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CHAPITRE I
INTRODUCTION

Beaucoup de matières d'origine agricole sont périssables, les altérations se développant par voie microbienne, chimique et/ou enzymatique. De ce fait une des préoccupations constantes de l'homme a, de tout temps, été de chercher à prolonger la durée de vie de ses aliments de manière à en différer dans le temps la consommation.

Traditionnellement les méthodes utilisées à cette fin ont consisté à placer l'aliment dans des conditions d'environnement propices au développement de processus de protection par voies naturelles : déshydratation par exposition au vent, au soleil ou au feu, acidification par fermentation naturelle ou par apport d'acide, abaissement de l'activité de l'eau par salage ou par sucrage, traitement thermique par cuisson et/ou par ébouillantage, refroidissement par maintien dans une ambiance fraîche ou froide (air - eau - glace).

De nos jours, la plupart de ces procédés ancestraux de conservation sont toujours exploités, en particulier au plan de la préparation familiale ou artisanale des aliments en raison de leur facilité de mise en oeuvre et de leur coût réduit. Au plan industriel l'application des mêmes principes a conduit au développement d'appareillages et d'industries spécifiques permettant à l'homme de se libérer au mieux des contraintes naturelles et de traiter des masses plus importantes de produits. Plus récemment des procédés mixtes de conservation combinant des principes différents ont été proposés. Ceux-ci sont destinés à répondre aux besoins de diversification des produits impliqués par une concurrence sévère au niveau des produits traditionnels. D'autre part, le choix est orienté vers des technologies dites douces, peu coûteuses en énergie et répondant à la fois aux exigences de qualité nutritionnelle, organoleptique et hygiénique demandée par le consommateur. Le tableau 1 résume les différentes combinaisons de paramètres permettant d'aboutir à plusieurs procédés de conservation applicables aux aliments.

Tableau 1 PARAMETRES INTERVENANT DANS LES PROCEDES UTILISES POUR LA PRESERVATION DES ALIMENTS (d'après LEISTNER et al., 1981)

ProcédésChauffageRéfrigérationCongélationLyophilisationSéchageMarinageSalageSucrageAcidificationFermentationFumageDésoxygénationA.H.I.Irradiation
Paramètres
Haute températureX(c)*****o*o****o
Basse température*(d)XXoo**o*****o
aw**XXXXXXoX*oXo
pH**oo***XXX***o
Eh****o******X*o
Conservateurs**oo*X***XX*Xo
Flore compétitiveo(e)oooo*oo*Xo**o
Irradiation*ooooooooooooX

X rôle essentiel

* rôle important

o rôle secondaire

En resituant la fabrication fromagère dans ce contexte général de la préservation des aliments, il apparaît que le lait est un produit naturel, très périssable. Cette particularité résulte de ses caractéristiques physiques et chimiques (teneur élevée en eau - pH voisin de la neutralité - richesse en éléments nutritifs variés : lactose - protéines - matière grasse) qui le rendent notamment très propice aux altérations par les microorganismes et les enzymes.

Pour éviter ces évolutions indésirables, plusieurs traitements peuvent être appliqués ; ils conduisent à divers types de produits laitiers dont les voies de transformation et les appellations sont précisées au tableau 2.

En ce qui concerne la transformation du lait en fromages qui fait l'objet du présent article, il ressort du tableau 2 que ce mode de conservation fait intervenir deux paramètres principaux dont l'effet stabilisant est complémentaire : un abaissement de pH obtenu par acidification, un abaissement de l'activité de l'eau résultant principalement de la concentration de la matière sèche par égouttage et du salage.

L'évolution de ces paramètres est réalisée par une séquence d'opérations qui se situent pendant les deux premières phases de la fabrication fromagère : la coagulation et l'égouttage, mais la variation observée n'est pas la même pour tous les fromages et permet de caractériser quatre catégories principales de produits :

Tableau 2 VOIES PRINCIPALES UTILISEES POUR LA PRESERVATION DU LAIT

Traitements appliquésProduit obtenu
Refroidissement T 0,55°CLait congelé
T 15°CLait réfrigéré
Chauffage T 100°CLait pasteurisé
T 100°CLait stérilisé
Chauffage + acidification lactiqueLait fermenté
Chauffage + gélificationLait gélifié et lait emprésuré
  
Chauffage + abaissement de l'activité de l'eau par : 
concentration, puis stérilisationLait concentré non sucré
concentration, puis sucrageLait concentré sucré
séchageLait sec
  
Concentration sélective de la matière grasse par : 
centrifugationCrème
barattageBeurre
chauffage + centrifugationHuile de beurre
  
Concentration sélective de matière sèche par : 
coagulation, puis égouttageFromage
ultrafiltration, puis coagulationFromage ultrafiltré

Tableau 3 CARACTERISATION DE DIFFERENTES CATEGORIES DE FROMAGES PAR EFFETS pH et aw

Catégories de fromagespHaw
Pâtes fraîches4,3 – 4,50,980 – 0,995
Pâtes molles4,5 – 4,80,970 – 0,990
Pâtes pressées4,8 – 5,20,940 – 0,970
Pâtes dures5,0 – 5,20,885 – 0,905

Il convient de remarquer que les valeurs des paramètres indiqués au tableau ci-dessus sont celles observées à la fin de l'égouttage et qu'elles ne sont pas suffisamment basses pour assurer une stabilisation complète du substrat. De ce fait, des transformations dirigées du produit par voies enzymatique et microbienne peuvent intervenir, elles constituent la phase d'affinage qui est pratiquée pour la plupart des fromages en fin de fabrication. Parmi les différents aliments, le fromage possède donc une place tout à fait originale qui le situe dans une classe de produits comprise entre les denrées entièrement stabilisées et celle des denrées très périssables.

Le présent document a pour but de préciser les caractéristiques technologiques des principaux fromages élaborés dans le bassin Méditerranéen, pour cela nous avons établi, selon un plan type, une fiche reflétant le profil individuel de chacun des quelque 80 fromages que nous avons recensés comme représentatifs.

Etant donné que cette région du monde est, d'une part, très morcelée dans sa géologie et sa bioclimatologie, que, d'autre part, elle a été historiquement à la fois soit le berceau, soit le carrefour de plusieurs civilisations, pastorale et marchande, de très nombreuses variétés locales de fromages se sont créées, elles s'élèvent actuellement à plusieurs centaines. Nous avons donc été amenés par souci de simplification à ne citer que le nom de certains fromages lorsque ceux-ci ne constituaient que des variants locaux d'un type principal déjà analysé et défini.

Par ailleurs, il a paru utile à la FAO et à l'auteur de resituer la fabrication de ces fromages méditerranéens dans un contexte plus général en rappelant dans un chapitre séparé les caractéristiques des différentes matières premières pouvant être utilisées ; le lait de vache n'est, en effet, pas le seul à être transformé, les laits de brebis, de chèvre, de bufflesse et de chamelle constituent un apport essentiel dans les productions fromagères de pays à climat semi-aride. Par ailleurs, dans le même contexte, un autre chapitre est consacré aux principes généraux de fromagerie où sont présentés les fondements scientifiques, les finalités et les modalités de mise en oeuvre de chacune des phases de la fabrication fromagère. L'acquisition de ces principes est essentielle pour comprendre et maîtriser l'élaboration des différents types de fromages décrits dans les monographies figurant au chapitre IV.

Enfin, un des objectifs de ce travail étant de promouvoir les fabrications familiales et artisanales de fromages, l'accent a été mis sur la production à petite échelle, les modalités de transformation à l'échelle industrielle ne sont donc mentionnées qu'exceptionnellement.


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