0520-C1

Vers une démarche de recherche forestière participative

Amadou Malé KOUYATE[1]
Marina OGIER[2]


Résumé

Les évolutions des conditions-cadres et des conditions socio-économiques importantes au Mali (régionalisation de la recherche agricole, dévaluation du franc CFA, décentralisation et création des communes rurales, mise en œuvre du plan d’action du Ministère du Développement Rural) ont permis de prendre en compte les visions paysannes et celles des institutions d’appui sur la problématique de gestion des ressources naturelles. En effet, la diffusion des paquets technologiques a été confrontée à la non réceptivité des utilisateurs des résultats du fait de leur faible implication dans le processus de recherche. C’est pourquoi le Programme Ressources Forestières du Centre Régional de la Recherche Agronomique de Sikasso a adopté la recherche participative comme démarche opérationnelle. Cette recherche est fondée sur le respect de la logique paysanne. Elle vise à développer un processus de résolution des problèmes centré sur les besoins, les priorités, les moyens et les capacités des communautés et organisations paysannes. La demande sociale qui guide les actions à mettre en œuvre varie en fonction des conditions agro-écologiques et des systèmes de production. Pour ce faire, les expérimentations sont exécutées directement par les paysans ou avec la collaboration de ceux-ci en tenant compte de leur savoir et de leur savoir-faire. Il se dégage que le processus de recherche participative se caractérise par sept étapes essentielles qui sont la réception de la demande, le diagnostic de confirmation de la demande, la restitution du protocole, le suivi participatif paysans et chercheurs, l’évaluation croisée paysans et chercheurs, la restitution du rapport d’étape, la diffusion des résultats.

Mots clés: recherche participative, foresterie, acteurs locaux.


Introduction

Les ressources naturelles au Mali sont soumises à des pressions d’ordre anthropique, climatique et parasitaire. Une enquête réalisée dans la partie septentrionale de la région de Sikasso située au sud du Mali a montré que 26 espèces forestières autochtones sont menacées de disparition (Grase, 1999). Les solutions aux problèmes de dégradation du milieu résultant de l’exploitation incontrôlée des ressources naturelles et de la fragilisation de la situation socio-économique nécessiteraient une implication des acteurs locaux dans tout le processus de gestion des ressources naturelles. Face à cette problématique, Intercooperation (Organisation Suisse pour le Développement et la Coopération) a initié le programme Gestion Durable des Ressources Naturelles dans la région de Sikasso dans le but d’accompagner les acteurs locaux dans la réalisation de leurs projets de gestion des ressources naturelles. Dans le cadre de ce programme, une nouvelle démarche opérationnelle de recherche appelée recherche forestière participative, visant à intégrer les paysans au processus de recherche a été développée pour pallier la faible diffusion des résultats en milieu paysan et de l’inadaptation des techniques proposées au système de production paysan. Cette démarche de recherche vise à développer un processus de résolution des problèmes centré sur les besoins, les priorités, les moyens et les capacités des familles paysannes. Elle s’appuie d’une part sur la régionalisation de la recherche agronomique et la mise en place des commissions régionales des utilisateurs des résultats de la recherche et d’autre part sur les nouvelles orientations définies depuis 1996 par le Mali en matière de gestion des ressources naturelles.

Le présent article a pour objectif de mettre à la disposition des acteurs du développement rural une démarche permettant d’impliquer les acteurs locaux dans un processus de recherche.

Principes

La méthodologie utilisée est basée sur la demande sociale qui une fois reçue par les chercheurs mérite d’être clarifiée, traduite en activités de recherche incluant les pratiques paysannes et réalisées dans le système de production paysan.

Nous distinguons sept étapes nécessaires pour assurer la recherche participative.

Etape 1: Réception de la demande sociale

La demande sociale remonte à travers différents flux d’information entre le Programme Ressources Forestières, le système du milieu rural et le système des structures d’appui au monde rural. Le canal le plus utilisé est celui qui relie le système du monde rural et le Programme Ressources Forestières. Il existe aussi des forums d’échange entre partenaires qui relayent la demande sociale.

Etape 2: Diagnostic de confirmation

Le diagnostic de confirmation est une étape essentielle du processus car elle permet de donner un contenu à de la demande et de traduire mieux le langage naturel en langage documentaire. En effet, la demande a besoin d’être confirmée malgré la diversité des canaux existants car les différents intermédiaires peuvent transformer le message lors de la «traduction». Ce diagnostic doit être léger et il doit tenir compte de toutes les catégories sociales en utilisant l’analyse genre. Il doit clarifier les besoins et les modes de mise en œuvre avec une répartition claire des responsabilités. Le diagnostic participatif est souvent la première forme d’interaction entre les intervenants extérieurs et la communauté. Il engendre une relation propice à la participation entre les deux parties. Des outils MARP sont utilisés ainsi que le principe de triangulation pour croiser les informations émanant des différents partenaires paysans. Durant ce diagnostic, les critères paysans qui seront utilisés pour le suivi et l’évaluation sont identifiés. Les données collectées au cours de cette étape vont servir à l’élaboration du protocole de recherche qui est restitué à la communauté paysanne.

Etape 3: Restitution du protocole

L’adoption d’une nouvelle technologie en milieu réel impose la mise en équation des critères paysans et scientifiques. L’intégration des critères paysans dans les protocoles d’essai permet aux paysans expérimentateurs de se retrouver dans l’expérimentation et de faciliter leur participation et ensuite l’adoption des résultats. En outre, cette étape permet de sensibiliser les paysans sur l’existence des critères scientifiques. Ainsi, le protocole de recherche, une fois élaboré, mérite d’être négocié avec les acteurs locaux afin de recueillir leurs avis sur la démarche méthodologique de recherche et de tenir compte de leurs pratiques. Il est important que la pratique paysanne traditionnelle serve de témoin dans le protocole. Ceci permet aux paysans expérimentateurs d’évaluer l’intérêt d’une nouvelle technique. Le protocole doit être consensuel.

