimentaire), mais offre également un moyen (généralement moins coûteux que la constitution de réserves stratégiques de denrées alimentaires) pour aplanir les fluctuations des approvisionnements nationaux même lorsque, d'une façon générale, il se suffit à lui-même. Ces généralisations ont été corroborées au cours des 50 dernières années, par la baisse régulière des prix des denrées alimentaires entrant dans le commerce international par rapport à ceux des articles manufacturés sur les marchés mondiaux et de la diminution des frais de transport et des coûts de manutention. Tout cela, pour l'essentiel, est évident, mais le principal problème demeure la fiabilité des approvisionnements en produits alimentaires clés, et par conséquent leurs prix, sur les marchés mondiaux. Il suffit, à cet égard, de se rappeler la crise alimentaire mondiale de 1973-74 ainsi que d'imaginer le spectre d'embargo sur les denrées alimentaires.

A cet effet l'Engagement quatre (objectif 4.2), établit l'objectif de "satisfaire les besoins essentiels d'importations alimentaires de tous les pays, compte tenu des fluctuations des cours mondiaux et des disponibilités, particulièrement des niveaux de consommation alimentaire des groupes vulnérables dans les pays en développement". Les pays exportateurs de denrées alimentaires sont exhortés à être des sources fiables d'approvisionnements pour leurs partenaires commerciaux et à administrer de manière responsable toutes les politiques et programmes commerciaux liés aux exportations qui doivent être compatibles avec les options de l'OMC... " pour préserver l'aptitude des pays importateurs... à acheter sur les marchés extérieurs des quantités adéquates de denrées alimentaires de base à des conditions raisonnables". Il a déjà été adopté sous l'égide des institutions financières internationales, principalement le FMI, des programmes visant à aider les pays les moins avancés et les pays en développement importateurs nets de denrées alimentaires à financer leurs importations alimentaires essentielles, mais ces pays ne peuvent pas en bénéficier automatiquement. Il est possible, et sans doute souhaitable, que ces questions soient examinées dans le contexte de l'Article 20 de l'Accord sur l'agriculture, et les négociations devront ensuite tenir compte de l'expérience acquise jusqu'à présent dans le cadre des engagements de réduction et de l'effet de ces engagements sur le commerce mondial de produits agricoles. Il faut espérer que ce qu'il faut entendre par cette "expérience" ne sera pas défini trop étroitement de manière à n'englober que l'application des engagements de réduction. Cette expression devrait également être entendue comme comprenant d'autres facteurs qui ont pu avoir un impact négatif sur la fiabilité du commerce en tant que moyen de promouvoir une plus grande sécurité alimentaire et qui peuvent être affectés par toute modification des politiques commerciales des pays exportateurs.

Le Plan d'action rappelle l'article 12 (Disciplines concernant les restrictions et interdictions à l'exportation) de l'Accord sur l'agriculture, aux termes duquel les pays exportateurs doivent s'abstenir d'appliquer des restrictions à l'exportation pour des raisons politiques et militaires. Il faut noter, en outre, la Déclaration de Rome, selon laquelle "la nourriture ne doit pas être utilisée comme instrument de pression politique et économique", la Déclaration soulignant en outre "la nécessité de s'abstenir de mesures unilatérales qui ne sont conformes ni au droit international ni à la Charte des Nations Unies et qui mettent en danger la sécurité alimentaire".

ii) Engagement Trois: Politiques et méthodes durables de développement alimentaire, agricole, halieutique, forestier et rural

L'Engagement trois est essentiel car il concerne le développement de la production vivrière (et par conséquent la question d'un certain degré d'autosuffisance alimentaire), et la durabilité des politiques (et par conséquent sur les aspects de la production vivrière liés à l'utilisation des ressources naturelles). Il mentionne spécifiquement le caractère multifonctionnel de l'agriculture, sans toutefois préciser expressément ce qu'il faut entendre par là. Ces questions, ainsi que celles qui sont soulevées par l'Engagement deux, touchant l'accès à l'alimentation, sont au coer du débat concernant les aspects non commerciaux que le Sommet mondial de l'alimentation lui-même, sans doute délibérément, n'a pas abordés. L'on ne peut pas, ici, éluder la question de ces aspects. Il n'est pas inutile, dans ce contexte, d'analyser ce qu'il faut entendre par le caractère multifonctionnel de l'agriculture (voir l'encadré 3).

