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4ème P A R T I E
RAPPORT DU GROUPE DE TRAVAIL SUR LES IMPLICATIONS SOCIALES DE LA VARIABILITE DES RESSOURCES HALIEUTIQUES

par

M.H. Glantz (Président)*

RESUME
Ce rapport identifie les divers effets de la variabilité des ressources halieutiques sur la société, les différents groupes qui jouent un rôle dans les processus de décision (aux niveaux individuel, national et international), ainsi que les secteurs qui sont le plus sérieusement affectés par les fluctuations de la ressource. Ce rapport offre une discussion sur le développement de certaines pêcheries dans le passé, sur l'origine des problèmes liés à l'aménagement des pêches, sur la participation des scientifiques au processus de décision, et sur les problèmes que ces derniers recontrent au cours de ce processus. Le rapport suggère quelques solutions à ces divers problèmes.

1.   INTRODUCTION

Les populations néritiques de poissons revêtent une grande importance pour les pays qui les exploitent. Elles sont une source directe d'alimentation ou fournissent un complément alimentaire sous forme de farine de poisson. Lorsqu'ils sont exportés,ces produits permettent d'obtenir une quantité non négligeable de devises étrangères. Les populations de poissons pélagiques en particulier sont soumises à de grandes fluctuations d'abondance au cours du temps (Tanaka, 1983; Parrish et al., 1983; MacCall, 1983). L'existence de telles variations importantes et imprévisibles rend difficile l'élaboration de plans d'aménagement visant à maintenir une production et des bénéfices élevés tout en assurant la préservation de la ressource. Dans de nombreuses régions du monde, les scientifiques ont étudié ces fluctuations cherchant à les prédire et tentant de définir quelle devrait être la réponse des décideurs devant l'imminence d'un événement catastrophique affectant les pêcheries. Des fluctuation du domaine géophysique et biologique ont pour conséquence des fluctuations dans les bénéfices que la société peut tirer de l'exploitation des ressources halieutiques. Ceci rend difficile la mise en oeuvre par les décideurs de plans d'aménagement nationaux fondés sur une contribution potentielle stable à long terme du secteur des pêches. Ce sont là quelques-unes des raisons pour lesquelles cette consultation d'experts a été organisée.

Ce rapport présente les conclusions du Groupe de travail qui a été établi pour examiner les implications sociales de la variabilité des ressources halieutiques. Une contribution majeure aux discussions et à l'élaboration de ce rapport a été apportée par R.J.H. Beverton et A. Gumy, qui ont été rapporteurs, ainsi que par B. Brown, D. Butterworth, J. Canõn, E. Kwei et bien d'autres. Le rapport est divisé en cinq parties concernant: les causes possibles de fluctuations des poissons pélagiques néritiques, une description générale des implications sociales des fluctuations des captures de poissons, une discussion générale sur la manière dont certaines pêcheries se sont développées dans le passé, la participation des scientifiques au processus de décision aux niveaux national et international y compris les problèmes qu'ils ont rencontrésau cours de ce processus ainsi que l'origine de certains problèmes et les solutions proposées. Le rapport se termine par une série de recommandations.

*   Chef du Groupe Environmental and Societal Impacts du Centre National de Recherches Atmosphériques, P.O. Box 3000, Boulder, Colorado 80307, Etats Unies

Ce rapport est rédigé en termes généraux et il est évident que tous les exemples donnés ne s'appliquent pas à toutes les pêcheries. Il est aussi important de noter que des systèmes ayant des caractéristiques politiques, économiques et culturelles diverses requièrent des approches différentes en matière d'aménagement des pêches et que réciproquement, des approches similaires peuvent avoir, dans des systèmes de caractéristiques politiques, économiques et culturelles diverses, des conséquences différentes.

2.   FLUCTUATIONS DES CAPTURES DES POISSONS

Une importante caractéristique des populations de poissons susceptible d'affecter la société est l'existence de grandes fluctuations d'abondance globale qui modifient les captures obtenues par l'homme (et les autres prédateurs). Ces fluctuations paraissent particulièrement importantes dans les stocks de poissons néritiques. Dans le passé, lorsque des stocks pélagiques ont brutalement diminué, on a discuté pour savoir si le déclin était avant tout la conséquence des fluctuations de l'environnement ou l'effet de la surpêche. Ceux qui tenaient la pêche pour responsable soutenaient que les populations de poissons auraient probablement pu résister aux fluctuations de l'environnement en l'absence d'une exploitation intensive. Les autres soutenaient avec une conviction égale, et souvent avec des données scientifiques tout aussi convaincantes, que le déclin brutal des débarquements provenait essentiellement des changements de l'environnement. En général, l'effondrement des pêcheries résulte à la fois d'une exploitation intensive et des modifications du milieu. Il n'est cependant pas surprenant que l'opposition des points de vue persiste car les participants au débat tendent à adopter l'un ou l'autre des points de vue. Dans un passé récent, on a observé plusieurs déclins des captures de poissons pélagiques dans des pêcheries telles que la sardine de Californie dans le Pacifique, l'anchoveta du Pérou, et la sardine de Namibie et d'Afrique du Sud. Murphy (1977), a identifié d'autres populations de clupeïdés pour lesquelles s'est produit une diminution brutale des captures: le hareng de Hokkaido-Sakhaline, le hareng atlantoscandinave, le hareng des Downs et la sardine du Japon. Au niveau actuel des connaissances scientifiques, et aussi longtemps que les perceptions du problème resteront opposées, il n'est pas certain du tout qu'il pourra être résolu à la satisfaction de l'un ou de l'autre des deux groupes. Un troisième groupe est apparu qui considére que les deux types de facteurs jouent un rôle équivalent dans l'effondrement de telles pêcheries. Quels que soient les arguments présentés pour étayer les deux premières thèses, il n'existe pas d'exemple de pêcherie qui se soit effondrée alors qu'elle était faiblement exploitée. En outre, il faut noter que dans chacune des pêcheries dans lesquelles s'est produit un effondrement des débarquements (sardine de Californie, hareng atlanto-scandinave, sardine de Namibie et Afrique du Sud et anchoveta du Pèrou, entre autres), une réduction de l'effort de pêche avait été conseillée par les scientifiques avant l'effondrement.

