0307-B4

Bilan des travaux de régénération artificielle du chêne-liège (Quercus suber L.) dans quelques forêts d'Afrique du Nord

BELGHAZI Bakhiyi 1, EZZAHIRI Mustapha 1, KHALDI Abdelhamid 2


Résumé

L'étude concerne les reboisements de chêne-liège dans les forêts de Mâamora au Maroc et de Kroumirie et Mogods en Tunisie. A la suite d'une stratification des périmètres de reboisement selon l'âge des plants et de la continentalité en Mâamora, l'âge et les techniques de reboisement en Kroumirie et Mogods, 200 placettes carrées de 4 ares et 130 placettes de même forme et dimensions ont été inventoriées dans chacune des forêts.

L'analyse des données a été abordée par la méthode analytique (méthode des profils écologiques) et la méthode statistique (matrice de corrélations, régression). De ces analyses, il découle que:


Abstract

The study related to cork oak (Quercus suber L.) artificial reforestation in forests of Mâamora (Morocco) and of Kroumirie and Mogods (Tunisia). After stratification of reforestation perimeters according to plant age and continentality in Mâamora forest, and to age and reforestation techniques in Kroumirie and Mogods, 200 square plots of 4 ares and 130 plots of the same shape and dimensions were sampled in each forest.

Data analysis was done using analytical method (ecological profil method) and statistical method (correlation matrix, regression). The results of this analysis are follows:


Introduction

En Afrique du Nord, le chêne-liège (Quercus suber L.) s'étend sur une superficie de 862 201 ha, dont 376 701 ha au Maroc, 440 000 ha en Algérie et 45 500 ha en Tunisie. Dans ces pays, le chêne-liège est une essence noble par son rôle capital multi-usages, qui fournit en particulier:

Cependant, dans l'ensemble de ces pays, si la récolte de liège se fait sans contraintes majeures, les productions de bois et de charbon sont compromises suite aux difficultés de régénération de cette essence. Au Maroc, les coupes de régénération de chêne-liège sont suspendues depuis plus d'une vingtaine d'années. En tunisie, les coupes sont trop timorées suite au même problème. En parallèle aux récoltes de liège, de gros efforts de reboisement par semis de glands (Maroc) ou par plants élevés en pépinières (Tunisie) sont entrepris depuis plus d'une décennie.

Le but de cette étude consiste à dresser un bilan chiffré de ces reboisements dans les plus importantes subéraies du Maroc et de la Tunisie. Il s'agit de mettre en évidence les facteurs responsables de la réussite et des échecs, en vue de contribuer à éclairer cette voie pour les gestionnaires de ces massifs.

Matériel et Méthode

Les zones d'étude concernent la forêt de la Mâamora au Maroc et les forêts de Kroumirie et Mogods en Tunisie. Les caractéristiques de ces forêts se résument comme suit:

la forêt de la Mâamora est d'une superficie de 133 000 ha dont 59 000 ha environ occupés par du chêne-liège à l'état pur. Les peuplements de chêne-liège traités en futaie régulière sur souche sont vieux et dans un état préoccupant. Sur le plan écologique, la forêt est sous ambiances bioclimatiques subhumide et semi-aride chaude à tempérée au sens d'Emberger (1955), respectivement pour les cantons A-B situés à l'Ouest de la forêt et C-D-E à l'Est. Le volume moyen annuel des précipitations varie de 563 à 598 mm sur le littoral (stations de Rabat et Kénitra), et 436 mm sur la frange continentale (station de Sidi Slimane). La part des précipitations occultes (brouillard, rosée) est très importante sur la frange océanique. Le substrat est constitué par un dépôt de sable décalcifié d'épaisseur variable (30 cm à 6 m) qui repose sur un plancher argileux rouge du Villafranchien (Artigues et Lepoutre, 1966-67; Et-Tobi et al. 1996) . Le relief est relativement plat lorsqu'il n'est pas sillonné par des oueds orientés du Nord-Est vers le Sud-Ouest, formant ainsi les limites naturelles des cantons.

