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Expérience du Sénégal dans la gestion de l'interface entre les décideurs du secteur forestier, les propriétaires fonciers, les parties intéressées et la population locale

Ababacar Boye 1


1. Résumé

Le Sénégal est un pays typique des régions sahéliennes d'Afrique, caractérisé par un régime pluviométrique très fluctuant et globalement déficitaire. Il connaît depuis plusieurs décennies des déboisements massifs pour des raisons naturelles et anthropiques, conduisant à la mise à nu de la plupart des écrans biophysiques, ce qui a pour conséquence l'accélération des érosions éolienne et hydrique et, sur les trois quarts du territoire national, la très faible productivité des terres agricoles et pastorales. Dans ce contexte peu favorable, la forêt au Sénégal demeure néanmoins une source non négligeable de bénéfices sur les plans économique, écologique et socioculturel. En effet, les populations tirent un grand profit de l'exploitation des parcelles forestières, de l'aménagement participatif des forêts et des zones adjacentes à travers le pâturage, la récolte de miel, la cueillette des fruits sauvages, du bois de service, du bois mort, mais également de l'éco-tourisme.

Ces gains constituent a priori un facteur déterminant pour amener les populations bénéficiaires à adopter un comportement rationnel pouvant contribuer à la pérennité et à la durabilité de la ressource. Cela se traduit aujourd'hui, de manière progressive mais tangible, par la participation des populations à l'installation de mises en défens et de parcelles agroforestières, à l'aménagement des forêts naturelles, à l'érection de bois communautaires et à la reconstitution de l'écosystème de manière générale.

Par ailleurs, les changements intervenus au niveau de l'environnement institutionnel ouvrent des perspectives prometteuses pour l'amélioration des revenus issus de la forêt, et favorisent l'émergence de formes d'organisations socioéconomiques relativement bien structurées. Cette démarche vise à terme la création ou la consolidation de cadres de concertation décentralisés et de cellules d'animation opérationnelles, engagées dans le développement des filières forestières. Cette stratégie, sous-tendue par une approche communautaire de gestion des terroirs, et impliquant plus de démocratie à la base, devra permettre une gestion plus efficace des affaires locales, et contribuer par là-même, à la protection de l'environnement, à la préservation et à une gestion plus rationnelle des ressources naturelles (Bâ, 2002).

Dans cette optique, une bonne partie des compétences du service forestier national ont été transférées aux collectivités locales. Le Service forestier est donc appelé à assurer un double rôle: celui de l'exercice des compétences non transférées, notamment au niveau de l'aménagement et de la gestion des forêts classées, et celui de service d'appui conseil et de prestataire de service en direction des collectivités locales par le biais des conventions annuelles élaborées à cet effet.


2. Les axes prioritaires de la politique forestière de l'Etat

A travers le Plan d'Action Forestier du Sénégal (PAFS) adopté en 1992, l'Etat vise d'une part la conservation du potentiel forestier et des équilibres socio-écologiques, et d'autre part la satisfaction des besoins des populations en produits forestiers ligneux et non ligneux, y compris les productions d'origine faunique.

Les principes directeurs qui sous-tendent les activités prioritaires mises en œuvre dans le cadre du PAFS sont:

Et les axes thématiques prioritaires du PAFS sont:

Conformément aux principes de la régionalisation et de concert avec les collectivités locales, un processus de décentralisation de la planification forestière a été entrepris en 1997, qui s'est traduit par l'élaboration de plans d'action forestiers régionaux (PAFR).

Sur le plan pratique, les activités forestières sont réparties entre cinq composantes thématiques:

Il faut noter que pour la mise en œuvre des programmes d'action du PAFS, chaque composante thématique fait l'objet d'une approche nationale quant à la coordination des aspects méthodologiques et techniques, et régionale visant une mise en œuvre adaptée aux contextes spécifiques.

3. Le cadre juridique régissant l'interface

Évolution du cadre institutionnel et adaptation des textes pour une meilleure participation. A côté du cadre institutionnel, la refonte des différents textes législatifs et réglementaires régissant la gestion des ressources naturelles a été toujours considérée comme une condition de réalisation de l'objectif de gestion rationnelle des ressources naturelles et de l'environnement, selon le principe d'un développement durable, tel qu'annoncé dans les différents plans.

