1013-B4

LA SYLVICULTURE DANS LES PAYS DU SUD-EUROPE ATLANTIQUE

Yves LESGOURGUES 1


Résumé:

La forêt, dans les pays du Sud de l'Europe Atlantique, occupe environ 40% du territoire et compte près de 8millions d'hectares (6,5 millions d'ha en production). Elle est le produit de conditions climatiques favorables et d'une grande variété de substrats. Elle a été façonnée tout au long des siècles par l'histoire humaine. C'est pour cela qu'on peut la considérer comme une forêt cultivée.

Aujourd'hui, alors que 22% du territoire forestier appartient aux instances publiques, le reste est partagé entre 1,5million de propriétaires forestiers.

Sur le plan de la typologie observée, on peut distinguer quatre ensembles distincts:

Il est à noter que plus de 90% des bois commercialisés sont issus des forêts cultivées à croissance rapide.

Les forêts du Sud de l'Europe Atlantique sont aujourd'hui confrontées à une série d'événements (accroissement du morcellement, transfert de population vers les villes et les littoraux, dégradation de la rentabilité forestière, internationalisation des marchés, etc...) qui modifient radicalement les anciens équilibres. Il en résulte pour l'Europe, les Etats et les Régions, la nécessité urgente de définir une nouvelle stratégie forestière qui passe par la définition d'un nouveau statut de "propriétaire-sylviculteur" ayant opté pour "la forêt cultivée à gestion durable".

Les retards qui s'accumulent dans la définition de cette nouvelle politique risquent de se payer très cher dans un futur proche.

L'ensemble régional que nous appelons Sud-Europe Atlantique comprend neuf régions littorales formant un continuum sur trois pays, France, Espagne, Portugal.

Ces régions, formant ce que l'on appelle aussi l'arc atlantique, se caractérisent en particulier par la présence de zones forestières importantes feuillues ou résineuses. Plus de 40% de l'espace se trouve occupé par la forêt.


Des conditions favorables:

Ceci s'explique en grande partie par des conditions naturelles favorables, en particulier, une température moyenne annuelle douce (10°C < Tm < 15°C) et une pluviométrie le plus souvent comprise entre 600 et 1.000 mm, mais pouvant aller jusqu'à 2.000 mm (Galice).

Source: Atlas Forestier de l'Arc Sud Atlantique, IEFC, 2002.

Des forêts offrant une grande biodiversité:

Bien que les conditions de température et de pluviométrie soient relativement homogènes, on note une grande variabilité des substrats qui se traduit par une grande richesse en espèces forestières tant feuillues que résineuses.

Source: Atlas Forestier de l'Arc Sud Atlantique, IEFC, 2002.

RESINEUX

Pinus Sylvestris

Pinus pinaster

Pinus radiata

Autres conifères

Surface

%

Volume

Surface

%

Volume

Surface

%

Volume

Surface

%

Volume

POITOU-CHARENTES

9 551

3,0

998,2

60 666

16,0

8 167,8

-

-

-

13 005

3,0

1 221,1

AQUITAINE

23 570

1,3

2 520,3

1 036 679

57,7

158 255,9

-

-

-

38 068

2,1

5 028,7

NAVARRA

64 163

17,2

9 521,6

-

-

-

9 346

2,5

1 447,7

38 247

10,3

4 915,2

EUSKADI

18 952

4,9

1 883,2

9 245

2,4

888,2

150 199

38,5

21 760,1

27 985

7,2

3 083,5

CANTABRIA

9 624

4,5

ND

-

-

-

10 624

5,0

2 241,9

-

-

-

ASTURIAS

15 779

4,3

589,3

47 285

12,8

4 601,3

21 179

5,8

1 930,7

13 690

3,7

97,5

GALICIA

63 845

4,5

6 187,5

389488

27,3

49 776,5

59 611

4,2

6 704,8

-

-

-

NORTE PORTUGAL

-

-

-

245 618

40,7

21 959,0

-

-

-

21 550

3,6

ND

CENTRO PORTUGAL

-

-

-

569 645

60,1

63 583,0

-

-

-

5 281

0,6

ND

ATLANTIC ARC

205 484

3,2

21 700,1

2 358626

36,7

307 231,7

250 959

3,9

34 085,1

157 826

2,5

14 346,0


FEUILLUS

Fagus sylvatica

Quercus robur et petrea

Eucaliptus sp.