Les fluctuations qui affectent les systèmes politiques et économiques, nationaux et internationaux, peuvent également représenter des sources de variations des débarquements de poissons. Même si la communauté internationale n'est pas directement impliquée dans l'exploitation d'une pêcherie nationale, cette dernière sera affectée par des facteurs ayant leur origine dans d'autres pays. De tels facteurs peuvent modifier l'approvisionnement en poissons et peuvent inclure par exemple les transferts de technologie (y compris l'assistance technique), les changements de politique relative à l'accès libre aux ressources côtières, les besoins en devises étrangères et les prêts des agences internationales de développement. Ils peuvent également affecter la demande en produits de la pêche et peuvent inclure des facteurs tels que la demande internationale, la compétition avec d'autres pêcheries et les prix des produits de la pêche sur le marché mondial. Il existe un troisième ensemble de facteurs qui n'apparaîssent pas directement liés à l'aménagement des pêcheries mais qui peuvent en fait avoir un impact majeur sur ces dernières comme par exemple l'expropriation d'investissements étrangers dans des secteurs autres que les pêches, ainsi que les conflits internationaux en général.

Au niveau national, des changements de gouvernement ou des changements dans les fonctionnaires de l'Etat de divers ministères peuvent affecter les pêcheries. Parmi les autres facteurs nationaux, on peut inclure les conflits entre objectifs visés par les divers groupes de la société dont un certain nombre ne sont même pas directement impliqués dans le secteur de la pêche. Il est important de se souvenir que ce secteur n'est que l'un des sous-systèmes inclus dans un système politico-économique plus large. En outre, le secteur des pêches lui-même est un système complexe dont les membres sont en compétition pour atteindre des objectifs différents.

Dans les deux chapitres suivants on montre comment une pêcherie typique se développe, puis décline. Ces chapitres sont cependant présentés en ordre inverse en abordant d'abord le déclin, car ce sont les conséquences de cette phase pour la société qui sont les moins bien connues.

3.   DECLINS BRUTAUX DES CAPTURES DE POISSONS

Ce chapitre décrit brièvement en termes généraux comment une société typique peut être affectée si les captures de poissons diminuent brutalement sur une période relativement courte et quelle qu'en soit la cause. La courte description qui suit peut sembler une représentation simpliste d'un processus relativement complexe, mais elle permet de suggérer aux autorités (et pas seulement celles qui sont concernées par les pêcheries) qu'une réduction brutale des captures peut avoir pour la société des conséquences importantes. Les effets décrits dans les paragraphes suivants ont été observés au cours de l'histoire d'une ou de plusieurs pêcheries pélagiques qui ont récemment supporté un déclin brutal de productivité ou un effondrement. Tout d'abord, il est important de noter qu'il peut se produire des fluctuations des captures de faible ampltitude, mais également des déclins très importants et persistants. Une baisse temporaire des captures peut par exemple conduire à la banqueroute les producteurs marginaux ou ceux qui dans la pêcheries sont fortement endettés (propriétaires des bateaux, des usines de transformation, etc.). Certains observateurs considèrent cet ajustement comme un processus de rationalisation économique du secteur pêche, alors que d'autres y voient une concentration accrue du capital entre les mains d'un nombre de plus en plus faible d'entreprises industrielles. Il en découle souvent un chômage temporaire, les recettes en devises peuvent décroître (ou elles peuvent s'accroître à cause des relèvements des prix à court terme liés à la raréfaction des produits concernés), et quelques investissements étrangers peuvent être effectués dans la pêcherie. De faibles diminutions des captures n'ont en général que des effets globaux peu importants pour la société, bien qu'ils puissent avoir des effets majeurs pour les individus qui la composent

En revanche, des diminutions importantes et persistantes des captures peuvent provoquer des perturbations sociales, économiques et politiques profondes. Ces perturbations ne seront pas limitées au sectur de la pêche, mais se propageront comme des ondes à travers les divers secteurs de la société. Par exemple, les faillites de grandes entreprises de pêche, apparemment stables, conduisent à des difficultes financiéres financières (y compris l'impossibilité de rembourser des emprunts bancaires ou de l'Etat) des industries connexes telles que les chantiers navals, les fabriques d'engins de pêche, etc. Les hommes d'equipage sont licenciés de même que les ouvriers des usines de transformation et autres industries. Quelques-uns des chômeurs émigrent (avec ou sans leur famille) vers les grandes cités où ils croient trouver de meilleures probabilités d'emploi. Dans certains cas, les licenciements provoquent de l'agitation sociale, et les travailleurs ou les syndicats peuvent réclamer l'assistance du gouvernement pour faire face à la situation, y compris une assistance financière jusqu'à la fin de la crise. Un cas extrême mais pas atypique de pression à laquelle les autorités doivent faire face se produit lorsque les ouvriers occupent leurs usines jusqu'à ce que leur demande d'assistance de la part de l'Etat soit satisfaite.

En réponse à l'accroissement des licenciements d'ouvriers et de marins, et aux problèmes de chômage qui en découlent, les gouvernements peuvent créer des emplois pour les chômeurs dans d'autres secteurs de l'économie ou dans les travaux publics. Souvent, le gouvernement doit en supporter le coût et il apparaît parfois à terme que ces mesures n'ont servi qu'à repousser à plus tard la confrontation avec le mécontentement des travailleurs ou à repousser ce mécontentement d'un secteur à un autre. La reconversion des chômeurs est aussi une perte en ressources humaines (perte des connaissances et de la formation accumulées) et elle entraîne la nécessité de leur donner une nouvelle formation soit sur une base volontaire, soit avec l'assistance de l'Etat.

