Recommandations pour la conception de programmes dactions visant à améliorer les systèmes de distribution alimentaire des villes
Lorganisation de la distribution alimentaire urbaine est relativement satisfaisante en terme de disponibilités physiques et de répartition de ces disponibilités dans la ville.
Trois principales recommandations peuvent être faites dans la perspective de programmes dactions. Elles concernent dune part laccès des urbains aux produits animaux, dautre part, lamélioration des conditions sanitaires de préparation et de distribution, et enfin, le développement du secteur de transformation agro-alimentaire des produits locaux.
· Lamélioration de laccès aux produits animaux
Laccès aux produits animaux à Ouagadougou est problématique pour une majorité de ménages et relève essentiellement dun problème de prix. La viande est consommée en faibles quantités par une majorité de ménages, et de façon très occasionnelle (2 à 3 fois par mois) par les ménages défavorisés.
Lamélioration des conditions daccès à la viande est essentiellement dépendante dune baisse des prix. Une étude approfondie sur lorganisation de la filière viande en ville devrait permettre de déterminer si des actions telles que le crédit aux bouchers abattants ou aux bouchers détaillants serait source de diminution des prix aux consommateurs. Les bouchers abattants et détaillants sont conscients de certains problèmes dorganisation et sont dans une situation délicate où réglementation juridique et réglementation informelle se contredisent parfois. De plus la dévaluation du FCFA a sensiblement modifié les flux (exportations vers les pays côtiers) et les prix (augmentation du prix au consommateur).
Certaines recommandations sont parfois émises quant à lorganisation de la vente urbaine mais ne semblent pas toutes prioritaires.
- La vente en tas a plusieurs fois été remise en cause pour imposer la vente au kg, y compris sur les marchés. En ce qui concerne la forme de découpe de la viande, le mélange des viandes à cuisson lente et à cuisson rapide peut poser problème. Pourtant ce style de vente est parfaitement en adéquation avec les modes de consommation et dapprovisionnement. La viande est principalement consommée en ragoût, elle fait partie des condiments de sauce. Elle est assez rarement préparée à leuropéenne (comme les steaks). Tant que laccès à la viande sera aussi coûteux, peu de ménages pourront soffrir le luxe doffrir à chaque membre du ménage de la viande préparée à part entière (hors de la sauce). Cest certainement lévolution des modes de consommation alimentaire et du pouvoir dachat qui seront loccasion de distinguer de nouveaux types de morceaux.
- Les conditions hygiéniques de vente sont parfois soulevées comme étant problématiques. Cependant, le problème dhygiène est beaucoup moins soulevé que les conditions sanitaires dabattage qui font lobjet dune plus grande préoccupation. Les services vétérinaires contrôlent quotidiennement les carcasses à la sortie de labattoir. Les saisies effectuées occasionnent de fortes pertes aux bouchers abattants, eux mêmes surpris davoir acquis une bête malade. Certains dentre-eux pratiquent ainsi labattage clandestin, et les risques pour le consommateur sont réels. La campagne de sensibilisation des consommateurs à ces risques semble avoir été concluante: beaucoup de ménagères recherchent le tampon de labattoir sur la carcasse avant dacheter. Pourtant labattage clandestin est encore fréquent, notamment dans les zones éloignées de labattoir, et trouve des acheteurs.
Il pourrait être envisagé de placer des services vétérinaires de contrôle sanitaire plus en amont de la filière, sur les marchés du bétail en zone rurale. Les bouchers acheteurs seraient ainsi assurés dacquérir une bête qui ne soit pas saisie par les services vétérinaires de labattoir.
- La question de la réhabilitation de labattoir frigorifique de Ouagadougou a été posée suite à la dévaluation du FCFA. Les avantages évoqués pour le marché intérieur sont daméliorer les conditions sanitaires de distribution de la viande et de faciliter son écoulement en diminuant les besoins danticipation de la demande au jour le jour. Toutefois, les préférences des consommateurs pour la viande fraîche, et laugmentation du coût de la viande que la chaîne du froid instaurerait, ne plaident pas encore en ce sens. On peut cependant envisager des améliorations sanitaires au niveau de la manipulation des viandes, et des infrastructures de vente.
Le poisson est beaucoup plus accessible que la viande en terme de prix, sil est utilisé en condiment de sauce. Mais dès que lon souhaite augmenter les quantités, notamment consommer du poisson entier (frais ou fumé), il devient moins accessible.