L'Engagement trois porte davantage sur la situation qui caractérise habituellement les pays en développement à déficit vivrier, où l'expansion de la production alimentaire est l'un des principaux moyens d'accroître la disponibilité d'aliments et d'élever les revenus de ceux qui vivent dans la pauvreté. La question de l'autosuffisance alimentaire n'est pas abordée directement, et à juste titre. L'approche suivie consiste à améliorer l'accès à l'alimentation en augmentant la demande, et elle est liée au développement rural, qui tend à stimuler la production et à promouvoir la diversification de l'économie. Cette approche tend directement aussi à protéger les environnements fragiles et à promouvoir la gestion durable des ressources naturelles. Dans ce contexte, la corrélation entre le concept de développement agricole et rural durable et l'approche du développement axée sur la sécurité alimentaire qui sous-tend le Plan d'action de Rome est claire.7 Les principaux objectifs énoncés sous la rubrique des "objectifs et actions" relatifs à l'Engagement trois sont les suivants:

C'est là une tâche complexe car il s'agit d'un développement agricole et rural axé sur la personne humaine, tenant compte de la problématique hommes-femmes, participatif, de nature à conserver les ressources et à exploiter les connaissances locales, à petite échelle et animé à partir de la base, auquel la sécurité alimentaire est associée en tant que partie intégrante. Il ne s'agit pas, en revanche, d'un développement à grande échelle, recherchant l'efficacité, mû par la technologie et le profit et animé à partir du sommet qui peut certes se traduire par une amélioration de la sécurité alimentaire, mais pas nécessairement de manière équitable, que ce soit dans l'espace (c'est-à-dire en milieu rural et en milieu urbain ou dans les régions richement dotées en ressources et les régions marginales) ou dans la société (essentiellement les pauvres et les moins nantis par opposition aux riches). Bien que cela soit peut-être injuste, la libéralisation du commerce de denrées alimentaires et de produits agricoles est associée dans les esprits avec le second type de développement plutôt qu'avec le premier. L'on peut évidemment faire valoir que même si tel est le cas, l'on pourra se trouver en présence de situations moins optimales ou moins souhaitables auxquelles il conviendra de remédier au moyen des politiques nationales concernant l'alimentation, l'agriculture et le développement rural plutôt qu'au moyen des politiques commerciales internationales.

Dans le contexte de l'Engagement Trois, et à la différence de l'approche fondée sur les considérations non commerciales, la sécurité alimentaire, d'une part, et les problèmes et objectifs environnementaux, de l'autre, sont indissociables et envisagés globalement. Si l'on a mis l'accent sur la nécessité de promouvoir la conservation et une utilisation durable de la diversité biologique en général et des ressources génétiques des plantes en particulier, c'est principalement parce que le Plan d'action du Sommet mondial de l'alimentation envisage un développement agricole dans le cadre duquel les terres mises en valeur par les agriculteurs et les variétés traditionnelles de récoltes continueront de représenter l'essentiel des systèmes de production vivrière, les variétés modernes devant élargir mais pas remplacer le germoplasme végétal cultivé localement. Néanmoins, l'Engagement Trois encourage une approche utilitaire fondée sur l'intégration de la conservation et d'une utilisation durable des ressources génétiques des plantes dans l'alimentation et l'agriculture au moyen de techniques in situ et ex situ appropriées. La conservation au moyen de techniques in situ est particulièrement importante car l'objectif est de conserver la diversité des plantes cultivées tout en les exploitant, en même temps que leurs cousines sauvages, dans un paysage productif de nature à entretenir les processus évolutifs. Les techniques ex situ de conservation ne peuvent pas simuler ces processus. Ces idées, pour une large part, proviennent de la Quatrième Conférence technique internationale sur les ressources génétiques des plantes qui s'est tenue à Leipzig en juin 1996.8 Des problèmes se posent en ce qui concerne les ressources génétiques animales, mais ils sont naturellement différents à bien des égards, et ce n'est que récemment qu'ils ont commencé à être examinés formellement au plan intergouvernemental.9

