0818-B1

Evaluation des dégâts des tempêtes de décembre 1999 en France

Jean Wolsack[1], Gérôme Pignard[2]


Résumé

Les tempêtes Lothar et Martin ont causé des dommages considérables dans les forêts françaises en décembre 1999. L'Inventaire forestier national a été chargé de cartographier les peuplements dévastés et d'évaluer le volume de bois cassé, informations jugées précieuses pour organiser l'exploitation des chablis et la reconstitution des peuplements détruits.

Dans le cas particulier du massif landais de Pin maritime, l'exploitation d'images Landsat s'est avérée efficace pour la réalisation d'une carte des chablis à un coût et dans des délais satisfaisants. Ailleurs, dans des conditions plus représentatives de la diversité du milieu naturel et des forêts françaises, les résultats peu probants des tests préliminaires d'utilisation de l'imagerie satellitaire et l'absence de méthode éprouvée ont conduit l'IFN à opter pour une cartographie des dégâts à partir de photographies aériennes. Cette technique, coûteuse en temps et en énergie, n'a cependant pas permis de répondre à la demande dans les délais impartis. Un retour sur les placettes d'inventaire a également été effectué dans une dizaine de départements. Il a mis en évidence l'importance quantitative des chablis diffus, non pris en compte par les approches aériennes et spatiales, et qui représentent couramment près de la moitié du volume total des chablis.

Afin de se préparer à faire face à une future demande similaire dans de meilleures conditions, l'IFN coordonne un travail de recherche dans le cadre du programme "Forêt, vents et risques" initié par le GIP ECOFOR. Il s'agit de tester, à l'aide d'une large gamme de données disponibles, les possibilités d'utilisation opérationnelle de l'imagerie satellitaire, tout en prenant en compte les contraintes spécifiques posées par la cartographie des chablis sur des territoires étendus.

L'objet de cette communication est la présentation des méthodes mises en œuvre, des résultats obtenus et des enseignements qui en ont été tirés.

Mots-clés: chablis, tempête, inventaire forestier, cartographie, photo-interprétation, télédétection, estimation.


Introduction

Les deux tempêtes successives qui ont parcouru près de la moitié du territoire national les 26 et 27 décembre 1999 ont causé des dommages considérables dans les forêts françaises. L'Inventaire forestier national (IFN) a été chargé de cartographier les peuplements dévastés et d'évaluer le volume de bois cassé, informations jugées précieuses pour organiser l'exploitation des chablis et la reconstitution des peuplements détruits. Même si l'enjeu doit être relativisé par rapport aux difficultés rencontrées par les gestionnaires et les exploitants forestiers, cette tâche n'en a pas moins représenté un défi pour l'IFN. La zone ciblée couvrait en effet pratiquement cinq fois la superficie traitée annuellement par l'IFN en situation courante.

Le déroulement chronologique de cette évaluation, les méthodes et les principaux résultats sont présentés. Les enseignements tirés de ces opérations et de travaux complémentaires permettent d'engager la réflexion sur la conduite à tenir si une situation similaire se représentait à l'avenir.

1. Historique de la procédure d'évaluation

Face à l'ampleur de dommages sans précédents sur le territoire national, les services forestiers ont réévalué plusieurs fois à la hausse le bilan des dégâts infligés aux forêts: 90 millions de m³ de chablis le 31 décembre 1999, 115 millions de m³ dans une note de la Direction de l'espace rural et de la forêt (DERF) datée du 6 janvier 2000, et enfin 138,3 millions de m³ dans l'évaluation publiée par le ministère chargé des forêts le 27 février 2000, qui clôturait cette première phase d'estimation rapide basée sur le travail de cellules de crises régionales et départementales.

Confronté à ces incertitudes, le ministère a souhaité disposer le plus vite possible d'une estimation fiable des dégâts et a précisé le 5 janvier 2000 ses besoins au cours d'une réunion rassemblant les principaux experts, organismes publics et sociétés privées susceptibles de participer à cette tâche: disposer pour fin avril 2000 d'une carte complète des terrains dévastés, dans les 12 régions administratives les plus affectées. Le croisement de cette carte avec les bases de données de l'IFN devait ensuite fournir une estimation du volume de bois accidenté.

