Suivi de la gestion durable du massif aquitain de pin maritime par télédétection spatiale

0628-B1

Guy Gallay[1], Gérôme Pignard[2], Nicolas Stach[3], Thierry Bélouard[4],


Résumé

La région Aquitaine est la première région boisée de l’ouest de l’Europe. Créée à la fin du XIXe siècle, la forêt landaise de pin maritime, détenue majoritairement par de petits propriétaires privés, couvre près d’un million d’hectares. Cette forêt " cultivée " est source d’une activité économique majeure pour la région, en sylviculture et dans l’industrie du bois et du papier. Plus de 30 000 emplois revitalisent ainsi le milieu rural régional. Cette forêt, située aux portes de Bordeaux, offre également aux urbains tous les services sociétaux auxquels ils aspirent.

La gestion durable de ce massif forestier est aujourd’hui la priorité des responsables politiques et des acteurs de la filière bois d’Aquitaine, soucieux de pérenniser ses fonctions économiques, sociales et environnementales et de disposer d’outils performants d’évaluation. Ce besoin d’outils a été amplifié par les effets désastreux de la tempête de décembre 1999.

A la demande de ces responsables régionaux, l’Inventaire forestier national (IFN) a mis au point un outil de suivi du massif landais et de sa ressource en pin maritime, basé sur deux volets:

Conçu initialement pour le suivi " courant " du massif, cet outil a pu être adapté pour la cartographie des dégâts de tempête et le suivi de la récolte des chablis.

Désormais opérationnel, il peut être activé par l'IFN pour répondre aux demandes des professionnels et responsables régionaux.


Introduction

L’Inventaire forestier national (IFN) a mis au point avec l’appui technique et financier de plusieurs partenaires régionaux, nationaux et européen, un outil de suivi de la gestion durable et de la ressource en pin maritime dans le massif landais d’Aquitaine. Les bases de données cartographiques et dendrométriques de l'IFN constituent le socle initial de cet outil basé sur l’exploitation d’images satellitaires pour la cartographie de coupes rases, mode de récolte dominant, et sur l’utilisation d’un modèle de croissance. La superposition des cartes ainsi produites avec la couverture des placettes d’inventaire permet d’évaluer la répartition des coupes rases par classe d’âge, paramètre essentiel pour les simulations de l’évolution du massif. Cet outil, mis à disposition des professionnels et responsables régionaux de la forêt, sera précieux pour mettre à jour les indicateurs de gestion durable et fournir aux industriels des informations stratégiques pour leur approvisionnement en bois

1. Le massif landais de Pin maritime. Économie et aménagement du territoire

La région Aquitaine est la première région boisée de l’ouest de l’Europe. Créée à la fin du XIXe siècle, pour assainir un milieu marécageux et hostile, la forêt landaise de pin maritime couvre 938 000 hectares d’un seul tenant (IFN 1999). Le volume de bois sur pied s’élève à 145,6 millions de m3 et la production courante annuelle est de 9,6 millions de m3. La tempête du 27 décembre 1999 a mis à terre 25,6 millions de m3, principalement dans le département de la Gironde.

Cette forêt est détenue pour 94 % de sa surface par des propriétaires privés (30 000 propriétaires de plus de 4 hectares) et est orientée prioritairement vers la production de bois. Cette forêt " cultivée " est source d’une activité économique majeure pour l’Aquitaine. Ce sont ainsi plus de 30 000 emplois dans la sylviculture et les industries du bois et du papier qui revitalisent le milieu rural régional. De nombreuses entreprises sont leaders dans leur branche: leadership européen et 100 % de la fabrication française de papier kraft liner, premier fabricant mondial de papier kraft vergé, 80 % de la production nationale de pâte fluff, leader national pour le papier couché pour impression, premier producteur français de lambris.

Cette vaste forêt " habitée " se situe aux portes des grandes villes d’Aquitaine et en particulier de l’agglomération de Bordeaux (plus de 600 000 habitants) et offre à la population urbaine tous les services sociétaux auxquels elle aspire: activités de loisirs, découverte de la nature, chasse... Cette volonté régionale de concilier économie et autres usages de la forêt s’est notamment traduite par la création récente du vaste Parc régional des Landes de Gascogne qui s’étend sur près de 270 000 hectares et par l’entretien depuis plusieurs décennies d’une forêt de protection sur plus de 200 kilomètres de littoral atlantique.