Toutes ces questions sont directement liées à l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) que ne mentionne pas non plus le Plan d'action de Rome, ce qui est dans ce cas également sans doute délibéré. L'Accord sur les ADPIC est indépendant de l'Accord sur l'agriculture proprement dit et est soumis à son propre processus de révision.10 Le principal problème, en l'occurrence, est de savoir comment garantir une protection adéquate de la diversité végétale sans entraver le transfert des germoplasmes végétaux nécessaires tout en protégeant les systèmes agricoles locaux, souvent vulnérables. Pendant que le processus de révision se poursuit, les États peuvent continuer d'appliquer le paragraphe 3 b) de l'Article 27 de l'Accord sur les ADPIC, qui permet d'interdire les brevets sur des espèces végétales et animales autres que les micro-organismes. Toutefois, la protection de la diversité végétale elle-même doit être assurée soit par des brevets, soit par un système sui generis efficace, soit par une combinaison des deux. Il y a lieu de relever, à cet égard, que les termes employés au paragraphe 3 b) de l'Article 27 ne sont pas définis et se prêtent à des interprétations diverses.11

iii) Engagement Deux: Améliorer l'accès physique et économique de tous, à tout moment, à une alimentation suffisante

Cet engagement est mentionné car il met en relief l'approche axée sur l'être humain et différenciée par sexe qui sous-tend le Plan d'action. La question de l'accès physique à l'alimentation et du rôle du commerce dans ce contexte a été examinée ci-dessus sous la rubrique de l'Engagement Quatre. Cet engagement élargit le précédent en centrant l'attention également sur l'accès économique à l'alimentation et par conséquent sur la nécessité de promouvoir des "emplois sûrs et rémunérateurs" ainsi qu'un "accès équitable et égal aux ressources productives telles que terres, eau et crédit". L'intention, en l'occurrence, est de centrer l'attention sur les besoins "des particuliers, des ménages et des groupes vulnérables et défavorisés", parmi lesquels prédominent les femmes. Cela soulève au moins deux questions liées au commerce. Premièrement, les produits alimentaires importés et les aliments d'origine locale ne sont pas utilisés par les mêmes groupes. Deuxièmement, la problématique hommes-femmes, dans ce contexte, tient au fait que les gains du commerce de produits alimentaires, et particulièrement des produits de plus grande valeur destinés aux marchés d'exportation, ne parviennent souvent pas aux femmes des ménages pauvres et que la sécurité alimentaire peut ainsi ne pas s'en trouver améliorée. En fait, il se peut même que les femmes doivent consacrer le peu de temps qu'elles ont non pas à des activités permettant de subvenir aux besoins du ménage mais à la production de récoltes d'exportation. Ces questions ont été évoquées dans le contexte de l'Engagement Trois, et l'on se bornera ici à les rappeler.

L'hygiène alimentaire et le caractère "approprié" de l'alimentation sont également soulignés dans l'Engagement Deux ("..s'assurer que les approvisionnements alimentaires soient sains, accessibles d'un point de vue physique et économique, qu'ils soient appropriés et correspondent aux besoins énergétiques et nutritionnels de la population" et "encourager ... la production et l'utilisation de cultures vivrières appropriées sur le plan culturel, traditionnelles et sous-utilisées ... et l'exploitation durable des ressources halieutiques non ou sous-utilisées"). L'on trouve également une référence spécifique à l'Accord relatif à l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires et aux autres accords internationaux pertinents, dans le cadre desquelles desquels doivent être adoptées "des mesures visant à garantir la qualité et l'innocuité des approvisionnements alimentaires ...".

La question de la qualité des aliments, surtout dans le contexte du commerce international, est un défi qu'il importe de relever. Celle de l'interaction entre le commerce international et l'utilisation de "cultures vivrières appropriées sur le plan culturel, traditionnelles et sous-utilisées" ainsi que "l'exploitation durable des ressources halieutiques non ou sous-utilisées" ne semblent pas avoir reçues l'attention qu'elles méritent dans l'Accord sur l'agriculture.