La période coloniale était marquée par une réglementation et une gestion quasi patrimoniale qui, dans la plupart des cas, avait fait table rase de tous les droits des communautés de base sur les ressources naturelles. A l'indépendance, la réglementation coloniale a été simplement reprise, sinon renforcée (dans certains cas), par la loi et son décret d'application de février 1965 portant code forestier. La révision de ce premier code forestier (juillet 1974) n'a pas apporté d'innovation majeure dans l'implication ou la responsabilisation des populations et des communautés de base.

Ainsi, la loi de février 1993 et son décret d'application d'avril 1995 redéfiniront le cadre juridique de protection mais aussi l'encouragement à une gestion rationnelle des ressources forestières. Le code de 1993, qui a réalisé des pas importants vers la participation des populations, comportait les innovations suivantes:

La loi de 1996 portant transfert des compétences, prévoit que la détermination des compétences des collectivités décentralisées relève de la loi et que tout transfert de compétences à une collectivité locale doit être accompagné du transfert concomitant par l'Etat à celle-ci des ressources et moyens nécessaires à l'exercice normal de cette compétence.

Par ailleurs, l'article 3 du décret portant application de la loi sur le transfert de compétences en matière de gestion des ressources naturelles réaffirme que l'Etat est garant de la gestion rationnelle des ressources naturelles et de l'environnement. Il veille sur la pérennité des ressources pour un développement durable, tandis que les collectivités locales ont un rôle de gestionnaire.

Comme on peut le constater, dans cette situation, l'Etat assure la garantie de la durabilité des ressources naturelles dans le cadre d'un partage des responsabilités avec les collectivités locales. Ainsi, il appartient à chaque acteur de jouer la partition qui lui incombe en tenant compte de l'interdépendance des différents éléments des écosystèmes et en respectant les engagements pris par le Sénégal dans le cadre des différentes conventions internationales sur l'environnement et le développement durable.

En se référant aux motivations qui ont présidé au transfert des compétences, et au regard des modalités d'exercice basées sur des dispositions législatives et réglementaires, on peut entrevoir de manière claire la complexité de la problématique posée par cette nouvelle configuration qui instaure une nouvelle répartition des pouvoirs entre l'Etat, les collectivités locales et les organisations des populations. La nature des relations que les acteurs de la gestion des ressources naturelles (GRN) devraient désormais entretenir, est également mieux perçue.

Ainsi, en raison des changements de mentalités et de comportements, mais aussi de l'engagement des politiques à gérer les ressources forestières de leur terroir, le code forestier a été également réajusté après la promulgation des lois sur la régionalisation et les transferts de compétences pour aboutir à la loi de janvier 1998, avec son décret d'application. Ce code forestier réaffirme les acquis antérieurs et indique, en plus, les domaines de compétences des collectivités locales que sont les forêts situées hors du domaine forestier classé de l'Etat et permet à celles-ci de passer des contrats et de procéder à des recrutements d'agents forestiers pour la surveillance du domaine forestier.

4. Gestion de l'interface entre les différents acteurs

Démarche. Elle s'appuie sur la méthodologie de l'approche participative et le partenariat à travers un certain nombre d'étapes séquentielles:

Elle se base sur l'analyse des potentialités, de la tenure foncière, des données sur le capital ligneux et de la crédibilité des organisations de base et des privés à conduire correctement les plans. Un accent particulier est également mis sur la valorisation du savoir traditionnel, les innovations technologiques, le renforcement de capacités. Aujourd'hui, outre les cadres de concertation décentralisés mis en place par les anciens projets, le Service forestier, depuis la régionalisation, s'appuie fortement sur les Agences Régionales de Développement (ARD) qui sont des structures chargées de l'appui technique et méthodologique au profit des collectivités locales d'une même région.

Etude de cas. Aménagement participatif et intégré de la forêt communautaire de Saré Gardi (cas du PROGEDE). L'intérêt de cette étude de cas qui est une nouvelle démarche d'aménagement réside dans le souci d'alléger les méthodes et procédures tout en s'appuyant sur les pratiques paysannes avec contractualisation des acteurs (Onobon, 2001; Kolda, 2002).