2. La gestion durable du Massif landais - le besoin d’outils et d’indicateurs d’évaluation

La gestion durable du massif forestier landais est aujourd’hui la priorité des acteurs de la filière bois et des responsables politiques d’Aquitaine. Il s’agit de faciliter l’exploitation du bois, tout en pérennisant la ressource forestière et le fonctionnement de l’écosystème forestier, dont on connaît le rôle fondamental dans les cycles de l’eau, de l’air et du carbone. La région Aquitaine vient d’obtenir en 2002 la certification " Pan European Forest Certification " (PEFC).

Afin de produire des indicateurs utiles pour la gestion durable du massif landais, les responsables régionaux souhaitent disposer d’outils de suivi et d’évaluation pertinents et performants. Dans ce cadre l’IFN a été chargé en 1998 de développer un outil de suivi de ce massif, basé sur l’analyse périodique d’images satellitaires et la simulation de l’évolution de la ressource. Ce besoin d’outils de suivi a été amplifié par les conséquences de la violente tempête du 27 décembre 1999 qui, en détruisant plus de 100 000 hectares de forêt et en affectant gravement 100 000 hectares supplémentaires, a significativement et durablement amputé le capital productif du Massif landais.

Le comité de pilotage de l’étude confiée à l’IFN illustre la volonté commune et partenariale des acteurs. Il réunit le Ministère chargé des forêts, le Conseil régional d’Aquitaine, les organismes de recherche et l’université de Bordeaux, les organismes régionaux professionnels et interprofessionnels, l’Office national des forêts (ONF).

(3) L’outil IFN "Suivi de la ressource pin maritime en Aquitaine "

2.1. Objectif et méthode

L’objectif fixé à l’IFN était de:

1) Mettre au point une méthodologie et un outil (ensemble de logiciels) permettant de:

2) Mettre au point un simulateur permettant de:

La démarche adoptée a été la suivante:

2.2. Le volet télédétection

Une méthode automatisée de détection et cartographie des coupes rases à partir d’images satellitaires a été mise au point. Ces coupes ont ensuite été ventilées par classe d’âge et de diamètre.

Les images du satellite Landsat TM ont été retenues selon les critères suivants:

Figure 1: Limite des scènes Landsat utilisées

2.2.1. Méthode

Une différence normalisée est calculée entre les deux images d’un couple avec les étapes suivantes:

a/ Prétraitements

Les prétraitements des images rendent les radiométries et la géométrie des deux images compatibles. Ces pré-traitements consistent à effectuer:

b/ Détection automatique des coupes rases

Les coupes rases se caractérisent sur l’image par une augmentation de la radiométrie dans le moyen infrarouge. Pour appréhender les évolutions radiométriques, une image " différence " est calculée comme la différence pixel à pixel entre les deux radiométries des images normalisées dans cette bande spectrale.

Il en est déduit le calcul d’une probabilité de coupe rase " P " qui est fonction de la valeur des comptes numériques dans l’image " différence ". La probabilité de coupe rase est normalisée dans l’intervalle [0-1]. (figure 2)

P = (fréquence réelle - fréquence théorique)/fréquence réelle

La fréquence théorique est donnée par la valeur prise par une fonction normale calée sur les 5 comptes numériques de l’image les plus proches du mode.

En plus de l’évolution radiométrique donnée par ce critère " P ", un second critère est introduit pour éliminer le risque de confusion entre les jeunes semis ou plantations et les coupes rases. Il s’agit de l’état initial et final du peuplement estimé par la valeur de la radiométrie initiale et finale de chaque pixel.

On obtient en croisant ces deux critères un plan de probabilité à trois classes de changement de nature du couvert forestier, en considérant que les pixels qui ont une forte probabilité d’augmentation de radiométrie et qui passent d’un état de peuplement fermé à un peuplement ouvert marquent une coupe rase certaine. A l’opposé sont classés les peuplements forestiers non coupés. Entre ces deux extrêmes, les pixels au comportement moins marqué sont classés les parcelles à vérifier.

Figure 2: Calcul de la probabilité de changement

c/ Cartographie des coupes rases

Il s’agit de convertir un plan d’image raster où chaque pixel est affecté à une des trois classes en une carte à deux classes " coupe rase " et " absence de coupe rase ":

Après vérification sur 269 parcelles " test " réparties sur le massif, il a été constaté que la probabilité d’avoir une coupe rase était supérieure à 95 % lorsque le nombre de pixels classés en " coupe rase certaine " était supérieur à 60 % des pixels de l’agrégat. A moins de 40 % la probabilité d’absence de coupe rase était de 94 %. Les parcelles à vérifier se situent entre ces deux seuils.