En ce qui concerne l'Etat, le déclin des débarquements est accompagné par une perte en devises étrangères et peut entraîner la nécessité de renégocier des emprunts à l'étranger, ainsi qu'une perturbation (un retard ou une annulation) des plans régionaux ou nationaux de développement économique qui dépendaient des revenus de la pêche et des secteurs connexes. Il faut aussi faire face aux engagements contractuels pris plusieurs mois plus tôt sur la base des débarquements espérés. L'instabilité apparente dans la disponibilité de la ressource peut conduire à la perte des marchés car les acheteurs doivent rechercher une autre source pour la fourniture du même produit ou bien des produits de substitution. Ce fut le cas au début des années soixante-dix lors de l'effondrement des captures d'anchoveta du Pérou, qui stimula la production de sojaet d'aminoacides, surtout au Brésil et aux Etats-Unies, comme produit de substitution de la farine de poisson dans les aliments composés pour animaux.

Lors d'un déclin brutal des captures de poissons pélagiques, il tend à se produire une concentration plus grande du capital dans un plus petit nombre d'enterprises de pêche car même quelques-uns des plus gros producteurs peuvent être éliminés. Nombre des plus grandes industries qui survivent avaient soit diversifiéleurs investissements financiers avant l'effondrement, soit tenté de la diversifier aprés en investissant dans d'autres secteurs de l'économie de maniére à se protéger contre l'impact financier de telles réductions des captures dans le futur. Dans certains cas, les sociétés en faillite peuvent être reprises par le gouvernement lorsque celui-ci a garanti les emprunts des industriels ou des propriétaires de bateaux pendant la phase de développement de la pêcherie afin de stimuler les investissements. Dans d'autres cas, le secteur des pêches peut être nationalisé ou bien des subventions massives distribuées aux sociétés encore en activité. Dans d'autres cas encore, le déclin rapide des débarquements peut conduire le gouvernement à dénationaliser le secteur pêche si les stocks de poissons restent à des niveaux faibles (par exemple, “reprivatisation” de la pêcherie péruvienne au milieu des années soixante-dix lorsque la flotte fut dénationalisée (mais pas les usines de transformation en farine).

Dans un pays en développement l'effondrement des captures peut avoir des effets catastrophiques durables sur la société, alors que dans les pays développés ces effets peuvent être plus facilement amortis par les autres secteurs de l'économie. Ceci est particuliérement vrai quand le pays en développement dépend de devises étrangères provenant de la pêcherie pour le financement de ses programmes de développement ou quand sa pêcherie repose sur l'exploitation d'un stock important d'une seule espèce au lieu d'une ressource réellement multispécifique.

Finalement, comme on l'a vu dans les plus récents effondrements de pêcheries pélagiques, la réduction brutale des captures est généralement suivie par des demandes, provenant de nombreux services de l'Etat pour une amélioration des études scientifiques coûteuses sur les populations de poissons ainsi que sur les facteurs du milieu qui les affectent, parce qu'il ne semble pas y avoir de consensus sur les causes premières du déclin. En outre, chaque déclin ou effondrement a été suivi, généralement trop tard, par une plaidoirie sur la nécessité d'une rationalisation économique de l'industrie et d'un accroissement des réglementations concernant la pêche.

4.   DEVELOPPEMENT D'UNE PECHERIE NERITIQUE TYPIQUE

Ce paragraphe présente une brève description générale de la manière dont se développe une pêcherie typique en mettant l'accent sur les pêcheries pélagiques. Il est important de noter à nouveau que cette description ne correspond pas exactement au développement historique d'une pêcherie pélagique particulière mais représente au contraire une image composite obtenue à partir de l'historique de plusieurs d'entre elles.

Avant le développement d'une grande industrie des pêches, on rencontre généralement une pêcherie artisanale qui dans la plupart des pays, alimente le marché interieur pour la consommation locale. Lorsque les sociétés de pêche industrielle se développent, de nombreux pêcheurs artisans peuvent rejoindre ce secteur de l'industrie, ce qui a pour conséquence de diminuer les disponibilités locales en poisson et d'élever le coût de ce qui reste disponible. En outre, les captures de la flotte industrielle peuvent réduire la quantité de poisson disponible pour la pêche artisanale, ou bien les prises accessoires des grandes sociétés peuvent entrer en compétition sur le marché avec les captures artisanales. Ces problèmes parmi d'autres, sont la source de conflits entre la pêcherie industrielle naissante et la pêcherie traditionnelle existante.

La phase de croissance d'une pêcherie commerciale importante peut être divisée en deux étapes. Un “développement initial” commence avec la prise de conscience de l'existence d'une ressource importante à un moment où s'accroît la demande nationale et internationale pour des produits de la mer, et où la situation économique et politique nationale est favorable à la mise en exploitation de cette ressource (comme ce fut le cas au Pérou au début des années cinquante et au Chili à la fin de cette décennie).

La matière première est en général mise en boîte, congelée ou réduite en farine. Il est vrai que les industries de la conserve ou de la congélation sont économiquement très importantes en terme d'utilisation optimale des captures mais cependant, la réduction du poisson en farine a été stimulée par une demande beaucoup plus dynamique sur le marché international. En outre, cette réduction est souvent préférée en tant que source de devises étrangères.

Le processus de développement de la pêcherie s'accélère une fois que les composantes de base sont présentes: un accroissement continu de la demande des produits de la pêche (conserves ou farine), et une certaine perception de l'abondance de la ressource (considérée comme presque infinie). La croissance initiale de la pêcherie présente en général les aspects suivants:

- L'investissement s'accroît rapidement au niveau des navires et des usines, ainsi que dans l'infrastructure d'appoint nécessaire. Ces investissements peuvent être d'origine nationale ou internationale. Etant donné que la pêcherie en est encore au premier stade du développement, et que le niveau de risque financier est relativement élevé, l'effort de financement est moins important qu'il ne le sera plus tard au moment de la phase d'expansion (que l'on abordera plus loin).

- De nombreux travailleurs non spécialisés sont attirés vers le secteur pêche, généralement en provenance des secteurs économiques marginaux, y compris les zones rurales agricoles. Ce processus d'attraction s'étend sur toute la région et déclenche une migration vers les zones dans lesquelles les activités de pêche se développent. L'infrastructure urbaine y est souvent insuffisante pour absorber l'immigration.

- Les industries connexes telles que les chantiers navals, les fabriques de filets, les entrepôts, les sociétés d'avitaillement apparaissent progressivement.