Présentation du site

Formation naturelle sur sols minéraux bruts et sols ferrugineux tropicaux, le site est situé à cheval sur deux communautés rurales d'une même région administrative. Le relief est quasiment plat, et le climat, de type soudano-guinéen, est chaud et humide avec 7 mois de saison sèche et 5 mois de saison pluvieuse. Sa flore, riche et diversifiée, est composée de quelques reliques de forêt dense et de forêts galeries dégradées, mais elle reste dominée par des forêts claires et des savanes à faciès divers, boisées, arborées, ou arbustives par endroits

Les différentes étapes du processus

Identification et choix consensuel du massifet étude du milieu:

Le comité inter-villageois de gestion et de développement est en phase de montage et va fédérer l'ensemble des 27 CVGD.

Elaboration du plan d'aménagement

Lutte contre les feux de brousse

Formation et renforcement de capacités des populations

Ainsi, en attendant la finalisation du plan d'aménagement, des opérations test d'exploitation ont été menées sur le bois mort de la forêt communautaire. Sur la base de négociations longues et sérieuses, les recettes de la vente des produits ont été reparties selon le modèle suivant:

70 % pour les bûcherons

(création d'emplois)

10 % pour fonds d'aménagement

(perpétuation de la ressource)

10 % au fonds du comité villageois de gestion

(lutte contre la pauvreté)

10 % pour la communauté rurale

(développement communautaire)

L'aménagement participatif de la forêt classée de Ndankou: cas du PSACD2

Cette étude de cas met en évidence le fait de garantir à chaque acteur sans exclusive l'accès aux ressources forestières pour la satisfaction des besoins vitaux sans pour autant compromettre les intérêts des autres et sans mettre en péril le potentiel existant, tout en assurant une gestion préventive des conflits

Conformément à la loi sur la décentralisation et les dispositions du nouveau code forestier, un protocole d'accord de mise en aménagement participatif entre le Service des Eaux et Forêts et deux Communautés rurales (Nganda et Médinatou Salam II) regroupant 16 villages riverains de la forêt de Dankou, a été établi. Ce protocole vient en complément du Code Forestier et a pour but de définir les règles spécifiques communes aux 16 villages pour la gestion de la forêt de Dankou et du domaine protégé adjacent. Il consigne les dispositions que les populations entendent faire respecter pour assurer le succès de leurs efforts de mise en aménagement en fonction des spécificités de la forêt ainsi que de son état actuel.

Les grandes lignes de ce code local se présentent comme suit:

Organisation des villages pour la gestion de la forêt

Les 16 villages riverains de la forêt classée concédée de Dankou et du domaine protégé adjacent ont désigné leurs Comités Villageois (CV) pour la gestion forestière. Un Comité inter-villageois (CIV) composé de deux représentants/CV (un homme/une femme) est chargé de coordonner les activités des 16 comités villageois. La composition du CIV est renouvelable chaque année et un code de procédures a été élaboré pour définir un mode d'organisation et de gestion du CIV. Ce dernier s'est érigé en Groupement d'Intérêt Economique (GIE) afin d'ouvrir un compte bancaire au nom de l'ensemble des villages et de gérer les moyens.

Les Comités Villageois élaborent et réalisent un Plan de Travail chaque année. Le protocole d'accord prévoit le passage à un Plan de Travail à plus long terme (10 ans), qui sera la base du Plan d'Aménagement et de Gestion Simplifié.

Un système de surveillance a été établi et est appliqué par le CIV, pour protéger la forêt contre toute exploitation abusive et veiller au respect du code local de gestion. Le chef de brigade des Eaux et Forêts est saisi au besoin. Si le surveillant ne remplit pas son rôle, il pourra être remplacé par une décision du Comité Inter Villageois.

Règles pour la récolte des produits forestiers

Les règles établies s'appliquent à tous les produits forestiers ligneux et non ligneux.

Seuls les habitants des 16 villages riverains de la forêt de Dankou peuvent collecter des produits forestiers pour un usage domestique sur simple autorisation du CV. Les populations des autres villages devront en faire la demande au Président d'un CV qui la transmet au CIV pour approbation et suivi.

Le CIV après consultation des différents CV, définit les zones où la collecte de certains produits est interdite.

La coupe de bois vivant est interdite dans la forêt de Dankou et le domaine protégé adjacent jusqu'à reconstitution suffisante du milieu.