La vérification de ces parcelles litigieuses ou de formes imprécises faite par analyse visuelle de l’image est la seule opération non automatisée. Elle permet d’effectuer un dernier contrôle sur la chaîne de détection automatique et d'éviter des erreurs grossières liées à des cas non prévus par la méthode tels la présence de petits nuages isolés.

2.2.2. Mise en œuvre et validation des résultats

La détection des coupes rases a été réalisée pour huit périodes entre 1990 et 1999. L’intégration des cartes des coupes rases successives de 1990 à 1999 a permis de construire une carte sur l’ensemble de la période.

La détection des coupes rases a été validée sur trois périodes (1994-95, 1995-96, 1996-97) à partir de quatre sources: données parcellaires de l’ONF, données de coupes rases des industriels (groupe SMURFIT - Cellulose du Pin), indicateurs globaux des volumes coupés par comparaison d’inventaires (IFN) et enquêtes annuelles de branche du Ministère chargé des forêts.

La mauvaise détection des coupes rases de faible superficie et en particulier celles de moins d’un hectare (11 % de la superficie totale des coupes rases et 2 % seulement par télédétection) a alors été mis en évidence. Cette sous-estimation est inhérente aux caractéristiques de l’image Landsat (résolution de 30 mètres) et aux traitements morphologiques après classification qui ne conservent que les agrégats de plus 72 ares (8 pixels). En appliquant une correction a posteriori prenant en compte ces petites coupes les résultats obtenus par télédétection apparaissent tout à fait satisfaisants (figure 3)

Figure 3: répartition des coupes rases par classe de superficie

Télédétection corrigée de la mauvaise détection des petites coupes rases

2.2.3. Répartition des coupes rases par classe d’âge ou de circonférence

La répartition des coupes rases par classe d’âge (ou de circonférence) est un descripteur important de la sylviculture pratiquée et un paramètre influent des études de ressource. Sa caractérisation à partir de la carte des coupes rases est le principal lien entre le volet télédétection et le volet modélisation et de simulation du projet (cf. figures 4 et 5).

Ces distributions ont été estimées en repositionnant les points de sondage des deuxième et troisième inventaires des départements de la Gironde, de Landes et du Lot-et-Garonne sur la carte des coupes rases. Pour les points situés dans une coupe rase, l’âge de la futaie de pin maritime sur ce point au moment de la coupe rase est calculé en fonction de l’âge des arbres de ce point au moment du relevé de terrain et de la date de la coupe détectée.

Figure 4: Répartition de la surface des coupes rases par classe d'âge

Figure 5: Taux de coupe rase en fonction de l'âge des peuplements

2.3. Modélisation et simulation de la croissance des peuplements de pin maritime

Le deuxième objectif de l’étude était de mettre à jour les données entre deux inventaires et de simuler l’évolution du massif et de ses potentialités en termes de mobilisation de bois. Pour ce faire a été mis au point un simulateur basé sur un modèle de croissance de peuplement de pin maritime et des scénarios sylvicoles.

2.3.1. Calibrage du modèle de croissance (LEMOINE)

Le modèle développé par Bernard LEMOINE (INRA Bordeaux) est un modèle peuplement. Construit principalement à partir de données provenant de parcelles gérées de manière traditionnelle, le modèle original ne permet pas de prendre en compte l’augmentation de productivité observée par l’IFN au cours des deux dernières décennies, du fait en particulier de pratiques sylvicoles plus intensives et des changements environnementaux. Pour réduire la sous-estimation de la production brute, le modèle a été calibré. Ce calibrage a porté sur le modèle de croissance en surface terrière: les paramètres des équations globales ont été ré-estimés de manière à minimiser l’écart entre les productions brutes simulées et évaluées à partir des troisième et quatrième inventaires du massif.

2.3.2. Les scénarios sylvicoles

L’évolution du massif a été simulée selon différents scénarios sylvicoles:


Age

Densité avant éclaircie

Densité après éclaircie

Nombre de tiges prélevées (%)

Circonf. moyenne av. écl. (cm)

Hauteur (m)

G(m²/ha) av. écl.