L'expérience allemande consécutive aux tempêtes de 1990 conduisait à privilégier les approches aériennes ou spatiales pour des raisons pratiques: difficulté d'accès aux forêts, imprécision des cartes tracées à partir d'observations au sol. La question alors posée était de savoir si la télédétection, radar ou optique, pouvait permettre de gagner du temps par rapport à l'utilisation de photographies aériennes. Fort d'une expérience favorable dans le massif landais de Pin maritime, l'IFN y engageait rapidement la cartographie des dégâts à l'aide d'images satellitaires LANDSAT selon une méthode permise par un contexte forestier unique en France mais non transposable à d'autres régions (2). Devant le manque de références et l'absence de méthode éprouvée applicable dans d'autres situations, la DERF donnait son accord pour le financement d'une étude méthodologique rapide, coordonnée par l'IFN et destinée à évaluer les possibilités opérationnelles d'utilisation des images satellitaires. L'utilisation d'images SPOT et ERS fut testée sur deux sites en Ile-de-France et en Corrèze, et le résultat comparé à une carte réalisée par interprétation classique de photographies numériques prises à basse altitude (500 à 1000 m). Les erreurs furent trop importantes pour considérer la méthode comme fiable, en raison principalement de conditions défavorables liées à la saison et influençant la qualité des images: soleil bas sur l'horizon, feuillus sans feuilles, présence de neige ou de gel..., conditions aggravées en zone de relief ou en présence de peuplements mélangés (5).

Sur la base de ces résultats décevants présentés le 5 février 2000, et après un appel d'offres infructueux, l'IFN optait, début avril, pour une solution exclusivement basée, hors massif landais, sur l'interprétation de photographies aériennes, et dont la réalisation fut en partie sous-traitée. Les résultats, surface et volume de chablis, ainsi que les cartes numériques à grande échelle furent publiés au fur et à mesure de leur production sur le site Web de l'IFN (1, 3). En raison d'un certain nombre de difficultés, le travail ne fut achevé qu'au dernier trimestre 2002, au-delà de la durée prévue de 6 mois.

Parallèlement à ces tâches cartographiques, les équipes de l'IFN sont retournées sur des placettes dans une dizaine de départements avec pour objectif principal la mise à jour d'inventaires récents.

2. Méthodes et techniques mises en œuvre

Carte 1: zone couverte par l'évaluation des chablis et techniques utilisées

2.1. Analyse d'images satellitaires Landsat pour la cartographie des dégâts dans le massif aquitain de pin maritime

L'IFN a produit dès avril 2000 une carte des peuplements détruits à partir de deux images Landsat selon une méthode de détection des changements mise au point pour le suivi des coupes rases, adaptée à la problématique chablis et comportant les étapes suivantes:

1) superposition et géoréférencement des deux images;

2) normalisation relative;

3) calcul d'une image différence;

4) analyse des évolutions radiométriques et classification de l'image différence en classes d'intensité des changements;

5) photo-interprétation de cette image des changements et affectation à chaque face d'une intensité à l'aide d'un modèle étalonné à l'aide d'observations de terrain.

La dernière étape, propre à la cartographie des chablis a été ajoutée pour tenir compte de la faible cohésion spatiale des changements, qui correspond à la situation observée sur le terrain où un peuplement partiellement endommagé est souvent constitué d'un mélange intime de zones atteintes et indemnes. La généralisation sous système d'information géographique a été réalisée par les photo-interprètes de l'IFN avec un seuil de représentation surfacique minimal de 4 ha. Cinq classes d'intensité des dégâts ont été distinguées: 0-20 %, 20-40 %, 40-60 %, 60-80 %, 80-100 %.

Cette cartographie a été possible d'une part du fait des caractéristiques propres du massif landais de Pin maritime: peuplements monospécifiques gérés en futaie régulière, absence de relief, et d'autre part grâce à l'acquisition d'une image de qualité le 20/01/2000 par le capteur Landsat 7 ETM, moins d'un mois après la tempête. Bien que présentant une résolution de 30 m, supérieure à celle offerte par SPOT, les images Landsat ont été choisies du fait de leur large emprise spatiale permettant de couvrir la zone d'intérêt avec une seule image et de réduire les temps de traitement tout en assurant une plus grande homogénéité de l'information.