- Les technologies modernes sont introduites dans la pêcherie mais leur efficacité est au départ relativement faible à cause de l'inexpérience du personnel. Ce manque d'éfficacité soulève parfois le problème de la pertinence des nouvelles technologies pour cette étape particulière du développement du secteur pêche.

- Le processus d'investissement n'est pas exhaustif et ne couvre pas tous les domaines du secteur pêche. En conséquence, il apparaîtra des hiatus dans l'investissement ainsi que des délais entre les investissements dans les différents domaines du secteur pêche, le long de la chaîne qui va de la capture à la transformation puis à la commercialisation et aux activités connexes. Ces hiatus et délais accroissent les coûts de fonctionnement.

- A ce stade, l'industrie des pêches est généralement une activité rentable, en dépit de sa croissance non structurée et virtuellement anarchique. Les coûts dérivant de l'inexpérience du personnel et des défauts infrastructurels peuvent encore être compensés par les profits réalisés dans le secteur.

- Le rôle direct du gouvernement dans la pêcherie à ce stade de développement n'est pas évident. Son manque de participation reflète généralement la faible importance accordée par les secteur public à cette activité économique et l'intérêt des entrepreneurs à conserver cette activité dans le domaine privé.

- La pollution de l'air et de l'eau s'accroît, essentiellement dans les zones côtières, ce qui peut affecter d'autres activités économiques et sociales potentielles telles que le tourisme.

- A la fin de cette étape (dont la durée dépend d'un certain nombre de facteurs nationaux et internationaux, incluant respectivement la demande sur le marché, les politiques économiques et les stratégies de développement) le secteur des pêches peut donner à l'observateur l'image de la stabilité. La plupart des hiatus en matière d'investissement, apparus pendant la phase initiale de croissance, ont été comblés. Le potentiel exact de la ressource peut encore être inconnu et le fait que celle-ci puisse être affectée par les fluctuations de l'environnement, en raison de la biologie propre de la population, ou à cause de l'environnement socio-économique, peut encore être ignorée; volontairement dans certains cas.

La “phase ultime” de croissance est souvent dominée par les facteurs politiques. Le secteur est devenu important en tant que source principale de devises étrangères et d'emplois, bien que cela varie d'un pays à l'autre. Les représentants des diverses agences gouvernementales ont finalement pris conscience de la nouvelle importance économique et sociale de la pêcherie. Le secteur commence à acquérir une influence plus grande dans le processus de décision et les industries en place (encore peu développées) commencent à percevoir le rôle potentiel de l'Etat pour limiter d'une certaine manière l'accès des nouveauxvenus à la ressource, assurant ainsi, au moins temporairement, une situation plus favorable pour eux-mêmes.

Durant cette phase d'expansion, l'Etat peut avoir une influence considérable sur le taux d'expansion de la pêcherie. En général, les aspects essentiels de cette phase seraient les suivants:

- L'investissement dans la pêcherie s'accroît, favorisé par de faibles taux d'intérêt des prêts à long terme, des licences d'importation et des politiques d'exportation favorables, des emprunts à l'étranger garantis par l'Etat, etc.

- Les investissements publics dans les ports et les infrastructures de service augmentent également.

- Les industries existantes réinvestissent dans le secteur pêche.

- De nouveaux capitaux nationaux et internationaux sont injectés dans la pêcherie.

- Le secteur devient un centre d'attraction de plus en plus puissant pour la maind'oeuvre non qualifiée.

- L'introduction massive de technologies modernes et efficaces s'accélère.

- Les activités scientifiques liées à l'évaluation des ressources s'accroissent sur les stocks exploités.

- Les activités du secteur pêche sont toujours hautement profitables même si les dettes importantes contractées par une partie de l'industrie conduisent cette dernière à faire face aux obligations financières plutôt qu'à planifier la production de manière rationnelle.

- L'industrie acquiert une influence prédominante dans les processus de décision liés directement ou indirectement aux pêches. Les ouvriers s'organisent également de plus en plus et commencent à exercer une influence dans les domaines politiques dont dépendent leurs intérêts.

Lorsque la phase de croissance a atteint son maximum la composante industrielle du secteur pêche, devenue très influente, se trouve à la croisée des chemins. Les fluctuations du marché (des prix et de la demande) ainsi que les fluctuations de divers aspects de l'économie nationale (inflation, taux de change, balance des paiements, etc.) ont conduit à l'élimination de nombreux opérateurs économiques marginaux (plus petits et/ou moins performants). Cela conduit à une concentration accrue du capital industriel tendant, entre autres effets poisitifs et négatifs, à accroître l'efficacité industrielle par l'intermédiare d'une coordination à grande échelle des facteurs de production. La surcapacité des flottes et de l'outil de transformation est reconnue mais non réduite. Les prévisions de gain de l'industrie restent généralement élevées parce que cette dernière s'attend à ce que l'appui de l'Etat neutralise les effets adverses des fluctuations de l'économie nationale.

A ce stade, une portion politiquement non négligeable de la population est devenue directement ou indirectement dépendante du secteur pêche. La contribution de ce secteur à l'économie pour les aspects sociaux et le développement est importante. Le gouvernement commence à solliciter (mais pas nécessairement à accepter) un avis concernant la ressource auprès de la communauté scientifique. A ce stade également, les conflits entre les objectifs des divers secteurs, qui sont restés latents pendant la croissance initiale, commencent à se manifester.

5.   LE ROLE DES SCIENTIFIQUES DES PECHES DANS LE PROCESSUS DE DECISION

La participation et l'influence des scientifiques dans le processus de décision varient évidemment d'un pays à l'autre et peuvent même varier d'une administration à l'autre, spécialement lorsque l'avis scientifique n'est pas encore institutionnalisé. Il serait extrêmement utile de disposer d'une série d'études de cas montrant comment les scientifiques élaborent les recommandations à l'intention des autorités et comment ces dernières les utilisent dans l'élaboration des politiques des pêches. Des études similaires sont également nécessaires pour savoir comment les autres parties prenantes, telles que l'industrie des pêches ou les groupes pour la conservation de la nature, élaborent leurs recommandations et comment elles les insèrent dans le processus de décision. Il semble que ces sujets soient souvent discutés de manière anecdotique et qu'une évaluation systématique de l'objectif soit nécessaire.