Une étude de la filière poisson serait, comme pour la viande, souhaitable afin de déterminer lorganisation qui permettrait au mieux de réduire les coûts.
Les poissons de mer et poissons deau douce napparaissent pas comme deux filières concurrentes, au regard de leurs utilisations dans les plats. Il ne semblerait donc pas contradictoire de réduire la taxation sur les poissons de mer importés, tout en favorisant la production locale de poissons deau douce. Concernant ce dernier, le développement de la production mais aussi des ateliers de séchage et fumage des poissons pourrait être utile.
Différents axes de développement pourraient être ainsi envisagés:
- faciliter léquipement des pêcheurs en matériel de pêche (ouverture dun magasin de vente de matériel à crédit);Nombreux aliments locaux, riches en protéines végétales, sont disponibles sur les marchés (annexe 6). Les consommateurs ne sont cependant pas toujours conscients des apports nutritionnels de ces produits locaux. Des stratégies commerciales, publicitaires, ou informationnelles peuvent aider à revaloriser ces produits, notamment auprès des jeunes qui sont les premiers à les déprécier. La diffusion dinformations sur la valeur nutritionnelle de ces produits peut paraître intéressante, mais nest pas forcément une condition suffisante pour rehausser limage de ces produits auprès des consommateurs qui ont aussi dautres attentes que celles nutritionnelles. Les stratégies de valorisation des produits locaux qui passent par la création de nouveaux produits, de nouvelles gammes, de nouvelles utilisations, ou de nouvelles présentations sont à étudier.- formation des pêcheurs (la pêche nest pas une activité traditionnelle au Burkina, et a été initiée par des migrants maliens);
- former des femmes qui interviennent dans le séchage et fumage. Lintroduction de fumoirs améliorés a été initiée;
- rechercher des moyens de lutte contre les insectes ichtyophages;
- développer des moyens de réfrigération ou congélation plus accessibles en terme de manutention et de coût (action initiée par lIBE).
· Lamélioration des conditions sanitaires de préparation et de distribution alimentaire
Des programmes damélioration des conditions sanitaires autour de lalimentation pourraient prendre deux directions.
- La réhabilitation des marchés: constructions en dur (notamment sols cimentés, toitures et murs). De telles installations nexistent que pour le grand marché et pour les hangars de vente de viande dans certains marchés. Elles permettraient de parer aux vents de poussière (fréquents en période dHarmattan), et déviter que les produits, parfois exposés par terre sur des sacs, soient mêlés à la poussière. Il serait dailleurs souhaitable de généraliser la mise en place de bennes à ordures en différents points des marchés, pour éviter la dégradation des produits frais «périmés» à même le sol.· La transformation des produits locaux- La proposition de services de conseils en matière dhygiène sur les conditions de vente et de préparation des produits (y compris pour les vendeuses qui préparent à domicile). Il faudrait envisager que les intéressés par ces programmes bénéficient en retour, sous contrôle régulier quant au respect de certaines règles, dun signe de reconnaissance légal, visible par les consommateurs. Ce signe jouerait le rôle dassurance sur le respect de normes dhygiène.
Les produits locaux, notamment céréaliers, peuvent faire lobjet dune meilleure valorisation agro-alimentaire.
La recherche de diversification alimentaire des ménages urbains, et pour certaines ménagères, dune réduction des activités de transformation domestique, justifie lintérêt déjà porté au développement dun secteur de transformation agro-alimentaire. Il semble toutefois utile de profiter des enseignements quapporte lanalyse des pratiques dapprovisionnement.
- Lincertitude sur la qualité des produits: dans de nombreuses situations, les consommateurs sont dans lincertitude lors de lacquisition des produits. Cette incertitude est particulièrement marquée en ville où le marché sagrandit et les règles du commerce se modifient. Les consommateurs achètent à des intermédiaires (commerçants) et non aux producteurs, à des vendeurs et non à des parents. Cette incertitude est particulièrement marquée pour des produits qui incorporent une large part de services (produits transformés). Les consommateurs sont amenés à suspecter une partie des commerçants et même des préparatrices, sous prétexte que leur seul objectif est de faire du profit, et que lapprentissage des savoir-faire nest plus ce quil était.