Autres feuillus

Surface

%

Volume

Surface

%

Volume

 

%

Volume

Surface

%

Volume

POITOU-CHARENTES

3 242

1,0

391,5

225 695

61,0

21 930,1

-

-

-

58 125

15,7

12 115,0

AQUITAINE

57 406

3,2

11 836,2

353 072

19,6

38 336,1

-

-

-

228 743

13,2

46 477,8

NAVARRA

123 248

33,0

21 271,5

11 941

3,2

2 862,7

-

-

-

125 520

33,7

5 330,4

EUSKADI

55 027

14,1

6 022,7

13 944

3,3

1 845,7

10 405

2,7

817,3

104 232

26,7

5 153,2

CANTABRIA

38 414

17,9

7 205,9

27 542

12,9

ND

46 182

21,6

5 846,2

81 871

38,2

9 239,3

ASTURIAS

53 186

14,4

8 032,5

13 961

3,8

3 346,8

25 635

7,0

2 676,3

177 415

48,2

11 303,0

GALICIA

-

-

-

195028

13,7

17 339,1

177679

12,5

17 339,1

539077

37,8

19 550,6

NORTE PORTUGAL

-

-

-

61 430

10,2

ND

143 144

23,7

11 451,0

110 449

18,3

ND

CENTRO PORTUGAL

-

-

-

58 009

6,1

ND

226 989

24,0

12 626,0

59 764

6,3

ND

ATLANTIC ARC

330 523

5,1

54 760,4

960622

14,9

85 660,5

630034

9,8

50 755,9

1 485196

23,1

109 169,3

Unités:Surface=Hectares;Volume=milliers de m3;%=%de la surface boisée totale.
Source: Atlas Forestier de l'Arc Atlantique, IEFC,2002

Des forêts cultivées

Sur les 6,5millions d'hectares en production, les forêts publiques représentent un peu plus de 22% de la surface forestière, le reste étant partagé entre près de 1,5millions de propriétaires forestiers.

 

Public (ha)

% Public

Privé (ha)

% Privé

Propriétaires privés

ha/propriétaires

POITOU-CHARENTES

33.634

9,1

336.854

90,9

229.800

1,3

AQUITAINE

147.470

8,3

1.625.826

91,7

272.244

5,3

NAVARRA

247.367

66,4

125.100

33,6

20.049

4,5

EUSKADI

160.006

41,0

229.939

59,0

21.639

3,1

CANTABRIA

139.587

65,1

74.669

34,9

34.500

2,2

ASTURIAS

134.332

36,5

233.798

63,5

Non Disponible

Non Disponible

GALICIA

22.900

1,6

1.382.551

98,4

672.718

1,8

NORTE PORTUGAL

399.153

59,8

268.264

40,2

77.100

3,0

CENTRO PORTUGAL

183.461

18,5

810.203

81,5

88.050

3,0

ATLANTIC ARC

1.467.970

22,4

5.087.204

77,6

1.416.100

Unités:Surface=Hectares; %=%de la surface boisée totale.
Source: Atlas Forestier de l'Arc Atlantique, IEFC,2002

On sait aujourd'hui que les forêts du Sud-Europe Atlantique sont pour la plupart le produit d'une histoire multi-séculaire et le résultat de très nombreux partages entraînant une structure foncière parfois extrêmement complexe (exemple: Galice, Dordogne en Aquitaine).

C'est dire que la forêt ne peut se concevoir que comme la résultante, en constante évolution, d'une interaction permanente entre l'homme et la nature.

Autrement dit, comme partout en Europe, les forêts du Sud-Europe Atlantique sont des forêts cultivées.

A ce titre, elles ont fait l'objet depuis des temps immémoriaux d'actes de gestion sylvicoles multiples visant à en assurer la pérennité au travers de la fourniture de services multiples et si possible d'un revenu régulier.

Aperçu des sylvicultures pratiquées aujourd'hui dans les forêts de l'Europe du Sud Atlantique

Définition:il existe de très nombreuses définitions de la sylviculture. Nous nous proposons d'adopter celle, extrêmement claire et concise, qu'en donne R.SCHUTZ "art d'appliquer des techniques fondées sur des bases scientifiques et biologiques dans le dessein de contrôler le développement naturel des forêts et de guider leur évolution dans la direction voulue".

Caractérisation:sur les bases de cette définition, on peut adopter plusieurs clefs de classification permettant de décrire les nombreux types de sylviculture rencontrés dans les forêts de l'Europe du Sud.

Pendant longtemps, la typologie forestière a été déterminée par les fonctions d'usage de la forêt. Ainsi, au Moyen Age celle-ci constitue-t-elle à la fois un cadre de subsistance (réserve de bois de feu et de bois d'œuvre), un abri pour certains, un territoire de chasse pour d'autres et pour beaucoup un territoire jugé hostile. Le bois, à cette époque, était à la fois combustible essentiel et matière première.