IV. Quelques conclusions préliminaires

Il semble que l'on puisse dégager de ce qui précède un certain nombre d'aspects importants de la sécurité alimentaire dans le contexte des prochaines négociations commerciales. Ils peuvent être classés en deux catégories selon qu'ils sont "généraux" ou "spécifiques". Les questions générales qui se posent sont les suivantes:

Il s'agit effectivement de questions d'une très large portée :

Enfin, il convient de noter que l'interface entre le commerce et la sécurité alimentaire, tel qu'elle ressort de l'analyse qui précède, et dans le contexte du droit international n'est pas limitée au seul Accord sur l'agriculture mais affecte aussi d'autres éléments des accords du Cycle d'Uruguay comme l'Accord sur les ADPIC.

Encadré 1

Les sept Engagements du Sommet mondial de l'alimentation

(Rome, 13 - 17 Novembre 1996)

Un ... assurer un environnement politique, social et économique propice, visant à instaurer les meilleures conditions pour l'éradication de la pauvreté et le maintien d'une paix durable, fondé sur la pleine participation des hommes et des femmes sur un pied d'égalité, particulièrement favorable à la sécurité alimentaire durable pour tous;

Deux ... mettre en oevre des politiques visant à éradiquer la pauvreté et l'inégalité et améliorer l'accès physique et économique de tous, à tout moment, à une alimentation suffisante, adéquate du point de vue nutritionnel et sanitaire, et son utilisation efficace;

Trois ... poursuivre des politiques et méthodes participatives et durables de développement alimentaire, agricole halieutique, forestier et rural dans les régions à potentiel élevé comme dans celles à faible potentiel, qui sont essentielles pour assurer des approvisionnements alimentaires adéquats et fiables au niveau des ménages ainsi qu'aux échelons national, régional et mondial, et lutter contre les ravageurs, la sécheresse et la désertification, considérant le caractère multifonctionnel de l'agriculture;

Quatre ... s'efforcer de faire en sorte que les politiques concernant le commerce des denrées alimentaires et agricoles et les échanges en général contribuent à renforcer la sécurité alimentaire pour tous grâce à un système commercial mondial à la fois juste et axé sur le marché;

Cinq ... s'efforcer de prévenir les catastrophes naturelles et les crises provoquées par l'homme, d'y être préparé, et de répondre aux besoins alimentaires provisoires d'urgence, d'une façon qui stimule la reprise, le redressement et le développement et renforce la capacité de satisfaire les besoins futurs;

Six ...encourager l'affectation et l'utilisation optimales de l'investissement public et privé pour faire progresser les ressources humaines, les systèmes alimentaires, agricoles, halieutiques et forestiers durables et le développement rural, dans les zones à fort comme à faible potentiel;

Sept ... exécuter le Plan d'action et assurer son contrôle et son suivi, à tous les niveaux en coopération avec la communauté internationale.



Encadré 2

Définition de la sécurité alimentaire

Le Sommet de Rome a développé la définition de la sécurité alimentaire approuvée par la Conférence internationale FAO/OMS sur la nutrition (Rome, décembre 1992) à savoir "l'accès de tous, à tout moment, à une alimentation suffisante pour mener une vie saine et active". Le Sommet a ajouté l'idée de l'accès non seulement physique mais aussi économique, d'une alimentation non seulement suffisante mais aussi saine et nutritive; et le concept selon lequel il faut, par alimentation suffisante, entendre une alimentation correspondant aux besoins nutritionnels ainsi qu'aux préférences des populations pour leur permettre de mener une vie saine et active. Le Sommet a ainsi parachevé la définition précédente, en établissant des points de contact entre la sécurité alimentaire et le commerce par le biais des notions "d'accès" et de " quantité suffisante" de l'alimentation.

Une autre approche de la définition de la sécurité alimentaire est fondée sur celle du "droit à l'alimentation", développée par A.K. Sen1. Chacun a un droit à l'alimentation découlant de sa propre production, d'un échange sous forme de troc, d'achat sur les marchés ou d'un travail à des tâches autres que la production alimentaire, ou d'un transfert (d'aliments) de la famille, de la communauté, de la société civile ou de l'État. Quiconque ne peut pas jouir de son droit à l'alimentation risque donc de voir sa sécurité alimentaire menacée. Le lien direct entre le commerce et cette approche est le droit à l'alimentation au moyen d'un échange.