Il existe plusieurs organisations internationales, avec divers degrés de responsabilité, fournissant des avis sur l'aménagement des stocks de poissons dans différentes parties des océans du globe. Les caractéristiques des procédures suivies par plusieurs de ces organisations sont bien décrites. Il serait cependant nécessaire de savoir si les décisions dans ces organismes se fondent sur la meilleure information scientifique disponible ou sont le résultat d'un compromis entre participants (science par consensus). Certains observateurs pensent fermement que l'essentiel des manipulations au sein de ces organisations consiste en une distorsion de l'information de manière à satisfaire les besoins de certains groupes d'intérêts ou pays. Est-ce que les mécanismes institutionnels en place sont à la hauteur des besoins des communautés de pêcheurs et des autorités nationales?

Dans les pays en développement il existe également des forums régionaux où les scientifiques des pays membres se rencontrent périodiquement au cours de séminaires, ateliers, et groupes de travail (Comité des Pêches pour l'Atlantique Centre-Est (COPACE), Commission Permanente pour le Pacifique Sud (CPPS), Conseil général des Pêches pour la Méditerranée (CGPM), Commission des Pêches pour l'océan Indien (CPOI), Système Economique Latino-Américain (SELA), Commission des Pêches pour l'Atlantique Centre-Ouest (COPACO), etc.). Des informations y sont échangées et des activités conjointes proposées, souvent entreprises et ultérieurement évaluées. L'intensité de ces activités varie d'une région à l'autre. En raison de la nature de leurs statuts et de leur mode de fonctionnement, certains de ces organismes n'ont pas encore réussi à faire parvenir jusqu'au niveau des autorités appropriées leur conclusion scientifique et recommandations en matière d'exploitation et d'aménagement des ressources halieutiques.

5.1   Quelques problèmes recontrés par les halieutes dans le processus de décision national

Dans ce paragraphe, on présente les problèmes rencontrés par les scientifiques et quelque solutions possibles sont suggérées. Ces problèmes ne représentent pas forcément ceux que l'on a rencontrés dans une pêcherie particulière, mais représentent un ensemble composite tiré de l'expérience de scientifiques concernant plusieurs pêcheries pélagiques.

- Les scientifiques sont supposés fournir des conclusions en résponse à des demandes d'avis et ce dans un laps de temps déterminé. Dans de nombreux cas cependant, l'information n'est pas disponible ou ne peut être traitée à temps.

- La ressource elle-même varie dans le temps, de sorte que les conclusions scientifiques essentielles d'aujourd'hui peuvent être modifiées, parfois radicalement, dans le futur. Les évaluations sont en général en retard de un à cinq ans à cause des délais dans la collecte et l'analyse des données.

- Ces facteurs et bien d'autres impliquent que les évaluations scientifiques ne peuvent jamais être ni précises, ni immuables. Le scientifique est donc toujours confronté au problème qui consiste à convaincre le politicien réticent ou le pêcheur sceptique qu'il est réellement en mesure d'effectuer une évaluation fournissant une base rationnelle pour les décisions.

- Pour quantifier ces évaluations, le scientifique doit essayer d'en donner les limites de confiance. Ces limites, bien que scientifiquement valables, peuvent être larges et exposent le scientifique à la critique: “il ne sait pas de quoi il parle!”.

- Confrontées à des valeurs desagréables fournies par le scientifique, les autorités choisiront presque toujours à l'intérieur des limites de confiance la valeur qui leur convient le mieux. Le scientifique pourrait anticiper la réaction des autorités et modifier sa présentation en conséquence.

- Les scientifiques se trouvent souvent confrontés aux objectifs politiques, industriels et autres. Ceci rend la mise en oeuvre d'une fonction rationnelle de conseil scientifique très difficile et les scientifiques doivent être prêts à défendre leurs conclusions face à des opinions contraires, souvent irrationnelles. Le problème posé est que les scientifiques ne peuvent se baser que sur la quantité et la qualité des données et de la connaissance disponible (dépendant en partie du budget et de l'appui fournis par d'autres secteurs), alors que d'autres personnes dans le système, ont des arguments politiques, économiques et sociaux plus puissants (souvent émotionnels et moins scientifiques). Afin d'influencer les autorités les autres partenaires peuvent affirmer qu'ils veulent maintenir une production élevée, des profits, de l'emploi, etc., alors que les scientifiques disent en général qu'ils veulent éviter la surexploitation et accroître les probabilités de préserver la ressource.

- Le processus normal du débat scientifique donne, s'il se déroule dans un forum non spécialisé, une impression d'incompétence et/ou d'ignorance. Ce débat doit donc être conduit dans un forum scientifique et ce qui peut ou qui ne peut pas être conclu doit ensuite être présenté clairement au public.

- Les évaluations prédictives en matière de pêche, comme c'est souvent le cas dans ce genre d'aventure, seront parfois erronées. De telles erreurs seront inévitablement utilisées pour saper la confiance accordée aux scientifiques.

- Un cas particulier d'évaluation prédictive est celui du calcul du “risque d'effondrement”. On demandera au scientifique de justifier comment il peut prouver la nécessité d'une action préventive seulement sur la base d'une évaluation statistique.

- Finalement, le scientifique réalise que les responsables auxquels il fournit de l'information ont le plus souvent de grandes chances d'être remplacés, généralement par des gens moins familiarisés avec sa propre institution de recherche et avec les activités d'évaluation, et que tout le travail effectué (y compris les efforts consentis pour mériter la confiance des décideurs) devra être recommencé.

5.2   Solutions suggérées pour résoudre ces problèmes

Le conseiller scientifique doit accepter comme une réalité le fait qu'il devra généralement travailler dans une atmosphère soit indifférente, soit hostile à ses évaluations. On a justement dit qu'il n'existe pas de moment approprié pour ordonner à un pêcheur d'arrêter; si la situation est bonne, ils ne voudra pas écouter et si elle est mauvaise il ne le pourra pas.

