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Exploitation des ressources cynégétiques dans le nord ouest du bassin congolais: Prise en compte des aspects sociaux et économiques pour un développement durable

Yves Constant MADZOU


Résumé

Depuis longtemps, les populations forestières ont toujours participé de façon significative à l'économie nationale dans la production des denrées alimentaires. Au Cameroun, comme beaucoup de pays forestiers du bassin congolais, le gouvernement a imposé des mesures de conservation sensu stricto.

Malheureusement ces mesures de conservation mises en œuvre se sont soldées par des échecs et, aujourd’hui, les acteurs publics, les ONG de conservation de la faune, reconnaissent l'existence d'un pouvoir séculaire détenu par les populations rurales jouant un rôle dans la gestion-conservation de la biodiversité et spécifiquement de la faune.

L'exploitation du bois tournée vers l'exportation des grumes et produits transformés, la croissance démographique galopante, le chômage et la pauvrété dans les grandes agglomérations, etc., constituent aujourd'hui des facteurs conduisant à une dégradation accélérée des ressources forestières. La région nord de la réserve de Boumba-Bek (sud-est Cameroun), une zone moins peuplée, est devenue le théâtre de confrontation entre les logiques conservationnistes des ONG de conservation et de développement et les populations forestières, dictées par les lois de survie, cette confrontation étant liée à la nouvelle tendance de la chasse de subsistance vers celle lucrative.

Il se pourrait que la disparition des espèces de gibiers procurant des protéines animales et autres produits pour la médecine traditionnelle se traduise dans quelques années par une crise alimentaire chez les populations vivant de ces ressources.

La nécessité d'identifier les acteurs impliqués dans les nouveaux phénomènes qui conduisent à la dégradation des ressources fauniques s'impose afin de mettre en place un système de prélèvement durable au niveau local et régional.

La destruction de l'habitat et la déforestation ont souvent été citées comme les causes lointaines de la perturbation de l'environnement en Afrique centrale. De même, la consommation locale du gibier et l'existence des circuits commerciaux constituent la menace la plus immédiate pour l'avenir de la faune dans le bassin du Congo. La zone Trinationale Sangha dans le nord ouest du bassin congolais (Congo-Cameroun-Centrafrique) n'échappe pas à ces faits parce que les forêts de cette partie ont été et continuent à être attribuées aux exploitants du bois. Le braconnage et d'autres formes d'exploitation de gibier (exemple: chasse Safari) et de produits forestiers non ligneux qui se sont greffés à l'exploitation du bois constituent aujourd'hui la principale menace pour la stabilité des populations de faune sauvage au cours de ces dix dernières années.

L'engouement du braconnage et du commerce de gibier dans cette région sont entretenus par l'incapacité des Etats à y faire face, parce que les régions forestières étant peu propices à l'élevage; ces activités représentent une source alimentaire et de revenu monétaire pour les populations locales.

Pourtant les acteurs publiques n'ignorent pas les causes lointaines parmi les quelles ont souvent été citées les graves crises économiques et sociales que connaissent ces pays avec la dévaluation du franc CFA; la chute du prix des matières premières (café, cacao, bananes, etc.) et les politiques étatiques basées sur la repression au nom d'une quelconque protection illusoire de la biodiversité; l'absence d'incitation, ni de mesures courageuses aux alternatives économiques etc.

Actuellement, un autre phénomène que l'on observe dans ces pays, est la privatisation tout azimuth de la plupart des sociétés, sous prétexte d'attirer les capitaux étrangers afin de relever la pente de leurs économies. Les ressources pétrolières ne pouvant plus contribuer à relever le défi, un accent a été mis sur la valorisation des ressources naturelles, principalement le bois. Ainsi dans cette privatisation accélérée, les multinationales se sont installées vites et sont devenues très actives extrayant des milliers de mètres cubes de bois et le grand gibier. Or dans les zones où les forêts ont été attribuées, vivent des populations allogènes qui dépendent de ces ressources pour lesquelles elles ont été accusées de chasseurs commerciaux. L'implantation des sociétés du bois, des sociétés de conservation de la faune, de chasse safari ainsi que les migrants à la recherche de nouvelles terres pour l'agriculture ont un impact sur la vie des populations forestières locales.