2.2. Interprétation de photographies aériennes

Dans la majeure partie de la zone traitée, soit 30 départements, une couverture spécifique à l'échelle du 1/30 000 et sur émulsion panchromatique noir et blanc a été utilisée. Le choix de cette échelle constitue un compromis en matière de coût et de qualité de l'interprétation: une échelle supérieure aurait entraîné un renchérissement de la couverture elle-même et de son exploitation tandis qu'une échelle inférieure aurait réduit sensiblement les possibilités d'identification des parcelles dévastées. L'émulsion infrarouge couleur, utilisée traditionnellement à l'IFN, a été employée, à l'échelle du 1/20 000 pour huit départements dont la couverture était planifiée pour l'année 2000. Les prises de vue ont commencé en février 2000 et se sont terminées en octobre 2000 sauf pour certains départements: Aube, Marne, Haute-Marne, Meurthe-et-Moselle dont les photographies ont été reportées en 2001 pour des raisons météorologiques.

Les zones de dégâts ont été délimitées par photo-interprétation à l'intérieur d'un masque déduit de la carte forestière de l'IFN et limité aux massifs de plus de 4 ha, avec contrôle sur le terrain. Quatre classes d'intensité de dégâts ont été distinguées, définies en taux de couvert détruit: 0-10 %, 10-50 %, 50-90 %, 90-100 %. Les normes cartographiques retenues sont les suivantes: géoréférencement Lambert 2 étendu, référentiel Scan 25 (carte topographique au 1/25 000 scannée) de l'Institut géographique national, précision géométrique de 50 m, seuil de représentation de 1 ha.

Ce travail a été réalisé par les photo-interprètes de l'IFN ou par des prestataires extérieurs spécialisés en cartographie, avec dans ce dernier cas un contrôle systématique portant sur 5 % de la surface boisée. L'Institut d'aménagement et d'urbanisme de l'Ile-de-France (IAURIF) a cartographié les dégâts dans cette région et l'Office national des forêts (ONF) l'a entreprise pour le département des Vosges.

En dépit de la motivation et de la mobilisation du personnel de l'IFN, de nombreux retards ont été enregistrés, pour plusieurs raisons:

- contraintes des procédures de passation des marchés publics avec les divers prestataires;

- délais de réalisation des prises de vue: attente liée à l'expérimentation de l'imagerie satellitaire, saturation des prestataires, difficultés d'obtention des autorisations de vol, mauvaises conditions climatiques de l'été 2000;

- sous-estimation de la durée de réalisation de la carte des dégâts par photo-interprétation; difficulté de la tâche, notamment sur les couvertures postérieures au printemps 2000 (redémarage de la végétation pouvant masquer les chablis, reprise des coupes et nettoyage des terrains dévastés), induisant des phases de contrôle et de reprise du travail importantes, notamment pour les prestataires extérieurs.

2.3. Retour sur le terrain des équipes de l'IFN

Les équipes de terrain de l'IFN sont retournées, après rétablissement de l'accès aux peuplements, sur les placettes d'inventaire dans les départements récemment inventoriés (Gironde, Landes, Haut-Rhin, Sarthe) ou en cours d'inventaire en décembre 1999 (Cher, Mayenne, Yonne).

Elles ont noté, sur chaque placette, les dégâts au niveau de l'arbre lorsque cela était possible. Dans le cas contraire, une estimation du taux de dégâts a été faite globalement, en effectif pour les peuplements réguliers, en couvert pour les peuplements irréguliers. Ce taux a ensuite été appliqué au volume sur pied préalablement calculé.

La réalisation d'inventaire départementaux après 1999 a fourni des données similaires (Lot-et-Garonne). En Corrèze, un retour des équipes sur les placettes a également été programmé, bien que l'inventaire soit relativement ancien (1990), afin de quantifier l'importance des dégâts diffus non cartographiés.

3. Les résultats

3.1. Evaluations issues de la carte des dégâts

3.1.1. Méthode

Les limites des zones de dégât ont été croisées avec les bases de données de l'IFN pour estimer les volumes de chablis par essence, classe de propriété et région forestière. Le calcul a été effectué conformément aux principes de la méthode cartographique de l'IFN (6). Pour chaque plage cartographiée intersection d'une classe de dégât et d'un domaine d'étude statistique (DES) support de l'échantillon de l'IFN, le volume des chablis a été estimé comme le produit de la surface de la plage par le volume par ha moyen du DES et par le taux de dégât moyen de la classe. Ce dernier a été estimé forfaitairement ainsi, faute de données d'étalonnage: 0 dans la classe inférieure (dégâts diffus indécelables par photo-interprétation ou traitement d'images), taux médian dans les classes intermédiaires, taux 100 % dans la classe supérieure. Cette méthode comporte un certain nombre de biais, qui ont pu être évalués à partir de données de terrain:

- omission des dégâts dans les massifs de moins de 4 ha (bosquets, boqueteaux, peupleraies);

- omission des dégâts diffus (surface inférieure à 1 ha);

- biais résultant de l'application de taux de dégât forfaitaires au volume moyen à l'hectare dans les domaines cartographiés sans distinction des classes d'âge, alors que l'âge des peuplements est corrélé à la hauteur dominante et à la vulnérabilité des peuplements;

3.1.2. Résultats

La surface boisée de production couverte est de 6,5 millions d'ha (pour 43 départements, Doubs et Vosges étant manquants). La surface détruite à plus de 10 % est estimée par l'IFN à 870 000 ha (tableau 1). Plus de 450 000 ha, dont 75 % en forêt privée, ont été dévastés à plus de 50 % et devront vraisemblablement faire l'objet de travaux de reconstitution. Cette surface est supérieure à 20 000 ha dans 6 régions administratives: Aquitaine, Lorraine, Limousin, Champagne-Ardenne, Poitou-Charentes et Rhône-Alpes. Le volume des chablis est évalué à 84 millions de m³ (tableau 2).

Surf aces détruites (ha)

Surface boisée

Classe de dégâts

Total dégâts > 50%

10-50 %

50-90 %

> 90%

privée

publique

total

Alsace

325 375

6 273

11 842

3 319

1 777

13 384

15 161

Aquitaine (24)

398 333

31 319

25 393

7 100

31 748

745

32 493

Aquitaine (33, 40p, 47p)

958 568

38 905

79 408

58 582

132 703

5 287

137 989

Auvergne (15, 43, 63)

618 674

20 932

8 215

4 286

9 598

2 903

12 501

Basse-Normandie (14, 50p, 61)

136 777

3 042

3 407

2 564

4 495

1 476

5 971

Bourgogne (21p, 58, 71p, 89)

826 151

40 100

8 601

3 815

8 706

3 710

12 416

Centre (45)

176 337

3 027

1 369

542

1 520

391

1 911

Champagne-Ardenne (10, 51, 52)

529 788

75 634

32 132

10 166

27 938

14 360

42 298

Franche-Comté (39p, 70p, 90)

209 485

7 665

2 048

749

992

1 805

2 797

Ile-de-France

281 654

15 308

6 464

2 628

5 718

3 373

9 092

Languedoc-Roussillon (48p)

196 425

3 960

1 852

982

2 245

589

2 834

Limousin

531 785

26 751

28 097

22 334

22 334

2 024

50 431

Lorraine (54, 55p, 57)

525 055

105 640

45 041

22 711

18 176

49 577

67 753

Midi-Pyrénées (12p)

155 298

228

63

84

92

55

147

Poitou-Charentes (16, 17p, 79p, 86p)

283 342

24 393

20 959

13 827

27 905

6 882

34 787

Rhône-Alpes (07p, 42p, 69p)

351 228

15 902

10 668

11 625

20 392

1 901

22 294

Total

6 504 274

419 079

285 560

165 315

342 412

108 462

450 874

Tableau 1: estimation de la surface détruite par région administrative et par classe de dégâts

Les départements pris en compte partiellement sont suivis de la lettre p: voir carte 1

Les classes de dégât du massif landais ont été agrégées ainsi: classes 20-40 % et 80-100 % affectées respectivement aux classes 10-50 % et 90-100 %, classes 40-60 % et 60-80 % affectées à la classe 50-90 %.

CHABLIS DECEMBRE 1999

Volume sur pied avant tempête

Volume des chablis (1 000 m3)

Taux de dégâts (%)

(1 000 m3)

Feuillus

Conifères

Total

Alsace

84 017

1 450

2 121

3 571

4,3 %

Aquitaine (33, 40p, 47p)

180 472

957

15 281

16 238

9,0 %

Aquitaine (24)

58 318

2 777

2 579

5 357

9,2 %

Auvergne (15, 43, 63)

120 022

801

2 273

3 074

2,6 %

Basse-Normandie (14, 50p, 61)

39 956

593

538

1 131

2 8 %

Bourgogne (21p, 58, 71p, 89)

168 102

2 772

1 023

3 796

2,3 %

Centre (45)

51 349

172

192

364

0,7 %

Champagne-Ardenne (10, 51, 52)

90 314

6 489

2 066

8 555

9,5 %

Franche-Comté (39p, 70p, 90)