Hunger and Entitlements, World Institute for Development Economics Research, Helsinki, 1987



Encadré 3

Le caractère multifonctionnel de l'agriculture

Les activités agricoles, outre la production d'aliments, de fibres, etc., pour lesquelles il existe un marché et qui ont par conséquent une valeur monétaire, comportent des externalités pour lesquelles il n'existe pas de marché identifié. Autrement dit, elles sont soumises aux défaillances du marché. Ces externalités peuvent être positives ou négatives. L'agriculture ne fait évidemment pas exception à cet égard, étant donné que toutes les activités, à des degrés divers, partagent cette caractéristique, mais il semble que l'agriculture soit unique par la gamme d'externalités qui lui sont imputées. Ces externalités peuvent être également appelées biens publics (ou maux publics s'ils sont négatifs), par opposition aux biens privés.1 Cela est important dans la mesure où les biens (ou maux) publics et les défaillances connexes du marché peuvent justifier une intervention des pouvoirs publics pour garantir ou contrôler leur disponibilité au moyen de subventions, de réglementations ou d'impôts. Dans la pratique, l'on considère généralement que l'agriculture produit un bien public, ce qui, à strictement parler, n'est pas le cas, afin de justifier une intervention continue de l'État.

Jusqu'à une date relativement récente, ce sont les externalités environnementales négatives de l'agriculture - pollution des eaux superficielles et souterraines et de l'atmosphère, disparition d'habitats et de la biodiversité, érosion des sols, etc. - qui ont surtout retenu l'attention des pouvoirs publics, lesquels sont intervenus au moyen d'impôts ou de réglementations pour corriger les défaillances du marché. À l'heure actuelle, l'on considère de plus en plus que l'agriculture produit aussi des externalités positives, également appelées fonctions multiples, dans le cas desquelles les défaillances du marché justifient une intervention des pouvoirs publics sous forme de subventions ou d'autres mesures de soutien agricole pour garantir leur "production" continue.

Il existe un large consensus quant à ce que sont ces fonctions multiples, mais elles sont classées de différentes façons. L'important est qu'il s'agisse d'externalités réelles et pas seulement d'extensions de la fonction économique principale de l'agriculture, qui est de produire des aliments, des fibres, etc., même si ces externalités leur sont associées. Si l'on applique cette définition stricte, quelques-unes de ces fonctions sont les suivantes:

  • Fonction sécurité alimentaire, y compris sous ses aspects nutrition et innocuité des aliments, parfois appelée "stratégique".
  • Fonction environnementale - protection des ressources naturelles, y compris les habitats naturels et la biodiversité, ce qui contribue à la durabilité des systèmes de production vivrière, à la prévention des catastrophes (inondations et glissements de terrain) et à la protection des paysages ruraux.
  • Fonction sociale et culturelle, liée à l'emploi et à la génération de revenus en milieu rural, ce qui renforce la viabilité des communautés rurales et assure la subsistance des sociétés rurales.

Certaines de ces fonctions sont interdépendantes ou produisent un effet de synergie. Par exemple, la protection des paysages ruraux peut encourager le tourisme et ainsi créer des emplois et garantir la survie des communautés locales. Certains observateurs font valoir que les multiples fonctions de l'agriculture sont indissociables et doivent par conséquent être produites simultanément. Admettre cet argument écarterait la possibilité d'avoir recours à des permis cessibles entre différentes régions agricoles. Ces externalités positives ou fonctions multiples sont parfois appelées aussi, dans le jargon du commerce international, des aspects non commerciaux, comme mentionné à l'Article 20 de l'Accord sur l'agriculture. Comme on l'a vu, toutefois, dès lors que examine les multiples aspects de la sécurité alimentaire, comme cela a été le cas lors du Sommet de Rome, il existe plusieurs corrélations évidentes entre le commerce et la sécurité alimentaire. Indépendamment de ces considérations sémantiques, il faut ensuite analyser quels sont les aspects non commerciaux communément cités sous les trois rubriques ci-dessus - sécurité alimentaire, fonction environnementale et fonction sociale - et les relier au Plan d'action et en particulier à l'Engagement Trois qui, comme indiqué ci-dessus, tend à promouvoir des politiques et des pratiques durables en matière d'alimentation et d'agriculture, considérant le caractère multifonctionnel de celles-ci. Il y a lieu, à ce stade, de relever que certains des principaux défenseurs de ces aspects non commerciaux sont essentiellement des pays industrialisés, en particulier des pays ayant un environnement de production agricole "difficile" (dureté du climat, terrain montagneux), de longues traditions rurales et la volonté de conserver les paysages ruraux. Ces pays ont également les moyens financiers de subventionner leurs secteurs agricoles et leurs populations en générale consacrent à l'alimentation une plus petite proportion de leurs revenus disponibles.