En Kroumirie et Mogods (Tunisie), le chêne-liège à l'état d'une vieille futaie régulière, s'étend sur une superficie de 45 500 ha et se trouve suivant les stations soit à l'état pur ou en mélange avec du chêne zéne (Quercus canariensis). Sur le plan écologique, la forêt s'étend du littoral méditerranéen jusqu'à 650 m d'altitude à Aïn Draham. Dans l'ensemble, la forêt s'encarte dans un bioclimat humide à sub-humide avec un gradient croissant d'Est- Ouest et de bas vers le haut. Le volume annuel moyen des précipitations varie de 1500 mm en Kroumirie à environ 860 mm aux Mogods. Les sols développés sur substrats acides (schistes ou grès), sont généralement profonds à caractère brun forestier sous chêne-liège (El Afsa, 1978; Dimanche, 1985).

Stratégie d'échantillonnage et prélèvement de l'information

L'hétérogénéité des jeunes peuplements et le grand morcellement des périmètres de reboisement étudiés, ont conduit à un choix des placettes basé sur un sondage aléatoire stratifié donnant à chaque unité élémentaire d'un hectare, la même chance d'être tirée. Les critères de stratification retenus sont respectivement, l'âge des brins et la continentalité (cantons) en Mâamora et l'âge des plants et les techniques de reboisement en Tunisie, sachant que dans ce pays, les plantations se font selon différentes techniques de préparation du sol (mécaniques ou manuelles). La taille de l'échantillon est de 200 placettes en Mâamora et 130 placettes en Kroumirie et Mogods. Pour l'ensembles des périmètres, les placettes d'une surface carrée de 4 ares ont été réparties inter-strates par allocation proportionnelle et sur le terrain d'une manière systématique. L'information de base au niveau de chaque placette concerne les descripteurs du milieu (sol, pente, altitude...), les descripteurs du peuplement originel (circonférences à 1,30 m du sol de tous les arbres sur pied, densité à l'hectare, recouvrements arboré et herbacé ...), les descripteurs du reboisement (techniques de préparation du sol, méthode de reboisement, nombre de brins viables, nombre de brins dépérissant, hauteur des brins et diamètre au collet. De même, une liste floristique exhaustive a été faite au niveau de chaque placette.

Traitement de l'information

Compte tenu de la nature des observations (mesures quantitatives et qualitatives), l'analyse de l'information a été abordée par trois méthodes statistiques complémentaires:

la méthode analytique

Basée sur les profils écologiques et sur l'analyse de l'information mutuelle espèce - descripteur (Daget et Godron, 1982), cette méthode présente un double intérêt:

la méthode statistique

Pour étudier les relations entre les semis viables et les différents états des descripteurs du milieu (observations quantitatives), la matrice de corrélations peut renseigner sur l'intensité du lien singulier entre le descripteur considéré et l'état de la régénération. Pour étudier l'effet simultané de l'ensemble des descripteurs sur le comportement des semis, la régression pas-à-pas dite "stepwise regression" (Draper and Smith, 1981) a été mise à l'épreuve. L'intérêt de cette méthode est son pouvoir d'introduction restrictive dans le modèle, des seules variables dont la contribution marginale est statistiquement significative.

RESULTATS

Méthode analytique

Cas de la Mâamora

L'étude phyto-écologique par la méthode analytique au moyen du logiciel INFECO, a mis en évidence trois groupes de descripteurs:

Le comportement des semis vis-à-vis des principaux peut s'interpréter comme suit:

Cas de la Kroumirie et Mogods

L'étude phyto-écologique par la méthode analytique a mis en évidence 3 groupes de descripteurs:

Bien que la régénération et partout présente, les descripteurs qui influencent sensiblement le comportement et la réussite des plants sont en particulier, l'exposition, les techniques de préparation du sol et la densité du couvert (arboré et arbustif). En effet, de bons résultats sont obtenus en expositions fraîches, avec des travaux mécanisés et à la suite d'un bon nettoiement du sol.