Etape 4: Suivi participatif paysans et chercheurs

Pour le suivi de l’essai, un groupe relais composé d’hommes et de femmes est identifié et choisi par la communauté elle-même. Ceux-ci constituent les interlocuteurs privilégiés des chercheurs.

Le suivi est fait aussi bien par les paysans expérimentateurs que par les chercheurs à partir des critères identifiés dans l’étape précédente. Le choix des indicateurs peut être lié à trois questions importantes: Que voulons nous savoir? Quels sont les nombreux éléments d’information qui pourraient éventuellement nous le faire savoir? Quels sont les indicateurs-clef qui nous le ferons savoir à coup sûr? (FAO, 1992).

Concernant la gestion financière de l’essai, le montant financier correspondant à l’expérimentation est déposé dans un compte de la caisse d’épargne paysanne, ce qui donne les moyens à la communauté villageoise et au groupe relais identifié en particulier pour la mise en place et le suivi de l’essai, de gérer le dispositif. Le dépôt du fonds correspondant à l’essai dans ce système bancaire de proximité donne les moyens aux paysans expérimentateurs de prendre en main l’essai et non de le subir. Ce sont les prémices à la mise en place de fonds souples de provenances diverses (Etat, ONG, privés), mis à disposition ou collectés par les paysans pour financer leurs besoins en recherche dans le sens d’une responsabilisation des communautés villageoises. Pour un suivi effectif, il faut une réelle participation du groupe des paysans relais sur le plan quantitatif que qualitatif. Pour le garantir, une convention de collaboration doit être signée.

Etape 5: Evaluation croisée paysans et chercheurs.

L’essai mis en place est évalué à la fin de l’année par les paysans et les chercheurs. Une grille d’évaluation paysanne construite sur la base des critères identifiés au moment de l’adoption du protocole doit être disponible. Les résultats des deux types d’évaluations réalisées à l’aide de l’outil SEPO (Succès, Echecs, Potentialités, Obstacles) doivent être restitués à l’autre partenaire (paysans ou chercheurs) afin d’en faire une analyse croisée. Pour réaliser l’évaluation, il faut réexaminer les raisons, définir les questions en se référant aux indicateurs et la réaliser à un moment où les paysans sont disponibles. C’est pourquoi, dès l’élaboration du protocole, ces critères doivent être pris en compte.

Etape 6: Restitution du rapport d’étape et reprise du diagnostic

La restitution du rapport d’étape permet de faire le point d’exécution de l’essai. Elle peut occasionner d’autres diagnostics au cas où de nouvelles perspectives sont énoncées. Cette étape est la source de rétro-alimentation car elle est l’aboutissement des informations recueillies aux étapes précédentes. A partir de cette étape, on peut retenir les résultats à diffuser.

Etape 7: Diffusion des résultats

L’atout d’une recherche participative est qu’elle est la meilleure voie de diffusion des résultats générés. En effet, le paysan expérimentateur est associé dès le début au processus de recherche et il est co-auteur. L’expérimentation va se dérouler en milieu réel donc dans les conditions du milieu ce qui faciliterait son adoption.

Etant donné la diversité des publics-cibles concernés, on note un pléthore de supports de diffusion des résultats.

Enseignements

La démarche met en exergue l’existence de savoir local qui peut être partie intégrante d’un protocole de recherche. Le contexte de décentralisation responsabilise et favorise l’implication des organisations paysannes dans la réflexion sur la gestion de leurs ressources naturelles. L’adéquation de la recherche avec la problématique du milieu réel donne une plus-value aux thèmes de recherche traités et aux résultats générés. Cela se traduit par une diminution effective du délai de diffusion des résultats et les solutions proposées sont adaptées au contexte de travail des acteurs locaux. Cependant, il y a peu de réflexion sur les mécanismes de financement de cette forme de recherche.

La satisfaction de la demande sociale passe par une contractualisation de la recherche où les mandataires seront les utilisateurs directs des résultats de la recherche (Commission Régionale des Utilisateurs des Résultats de la Recherche, des organisations paysannes, des privés ou des structures d’appui du monde rural). Il serait judicieux de parvenir à former les paysans en technique de «traduction» du langage naturel en langage documentaire. De même, les chercheurs non habitués au langage du paysan doivent être formés en techniques d’animation et de communication. D’autres types de formation telles que l’analyse des systèmes ruraux et l’approche de gestion des terroirs seraient également souhaitables pour une meilleure intervention en milieu réel. La motivation des chercheurs versés dans une démarche de recherche participative sera fonction de la valorisation et de la reconnaissance scientifique de ce type de recherche. La démarche de recherche participative pourrait lever les barrières psychologiques chez le chercheur pour travailler avec et chez le paysan.

Références bibliographiques

FAO (1992): La boite à outils de la communauté. Diagnostic, suivi et évaluation participatifs en foresterie communautaire: concept méthode et outils. FAO, 146 pages.

GRASE, 1999: Rapport d’enquête sur les espèces forestières en voie de disparition dans les cercles de Sikasso, Kadiolo, Koutiala et Yorosso. 35 p. Koutiala, Mali. 1999.

Abbréviations

Grase: Groupe de Recherche et Action pour la survie de l’environnement (ONG)

FAO: Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture


[1] Chercheur à l'Institut d'Economie Rurale, BP 178 Sikasso, Mali - tél.: (223) 2 620 073 Fax: (223) 2 620 349, E-mail: [email protected]; [email protected]
[2] Intercooperation Programa PASOLAC, Managua, Nicaragua, E-mail: [email protected]