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KOUDENOUKPO BIAO Juliette[1]
Au Bénin, le cadre légal régissant les ressources naturelles reste peu explicite quant aux principes sous-tendant une responsabilisation des collectivités décentralisées et des communautés locales. La clarification de certaines règles, principes et modalités est une nécessité impérieuse dans un processus de décentralisation où les plans daménagements participatifs sont incontournables pour réguler lexploitation des forêts. Ces dernières, fortement sollicitées pour satisfaire les besoins de développement local, doivent faire lobjet dun plan daménagement contractuel accepté par tous les opérateurs économiques, dont les populations locales, pour rester économiquement viables et stables au plan écologique.
Il devient urgent de rechercher des méthodes daménagement et de régénération rapides et peu coûteuses pour les espèces darbres intéressantes au plan commercial.
Le Congrès forestier mondial pourrait être un bon cadre de réflexion pour linitiation détudes et de recherche à valoriser en vue de la sauvegarde des savanes béninoises à couvert ligneux important.
Mots clés: cadre légal, clarification, décentralisation, aménagements participatifs, développement local.
Depuis 1960, plus dune trentaine de pays africains ont introduit des changements et des réglementations visant à la décentralisation. Ces réformes se sont manifestées sous plusieurs formes (déconcentration, délégation...) suivant le modèle hérité de lexpérience coloniale. Dans les années 80, la décentralisation se généralise petit à petit avec le processus démocratique dans tout le continent.
En République du Bénin, la réforme de ladministration territoriale entrepris depuis 1997 entre aujourdhui dans sa phase active. Linnovation majeure de cette réforme consiste en une meilleure déconcentration de ladministration dEtat pour accompagner de façon efficace les futures communes dans leur démarrage. Les communes devront assurer leur propre développement par un accroissement de recettes provenant des richesses potentielles ou avérées, ou des relations avec les partenaires et organismes nationaux ou internationaux.
Ce mémoire se propose de répondre aux questions suivantes:
- quelles sont ces richesses dont disposent les communes rurales au Bénin?
- comment conçoit-on la gestion décentralisée des forêts au Bénin?
- le cadre juridique actuel favorise-t-il une responsabilisation des collectivités locales?
- quelles sont les règles de mise en valeur de la gestion décentralisée?
Les ressources naturelles en général, et les forêts en particulier, constituent un élément essentiel de la vie et de la croissance du pays.
Le secteur forestier contribue pour 3 % du PIB. Ce chiffre considèrent uniquement lexploitation du bois duvre, du bois de feu et de service, du pâturage, du gibier et de quelques produits non ligneux tels que le karité, le miel, la noix cajou, les fibres, les plantes médicinales et vétérinaires.
Les fonctions économiques de la forêt dans léconomie nationale en général et léconomie traditionnelle en particulier sont multiples.
Le bois duvre est surtout utilisé dans lébénisterie pour la fabrication des mobiliers On utilise également le bois pour linstallation des ponceaux sur les axes routiers secondaires.
De multiples produits qualifiés de bois de service sont prélevés actuellement des forêts naturelles, des plantations individuelles, des plantations de teck, de savane arborée. Le bois de service est utilisé dans les activités quotidiennes particulièrement des populations rurales.
Le combustible ligneux est largement utilisé par les diverses industries artisanales.
La filière bois de feu emploie de 15000 à 20000 personnes dans cinq grandes villes du pays et embrasse un chiffre daffaire de près de sept milliards de FCFA. Par ailleurs, la vente de bois de feu et de charbon de bois sur la voie publique permet aux paysans daméliorer leurs revenus en saison sèche.
Les arbres constituent durant la saison sèche une source de fourrage pour les animaux dune grande importance.
Les forêts et notamment les parcs nationaux et les zones cynégétiques constituent des habitats appropriés pour la faune. Lexploitation de celle-ci se fait par le tourisme de vision et le tourisme cynégétique. Les parcs nationaux, visités seulement par 2500 touristes étrangers par an, offrent une potentialité et rapportent environ 70 millions de FCFA. Les safaris entraînent une forte valeur ajoutée avec les droits dabattage élevés (1 million de FCFA pour 1 hippopotame et 400000 F CFA pour un lion pour les chasseurs étrangers et non résidants).
Le niveau général de léconomie forestière traditionnelle est très faible en raison de la limitation, jusquà un passé récent, du droit dusage à la cueillette. Tous ces produits font lobjet de petit commerce vers les pays limitrophes particulièrement les produits utilisés dans la pharmacopée traditionnelle.
La loi n° 97-029 du 15/01/99 portant organisation des communes en République du Bénin a déterminé les règles générale devant régir les prérogatives des organes et personnes chargées de leur direction. En son article 94, elle stipule "la Commune a la charge de la création de lentretien des plantations des espaces verts et de tout aménagement public visant à lamélioration du cadre de vie".
Elle "veille à la protection des ressources naturelles, notamment des forêts..."