Sécurité alimentaire. Plusieurs pays industrialisés accordent une priorité élevée à cet objectif ou à cette fonction, principalement pour des raisons stratégiques, étant donné que leur sécurité alimentaire en tant que telle, en situation normale, ne fait aucun doute. La Norvège, par exemple, reconnaît qu'étant donné le niveau élevé des coûts de la production vivrière, il serait plus économique pour plusieurs pays, y compris la Norvège, en période normale, d'acheter sur les marchés mondiaux toute l'alimentation dont ils ont besoin.2 Toutefois, à la lumière de l'expérience passée et étant donné les incertitudes qui caractérisent l'avenir des approvisionnements internationaux, une politique de production nationale a toujours été et sera toujours (c'est l'auteur qui souligne) un élément central de la politique norvégienne en matière de sécurité alimentaire. La constitution de stocks nationaux ne peut compenser qu'en partie le risque que la situation des approvisionnements internationaux devienne difficile à terme. Ce risque peut être lié non seulement à une situation de guerre mais aussi à des crises en temps de paix comme des maladies des végétaux et des animaux, de vastes retombées radioactives ou des fluctuations majeures de l'offre et la demande mondiales. Des politiques de sécurité alimentaire fondées sur un minimum d'autonomie, en préservant la capacité de produire, peuvent être considérées comme une assurance dont les coûts publics sont le refus des populations de prendre des risques et la prise en charge par celles-ci des coûts de cette assurance.

La politique norvégienne en matière de sécurité alimentaire comporte quatre volets: premièrement, la nécessité d'empêcher la dégradation des terres arables et d'en protéger les différentes utilisations; deuxièmement, conserver une production nationale autonome, mesurée en calories, à un niveau minimum qui est actuellement de 50 pour cent (57 pour cent si l'on inclut les produits de la pêche); troisièmement, maintenir une population agricole "assez nombreuse", bien formée et expérimentée; et, quatrièmement, maintenir une structure décentralisée de production vivrière, qui est moins vulnérable en cas de crise.

L'on peut s'interroger sur le point de savoir si la sécurité alimentaire augmente parallèlement à l'autonomie. En fait, l'on peut soutenir qu'une politique d'autonomie risque d'accroître plutôt que de réduire l'instabilité des prix nationaux des denrées alimentaires. En outre, en encourageant l'autonomie sur le plan alimentaire, le secteur agricole risque de devenir davantage tributaire d'intrants qui dépendent fortement des importations, notamment en ce qui concerne l'énergie. L'énergie, c'est-à-dire les combustibles, à leur tour, risquent plus que les denrées alimentaires de faire l'objet d'embargos commerciaux ou de hausses soudaines des prix. Toutefois, l'appui des milieux politiques à une stratégie d'autonomie alimentaire demeure solide dans certains pays. L'État pourrait néanmoins adopter une politique de sécurité alimentaire plus rationnelle fondée sur plusieurs options. Cette stratégie serait fondée sur une évaluation des principales causes d'incertitude des approvisionnements alimentaires. Premièrement, des variations imprévues de l'offre causées par des événements naturels comme le mauvais temps, des infestations d'insectes, des maladies des récoltes dans les principaux pays producteurs, etc.; deuxièmement, des événements dus à l'homme comme des hostilités ou des catastrophes (un autre Tchernobyl) d'une envergure suffisante pour affecter les courants commerciaux; et, troisièmement, des interventions politiques autres qu'une guerre comme des embargos commerciaux. Face à de telles incertitudes, toute une panoplie de politiques s'offrent aux pouvoirs publics, qui peuvent, plutôt que de se borner à promouvoir l'autonomie du pays, intervenir sur la consommation (par exemple en encourageant une substitution de produits alimentaires), la production (par exemple en faisant en sorte que l'agriculture puisse réagir plus rapidement s'il s'avère soudainement nécessaire d'accroître l'offre), l'entreposage et la commercialisation (resserrement des liens entre fournisseurs et importateurs). Toutefois, ce n'est pas ici le lieu d'analyser ces politiques plus en détail.