- Limportance du commerce de proximité: pour réduire leur incertitude sur la qualité des aliments quelles acquièrent, les ménagères établissent des relations de proximité avec certaines vendeuses (ou vendeurs), notamment à travers la fidélisation, mais aussi par le contact direct, et éventuellement la vérification des conditions de préparation ou de transformation des produits sur le lieu de production.
- La souplesse des prix et des unités de vente: face aux variations de prix, de taille du ménage, ou de disponibilités monétaires, les ménagères ajustent leurs achats grâce à la souplesse et à la diversité des unités de ventes (tas, unité, yoruba, tine, sac, cuillère...), et des prix (les volumes se négocient souvent plus que les prix).
- La diversité des pratiques dapprovisionnement dun produit selon le plat dans lequel il est incorporé et le contexte dans lequel il est consommé: la valorisation des produits doit être réfléchie en fonction des plats consommés, des ingrédients qui les composent, des modes de préparation, des exigences de qualité variables selon les situations.
- Le maintien dun contrôle domestique de la qualité: les femmes salariées qui envoient une parente ou un enfant au marché pour des achats quotidiens, continuent à sapprovisionner elles-mêmes en demi-gros le week-end pour certains produits. Cest une façon de se garantir dune certaine qualité. De même, le maintien de la transformation domestique des céréales en farine est un moyen de garder un contrôle sur la qualité des grains, les conditions de séchage et de transformation.
- Des exigences sur le savoir-faire des préparatrices de produits traditionnels. Le cas du soumbala, mais aussi des farines de céréales, révèle que pour les produits traditionnellement consommés, les exigences en matière de savoir-faire sont très fortes. La qualité hygiénique et sanitaire est une préoccupation, mais elle passe après le besoin de garantie sur le savoir-faire dans la transformation.
Il est ainsi nécessaire de traiter différemment la qualité des produits nouveaux de ceux traditionnels ou à usages traditionnels. Pour ces derniers, les exigences sont fortes et trouvent leurs modèles de référence dans la préparation domestique du produit. Les caractéristiques organoleptiques souffrent de peu de possibilités de modifications, et en ce sens la mécanisation des procédés doit rester prudente. La situation est différente si les objectifs sont de promouvoir de nouveaux produits, ou des produits traditionnels dont on souhaite véhiculer une autre image que celle traditionnelle.
- Le secteur de distribution alimentaire dominant est le secteur «informel». La fréquentation des «boucheries modernes» ou des «magasins dalimentation» concerne seulement une petite partie de la population et reste occasionnelle. La quasi-totalité des achats est réalisée sur les marchés, les produits consommés sont essentiellement bruts ou transformés artisanalement.
La valorisation des produits locaux peut prendre deux directions complémentaires: dune part, la mise à disposition de produits transformés qui sont traditionnellement produits à domicile, de façon à alléger les ménagères de certaines étapes de la transformation; dautre part, la mise à disposition de produits agro-alimentaires nouveaux à base de produits bruts locaux. Ces deux directions doivent concourir à favoriser la diversité des produits et des filières.
Les propositions concernant le premier point sont de favoriser le développement du secteur artisanal de transformation agro-alimentaire. Ce secteur permet de préserver un commerce de proximité, une souplesse dadaptation aux évolutions des ménages et aux diversités culinaires, une maîtrise technique du procédé qui soit compatible avec les exigences de qualité sur les produits traditionnels, notamment grâce au savoir-faire des artisanes. Un système dappui, de conseil et de crédit aux petites entreprises est une condition importante. Il permettrait de favoriser le développement dunités de production artisanales de plus grande taille que la plupart de celles qui existent déjà. Par exemple, la demande de certaines ménagères en farine de maïs de très bonne qualité et dont la qualité soit reconnue, pourrait être satisfaite par la mise en place dunités de production artisanales qui puissent faire de la vente directe sur le lieu de production et à domicile: les ménagères seront alors à même de vérifier la qualité des grains sélectionnés et les conditions de séchage. La qualité du produit, si elle est reconnue, devrait favoriser la réputation de ces types de lieux. Cette réputation passe avant tout par la reconnaissance dun savoir-faire, en respect avec des pratiques de préparation et de consommation commune. La normalisation de tels lieux, par exemple le contrôle de la qualité hygiénique par des services sanitaires nationaux, peut aider à la réputation de lunité de production en matière de qualité, mais elle nest pas une condition suffisante. La réputation de tels lieux est dabord fondée sur le savoir-faire, plutôt que sur une norme étatique.