Du fait du manque de bois mort dans les forêts à proximité des villages, le Service des Eaux et Forêts peut délivrer une autorisation de coupe de bois dans le domaine protégé. Cette autorisation ne pourra cependant porter que sur certaines espèces bien définies.

Les produits récoltés et destinés à la vente sont soumis à une procédure bien établie qui comporte:

Règles pour le pâturage en forêt

Le droit de pâturer en forêt de Dankou est accordé aux habitants des 16 villages, à ceux des autres villages environnants et aux éleveurs transhumants.

Règles concernant le défrichement et les feux de brousse

Le défrichement et l'utilisation du feu sont strictement interdits dans la forêt de Dankou, même pour la récolte de miel.
L'entretien des pare-feu est une tâche commune aux 16 villages.

Gestion des recettes tirées de la forêt

Un fonds local d'aménagement sera mis en place et géré par le CIV qui a ouvert un compte au niveau du Crédit Mutuel (CMS). Les redevances du CV issues de la récolte des produits forestiers seront réparties comme suit:

Les CV verseront à la trésorière du CIV, au moins une fois par semestre, les 55% (fond d'aménagement + communautés rurales) et cette dernière reversera la partie due aux communautés rurales.

5. Conclusions et discussion

Par rapport aux études de cas présentées, il faut souligner l'innovation que constitue la gestion directe des ressources forestières par les populations autochtones alors qu'ailleurs ce sont les exploitants qui font la loi avec des sourghas étrangers. La deuxième innovation qu'il faut saluer est la création de groupes de bûcherons locaux dans les villages encadrés. Ces deux résultats constituent des avancées significatives et historiques dans la réforme du système d'exploitation forestière au Sénégal.

S'agissant de la décentralisation, il faut noter que c'est un processus irréversible au Sénégal. Avec la loi sur les transferts de compétence, l'Etat a voulu favoriser la gestion de proximité des ressources naturelles selon le principe de la subsidiarité. Malheureusement, entre janvier 1997 et mai 2002, le Sénégal a connu plusieurs moments de joutes électorales, au point que les acteurs n'ont peut-être pas eu le temps de se consacrer à la gestion des compétences transférées. Avec l'installation récente des nouveaux élus locaux, la stabilité politique du pays devra favoriser une meilleure gestion des ressources naturelles et de l'environnement par les structures locales. Il faudra alors revoir et corriger certains aspects dont:

En tout état de cause, il est aujourd'hui de notoriété publique qu'un traitement équilibré de l'interface entre les différents acteurs agissant dans la gestion des ressources forestières constitue un intérêt de taille pour la facilitation et le renforcement de la coopération entre communautés utilisatrices d'une même ressource, et serait un pas décisif du Service Forestier vers la construction d'une solution durable, recherchée par le Comité National de Gestion Alternative des Conflits (Fall et Niang, 2002; Thiam, 2002).

Cette recherche perpétuelle d'équilibre des différents protagonistes qui s'affrontent autour de la forêt et qui, en quelque sorte, agit fondamentalement sur la gestion durable des ressources forestières, devrait être mieux prise en compte par les différentes conventions internationales qui traitent de cette question (Thiam, 2002).

Enfin les partenaires au développement devraient également davantage orienter leur appui sur la consolidation de la gouvernance locale qui est le socle sur lequel doit se bâtir toute la démarche de concertation et de négociation qui pourrait garantir un développement durable des ressources forestières.

BIBLIOGRAHIE

Bâ. M.M., 2002. Les effets socio-économiques de la mise en œuvre du Plan d'Action Forestier du Sénégal

Fall C.A.B et Niang.A., 2002. Evaluation des transferts de compétences aux collectivités locales en matière de gestion des ressources naturelles..

Kolda, R. 2001. Note technique sur l'aménagement participatif de la forêt de Saré Gardi.

Onobon. F.A. 2002. Mission d'appui à la révision de l'approche du PROGEDE en matière de développement institutionnel pour la gestion durable, participative et décentralisée des ressources forestières dans les régions de Tamba et de Kolda

Thiam. A.T. 2002. Rapport d'évaluation de l'évolution des acquis des projets forestiers terminés.


1 Ingénieur civil des forêts, Coordonnateur du Programme d'appui au développement forestier (PADF) du Sénégal, Dakar, Sénégal. [email protected]

2 PASCD: Projet Sénégalo-Allemand des Combustibles Domestiques