La fonction environnementale. Il est aujourd'hui largement admis, dans les pays de l'OCDE, que l'agriculture peut fournir des services environnementaux. C'est ainsi qu'il est dit dans un document récent de l'OCDE que "la création d'avantages et des agréments environnementaux est de plus en plus considérée comme un aspect du caractère 'multifonctionnel' du secteur agricole".3 Le mot "agrément" est important car il établit une différenciation entre les préoccupations des pays industrialisés et des pays en développement, certains des premiers souhaitant essentiellement protéger les paysages agricoles tandis que les seconds s'attachent surtout à protéger les ressources - prévention de l'érosion des sols et protection des bassins versants, par exemple - sans lesquels la sécurité alimentaire pourrait être menacée. En fait, l'Engagement Trois du Plan d'action du Sommet mondial de l'alimentation évoque la nécessité de "lutter contre les menaces écologiques pour la sécurité alimentaire, ... l'érosion de la diversité biologique et la dégradation des ressources naturelles, terrestres et aquatiques....pour accroître la production ".4 De droit, cet Engagement n'établit pas de lien direct entre ces besoins et le caractère multifonctionnel de l'agriculture.

La fonction socioculturelle. Dans ce cas également, l'interprétation que les pays industrialisés et les pays en développement donnent de cette fonction se différencie par certaines nuances. Les pays industrialisés cherchent surtout à éviter le dépeuplement des campagnes qu'entraîneraient probablement des forces économiques et sociales incontrôlées. Ils souhaitent également préserver des paysages ruraux peuplés et des communautés rurales viables à des fins touristiques, considérant en outre qu'une structure agraire fondée sur un grand nombre d'exploitations familiales relativement petites est plus propice à la stabilité sociale et à la préservation des cultures qu'un système dominé par un nombre relativement restreint de très grandes exploitations. L'on considère aussi qu'une structure de production décentralisée et bien répartie favorise la sécurité alimentaire.

Les pays en développement, mais aussi de nombreux pays développés tendent à considérer l'agriculture comme un "mode de vie traditionnel" qui a des connotations culturelles et sociales. La rapidité des migrations des campagnes vers les villes est également considérée comme un élément qui risque de perturber la société dans les pays en développement et de contribuer au chômage urbain, à la criminalité, etc.

De plus en plus, le débat concernant le caractère multifonctionnel de l'agriculture prend un tour "normatif" en sous-entendant qu'il existe une typologie souhaitable de l'agriculture ou un modèle du développement agricole et rural pouvant maximiser ces fonctions ou externalités positives. Cette typologie est parfois appelée "l'agriculture multifonctionnelle".

L'on ne va pas entrer ici trop dans le détail. Le Sommet de Rome quant à lui, a seulement "tenu compte" du caractère multifonctionnel de l'agriculture, incidemment, l'idée étant probablement d'éviter d'entrer dans le débat sur l'agriculture multifonctionnelle ou les aspects non commerciaux de l'agriculture. L'on peut néanmoins se demander, sans contester la validité de certains des arguments avancés par les défenseurs de l'agriculture multifonctionnelle, à quel niveau les pouvoirs publics pourraient intervenir pour garantir les avantages ou services recherchés: alimentation, agriculture, milieu rural, ou encore plan social ou régional? Il est évident que le commerce international a un impact dans tous ces domaines.5 Une autre question est de savoir si toutes les fonctions imputées à l'agriculture multifonctionnelle coexistent avec la fonction principale de l'agriculture, à savoir la production d'aliments, de fibres, etc. Autrement dit, est-il nécessaire de produire ces produits pour obtenir les externalités recherchées? Pas toujours. En outre, il ne faut pas oublier qu'il existe le "critère de nécessité". Autrement dit, une mesure visant à promouvoir l'externalité positive recherchée pourrait-elle être contestée comme étant incompatible avec l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce? L'Article XX de l'Accord stipule que non seulement la mesure en question doit être autorisée au titre des exceptions touchant la protection de l'environnement et de la santé de l'homme mais encore elle doit être nécessaire pour atteindre l'objectif recherché. Jusqu'à présent, aucun organe de règlement des différends a reconnu la nécessité d'une mesure incompatible avec d'autres dispositions de l'Accord, même si son objectif rentrait dans le cadre des exceptions autorisées. D'où l'importance potentielle des arguments liés aux aspects non commerciaux pour les pays industrialisés qui cherchent à protéger leurs secteurs agricoles. Il va de soi qu'aux termes de l'Accord sur l'agriculture, les pays en développement et particulièrement les moins avancés d'entre eux se sont vus accorder une certaine marge de latitude, comme prévu à l'Article 15, pour ce qui est des mesures de soutien de l'agriculture.