IC moyen entre 2 écl. (cm/an)

Volume unitaire av. écl. (m³)

Volume prélevé (m³/ha)

1re éclaircie

13

1220

815

405

33 %

44

9,0

19

3,4

0,06

21

2e éclaircie

18

805

605

200

25 %

59

12,7

22

2,6

0,15

26

3e éclaircie

24

590

445

145

25 %

74

16,5

26

2,4

0,31

39

4e éclaircie

31

430

310

120

28 %

91

20,0

28

2,1

0,56

58

5e éclaircie

39

300

230

70

23 %

108

23,1

28

1,8

0,91

55

Coupe rase

44

220

0

200

100 %

117

24,7

24

1,6

1,16

256









Volume total (m³/ha)

456









Accroissement moyen (m³/ha/an)

10,4

Figure 6: scénario sylvicole a priori; exemple de la " sylviculture classique "

2.3.3. Le simulateur Pinastre

Le simulateur Pinastre, développé par l’IFN (application Microsoft Access®), inclut les modules de traitement, les paramètres de simulation et les données descriptives de la ressource; il a permis de simuler l’évolution de la ressource de pin maritime en futaie régulière par:

2.3.4. Résultats et prospectives

Deux états initiaux de la ressource ont été simulés:

Alors que les récoltes calculées dans le premier cas (avec des paramètres de coupes rases déduits de la télédétection et d'éclaircie évalués par comparaison d'inventaire) sont parfaitement dans la continuité des résultats de l’enquête annuelle de branche (estimées à 8 Millions de m3/an en moyenne sur la période 1995-99 pour la futaie régulière de pin maritime), la simulation après tempête enregistre un déficit brut moyen de l’ordre de 720 000 m3 par an sur la période 2001-2020 par rapport à cette référence, le massif ne recouvrant son niveau de récolte d’avant la tempête qu’après 2020. (figure 7)

Après tempête

Calibrage IFN

Télédétection Scénario déterminé à partir de la cartographie des coupes rases; taux de coupe par classe d’âge

Comparaison d’inventaires:

1. Trois domaines d’études (2 en forêt privée + forêt publique)

2. Diminution annuelle du nombre de tiges par classe d’âge

Reconstitution " lente " des peuplements détruits à plus de 50%:

1. Sur quinze ans dans la Gironde;

2. Sur cinq ans dans les Landes et le Lot-et-Garonne

Figure 7: récolte moyenne annuelle par période de cinq ans par département et type de coupe pour le scénario 5 (x 1 000 m3/an)

3. Bilan et perspectives

La méthodologie de télédétection des coupes rases dans la massif landais, sous forme d’un ensemble de procédures informatisées, a été testée et validée. Le modèle de croissance LEMOINE calibré constitue le moteur d’un logiciel de simulation, utilisable pour prédire l’évolution quantitative de la ressource en pin maritime.

L'utilisation régulière de cet outil pour une détection annuelle ou bi-annuelle des coupes rases par télédétection et la mise à jour des paramètres entrant dans le simulateur (scénarios, reconstitution) permettra aux opérateurs de la filière bois et aux responsables politiques et administratifs d’Aquitaine de suivre de manière objective et précise, et d'anticiper l’évolution du massif landais.

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Bibliographie

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Durrieu S., 1994, " Utilisation de la télédétection satellitaire pour la mise à jour de la carte des types de peuplements de l’IFN ", Thèse de doctorat de l’ENGREF, 184p.

Durrieu S. et J.-G. Boureau, 1996, Studying the possibilities to update the French forest survey map using Spot images. Proceedings of the international workshop on Application of Remote Sensing in European Forest monitoring - Vienne Autriche, 14-16 oct. 1996, pp. 179-191

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Lemoine B.,1991, "Growth and yield of maritime pine (Pinus pinaster Ait); the average dominant tree of the stand", Ann. Sci. Fores., 48, 593-611

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Salas Gonzalez R., 1995, " Modélisation de l’évolution de la ressource du massif de pin maritime des landes de gascogne ", ENGREF thèse de doctorat.


[1] Inventaire forestier national (IFN). Échelon de Bordeaux. 62, rue de Laseppe 33000 Bordeaux. France.
Tel: 05 57 87 47 81. Mél: [email protected]
[2] Inventaire forestier national (IFN). Cellule évaluation de la ressource.
Place des Arcades, Maurin. BP 1001. 34972 Lattes Cédex. France.
Tel: 04 67 07 80 86. Mél: [email protected]; www.ifn.fr
[3] Inventaire forestier national (IFN). Cellule évaluation de la ressource.
Place des Arcades, Maurin. BP 1001. 34972 Lattes Cédex. France.
Tel: 04 67 07 80 86. Mél: [email protected]; www.ifn.fr
[4] Inventaire forestier national (IFN). Cellule évaluation de la ressource.
Place des Arcades, Maurin. BP 1001. 34972 Lattes Cédex. France.
Tel: 04 67 07 80 86. Mél: [email protected]; www.ifn.fr