Aujourd'hui, conscient de préserver l'environnement forestier, les institutions publiques et les organismes para-étatiques essayent de mettre en œuvre les recommandations de Rio 92. L'une de ces recommandations est la prise en compte du facteur humain et l'implication des populations locales dans la gestion-conservation de la biodiversité. Ce changement de regard sur la nouvelle manière de mettre en valeur les ressources naturelles est le fait que différentes politiques mises en œuvre se sont soldées par des échecs. Sachant aussi que les usages traditionnels les plus répandus dans les forêts tropicales démeurent jusqu'à présent le prélèvement. Un usage qui se perpétue dans le temps et de génération en génération, du fait de l'impressionnante diversité des composantes animales et végétales des forêts. Depuis lors, les mesures de conservation au sens strict du terme ont pris une approche orientée vers ce qu'a été qualifié par plusieurs auteurs de "sauvegarde participative de l'environnement". C'est ce qui explique d'ailleurs la création de nouvelles aires de protection de la faune sauvage dans les années 90 et plus tard de la mise en œuvre des forêts dites communautaires où les populations doivent gérer les ressources de leurs terroirs.

Aujourd'hui la situation ne semble point s'inverser. Et les organismes de conservation de la nature tels que le fonds mondial pour la nature (WWF), la Société de conservation de la faune (WCS), l'Union internationale pour la conservation de la nature et des richesses naturelles (UICN)... de s'en prendre aux politiques gouvernementales qui continuent de prôner «la gestion durable» en application des textes législatifs. La gestion des ressources naturelles et cynégétiques est devenue le théâtre de confrontation entre les partisans des théories conservationistes et celles des logiques humaines dictées par les lois de survie. La question qui se pose ici est de savoir si l'exploitation de la faune et des produits de cueillette telle que pratiquée dans le bassin du Congo (Afrique centrale), restera une simple activité de survie ou de subsistance? Aussi au regard de ce qui précède la nouvelle reflexion, s'il est possible de concilier l'exploitation traditionnelle de la faune sauvage et celle du bois par les populations concernées et les compagnies pour assurer un développement économique et local de la sous région.

Il est sûr, que la chasse traditionnelle dans cette sous région de l'Afrique tropicale est une activité, la seule qui procure la majorité des protéines d'origine animale du fait des échecs en matière d'élevage et de domestication des animaux. L'importance de la consommation de viande provenant de gibiers sauvages a été démontrée dans de nombreuses études faites dans cette région. Ces études indiquent que la consommation de gibier sauvage a relativement augmenté avec la demande des citadins. D'autres considérations évoquées sont suffisamment éloquantes pour justifier l'importance sociale, économique et même écologique de gibiers sauvages dans les sociétés rurales traditionnelles du bassin du Congo. Telle est la principale raison qui explique l'orientation de la recherche de nos jours sur les produits cynégétiques dans le nord ouest du bassin, partie aux énormes potentialités en ressources forestières.


Importance de la chasse et de la viande de brousse

La chasse représente avec l'agriculture les principales activité économiques dans le calendrier saisonnier des populations forestières du bassin congolais. Elle est pratiquée sous diverses formes à l'intérieur des micro-aires écologiques des terroirs villageois.