98 688

682

460

1 141

1,2 %

Ile-de-France

49 453

1 872

356

2 227

4,5 %

Languedoc-Roussillon (48p)

29 808

36

454

49

1,6 %

Limousin

101 870

4 453

4 433

8 88

8,7 %

Lorraine (54, 55p, 57)

115 239

12450

6419

18 869

16,4 %

Midi-Pyrénées (12p)

29 249

11

27

37

0,1 %

Poitou-Charentes (16, 17p, 79p, 86p)

48 995

2 652

2 102

4 754

9,7 %

Rhône-Alpes (7p, 42p, 69p)

71 665

941

4 538

5 479

7,6 %

Total

1 337 517

39 108

44 862

83 970

6,3 %

Tableau 2: volume des chablis par région administrative

3.2. Les enseignements des retours sur le terrain

Les résultats présentés ci-dessus sont très inférieurs à l'estimation publiée en février 2000, ce qui a pu laisser planer un doute sur la fiabilité de la méthode et parfois sur la sincérité de l'évaluation initiale. La réalisation conjointe dans 4 départements (19, 33, 40 et 89) d'une carte des dégâts et d'un retour sur les placettes de l'IFN a permis d'évaluer les biais inhérents à la méthode dite cartographique.

L'estimation du volume des chablis déduite des retours terrain est pratiquement non biaisée. L'utilisation de données anciennes introduit une légère sous-estimation en raison de la capitalisation générale observée dans les forêts françaises, négligeable pour des inventaires récents et réduite de manière satisfaisante par une procédure d'actualisation des inventaires plus anciens (Corrèze).

Les résultats calculés à partir de la carte des dégâts sont très inférieurs à l'estimation obtenue par le retour sur le terrain (tableau 3). L'analyse des données montre que les écarts observés s'expliquent avant tout par l'importance des "chablis diffus", c'est-à-dire dont la superficie est inférieure à 1 ha, seuil de prise en compte cartographique. En dehors du cas de la Gironde, caractérisé par des dégâts massifs, les chablis diffus représentent plus de 50 % du volume total dévasté. Les chablis dans les petits massifs (bosquets et boqueteaux) ont un poids plus limité, souvent peu significatif.

Département

19

33

40

89

Estimation cartographique

1 731 561

14 335 019

1 605 153

1 868 406

Estimation terrain

6 939 673

20 824 664

5 271 049

3 719 071

Ecart relatif

- 75 %

- 31 %

- 70 %

- 50 %

Omission petits massifs

13,3 %

0,5 %

0,4 %

1,6 %

Omission chablis diffus

55 %

33 %

77 %

53 %

Tableau 3: volume des chablis (m³): comparaison des estimations cartographiques et terrain (valeurs relatives exprimées en % de l'estimation terrain).

Si on compare par ailleurs les estimations provenant des retours sur le terrain avec celles publiées en février 2000 par la DERF (tableau 4), on observe que dans 6 cas sur 9 l'estimation IFN est supérieure à l'évaluation initiale. Sur l'ensemble des 9 départements pour lesquels cette comparaison est possible, l'écart relatif est de + 21 % en faveur de l'estimation IFN terrain. En extrapolant cet écart à l'ensemble du territoire national, ce qui est toutefois audacieux compte tenu de sa grande variabilité, on aboutirait à une estimation des chablis au niveau national d'environ 170 millions de m³. L'évaluation initiale de 140 millions de m³ de chablis serait donc plutôt une estimation par défaut.

Département

Estimation IFN terrain

Estimation février 2000

Ecart relatif

33

20 824 664

17 618 000

18 %

19

6 939 673

7 444 200

-7 %

40

5 271 049

3 500 000

51 %

39

3 719 071

1 590 400

134 %

63

2 320 998

1 101 940

111 %

47

1 007 323

2 004 000

- 50 %

18

461 588

251 800

83 %

72

392 018

223 000

76 %

53

38 522

51 500

-25 %

Total

40 974 905

33 784 840

21 %

Tableau 4: volume des chablis (m³): comparaison de l'estimation IFN retour terrain et de l'évaluation initiale de février 2000.