Néanmoins, le processus d'éducation des administrateurs concernant les bases scientifiques de l'aménagement doit être poursuivi sans relâche et de toutes les façons. C'est alors seulement que l'on pourra raisonnablement espérer que le scientifique sera écouté et compris lorsqu'un effondrement des captures se produira.

Une certaine confiance doit s'établir entre décideurs et scientifiques de manière à ce que les premiers croient les seconds capables de: 1) savoir de quoi ils parlent, 2) admettre honnêtement leur ignorance le écheant, 3) être impartiaux, c'est-à-dire n'avoir pas de préference particulière envers une politique plutôt qu'une autre, 4) être prêts à mettre leur statut scientifique et leur intégrité en jeu pour défendre leur avis comme étant le meilleur et le plus efficace possible étant donné les circonstances, 5) ne pas craindre d'admettre qu'ils se sont trompés.

Il est important de souligner que les décideurs devraient pouvoir en attendre autant de la part des autres groupes d'intérêts (tels que l'industrie ou les écologistes) fournissant également des avis et des recommandations. Le décideur devrait être capable d'apprécier les biais et la crédibilité relative de chaque source d'avis. Les scientifiques et leurs conclusions sont soumis à un processus permanent d'évaluation par leurs pairs, alors que les autres parties concernées ont souvent la possibilité d'éviter un tel examen critique de leurs conclusions.

Bien qu'il soit tentant de délivrer des évaluations scientifiques “amorties” de manière à les rendre plus acceptables, cette tentation doit être considérée avec prudence. Ceci peut se retourner, tôt ou tard, contre les scientifiques qui auront ainsi perdu de leur crédibilité. Cependant, il est parfois difficile d'agir autrement car trop souvent la politique considerée comme la meilleure est rejetée parce que trop extrême, sans laisser la place à une politique de rechange. Il peut donc être parfois nécessaire, d'“amortir” les évaluations pour obtenir des résultats, mais cela devrait être fait de manière constructive en travaillant avec les décideurs.

L'évaluation des pêcheries est un exercice scientifique très sophistiqué demandant une grande variété de compétences, une connaissance approfondie de la biologie du système, et une bonne compréhension des opérations de pêche et de l'industrie. On a tout à gagner à la considérercomme telle et à en exposer les conclusions à la critique scientifique ouverte. Les évalutions, ainsi que la confiance que peuvent lui accorder les décideurs, seraient ainsi améliorées.

La communauté des scientifiques des pêches étant essentiellement internationale, il serait souhaitable lorsque c'est possible, de soumettre régulièrement les évaluations à une revue critique par les scientifiques au niveau international. Les décideurs n'auraient ainsi pas à rechercher d'autres opinions dans l'espoir d'obtenir d'autres conclusions politiquement plus attrayantes. On peut noter à ce sujet le rôle croissant des scientifiques recrutés comme consultants par l'industrie pour donner leur point de vue sur l'exploitation des ressources et en souligner les incertitudes.

Les scientifiques doivent comprendre les nécessités du décideur, y compris l'action qu'il a entreprise, et les raisons pour lesquelles il le fait (ceci est important pour que le scientifique puisse donner des avis valables). Le décideur doit aussi être en mesure de comprendre l'avis scientifique et les autres avis qu'il reçoit concernant la pêcherie. Des conseilers internationaux sont beaucoup plus susceptibles d'être objectifs mais peuvent manquer de connaissances approfondies sur la pêcherie et ses particularités; ces obstacles ne devraient cependant pas être trop difficiles à surmonter.

5.3   Origine de quelques problèmes liés à l'aménagement des pêches

Les problèmes rencontrés par les halieutes au cours du processus de décision proviennent pour une large part de facteurs qu'ils ne contrôlent pas beaucoup. Quelques-uns des facteurs significatifs que l'on peut discuter sont: les conflits entre échelles de temps, la perception de l'abondance de la ressource, les incertitudes concernant la situation physique et sociale, le fait que la pêche est un sous-secteur de la société et la nécessité de tirer les leçons du passé.

5.3.1 Les échelles des temps

Leur importance ne doit pas être sous-estimée. Les stocks pélagiques sont souvent éruptifs par nature et en conséquence peuvent présenter des taux d'accroissement importants du potentiel pendant plusieurs années. Des captures excédant la production de remplacement ne peuvent donc pas être soutenues longtemps et la biomasse de “réserve” est rapidement décimée. Les stocks peuvent être réduits de manière préjudiciable à des niveaux faibles par la surexploitation, pour des périodes aussi courtes que un ou deux ans.

A long terme, de nombreux stocks pélagiques ont des rapports production/biomasse faibles mais en raison de leur nature éruptive (corrélation sérielle, etc.) et de leur forte variabilité, ils peuvent être hautement productifs sur des péroides de durée moyenne. C'est surtout l'échelle des temps qui caractérise les éruptions qui est importante dans le cas des pêcheries pélagiques. La décimation du stock est très rapide une fois l'éruption terminée et le potentiel reproductieur doit être maintenu à un niveau minimal pour permettre aux éruptions d'atteindre des niveaux intéressants. Des procédures d'aménagement souples permettant de réagir à des échelles de temps inférieures à l'année, sont donc nécessaires pour le cas où la surpêche deviendrait évidente.