Favoriser le développement agro-alimentaire des produits transformés traditionnels pose aussi la question de lapprentissage et du transfert de savoir-faire en zone urbaine. En ville, pour subvenir en partie aux dépenses alimentaires, beaucoup de femmes «simprovisent» commerçantes ou préparatrices. Dans le domaine agro-alimentaire il nexiste cependant pas de formations formelles qui permettent dacquérir le savoir-faire nécessaire à la mise en oeuvre des procédés traditionnels. Ces formations sont assurées dans le cadre domestique et sont soumises à des règles sociales de transmission du savoir qui ne rendent pas possible dapprendre à nimporte qui un savoir socialement transmis de génération en génération (Bricas et Cheyns, 1995). La confiance qui est établie chez les ménagères lorsquelles sapprovisionnent chez des «vieilles du quartier», parce quelles sont du village et ont le savoir-faire, indique lintérêt du professionnalisme du secteur artisanal. Ce professionnalisme ne peut se maintenir que par des échanges de savoir-faire qui mériteraient dêtre appuyés.
La création ou lappui de «soumbalaneries» artisanales, si elles sont reconnues pour leur qualité, est par exemple une voie de maintien et dévolution des savoir-faire qui concoure à la valorisation des produits locaux transformés.
Dans le secteur artisanal, le modèle de lentrepreneur renvoie souvent à limage du commerçant, du gain et du profit. Cest une image difficilement compatible avec la production de produits artisanaux transformés de qualité, surtout quand il sagit de produits traditionnels. Le modèle du professionnel est par contre un modèle fondé dune part sur une compétence spécialisée et légitime, dautre part sur une certaine éthique (ou «code de conduite» professionnel), éthique que lon ne trouve traditionnellement que dans un système corporatiste ou déchanges intra-communauté. Lobjectif serait de trouver des moyens de légitimation et de reconnaissance des professionnels par les consommateurs. Ceci doit peut-être passer par la légitimation officielle par lEtat, la création de porte-parole officiels de la profession (juridique), le développement dorganisations professionnelles, etc.
Concernant la mise à disposition de produits transformés nouveaux, ou de produits traditionnels à caractère «nouveau» (nouvelles présentations, nouvelles gammes), les voies artisanales et industrielles ou semi-industrielles sont intéressantes. Les exigences des consommateurs sont plus souples car ces produits nouveaux ne sinsèrent pas dans une dimension historique de lagencement des produits aux plats et aux pratiques. Lexigence du savoir-faire en respect avec une tradition se pose moins.
Lindustrialisation de la transformation renvoie cependant à «lanonymat» du commerce: vente sous sachet, achat des produits au commerçant et non au producteur, représentation du lieu et des conditions de production floues parce que non connues. Cet anonymat pose la question de la confiance sur la qualité du produit, de façon différente que pour les produits traditionnels. Des études et tests dacceptabilité de ces nouveaux produits sont nécessaires pour bien les positionner par rapport à la demande notamment sur le prix, la qualité et lemballage.
Les deux orientations précédantes sinscrivent dans la perspective de favoriser la diversité la plus large possible en produits spécifiques pour un même produit générique.
La qualité (au sens de prestige ou de renommée) dun produit peut être liée à sa fréquence dutilisation (plus il est rare, plus il est prestigieux), mais aussi à la coexistence de plusieurs produits spécifiques. Ainsi un produit générique qui nexiste que sous une seule forme est moins porteur de «qualité» quun produit générique qui existe sous de multiples formes. Cest par la différenciation des produits que ceux-ci gardent un pouvoir de différenciation sociale ou identitaire ou de marqueur dun événement. Par exemple: utilisation du soumbala du village pour préparer une sauce de tô à une femme qui vient daccoucher; utilisation dun soumbala ordinaire pour un jour ordinaire. Ce pouvoir de différenciation ou de marquage contribue à maintenir le produit générique à un indice de qualité élevé.
Il est ainsi souhaitable de favoriser, pour un même produit, différentes filières et une gamme assez large des variations du produit (différents types de farines de tô, différents types de soumbala...). Ceci est particulièrement important quand il sagit de produits de consommation courante et à large diffusion, ce qui est souvent le cas des produits locaux.