Dès le XVIème siècle, le développement d'une industrie métallurgique et les besoins de la marine allaient orienter la sylviculture vers des régimes séparés (taillis pour le bois de feu, futaie régulière pour les bois de marine) ou mixtes (taillis sous futaie) afin de satisfaire les deux objectifs. C'est l'époque des réglementations visant à préserver dans le temps la ressource forestière.

Le XIXème et le XXème siècles seront marqués par une série d'expériences de boisement très volontaristes (ex: Landes au XIXème, Pays basque, Galice et Portugal au XXème) visant à constituer des ressources importantes en essences à croissance rapide (pins, eucalyptus).

Aujourd'hui, les forêts de l'Europe du Sud, implantées dans des stations très variées, reflètent les aléas d'une histoire pleine de bruit et de fureur et continuent d'évoluer au gré des débats actuels sur les forêts.

Il en résulte une grande diversité d'essences et de peuplements soumis à des traitements très variés.

L'autre critère essentiel à prendre en compte est évidemment l'objectif que se fixe le gestionnaire de ses forêts qu'il soit public ou privé.

Il y a un monde entre le citadin qui, vaille que vaille, conserve en l'état une propriété forestière familiale pour retrouver épisodiquement ses racines, l'agriculteur forestier qui plante des arbres pour préparer sa retraite et l'investisseur avisé qui voit dans les plantations d'eucalyptus un placement alternatif rentable. Tous, pourtant, peuvent s'affirmer comme des forestiers et contribuent à façonner un type de paysage particulier.

S'il fallait esquisser une typologie sylvicole simplifiée des forêts de l'Europe du Sud, nous proposerions la classification suivante:

a) Les peuplements purs ou mélangés de feuillus nobles (chêne pédonculé, chêne rouvre, hêtre, châtaignier).

Ils couvrent une vaste surface (1.500.000ha) et constituent dans l'imaginaire sud-européen la référence forestière par excellence.

Les traitements rencontrés vont du taillis simple (principalement châtaignier) à la futaie régulière (chêne, hêtre) en passant par le taillis sous futaie et la futaie jardinée (hêtre de montagne).

En futaie régulière, la régénération naturelle est recherchée et l'on s'efforce d'appliquer la technique des coupes progressives qui permet une éducation des semis dans le jeune âge.

Les évolutions actuelles visent à privilégier autant que faire se peut les processus naturels par rapport aux techniques de régénération artificielle ou de substitution d'essences. Mais il s'agit toujours de régénération assistée où l'intervention de l'homme est nécessaire, ne serait-ce que pour permettre aux semis naturels de s'affranchir d'une concurrence souvent virulente.

b) Les feuillus précieux et l'agroforesterie

Les feuillus précieux (merisier, érables, frêne, noyers, etc...) existent souvent à l'état disséminé dans des peuplements traditionnels. Pendant longtemps, ils ont été négligés par les sylviculteurs. Depuis une trentaine d'années, la valeur économique de ces feuillus, qui peuvent atteindre des prix de vente conséquents (jusqu'à 1.500 €/m3 pour certains bois) a conduit à mettre au point de nouvelles techniques permettant de les cultiver.

C'est souvent le cas dans les forêts paysannes constituées de parcelles boisées rattachées à l'exploitation agricole. On assiste peu à peu à l'émergence d'un nouveau type de boisements, le plus souvent sur terrains agricoles abandonnés, qui privilégient la plantation de feuillus précieux ou l'agroforesterie qui combine une culture intercalaire (ou de l'élevage) et une plantation basse densité (400 à 800arbres/ha en moyenne).

Ceci suppose le respect de règles de base qui sont:

Dans le cas du noyer, les entretiens de taille et d'élagage doivent durer 10ans, ce qui réserve cette spéculation à des propriétaires avertis possédant une bonne formation et une grande disponibilité.

c) Les forêts cultivées à croissance rapide (pins maritime et radiata, eucalyptus, peupliers)

Les forêts cultivées à croissance rapide fournissent aujourd'hui l'essentiel de la récolte, estimée à 27millions de mètres cube par an, su le territoire du Sud-Europe Atlantique. Elles constituent des exemples remarquable de l'activité économique que peut générer la forêt cultivée. Bien que leur productivité soit souvent citée en exemple en Europe, elles croissent en moyenne deux fois moins vite que leurs rivales de l'hémisphère sud (Chili, Uruguay, Argentine, Brésil, Australie, Nouvelle Zélande, etc...) mais offrent l'avantage d'être situées au c_ur d'un des grands marchés solvables de la planète, celui de l'Union Européenne.