Méthode statistique

Cas de la Mâamora

Dans le but d'étudier les interactions entre le nombre de semis viables en terme de taux de réussite à l'ha et les facteurs quantitatifs du milieu et du peuplement, il a été procédé au calcul d'une matrice de corrélations (Tableau 1).

Tableau 1: Matrice de corrélations de Pearson

 

Y

X1

X2

X3

X4

X5

X6

X7

Y

1

             

X1

-0,031

1

           

X2

-0,476

0,082

1

         

X3

-0,344

0,044

0,547

1

       

X4

-0,479

-0,116

0,345

0,298

1

     

X5

0,030

0,138

0,196

0,420

-0,222

1

   

X6

-0,220

0,114

0,566

0,654

0,095

0,392

1

 

X7

-0,261

-0,027

-0,106

-0,123

0,181

-0,147

-0,023

1

Y: Taux de réussite à l'ha (%), X4: recouvrement arbustif (%),
X1: pente du terrain (%), X5: profondeur du sable (m),
X2: densité du peuplement originel (pieds/ha), X6: surface terrière (m2/ha),
X3 : recouvrement arboré (%), X7: âge des semis (ans).

Il découle de cette matrice que les corrélations entre la variable endogène«Y» et les variables exogènes «X» sont faibles. Pour ce qui est du taux de réussite, objet fondamental de l'étude, les conclusions de la méthode analytique concordent parfaitement avec ces résultats. En particulier, le nombre de semis par placette dépend très faiblement de la profondeur du sable et de la pente du terrain.

Pour étudier l'effet conjoint de toutes les variables exogènes sur le nombre de semis viables par placette, on a procédé à une régression pas-à-pas d'expression définitive:

Y = 70,019 - 0,203 X2 - 0,251 X4 - 3,102 X7

avecun coefficient de détermination R2 = 0,44, un écart type résiduel Sy.x = 21,7 et une statistique observée de Fisher Snedecor Fob. = 43,2

De cette équation, on peut conclure que:

Kroumirie et Mogods

Pour les mêmes raisons que précédemment, la matrice de corrélations entre les différentes variables quantitatives est calculée au tableau 2.

Tableau 2: Matrice de corrélation

Il découle de cette matrice que les corrélations entre les variables du milieu et le taux de réussite sont très faibles. Autrement dit, le taux de réussite des plantations de chêne-liège, objet fondamental de l'étude ne semble être sous le contrôle particulier d'aucun facteur du milieu. Ceci, concorde bien avec la méthode analytique.

En effet, pour mieux expliquer ce phénomène, le recours à la régression pas à pas était fort utile. L'estimation de ce modèle fournit les résultats suivants:

Y = 67,228 - 0,119 X5 + 0,435 X7

avec R² = 0,057; Sy.x = 15,83 et Fobs = 4,88

Cette équation montre que le taux de réussite des plants est influencé, mais à un degré très faible par le recouvrement arbustif et technique de préparation du sol. Ceci concorde bien avec les résultats de la méthode analytique.

En effet, le recouvrement arbustif (X5) est en corrélation négative avec le taux de réussite des plants. Plus il est dense plus il entrave la régénération du chêne-liège.

Il est bien évident que l'effet réduit du couvert arbustif sur la régénération ne peut être interprété indépendamment de l'action de recouvrement de la strate arborée. Il s'agit là de deux variables redondantes qui expriment globalement le degré de fermeture ou d'ouverture de la couverture végétale qui dans tous les cas, est préjudiciable à la régénération et/ou à l'installation des jeunes plants (Williams et al., 1990). Dans le même ordre d'idée, Sondergaard (1991) estime que l'effet exercé par le vieux peuplement de chêne-liège ainsi que par son sous-bois sur les jeunes semis à tempérament héliophile est défavorable. Selon cet auteur l'arrachage du sous bois augmente sensiblement le taux de réussite. Quant à la technique de reboisement (X7), on note une corrélation positive avec le taux de réussite. Le recours à la mécanisation du sol devient une nécessité absolue qui garantie mieux la réussite de la plantation.