La chasse par conséquent est une composante importante de l'économie domestique, puisque les études quantitatives de plus en plus nombreuses montrent que la viande de brousse parmi les autres ressources forestières, reste la première source de protéines animales pour la majorité des familles; économiquement elle constitue une source de revenus significative pour les gens qui vivent en forêt et que, la demande de la viande de brousse de la part des consommateurs urbains de plus en plus nombreux a créé un marché important. Ce qui dans la majorité des cas a occasioné un déclin des populations de faune autour des zones de hautes densités de populations humaines. La consommation de la viande de brousse par les populations forestières est très variable, dépendante du niveau d'utilisation par les résidents. Par exemple Bailey et Peacock ont estimé en 1988 une consommation de 0,16 Kg/pers/jour chez les chasseurs-cueilleurs de la forêt d'Itouri (RDC ex Zaïre). Dans le l'Ogooué-Ivindo (Gabon) Lahm S. a calculé que cette consommation se situait entre 0,10 et 0,17 kg/pers/jour. Autour de la réserve du Dja (cameroun), le parc national d'Odzala (Congo) et la réserve de Ngotto (RCA), elle varie autour de 0,19 kg/pers/jour. Mais des consommations plus importantes ont été enregistrées dans d'autres zones allant de 0,20 à 0,29 kg/pers/jour chez les chasseurs-cueilleurs du nord Congo selon Koppert et al.(1990).

A travers ces informations on peut donc se rendre compte de la contribution de la chasse dans la vie des ruraux qui rapporte typiquement entre 30 et 80 % de protéines animales.

D'un point de vue économique, les études antérieures rapportent que les chasseurs travaillant dans la réserve de Dzanga-Sangha (RCA) rapportent 400 et 700 $ US/an, et donc gagnent plus que le salaire minimum officiel de ce pays et autant que les gardes employés par la réserve. Ngnegueu et Fotso en 1996, ont montré que les chasseurs dans les villages autour de la réserve du Dja (Cameroun) pouvaient gagner jusqu'à 650 $US/an en vendant du gibier et que durant 6 mois d'étude, les gains rapportés ont été de 9000 $ de revenu. Plus récemment dans une étude en cours de publication, Elong, Ngoufo et Madzou ont estimé les revenus de chasseurs dans le Lom-Pagar (Cameroun) globalement entre 8000 et 16000 F cfa[1] mensuellement et que, des sommes bien plus élevées étaient obtenues par les villageois vivant dans les zones où existaient des opportunités d'écoulement de la production par voies férées et par route. On peut s'en rendre compte qu'économiquement le commerce de viande de brousse est devenue lucratif et que la chasse perd son caractère de subsistance dans un contexte particulier de crise de matières premières agricoles. La chasse est fortement influencée par la satisfaction de la consommation alimentaire des centres urbains d'où les craintes exprimées ça et là par les organisations en charge de la protection de l'environnement.

Bien que la viande du gibier sauvage démeure une source de protéines et de revenus pour les villageois, on constate que l'état actuel d'utilisation de cette ressource pourrait nuire la productivité des principales espèces et en modifier les habitats qui les abritent. Il apparaît ainsi la nécessité de contrôler et d'en reglémenter les prélèvements, afin que la production en viande d'origine sauvage soit soutenue. Mais il est évident que pour obtenir une production soutenue voire durable, avec un niveau de charge élevé, il faut amenager certaines zones en vue de la production du gibier. De plus une fois qu'on sait que la chasse démeurera une activité de subsistance quoique orientant les divers produits dans des circuits commerciaux, il est difficile de mettre un terme à cette activité pratiquée de génération en génération. D'où la prise en compte des aspects sociaux par les acteurs du secteur public afin que les ressources forestières et principalement la faune soient gérées de façon durable.

La gestion de l'exploitation de la faune est encore à ses début dans le nord ouest du bassin congolais. L'intervention et l' implication des organismes de conservation tels le WWF, l'UICN, 'Union européenne (ECOFAC), la WCS et bien d'autres est un espoir pour gérer autrement les ressources naturelles et permettre aux générations futures de bénéficier du fruit de la gestion de ceux d'aujourd'hui. La prise en considération des besoins des populations locales sera sans doute le point de départ d'un développement économique et écologique de la sous région.

Bibliographie d'orientation

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Notes:

(Ce document est un jet à titre d'information au sécrétariat du congrès. Une version plus complète et détaillée accompagnée d'illustration sous forme d'images photographiques dans le cas de la région nord de la réserve de Boumba-bek (Sud-est Cameroun) sera fournie pendant le congrès.)


[1] 1 $ US = 650 F CFA