Etant donné quil sagit dune ressource relevant du «domaine de lEtat», il est très important de clarifier jusquoù la commune peut aller dans lexercice dune telle prérogative. Il est indispensable dapporter des précisions sur les compétences et les pouvoirs de décisions transférables aux populations.
Larticle 4 de la loi 93-009 du 02 Juillet 1993 portant régime des forêts en République du Bénin stipule: «les forêts de lEtat sont celles appartenant aux personnes morales de droit public. Elles sont classées ou protégées:
- les forêts classées sont celles soumises à un régime restrictif de lexercice des droits dusage des individus ou des collectivités après accomplissement dune procédure de classement telle quelle est définie dans la présente loi.
- les forêts protégées sont toutes autres forêts du domaine nayant pas fait lobjet de classement».
Les forêts communautaires font partie de cette dernière catégorie de forêts. Elles peuvent être organisées en unité daménagement dans le cadre dun contrat conclu entre les communauté et lAdministration Forestière. Chaque unité est doté dun plan daménagement (article 39 de la loi).
Le décret 96-271 du 2 juillet 1996 portant modalités dapplication de la loi 93-009 du 02 Juillet 1999 stipule en son article 26 que «les forêts doivent être aménagées, exploitées, protégées et mises en valeur de façon durable et équilibrée. Autant que possible elles doivent être gérées suivant des méthodes participatives associant les populations riveraines....»
Si la nouvelle politique forestière traduit la volonté politique de lEtat Béninois à «promouvoir ladhésion des populations à la gestion des ressources forestières», il faut noter quaucun texte juridique jusque là, na encore donné un contenu précis à la gestion participative ou à la cogestion des forêts, encore moins à la gestion décentralisée.
Larticle 80 du même décret énonce: «les contrats par lesquels les forêts des particuliers et des coopératives sont aménagées avec lassistance de lAdministration Forestière, conformément à larticle 39 de la loi 93-009, sont signés entre le propriétaire de la forêt et le Directeur National des Forêts et Ressources Naturelles...»
Or, dans le processus de la réforme administrative où il est reconnu comme principe le couplage de la décentralisation avec la déconcentration, cette prérogative du Directeur National pourrait être transféré à lagent forestier ou tout au moins au représentant du service déconcentré.
Les dispositions devraient être plus explicites et plus concrètes et poser le principe de la responsabilisation (Koudenoukpo et Adjinacou 1999). Elles devraient en outre énoncer quelques règles pour sa mise en valeur et définir clairement les compétences à transférer ainsi que les prérogatives de chacun des acteurs dans le processus dune gestion décentralisée des forêts.
Le développement de la gestion décentralisée des forêts suscite une attention particulière compte tenu de la complexité des écosystèmes forestiers et du faible niveau de compétences techniques des populations partenaires. Des risques importants existent et doivent être soigneusement maîtrisés au fur et à mesure de développement de lapproche. En raison de linsuffisance actuelle de revenus tirés des fiscalités locales, ce sont les forêts qui sont placées en première ligne pour subvenir aux besoins du développement local. En raison de la faiblesse du niveau de vie, on assiste à une quasi nécessité dun accès libre aux ressources. Léconomie locale étant marquée par la pauvreté (Buttoud 2001), la satisfaction des besoins immédiats des populations passera encore quelques temps avant lentretien de la ressources à long terme.
Dans une future commune au centre du Bénin, on a récemment assisté à ce que lon peut appeler un «désastre». Il sagit de plus de 30 hectares de forêts naturelles «saccagées» par les une parties de la populations en vue de mobiliser leur participation financière dun montant de 1000000 F CFA pour la construction dun barrage de retenue par un Programme de Développement de lElevage. Plus dune centaine de pieds de Khaya senegalensis et Pterocarpus erinaceus (essences de valeur et de plus en plus rares) ont été abattus pour la réalisation du barrage.
«Les forêts font partie du patrimoine de la commune et doivent soutenir le développement local», affirme cette communauté.
Dans un contexte dexploitation réglementée, pour laquelle existerait un plan daménagement, une telle assertion trouverait vraisemblablement un fondement. Doù la nécessité daccompagner ce processus en envisageant assez rapidement des solutions durables. Celles-ci se traduiront en termes de réglementation de lexploitation, mais aussi de mesures peu onéreuses et rapides pour le renouvellement des ressources forestières.
La réglementation de lexploitation passe par lélaboration et la mise en uvre de plans daménagements participatifs. Ceux-ci devront introduire des règles restrictives en faveur et au maintien de la diversité écologique locale (Buttoud 2001) tout en produisant des retombées économiques aux populations. La viabilité économique des ressources exploitées ne sera garantie quà travers lintroduction de méthodes de régénération rapide économiques des essences locales intéressantes du point de vue commercial.(Bellefontaine et al. 2000; Karim et al. 2002). Des études sur des espèces clés pouvant être régénérées au moindre coût devraient être rapidement menées et valorisées.
Le raisonnement dans la mise en valeur de la gestion décentralisée des forêts doit tenir compte des domaines. En effet, la problématique de gestion des ressources naturelles dans le domaine protégé est sensiblement différente de celle du domaine classé.