Il n'y a pas lieu ici de définir les biens publics et il suffira de dire qu'ils sont non rivaux du point de vue de la consommation et non exclusifs, ce qui revient à dire que si ce "bien" est produit, nul ne peut être empêché de le consommer ou d'en bénéficier: il est consommé collectivement et il n'existe pas de marché pour ce bien. L'origine de ce concept se trouve dans les publications de Paul Samuelsen à partir du milieu des années 50.

2 Voir Non-Trade Concerns in a Multifunctional Agriculture - Implications for Agricultural Policy and the Multilateral Trade System, document présenté par la Norvège, 2 juin 1998.

3 Agricultural Policy: the Need for Further Reform, Réunion ministérielle du Comité de l'agriculture, 5-6 mars 1998, OCDE, document de travail AGR/CA7MIN(98)2.

4 Objectif 3.2.

5La FAO et le Gouvernement néerlandais ont convoqué conjointement une Conférence internationale sur le caractère multifonctionnel de l'agriculture et des terres, qui doit se tenir du 12 au 17 septembre 1999 à Maastricht. Pour plus amples détails et pour les documents, consulter l'adresse: www.fao.org/mfcal.




1 Ce document, établi par M. T.J. Aldington, ancien Conseiller technique principal et Secrétaire du Comité de l'agriculture de la FAO, reflète les vues de son auteur et pas nécessairement celles de la FAO ou de ses Etats membres.

2 Les questions liées à l'alimentation, y compris celles intéressant plus particulièrement les pays développés, ont été examinées lors de la Conférence FAO/OMS sur la nutrition, qui a eu lieu à Rome en décembre 1992.

3 Le texte de chaque engagement (voir encadré 1) ainsi que des "raisons d'agir" et des "objectifs et actions" a été soigneusement élaboré lors du Sommet. Les résumés de chaque engagement, qui figurent dans le présent document, n'en sont pas le texte officiel et ont simplement pour but d'en donner une idée générale.

4 Voir encadré 2 pour la définition précédente, adoptée en décembre 1992 par la Conférence internationale FAO/OMS sur la nutrition

5 Objectif 4.1 d) - En fait, ce paragraphe ne mentionne pas spécifiquement les pays en développement, mais il le fait indirectement et par le biais des autres paragraphes

6 L'Accord souligne les droits des pays membres de l'OMC à protéger la vie et la santé humaine, animale et végétale. Dans le cas de la dioxine, en comparaison avec le précédent cas de la maladie de la vache folle, beaucoup de pays ont rapidement exercé leurs droits et de manière responsable, une fois que les faits initiaux ont été établis. Ainsi, malgré la faillite du système de production et de transformation dans un pays, l'Accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires (en particulier les provisions sur les urgences du paragraphe 7 de l'article 5) a permis la protection de la qualité et de la salubrité alimentaire dans les pays qui ont décidé d'interdire l'importation des produits susceptibles d'infection.

7 Le concept de développement agricole et rural durable a son origine dans le chapitre 14 du Programme Action 21 adopté par la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement.

8 Cette Conférence a débouché sur le Plan d'action mondial pour la conservation et une utilisation durable des ressources génétiques végétales.

9 Les questions liées aux ressources génétiques animales ont été discutées à la huitième session ordinaire de la Commission sur les ressources génétiques pour l'alimentation et l'agriculture en avril 1999.

10 Le processus de révision du paragraphe 3b de l'Article 27 doit commencer en 1999 et celui de l'Accord dans son ensemble en l'an 2000.

11 L'on trouvera une excellente discussion des principaux problèmes et options en rapport avec la révision de 1999 du paragraphe en question dans "Trade, Intellectual Property, Food and Biodiversity", Geoff Tansey, Quaker Peace and Service, Londres, février 1999.

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