4. Et si une nouvelle tempête survenait!

Le compte-rendu de cette expérience montre que la cartographie des dégâts et l'estimation des volumes détruits ne sont pas encore choses aisées et rapides à obtenir à l'échelle d'un pays comme la France, caractérisé par une grande diversité forestière. L'utilisation de photographies aériennes a permis une cartographie fiable des dégâts dans tous les types de forêt et toutes les situations. Cette technique conserve un intérêt certain dans le cas de tempêtes localisées, mais la réflexion doit aujourd'hui porter sur les possibilités d'obtenir une information de qualité équivalente, dans des délais plus courts et à moindre coût. L'utilisation d'images satellitaires permet de réduire les délais d'acquisition et les temps d'analyse mais demeure insuffisamment maîtrisée pour un besoin opérationnel généralisé.

Afin de progresser dans cette direction, l'IFN coordonne un projet dans le cadre du programme "Forêt vents et risques" initié par le groupement d'intérêt public écosystèmes forestiers (GIP-ECOFOR), associant le Centre d'étude spatiale de la biosphère (CESBIO) et le Cemagref (4). Ce projet a pour objectif de définir des conditions optimales d'utilisation des images satellitaires actuellement disponibles pour la cartographie des dégâts en forêt, en tirant parti des données accumulées depuis fin 1999. Il s'agit d'identifier, dans les différentes configurations de peuplements, de relief et de dégâts, les caractéristiques des images nécessaires pour atteindre le but recherché, et de mettre au point les techniques d'exploitation correspondantes. Les premiers résultats sont les suivants:

- l'analyse de l'intensité du signal radar n'a pas été en mesure de fournir des résultats réellement fiables;

- les domaines spectraux pour lesquels la manifestation radiométrique des dégâts est la plus franche sont le visible et plus encore le moyen infrarouge;

- les images optiques d'hiver présentent de nombreux inconvénients et les résultats de l'étude de janvier 2000 sont confirmés. Leur utilisation ne paraît envisageable que dans le cas de grands massifs purement résineux sur terrain plat, c'est-à-dire en France dans le massif aquitain. En revanche les images d'été fournissent des résultats très satisfaisants, avec pour inconvénient le délai qu'elles imposent dans le cas d'une tempête d'automne ou d'hiver;

- la résolution et la précision géométrique des images LANDSAT s'avèrent souvent insuffisantes notamment lorsque les peuplements présentent une structure spatiale complexe (imbrication de peuplements hétérogènes, morcellement).

Ces résultats préliminaires semblent montrer qu'une carte suffisamment précise pourrait être obtenue dans la plupart des situations de plaine à partir d'images SPOT acquises après tempête et en été. Si on se replace dans la perspective des tempêtes de 1999, il demeure donc que l'objectif initial, fin avril 2000, n'aurait pu être atteint grâce à la télédétection. Le délai global aurait toutefois certainement pu être réduit par un recours partiel (et différé) à cette technique.

Un autre enseignement important de cette évaluation réside dans la connaissance de la répartition spatiale des dégâts. En dehors de situations de dégâts massifs finalement assez localisées, les dégâts de faible superficie (moins de 1 ha) représentent un volume considérable, qu'il paraît peu envisageable d'évaluer par une seule approche cartographique. Le recours à des échantillons ponctuels demeurera sans doute le moyen le plus adapté. Ses principaux inconvénients, lorsqu'il est effectué par retour sur le terrain sont son coût et les délais engendrés par les difficultés d'accès aux peuplements après les tempêtes. Le plan de sondage de l'inventaire forestier (aléatoire stratifié en 2e phase) et la planification des mesures (cyclique par département) ne sont par ailleurs pas totalement adaptés à une généralisation de ce type d'approche.

Bibliographie

(1) IFN, www.ifn.fr

(2) IFN, 2001. Projet suivi de la ressource pin maritime en Aquitaine. Rapport final.

(3) IFN, 2002. Les forêts françaises après les tempêtes de décembre 1999.

(4) IFN, CEMAGREF, CESBIO, GIP ECOFOR, 2002. Evaluation des dégâts de tempête par télédétection satellitaire: aspects méthodologiques et opérationnels. 1re phase.

(5) Ministère de l'agriculture et de la pêche, IFN, 2000. Inventaire des dégâts des tempêtes de fin décembre 1999. Rapport d'étude préliminaire.

(6) Wolsack J., Falcone P., 1997. Une méthode cartographique d'inventaire forestier. Comptes rendus du XIe Congrès forestier mondial, Antalya, Turquie.


[1] Inventaire forestier national (IFN). Château des Barres 45290 Nogent-sur-Vernisson. Mél: [email protected]
[2] Inventaire forestier national. Place des Arcades. Maurin. BP 1001. 34971 Lattes Cedex. Mél: [email protected]