Le domaine protégé, propriété du sol à lEtat et propriété coutumière aux populations (Cuny 2001) est un espace où des droits dusage sont reconnus aux populations (même sils sont réglementés dans certains cas).
Par contre le domaine classé est exempt de tout droit dusage sur le sol forestier et limite ceux portant sur les fruits et produits forestiers.
Le régime protecteur (Mekouar 1997) dans le domaine classé peut se justifier, même dans un contexte de décentralisation au regard des exigences de la sauvegarde de lintégrité du domaine. Toutefois un assouplissement des textes devrait aller dans le sens dune cogestion effective de ces forêts avec les communautés locales. On garderait à lesprit le double enjeu national:
- léquilibre écologique par le maintien du couvert forestier,
- lapprovisionnement du secteur et la satisfaction des besoins des consommateurs.
Les aires protégées disposent aujourdhui dun statut particulier, qui est justifié par limportance nationale que revêt le capital de biodiversité présent dans ces zones. Les enjeux écologiques de la préservation de ce capital justifie quil soit et quil reste du domaine de lEtat (Audit forestier 1999). Il est important de resituer ce que l'état n'a jamais pu faire dans la réalité et envisager des solutions adéquates.
Alors que dans le domaine protégé, il sagit plutôt damener les communautés rurales à mieux gérer «leurs» ressources naturelles, en mettant en place une gestion durable de celles-ci. Il serait plus commode de transférer entièrement les compétences aux collectivités locales pour la gestion de ce domaine plutôt que de continuer à garder à lesprit que, sur le plan juridique, ces ressources sont propriété de lEtat.
La réussite de la décentralisation est conditionnée, parmi dautres facteurs, par un réel transfert de compétences aux futures communes, faute de quoi elles pourraient décevoir chez les populations les espoirs quelle a fait naître.
Lharmonisation des anciens textes avec le cadre juridico-institutionnel de la décentralisation est indispensable. Plus concrètement, le rapport entre les services techniques anciennement responsabilisés et les nouveaux acteurs devrait être clarifié.
Le cadre juridique devrait permettre de répondre aux questions suivantes par rapport aux différents groupes dacteurs, notamment lEtat et la Commune:
- qui va décider des choix de développement concernant les ressources naturelles, notamment dutilisation des terres, du niveau et du type de prélèvement autorisé?
- qui va piloter puis exécuter les plans de gestion des ressources naturelles?
- comment va sopérer le partage des recettes économiques et fiscales tirées de cette exploitation, puis la répartition des charges dinvestissement et de fonctionnement?
- qui va contrôler le respect des critères de gestion locale, et le contrôle des dispositions légales définis au plan national?
Les forêts seront sollicitées plus fortement pour répondre aux besoins de développement à des futures communes. Il est urgent détudier les possibilités de régénération peu coûteuses et rapides pour garantir une viabilité économique et une stabilité écologique des forêts.
Cest un appel que le présent mémoire vient lancer aux chercheurs pour des initiatives prometteuses à court terme en vue de la sauvegarde des forêts béninoises.
Bellefontaine R., Edelin C., Ichaou A., du Laurens D., Monsarrat A., Loquai C., 2000. Le drageonnage, alternative aux semis et aux plantations de ligneux dans les zones semis-arides: protocole de recherches. Sécheresse 4, 11, 221-226.
Buttoud G., 2001.Gérer les forêts du Sud, Harmattan, 255p.
Cuny P., 2001. Quelle gestion décentralisée des espaces boisés au Sud du Mali? Lexemple de la Commune rurale de Sorobasso, Mémoire de thèse, 80p
Karim S., Batimo B. A., Bellefontaine R., Ichaou A., 2002. Reboiser au moindre coût les zones semi-arides par marcottage naturel. Mémoire volontaire, Congrès Forestier Mondial, Canada 2003, 7p.
Koudenoukpo Biao J et Adjinacou C.,1999. Atelier de réflexion sur les contrats de gestion forestière entre les collectivités villageoises de la sous - préfecture de Bassila et lAdministration forestière dans le cadre de laménagement des forêts naturelles dans le domaine protégé de lEtat, GERAM Conseils 47p.
Mekouar A., 1997. Révision de la législation en matière de gestion des aires protégées, Rapport intérimaire de consultation, Ministère du Développement Rural, Cotonou,72p.
République du Bénin, 1993. La loi n° 93-009 du 02 Juillet 1993 portant régime des forêts en République du Bénin, TUNDE,30 p.
République du Bénin, 1996. Décret n° 96-271 du 02 Juillet 1996 portant modalités dapplication de la loi n° 93-009 du 02 Juillet 1993 portant régime des forêts en République du Bénin, TUNDE,27 p.
République du Bénin. 1999. Atelier de restitution de laudit institutionnel du secteur forestier, Rapport de modération datelier, Ministère du Développement Rural, Cotonou, 81p.
République du Bénin. 2000 Recueil des lois sur la décentralisation, MISAT, 163 p.
[1] GERAM Conseils-PGTRN, B.P
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