Page précédente Table des matières Page suivante


2.8 Organisation sociale et division du travail


Les aspects normatifs de l’organisation sociale, des comportements sociaux, comme des stéréotypes sociaux et des rôles attribués à chacun des deux sexes, influent considérablement sur les activités de pêche et sur les différentes activités sociales au sein des communautés de petits pêcheurs. On observe normalement et presque toujours une division du travail par sexe et par groupe d’âge, ce qui se traduit par une différenciation des rôles sociaux respectifs escomptés des hommes, des femmes, des adultes, des enfants et des personnes âgées.

Les normes établies quant aux rôles des deux sexes et des groupes d’âges tiennent généralement à deux facteurs interdépendants et susceptibles d’évoluer dans le temps. Le premier fait intervenir les exigences concrètes des différentes activités de pêche et le second se rapporte à la culture plus vaste dont la communauté de pêche fait généralement partie et à ce qu’elle prescrit quant au rôle normatif propre à chaque sexe et aux différents groupes d’âge. Les rôles sociaux normatifs au sein des communautés de petits pêcheurs sont donc modulés par ces deux facteurs, et peuvent évoluer dans le temps, du moins dans certaines limites.

De manière générale, les normes sociales régissant les communautés de petits pêcheurs dans le monde exigent que les producteurs primaires soient des hommes, en particulier lorsque les activités de production se déroulent en mer. Quant aux femmes, on s’attend normalement à ce qu’elles jouent deux rôles: un rôle central vis-à-vis de leurs ménages et des enfants et deuxièmement, un autre rôle central en matière de transformation, commercialisation et distribution du poisson. Ces attentes parallèles sont considérées habituellement comme les rôles normatifs respectifs, d’une part des hommes et d’autre part des femmes, des enfants et des personnes âgées. Par conséquent, les enfants de sexe masculin et les hommes âgés sont censés normalement se charger des travaux liés à la pêche depuis la rive, en compagnie de leurs parents de même sexe, tandis que les enfants de sexe féminin et les femmes âgées sont censés se charger des tâches ménagères à proximité de chez elles, en travaillant avec leurs parentes du même sexe.

Bien que les caractéristiques ci-dessus présentent un caractère normatif dans une majorité de communautés de petits pêcheurs dans le monde, les variantes sont nombreuses et les régions de cultures différentes comportent des exceptions notables. Dans maintes communautés asiatiques de petits pêcheurs par exemple, les femmes travaillent en mer, alors que dans certaines sociétés musulmanes les femmes ne sont autorisées à participer à aucune activité liée à la pêche.

Les normes sociales peuvent également être interprétées comme des idéaux culturels auxquels adhèrent généralement les membres d’une culture, mais qui leur permettent par ailleurs de s’adapter de façon souple aux exigences de la réalité concrète. En matière d’idéaux plutôt que de règles de comportement social, l’interprétation et l’application des normes dans les différentes sociétés humaines sont extrêmement variables. Ainsi, du point de vue des responsables des pêches désireux de mieux connaître la culture des communautés de petits pêcheurs, il importera non seulement d’étudier les normes sociales en vigueur, mais aussi de comprendre leurs interactions avec le comportement réel.

D’autres normes sociales caractéristiques des communautés de petits pêcheurs privilégient le soutien mutuel des membres des ménages, même lorsqu’ils se livrent à des activités nettement différentes. Surtout dans nombre de pays en développement, le ménage peut être organisé comme une sorte «d’entreprise domestique» comportant une intégration verticale des activités de production, de transformation, de commercialisation et de distribution du poisson. Les membres de ces ménages sont normalement censés collaborer dans l’intérêt mutuel de chacun et parfois sont également censés travailler en coopération et inversement avec d’autres ménages, notamment, ceux dont leurs autres parents font partie. De plus, tous les ménages d’une communauté sont vraisemblablement appelés à coopérer dans l’intérêt commun, notamment par leur soutien aux rituels et autres événements communautaires importants.

Les normes sociales sont donc dictées aussi bien par des besoins pratiques immédiats que par des traditions anciennes et les idéologies dont elles s’inspirent. Elles sont par ailleurs imposées à différents niveaux d’organisation sociale, allant des normes prescrivant un comportement social approprié entre deux personnes, à d’autres normes prescrivant des rapports adéquats à l’intérieur de la communauté considérée dans son ensemble.