Ceux qui ont pour tâche de comprendre les conséquences de l'instabilité des captures sur la société doivent, comme les biologistes, les climatologistes et les océanographes avoir constamment à l'esprit, au cours de leurs recherches, la pertinence des différentes échelles de temps. Par exemple, différents groupes peuvent estimer différemment la valeur des options futures en fonction de leurs besoins et leurs objectifs propres. Les pêcheurs peuvent considérer que des échelles de temps de l'ordre du jour ou de la semaine, sont les plus importantes en ce qui concerne leurs objectifs, alors que les industriels peuvent raisonner en termes de saisons ou d'années. Les responsables politiques peuvent réagir en fonction de périodes de l'ordre de la décade pour ce qui concerne le développement à long terme, ou de l'ordre de l'année pour les échéances politiques à court terme, ou encore à des échéances encore plus courtes lors des crises auxquelles ils doivent faire face, non seulement dans le domaine des pêches, mais également dans les autres secteurs de la société (élections, changements de gouvernement). Par dessus tout ceci la nature superpose ses propres échelles de temps qui vont de quelques heures à des siècles. Souvent, les objectifs et les bénéfices àcourt terme dominent les considérations à plus long terme qui deviennent souvent des coûts très lourds qui devront être supportés par les générations futures (de pêcheurs et d'hommes politiques). Les opérateurs économiques qui sont à l'origine de ces objectifs et échelles de temps conflictuelles (profiter suffisament de la décision pour consolider sa position; gagner assez d'argent pour nourrir sa famille pendant la semaine; faireune saison suffisamment profitable pour permettre l'amortissement des emprunts d'équipement, le paiement des factures concernant les navires, les filets, etc.; réaliser au cours des prochaines années des profits suffisants pour acheter une maison; tirer suffisamment de bénéfices de la pêcherie pour subventionner le développement économique) doivent prendre en compte les différentes échelles de temps naturelles lorsqu'ils discutent sur la manière d'exploiter ces stocks extrêmement variables. La société, à tous les niveaux sociaux d'organisation, y compris à celui des décideurs, perçoit en général les ressorces pélagiques comme abondantes et dans certains cas, pratiquement illimitées. Cependant, le fait est que la capacité d'une population de poisson à se régénérer est directement liée à l'équilibre établi entre son taux de régénération, affecté par les processus de l'environnement, et son taux d'exploitation. Les prédateurs sont non seulement les autres espèces marines, mais également les pêcheurs avec leurs sennes tournantes. Même les fluctuations de l'environnement (et celles de variables physiques qui le caracterisent autour de leur moyenne) peuvent jouer un rôle important en amplifiant les effets des prédateurs et des autres causes pouvant affecter la capacité de régénération de la population. Ceci implique que les populations de poissons pélagiques doivent seulement être considérées comme des ressources renouvelables “au conditionnel” et être gérées plus rationnellement encore que les autres.

5.3.2 Perceptions de l'abondance

Les pêcheurs et l'industrie des pêches fondent leurs appréciations de l'abondance de la ressource sur le type d'indice auquel ils sont sensibles, c'est-à-dire les rendements ou la cpue. Ceci implique cependant qu'ils peuvent ne pas apprécier le fait que (a) lorsque la capturabilité est inversement proportionnelle à la biomasse, les rendements peuvent se maintenir en dépit d'une diminution de l'abondance et, (b) lorsque la sélectivité change avec l'âge, l'évolution des cpue est en retard par rapport à celle des biomasses totales de sorte que les rendements diminuent quelque temps seulement après une diminution générale de la biomasse totale. De plus, même si l'industrie des pêches percevait une chute des rendements, elle pourrait ne pas accepter de le reconnaître sachant que cela entraìnerait des perturbations des activités de pêche. Les prix peuvent également augmenter lorsque les rendements baissent diminuant ainsi la perception que les pêcheurs peuvent avoir du déclin des ressources.

Dans les cas où une pêcherie démarre quand la biomasse de la ressource est à un niveau sensiblement plus élevé que celui qui correspond à la “charge biologique” moyenne du milieu, les captures initiales seront réalisées non seulement par prélèvement de la production annuelle de la ressource mais également (en proportion parfois majeure) par amputation de la biomasse initiale. C'est un bénéfice exceptionnel qui ne se reproduira plus mais il contribue à fausser les projections des entreprises concernant les captures réalisables à long terme, conduisant à des espérances démesurées et par conséquent à un surinvestissement et à une surpêche.

5.3.3 L'aménagement dans l'incertitude

Un des principaux problèmes que les administrateurs des pêches doivent aborder est celui de l'incertitude au niveau de l'environnement physique et de ressources, et incertitude de l'information scientifique et de celle qui concerne les systèmes économiques sociaux et politiques. Dans le domaine des sciences biologiques, les inconnues liées à l'environnement sont soulignées et discutées par les scientifiques; elles gênent cependant beaucoup les autorités. Etant donné qu'il existe dans la société des conflits d'intéreêts, l'incertitude scientifique introduit suffisamment de doutes sur la situation réelle que le politique a souvent la possibilité de ne pas tenir compte de l'information qui lui est fournie (spécialement si des conclusions scientifiques opposées s'annulent mutuellement) pour prendre des décisions lui permettant de réduire l'incertitude relative à son propre environnement politique et économique.

Les crises qui éclatent dans la société requièrent l'attention immédiate des décideurs. Lorsque l'information biologique ou concernant l'environnement est incertaine, ils ont alors la possibilité de “tenter le sort” pour atteindre un objectif à très court terme en prenant le risque d'une catastrophe qui pourrait se produire (ou non) dans le futur dans un laps de temps non défini. Avant qu'il apparaisse clairement que cette décision était erronée, les decideurs concernés ne pourront probablement plus en être tenus responsables car ils auront changé de poste ou d'administration. Les responsables peuvent donc utiliser l'incertitude à leur avantage, quand ils le jugent utile, parce qu'on ne pourra pas leur attribuer la responsabilité de l'échec: “le succès à plusieurs pères, mais l'échec est orphelin”.

5.3.4 La pêche en tant que sous-secteur appartenant à des systèmes plus vastes

Dans les pays en développement, la pêche est considérée soit comme une source de nourriture, soit comme un élément du secteur d'extraction des ressources naturelles. La priorité accordée à ces deux catégories déterminera l'importance du rôle du secteur pêche. Si la pêche est considérée comme une activité alimentaire, l'état des disponibilités alimentaires et la demande en protéines pour contribuer à la santé nationale deviennent des facteurs importants. La disponibilité d'autres sources de protéines déterminera l'importance accordée au poisson en tant que source alimentaire, bon marché ou de premier choix.

Si la pêcherie est considérée comme un important secteur d'extraction, son rôle en tant que source de devises étrangères ou facteur d'accroissement du revenu par habitant devient essentiel. Si elle devient une source primordiale de devises étrangères, comme dans le cas de l'anchoveta et maintenant dans le cas de la sardine au Pérou et au Chili, son importance s'accroît au sein du système économique général; la pêche n'est cependant pas seulement une activité économique, mais c'est également une activité presentant des aspects politiques culturels et sociaux. Il est donc nécessaire, pour comprendre comment une pêcherie particulière est organisée et comment elle doit être gérée, que les recherches soient effectuées par des sociologues aussi bien que par des spécialistes de la ressource ou de l'industrie (Glantz, 1983).