Conclusion

La maîtrise des techniques de régénération et une bonne compréhension du fonctionnement de l'écosystème du chêne-liège en Afrique du nord, constituent aujourd'hui plus que jamais, une priorité pour le gestionnaire de cette essence.

En fait, il ressort de cette étude que les facteurs écologiques ne constituent pas un obstacle majeur. L'analyse de l'information, abordée par la méthode analytique et la méthode statistique, aboutit dans tous les cas aux conclusions suivantes:

En Mâamora: la régénération ne dépend pas de la pente du terrain et encore moins de la profondeur du sable en Mâamora. Dans cette forêt, la régénération est meilleure:

Par ailleurs, dans cette même forêt, la régénération est médiocre:

En Kroumirie et Mogods, les reboisements de chêne-liège dans son aire potentielle sont partout possibles. Les meilleurs résultats sont obtenus par les travaux mécaniques avec une préparation soignée du sol.

Références bibliographiques

Artigues R. et Lepoutre B., 1966-67. Influence du sol et de la densité du peuplement sur la faculté de rejeter du chêne-lige en forêt de la Mâamora. Ann. Rech. For. Maroc, T. 10, Rabat.

Daget Ph.. et Godron M., 1982. Analyse de l'écologie des espèces dans les communautés. Coll. Ecol., Masson, 163 p.

Dimanche, 1985. Contribution à la connaissance pédologique et édaphique du milieu forestier tunisien. Thèse 3ème cycle, Nancy I, France.

Draper N.R. et Smith H., 1981. Applied regression analysis. JohnWiley and Sons, 709 p.

El Afsa M., 1978. Ecologie, phytosociologie, régénération et production des subéraies tunisiennes. Thèse 3ème cycle, Fac. Sci. Tech. St Jérôme, Marseille, 123 p.

Emberger L., 1955. Une classification biogéographique des climats. Rev. Trav. Lab. Bot., Fac. Sci. Montpellier, 7, 3-43.

Et Tobi M., 1996. Contribution à l'étude de la dynamique et du dépérissement du chêne-lige en Mâamora. Mém. 3ème cycle, ENFI, Salé, 131 p.

Hissein H., 1994. Evaluation de la régénération naturelle par semis dans la subéraie de Bab Azhar à l'intérieur des parcelles clôturées. Mém. 3ème cycle, ENFI, Salé, 75 p.

Lepoutre B., 1965. Régénération artificielle du chêne-liège et équilibre climacique de la subéraie en forêt de la Mâamora, Ann. Rech. For., Maroc, Tome 9.

Marion J., 1951. La régénération naturelle du chêne-liège en Mâamora. Ann. Rech. For., Maroc, Rapport annuel, 25-57.

Marion J., 1953-54. Les peuplements artificiels en chêne-liège dans la forêt de la Mâamora. Ann. Rech. For., Maroc, 2, 39-142.

Marion J., 1956. Observations sur la sylviculture du chêne-liège dans le massif forestier Zaîan Zemmour au Plateau central d'Oulmès. Ann. Rech. For., Maroc, 2, 34-35.

Ndiaye S., 1995. Etude du comportement de la regeneration assistée du chêne-liège à l'intérieur des parcelles clôturées de la forêt de Bab Azhar (Taza). Mém. 3ème cycle, ENFI, Salé, 128 p.


1 Ecole Nationale Forestière d'Ingénieurs, BP. 511 Salé, Maroc
E-Mail: [email protected]

2 INRGREF, Ariana, Tunis, Tunisie