Le tableau ci-dessous (2001) résume l'essentiel de la performance de ces forêts:

Essence

Superficie (million ha)

Age moyen d'exploitabilité

Productivité (moyenne)

Récolte annuelle (million m3)

pin maritime

2,358

50

10 m3/ha/an

15,000

pin radiata

0,250

30-35

15 m3/ha/an

2,330

Eucalyptus

0,630

12-15

15 à 30 m3/ha/an

7,219

Peuplier

0,050

15

20 m3/ha/an

0,450

En dehors de l'eucalyptus où l'on peut reconstituer le peuplement à partir des rejets de souche issus de la première rotation, les boisements de pins et de peuplier sont le plus souvent installés à partir de plantations et font appel à l'amélioration génétique.

Le programme d'amélioration du pin maritime en Aquitaine est un des plus avancés au monde, tout en privilégiant l'amélioration génétique classique. Il est prévu d'aborder prochainement les techniques d'embryogenèse somatique déjà utilisées dans l'hémisphère Sud et aux Etats Unis. La prochaine étape, la transformation génétique, risque d'être âprement discutée.

A titre d'exemple, le schéma sylvicole du pin radiata en Euskadi peut se décliner comme suit:

Opération

Age

Plantation ou éclaircie (nb tiges/ha)

Production m3/ha

Plantations

0

(+) 1.600 - 2.000

-

Entretiens

1 + 2 + 3

Idem

-

Dépressage + débroussaillement + élagage bas

7 - 9

(-) 500 - 600

-

1ère éclaircie + élagage haut

13 - 16

(-) 400 - 500

20

2ème éclaircie

19 - 22

(-) 350 - 450

35

3ème éclaircie

26 - 28

(-) 300 - 400

60

Coupe définitive

30 - 35

(-) 300 - 400

280

d) Les zones protégées

Elles occupent à ce jour une superficie de 610.000ha essentiellement sur les littoraux et dans les zones de montagne. Elles tendent cependant à s'étendre sous la pression des protecteurs de la nature et de la réglementation européenne qui prévoit au travers de ses directives 2 de créer un réseau de zones protégées dit "Natura 2000" sur environ 1,5millions d'hectares supplémentaires.

L'importance de ces surfaces témoigne à la fois de la richesse floristique et faunistique de l'Europe du Sud mais aussi de la montée en puissance de la sensibilité écologique chez les européens.

Evolutions en cours

La sylviculture européenne, et en particulier celle de l'Europe du Sud, est aujourd'hui à un tournant et les évolutions constatées appellent des décisions de fond, si possible coordonnées entre les pays de l'Union.

Parmi les nombreux éléments qui contribuent à changer le regard que nous devons porter sur ces forêts, on peut distinguer:

Pour toutes ces raisons, et bien d'autres que nous ne pouvons analyser ici, il importe d'avoir une réflexion prospective et coordonnée sur les politiques forestières à imaginer dans les différentes régions et les différents pays concernés. Cette réflexion n'est conduite aujourd'hui que sous l'angle des problèmes environnementaux et elle paraît, comme telle, bien insuffisante.

Trois options s'offrent aujourd'hui aux décideurs en charge des problèmes forestiers en Europe du Sud:

Conclusion

Les forêts du Sud Europe Atlantique reflètent la situation globale de la "vieille Europe": un pays riche d'histoire au potentiel exceptionnel, qui tarde à prendre les décisions, parfois difficiles, qui permettraient d'espérer un avenir meilleur.

BIBLIOGRAPHIE

SCHUTZ, J.P., 1990. Sylviculture, tome 1. Presse polytechnique et universitaire romande.

KHOM, K.A. & FRANKLIN J.F., 1997. Creating a Forestry for the 21st. Century. Island Press.

FERNANDEZ O., 1997. El cultivo del eucalipto. Edicion Cellulosas de Asturias.

INSTITUT EUREOPEEN DE LA FORET CULTIVEE (I.E.F.C.) 2002. Atlas forestier de l'Arc Sud Atlantique. Programme Eurosilvasur.

LESGOURGUES Y., 1995. Compostela Forêts: programme européen de coopération interrégionale forestière, rapport final. 86 pages.


1 Ingénieur du Génie Rural des Eaux & Forêts
Directeur du Centre Régional de la Propriété Forestière d'Aquitaine
Maison de la Forêt
6 parvis des Chartrons
33075 BORDEAUX CEDEX
Tel: + 33 5 57 85 40 13 / 14 / 15
Fax: +33 5 56 81 65 95
E-mail: [email protected]
France

2 Directive "Oiseaux" n° 79/409/CEE et Directive "Habitats-Faune-Flore" n° 92/43/CEE