5.3.5 Les leçons du passé

On dispose maintenant d'une série toujours plus longue d'exemples d'effondrement des captures pélagiques néritiques dans diverses régions du monde è des moments différents: sardine d'Afrique du Sud et Namibie, anchoveta du Pérou et du Chili, hareng de Hokkaido-Sakhaline, sardine de Californie, etc. Il n'existe d'une manière générale pas d'accord tope sur leurs causes. Les perturbations sociales qui en ont résulté ont bien été relevées mais sous une forme ne permettant pas une analyse comparative. Les conséquences pour la société d'un effondrement des captures diffèrent autant que les systèmes socio-politicoéconomiques dans lesquels ils se produisent. Si le secteur des pêches d'un pays a été longtemps étroitement dépendant d'une unique population de poisson (comme le Pérou dans les années soixante), les perturbations sociales seront plus importantes que pour un pays exploitant des resources multispécifiques. Il serait temps d'assembler ces exemples concernant l'impact de l'effondrement des captures en passant du domaine de l'anecdote à celui de l'analyse comparative. Une des manières les plus importantes de préparer le futur est de mieux comprendre le passé. Les scientifiques et les décideurs devraient se demander à quel moment ils auront collecté assez d'informations sur les conséquences pour la société des effondrements de captures.

6.   RECOMMANDATIONS

a) Etant donné les conséquences sociales et économiques importantes qui peuvent découler des grandes fluctuations des captures qui affectent de nombreuses pêcheries pélagiques néritiques, les décideurs doivent être informés du nombre croissant d'exemples de perturbations sévères résultant de l'exploitation inconsidérée de telles ressources.

b) On devrait comparer les effets d'un arrêt de la pêche provoqué par une décision d'aménagement prise lors des premiers symptômes de déclin de la productivité biologique avec les effets d'un arrêt plus tardif rendu inévitable par une réduction brutale du stock.

c) Lors de l'aménagement des ressources néritiques, les décideurs devraient considérer davantage les intérêts à long terme de la société que les intérêts politico-économiques à court terme qui tendent à dominerle processus de décision.

d) Ce processus formel devrait prévoir un groupe consultatif contenant un large éventail de groupe d'intérêts (y compris les scientifiques) allant du domaine de la préservation de la nature à celui de l'exploitation. Ce groupe consultatif ne devrait cependant pas remplacer le Conseil scientifique dont le rôle devrait être renforcé.

e) Des mesures économiques devraient être utilisées pour décourager une croissance additionnelle de la pêcherie avant que le déclin de la ressource ne dicte lui-même la marche à suivre. Les banques et les institutions de financement des programmes de dêveloppement doivent être informées et leurs actions coordonnées avec celles des autorités chargées de l'aménagement. On devrait aussi examiner la possibilité de mettre en oeuvre des mesures économiques permettant par exemple de soutenir le secteur en période de vaches maigres, de racheter les navires pour réduire l'effort et pour encourager la diversification (ceci devrait être effectué pendant la phase de croissance initiale).

f) Les évaluations scientifiques doivent être discutées d'une manière aussi large que possible, particulièrement au sein de la communauté scientifique nationale et internationale. Les résultats de ces évaluations devraient être publiés en temps utile. Il est essentiel que l'évaluation scientifique soit indépendante pour être impartiale. Le scientifique ne doit pas être forcé par son autorité de tutelle de fournir des projections plaisantes en contradiction avec les conclusions scientifiques disponibles.

g) Les scientifiques doivent avoir la possibilité de présenter personnel lement leurs résultats, de répondre aux questions et aux critiques et de confirmer ou modifier leurs conclusions. Toute autre procédure serait la source de malentendus et conduirait à une perte de confiance.

h) On devrait développer un système efficace de communications entre les scientifiques, les administrateurs des pêches et les décideurs de mainère à développer une compréhension appropriée et une atmosphère de confiance mutuelle. Ce système devrait être institutionnalisé et ne pas dépendre du caractère des individus impliqués à un moment donné.

i) Les modèles de dynamique des stocks conduisent à la meilleure estimation possible des captures courantes mais prennent en compte uniquement les facteurs biologiques. Il est cependant clair que d'autres considérations sociales, politiques et économiques jouent un rôle important dans la prise de décision finale en matière d'aménagement. Il serait nécessaire que chacune de ces considérations et leurs alternatives soient examinées à fond comme le sont les considérations biologiques. Tous ces facteurs doivent être identifiés et évalués de manière à comprendre comment doivent être gérées les pêcheries.

j) Un plan d'aménagement devrait être, établi, dans le cadre duquel les halieutes devraient travailler en liaison étroite avec les sociologues et les économistes de manière à mieux aider les décideurs à jouer leur rôle de responsables de la conservation des ressources vivantes devant la société, surtout lorsqu'il existe un haut niveau d'incertitude concernant la ressource et son exploitation.

7.   REFERENCES

Glantz, M.H., 1983 Man, state, and fisheries: an inquiry into some societal constraints that affect fisheries management. FAO Fish. Rep./FAO Inf.Pesca, (291) Vol.3:871–918

MacCall, A.D., 1983 Variability of pelagic fish stocks off California. FAO Fish. Rep./FAO Inf. Pesca, (291) Vol.2:101–12

Murphy, G.I., 1977 Clupeoids. In Fish population dynamics, edited by J.A. Gulland. New York. Wiley-Interscience, pp. 283–308

Parrish, R.H. et al., 1983 Comparative climatology of selected environmental processes in relation to eastern boundary current pelagic fish reproduction. FAO Fish.Rep./ FAO Inf.Pesca, (291) Vol.3:731–76

Tanaka, S., 1983 Variation of pelagic fish stocks in waters around Japan. FAO Fish.Rep./FAO Inf. Pesca, (291) Vol. 2:17–36


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