Recrutement des équipages de pêche et des autres groupes de travail liés à la pêche

En particulier dans les communautés de petits pêcheurs de type traditionnel ou pré-modernes, le recrutement des équipages de pêche ou des autres personnes oeuvrant à des activités connexes s’effectue davantage sur la base de leurs principaux liens sociaux au sein de la communauté que sur celle de leurs compétences particulières, de leur expérience ou des coûts de main-d’œuvre. Ainsi, dans ces communautés, les équipages de pêche et les travailleurs affectés à des activités connexes sont donc recrutés d’ordinaire d’abord au sein du ou des ménages concernés et ensuite, en fonction des ramifications du système parental de la communauté et des principales institutions sociales.

Compte tenu du rôle essentiel d’une coopération très étroite et d’un travail d’équipe parfaitement coordonné entre les membres d’un équipage travaillant en mer, les membres des groupes parentaux qui entretiennent d’ores et déjà des rapports sociaux bien établis, sont davantage susceptibles de collaborer de manière efficace que des groupes de personnes choisies au hasard et relativement étrangères les unes aux autres. Qui plus est, puisque les pêcheurs à petite échelle et les autres personnes participant aux activités connexes connaissent fréquemment des périodes sans aucun revenu, ils trouveront plus vraisemblablement un soutien provisoire auprès de leurs proches parents et non auprès de personnes qui leurs sont socialement éloignées. En outre, le fait de recruter les groupes de travailleurs selon les ramifications des liens domestiques et parentaux comporte une possibilité accrue de conserver dans ce même cadre les revenus recueillis.

Malheureusement, lorsque le recrutement de travailleurs à l’intérieur des groupes parentaux est fortement privilégié, il risque alors d’en résulter des niveaux d’emploi inutilement élevés dans le secteur des pêches. Ces pratiques, tout en favorisant une forte participation et le plein emploi, risquent par ailleurs de se traduire par de faibles revenus des participants, pour ne rien dire des pressions excessives sur la ressource halieutique.

Néanmoins, le système décrit ci-dessus de recrutement des équipes de travail comporte par ailleurs des exceptions dans nombre de communautés de petits pêcheurs traditionnelles ou pré-modernes. Ainsi, les pêcheurs à petite échelle d’Okinawa s’efforcent de ne placer leurs proches parents sur les mêmes bateaux, pour réduire au minimum les pertes potentielles de leurs familles respectives advenant un naufrage (Glacken, 1955). Tandis que les propriétaires de bateaux de pêche au requin vivant dans une petite communauté de la côte Pacifique du Mexique embauchent ceux de leurs enfants qui habitent avec eux, ils évitent sinon d’embaucher d’autres parents vivant dans la même communauté, et embauchent plutôt à l’inverse les parents des autres propriétaires de navires auxquels ils ne sont pas liés (McGoodwin, 1976). Ainsi, les propriétaires de navires assurent les parents qui ne vivent pas avec eux de trouver du travail et simultanément évitent d’avoir avec eux des relations d’employeur à employé.

Différentes activités liées à la pêche peuvent également exiger et renforcer plusieurs normes sociales distinctes propres à divers contextes au sein de la même communauté de petits pêcheurs. Par exemple, si parmi les personnes qui participent à une pêche de capture en mer, une coopération étroite et un niveau élevé de coordination de travail en équipe peuvent s’avérer nécessaires, une forte capacité de concurrence et un individualisme poussé sont parfois indispensables pour ceux qui s’occupent de la commercialisation du poisson.

D’autre part, lorsque les communautés de petits pêcheurs seront passées à des modes d’organisation sociale et économique plus modernes, les normes sociales en vigueur entraîneront vraisemblablement un développement de l’individualisme et de la capacité de concurrence dans pratiquement tous les domaines de la vie sociale. Les équipages de pêche seront sans doute recrutés davantage en fonction de leur compétence, de leur expérience et du coût de la main-d’œuvre, et leurs rapports avec leurs employeurs s’apparenteront davantage à ceux observés chez les salariés de l’industrie. De manière analogue, dans les communautés caractérisées par une éthique plus moderne, certains membres des ménages choisiront sans doute de ne pas participer aux activités liées à la pêche et de poursuivre d’autres activités notamment des activités les amenant à quitter la communauté.

On observera généralement de plus faibles niveaux de cohésion sociale à l’intérieur des différentes sphères des communautés modernisées, par comparaison à la situation traditionnelle qui prévalait avant leur transformation; certains membres d’un ménage peuvent alors poursuivre des aspirations sans rapport avec la pêche et à caractère plus individualiste, les entreprises domestiques de la communauté donnant lieu à des interactions plus concurrentielles et collectivement, les ménages participant plus rarement aux événements communautaires. Des niveaux plus poussés d’anomie et de désaffection sont parfois observés parmi les membres de la communauté, ainsi qu’une multiplication de problèmes connexes, notamment de toxicomanie et d’alcoolisme, de troubles mentaux et de criminalité.

Les producteurs primaires sont généralement des hommes

Dans la plupart des communautés de petits pêcheurs, les producteurs primaires sont généralement des hommes. Tel est particulièrement le cas pour les activités de pêche qui ont lieu à une certaine distance du littoral: dans ce type de situation les pêcheurs sont presque toujours des adolescents et de jeunes adultes physiquement capables de résister à la dureté des tâches de navigation et de pêche.

Le recrutement privilégié des équipages parmi les hommes s’explique dans une large mesure par leur capacité d’adaptation: d’une part, la pêche est un travail physiquement difficile, et les hommes ont en moyenne une productivité potentielle plus élevée parce que, en règle générale, ils sont sensiblement plus grands, plus résistants et dotés d’une plus grande force dans la partie supérieure du corps, par comparaison à leurs homologues féminins. Une autre explication tient au fait que les sociétés humaines sont tributaires des capacités de reproduction des femmes pour assurer la permanence de la population, et que la pêche en mer est une activité potentiellement très dangereuse; aussi, la pérennité de la société est-elle moins menacée lorsque les membres de la communauté qui travaillent en mer sont essentiellement des hommes et non des femmes. De plus, puisque dans toutes les sociétés humaines les femmes assurent en priorité les soins des nouveaux-nés et des petits enfants, la productivité potentielle serait réduite si certains membres de l’équipage devaient répartir leur temps entre la pêche et les soins dispensés aux enfants. Enfin, à bord de la plupart des navires de pêche, l’espace est très contingenté, ainsi que les réserves d’eau et de nourriture, ce qui plaide contre la présence à bord de personnes dans l’impossibilité de consacrer toutes leurs énergies à la production, ou dans le cas des très jeunes enfants, qui ne peuvent pratiquement pas contribuer à la production.

Les femmes dans les communautés de petits pêcheurs

Cela ne signifie pas que les femmes ne peuvent ou ne doivent pas travailler à bord des navires de pêche. De fait, il existe des exceptions notables à la situation générale décrite ci-dessus, notamment en Asie, où des familles entières vivent et travaillent ensemble en mer. De plus, dans nombre de communautés de pêche, même lorsque la majorité des producteurs primaires sont des hommes, il y a des femmes employées à bord des navires de pêche, bien que dans ce cas aussi la présence à bord de nouveaux-nés et de petits enfants soit exceptionnelle.

Toutefois, même si dans la plupart des communautés de petits pêcheurs les producteurs primaires sont des hommes, l’institution sociale de cette règle au sein des communautés de pêche se vérifie à des degrés très variables. De plus, comme nous le verrons ci-après, l’évolution des rôles joués par les femmes dans nombre de cultures de pêcheurs autorise et incite actuellement beaucoup plus de femmes à trouver du travail à bord des navires de pêche que cela n’était le cas il y seulement quelques décennies.

Cependant, comme nous l’avons déjà signalé, dans la plupart de ces communautés et au niveau mondial, les femmes sont encore censées en règle générale assurer un rôle double: premièrement, un rôle clé à l’intérieur des ménages et auprès des enfants; et deuxièmement, un rôle clé en matière de transformation, commercialisation et distribution du poisson. Aussi, les femmes des familles de pêcheurs participent-elles d’ordinaire également aux activités de capture de leur mari pour les besoins alimentaires immédiats du ménage, ainsi qu’aux activités de troc avec les parents et les voisins proches, pour répondre à différents besoins - par exemple, en échangeant du poisson contre des légumes et d’autres articles.

Par ailleurs, les femmes jouent souvent un rôle de premier plan dans le cadre d’autres rapports économiques à l’intérieur de la communauté, pour obtenir un crédit auprès des fournisseurs locaux de produits alimentaires par exemple, pour entretenir leur famille entre deux ventes consécutives de captures réalisées par leur mari. En général, les femmes des communautés de petits pêcheurs sont d’ordinaire engagées dans des réseaux sociaux plus nombreux, plus étendus et plus complexes que leurs homologues masculins, notamment de fait que ces derniers passent une grande partie de leur temps loin de la communauté.

La multiplicité des rôles joués habituellement par les femmes dans les communautés de petits pêcheurs souligne leur importance fondamentale dans le domaine social et économique, et en particulier leur contribution essentielle au maintien de la prospérité générale. