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Forêt et développement durable: essai d'analyse et prospective scientifique et politique

Samuel L. Zé Bembé[1]


Résumé

La forêt ne joue pas encore un grand rôle dans le développement durable, particulièrement la forêt tropicale. Ce sont surtout les raisons politiques qui mettent cette forêt en danger dans les pays tropicaux.


2. Introduction

Les tentatives de gestion durable de la forêt connaissent des sérieuses limites, surtout en forêt tropicale dont l'avenir appelle une action collective vigoureuse.

Une problématique difficile

La présente contribution n'entend nullement procéder d'une polémique comme à l'accoutumée. Elle se voudrait un raisonnement scientifique.

2.1 La forêt et ses caractères spécifiques

Certains traits de la forêt constituent des sérieux obstacles. Sa proximité avec l'homme la rend vulnérable. Son gigantisme en fait une entité qu'on croit inépuisable, contrairement à d'autres ressources plus discrètes comme le pétrole ou les minerais. Elle apparaît aussi fixe alors qu'en réalité elle bouillonne de vie et d'énergie. Elle subit plus de ses ennemis qu'elle ne réagit, comme ailleurs la montagne l'eau ou l'air par des éboulements, les inondations les tempêtes ou autres cyclones. Elle constitue pour l'homme de forêt un habitat comme la ville pour le citadin. Sa densité de population est faible. Elle fait l'objet d'une forte appropriation et les autres activités humaines,agriculture urbanisation équipement tourisme, ont avec elle des rapports conflictuels. Tout ceci hypothèque gravement son avenir.

2.2 Forêt froide et tempérée et forêt tropicale dense humide

La première s'étend des deux tropiques jusqu'aux pôles correspondants, et l'autre se situe entre ces tropiques. Dans l'une on rencontre des essences résineuses, avec aussi en quantité sensiblement supérieure des essences feuillues. Dans l'autre ce sont celles-ci qui prédominent à 99%. La forêt froide et tempérée est partagée entre les particuliers les collectivités locales et les Etats. La forêt tropicale est toujours confisquée autoritairement avec les terres, aux populations locales, par les Etats coloniaux ou ceux qui leur ont succédé. Les soins et traitements en forêt tropicale n'ont que donné peu de résultats, alors qu'en forêt froide et tempérée ils sont assez efficaces. Tous les stades de la filière industrielle forêt-bois sont représentés en zone froide tempérée, mais en forêt tropicale prédominent des activités de première transformation que sont le sciage des bois d'œuvre, et la fabrication des placages et panneaux de bois. Les visions raisonnements et définitions des politiques et plans d'action, ignorent le progrès et la durée en forêt tropicale, contrairement à la forêt tempérée, et les réformes proposées sont essentiellement basées sur la rentabilisation à très brève échéance des capitaux financiers investis

3. Un contexte social et politique complexe et malsain.

Le cadre social et politique autour de la forêt tropicale se caractérise ainsi par un véritable enchevêtrement d'ententes et des conflits. Tout le monde s'oppose et tout le monde s'entend,... sur le dos de la forêt! Même les habitants de cette forêt n'en font pas exception.. En définitive c'est cette source de vie qui risque de perdre la vie.

3.1 Difficultés de l'expert ou du législateur

La crise de confiance ici est totale et la règle c'est gagner vite et encore gagner. Un secteur comme la forêt ne sera que rarement confié à des hommes ou femmes intègres. Le fonctionnaire consciencieux est tenu à l'écart. Le législateur regardant est combattu. Les consultants des grandes organisations, Banque Mondiale (Bm), Fonds monétaire international (Fmi), Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), Fonds des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation (Fao), Organisation internationale des bois tropicaux (Oibt), et d'autres agences similaires, sont choisis à dessein, et rarement sont du métier. Les organismes forestiers nationaux ou régionaux ne présentent pas de bilan des décennies après leur création, sans parler des ministères au chômage.

3.2 Des constitutions faibles et à risques

Les constitutions des Etats tropicaux présentent des vices et oublis volontaires. Particulièrement sont éludés les droits fondamentaux et libertés des citoyens, brièvement survolés dans des prologues. Les gouvernants ne se sentent pas obligés de les appliquer, et leurs pouvoirs régaliens sont si exorbitants qu'ils étouffent ceux du législateur. Le refus d'un débat d'opinion sur des problèmes majeurs de la part de certaines organisations internationales, et leur recours fréquent au chantage pour faire ployer tout gouvernement récalcitrant, compliquent aussi le travail du législateur et de l'expert.

3.3 Forêt et développement, quel lien?

Ceux-ci sont confrontés en premier lieu à la question du lien entre forêt et développement. Pour l'habitant de forêt ses droits essentiels résident dans «sa» forêt. Malheureusement tout ne concourt qu'à la lui arracher. L'investisseur étranger se voit primer, par concession, de cette manne tombée du ciel. De ce bien constituant son capital, la communauté locale est brutalement sevrée. Les Etats autoritaires des tropiques apparaissent ainsi comme les premiers fossoyeurs du développement de leurs peuples. Ils ne comptent que sur des hyper fiscalités qui ne suffisent pas à faire du vrai développement. Et ce ne sont pas des investisseurs étrangers cherchant des superbénéfices qui pourraient valoriser et renouveler le patrimoine forestier.

3.4 Forêt et environnement, quelle approche?

L'objection formulée ci dessus prévaut ici. En effet pourquoi l'évocation avec un «le» article défini de l'environnement? N'est-ce pas là tout le flou de la situation?Parler d'«un» environnement serait plus commode. Il ne s'agit pas de quelque chose de statique, comme certains tentent de le faire croire, mais d'un état évolutif. Un environnement sain comme on le souhaite est donc un processus comme tout développement. Il nécessite un lourd tribut à payer, et dans ce prix doit être incorporée la valeur économique et sociale réelle de la forêt.. C'est celle-ci qu'il faudrait allouer en compensation, à la communauté qu'on prive de ce bien pour son développement.

3.5 Forêt et agriculture, quel avenir?

Une forêt qui passe sous l'agriculture n'est pas forcément une perte pour la société. On a autant besoin de nourriture que de ce bois «qui s'en va» on ne sait trop où. Pour remédier à la destruction qui suit l'exploitation forestière il faut un reboisement à taux déterminé, inclus dans un vrai programme de réforme agraire et d'aménagement du territoire. Cet aménagement et ses variantes forestières devraient connaître des prescriptions d'objectifs, de rythmes et méthodes, et de contrôles très strictes. Sa réussite est fonction de cette vitesse de cette efficacité, et des moyens mis à contribution. Des pays qui appliquent un tel régime ont vu leurs surfaces de forêt ou verte croître et même s'enrichir.

3.6 Forêt et ajustement structurel, quel mariage?

Gestion durable de la forêt et plans d'ajustement structurel sont opposés, du moins dans leurs conceptions actuelles. Ceux ci ne prennent en compte que le court terme, en comprimant sévèrement les dépenses et optimisant tous azimuts les recettes. Un insatiable service de la dette à satisfaire comme cela tue l'investissement. Ceci pénalise la forêt en accélérant son exploitation marchande au détriment de son renouvellement.

3.7 Forêt et géopolitique, le désespoir?

N'existant pratiquement que dans des pays où les formules de démocratie adoptent le système «d'un homme une voie», la forêt tropicale qui ne compte qu'une population faible, n'est pas un atout politique. Les régimes ultra centralisés en place sont organisés en pôles de puissance basés sur le groupe ou l'ethnie. Ces lobbies au réflexe hégémonique et prédateur condamnent la forêt à une exploitation anarchique. Certains gouvernements contournent même des lois votées pour arnaquer ces faibles populations. Les aides extérieures si gracieuses sont oublieuses à 99% de ces régions perdues en brousse. Tout ceci condamne les régions concernées à un sous-développent et une pauvreté chroniques.

4. Exemples du Zimbabwe et du Cameroun

Ces deux cas apparemment sans lien présentent pourtant beaucoup de similitudes.

4.1 Similitudes et différences

Les deux pays ont été colonisés et soumis au régime de dépossession de leurs terres et ressources des populations africaines. Au Zimbabwe, pays très peu forestier, les colons fermiers se sont installés pour de bon. Aujourd'hui l'espace devenu serré, provoque des soubresauts nationalistes et xénophobes des masses africaines. Au Cameroun par contre, pays très forestier, les colons se sont contentés d'extraire de la forêt ses richesses déjà si abondantes. Il en allait donc d'une cueillette tout court, d'où cette persistance des nationaux à percevoir tout ce qui est concession affectant une ressource naturelle, forêt minerais pétrole, et même aujourd'hui services publics, comme une vulgaire cueillette.

4.2 Des capitalismes particuliers

Au Zimbabwe ils sont opposés, avec d'un côté le capitalisme des colons fermiers, et de l'autre celui africain émergent. Les antagonismes prennent source dans la dispute des terres arables. Le pouvoir du Zimbabwe est ainsi plus proche des communautés africaines qui le soutiennent. Par contre au Cameroun, les deux capitalismes sont très impliqués, ce qui relègue frustrations sous développement et pauvreté à la base.

4.3 De la controverse sur la loi forestière du Cameroun

Dans ce pays on a affaire à un pouvoir éloigné des communautés de base, mais qui par une grande habilité politique sait toujours s'en faire plébisciter. Néanmoins le peuple reste méfiant. Le débat et le vote de la loi forestière en 1994, auront constitué une démonstration de cette crise de confiance.

4.3.1 Le jeu de la surprise

Le Cameroun en ce qui concerne la gestion de la forêt est un cas type de gâchis. Celle-ci ne contribue que pour quelques quatre pour cent au Pib national, alors qu'elle pourrait atteindre quinze ou même vingt. En 1994 le gouvernement conseillé par la Banque mondiale, se heurte à l'Assemblée nationale sur un projet de code forestier. Celui ci élaboré en secret, n'est introduit au débat parlementaire qu'à trois jours avant la clôture d'une session. Le but était visiblement de prendre l'assemblée de court, un débat à fond n'étant pas souhaité. Mais les élus du peuple réunis au sein d'un parlement à cette époque réellement pluraliste réagiront, démontrant que la démocratie véritable est réellement porteuse de synergie et d'efficacité.

4.3.2 Les encouragements d'un président

Ils braveront ainsi toutes les menace brandies, et courageusement «retoiletteront», comme ils l'ont désigné eux-mêmes, ce projet de texte mal inspiré. Ils ne le purent pourtant que grâce à la clairvoyance du président de la république en place à cette période, qui seul parmi tant d'autres dignitaires, encouragea ces élus du peuple à faire leur travail. Si certains de ceux ci en payent encore les frais, ils se consolent d'avoir pour la première fois dans ce pays, fait prévaloir les intérêts du peuple sur le plan forestier, même si ceci ne l'est encore qu'à titre dérisoire. Mais c'est un combat qui continue.

4.3.3 un terrible gâchis

Au lieu donc d'avancer des choses et d'autres contre cette assemblée, il faudrait plutôt chercher à mieux s'imprégner des réalités nationales. Il faudrait surtout que les réformes touchant au secteur forestier soient revêtues du sceau de la sincérité de l'authenticité et de la crédibilité. Car qui s'imaginerait aujourd'hui une entreprise en France en Suède ou en Belgique, disposant de sept à huit millions d'hectares de forêt de production, et n'en tirant que trois millions de mètres cubes de bois d'œuvre? Avec ainsi à peine un demi mètre cube produit à l'hectare (2),même la si minuscule forêt Wallone, en francs constants et valeur absolue, contribuait déjà en 1980 des centaines des fois plus au Pib national de Belgique, que la mastodonte forêt camerounaise ne le fait aujourd'hui!(3). Si on y ajoute les trois millions d'hectares de forêt gelés en aires protégées(4), dire que la forêt contribue dérisoirement au développement de ce pays tropical, n'a rien d'exagéré.

5. Que faudrait-il donc faire?

Il conviendrait d'agir à la fois sur les obstacles historiques et contemporains.

5.1 Sur le plan agraire et social

En dehors des exigences d'État de droit, de démocratie, et d'une meilleure gestion des affaires publiques, se pose la nécessité d'un aménagement sans délai du territoire, et ses corollaires fondés sur une réforme agraire équitable. Celle ci devrait procéder d'une rétrocession juste de propriété des terres et ressources naturelles, à leurs ayants droits naturels et légitimes que sont les peuples. Le développement durable des régions forestières tropicales est nécessairement lié à cette libération des richesses confisquées au sommet.

5.2 Sur le plan scientifique

Il conviendrait de privilégier des visions et schémas moins stéréotypés et émotionnels. Tout plan d'action devrait intégrer une dimension de durée et de rentabilité raisonnable. Est aussi nécessaire le développement d'une recherche et d'un enseignement scientifiques plus efficaces et aux résultats exploitables. Il faudrait enfin promouvoir pour l'économie forestière tropicale une meilleure couverture de toute la filière forêt-bois, et un redéploiement marketing plus dynamique.

5.3 Sur le plan politique et de la coopération internationale

Les organismes et instruments internationaux d'intervention en forêt tropicale devraient moins exiger des réductions d'effectifs qui mettent tant de techniciens et cadres compétents hors jeu. Elles devraient aussi mieux cibler leurs recrutements des consultants sur des cadres compétents et honnêtes. Ces partenaires auraient ainsi moins à clamer l'incompétence et les faiblesses institutionnelles nationales, pour justifier l'échec des réformes imprudemment entamées. Une révision profonde de ces organismes et instruments est aussi nécessaire. Avec leurs tutelles, elles devraient déjà réévaluer leurs missions et tâches, et les redéfinir de manière plus appropriée. Des audits en dehors de ceux effectués par leurs organes internes habilités, devraient être confiés à un corps indépendant d'experts internationaux. Comme pour d'autres domaines sensibles, tels que ceux de l'armement, du nucléaire, de l'énergie atomique, de la finance ou de la grande criminalité, ce sont ces experts qui aussi traqueraient partout dans le monde les «terroristes» forestiers. Des banques et autres institutions régionales de développement, devraient être envisagées localement, aux fins d'une action plus proche des concernés.

6. Conclusion

La réussite de cette vaste entreprise universelle de réforme réside dans un triptyque: nouvelles idées nouvelles visions et nouvelles approches, tout ceci sous tendu par une ferme volonté de sauvegarder la forêt tropicale actuellement très menacée. Et de même compte tenu de la lourde facture à payer, c'est chacun qui devrait y souscrire au mieux de ses moyens.

Bibliographie

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Ze Bembe, S.L., 2000. Intreview. Perspectives Hebdo n°. 223, hebdomadaire, Yaoundé, p.6-7

Légende

(2) Chiffres de l'Annuaire statistique nationale 1998 du Cameroun
(3) Extrait de la revue Wallonie 83/6
(4) Chiffres Forêts et Bois des Tropiques n°. 268/2,2001.

Icgref (Nancy) Insead/Iep (Fontainebleau)

Ancien Député et Vice Président de l'Assemblée Nationale du Cameroun

Ancien Chef de la Délégation parlementaire du Cameroun à l'Assemblée paritaire Afrique Caraïbes Pacifique Union européenne(Acp-Ue)

Boite Postale 4539 Yaoundé, République du Cameroun

E-mail: [email protected]

Téléphone:237-774 61 25

237-9632925


[1] Ingénieur Général des Eaux et Forêts Ensa (Yaoundé)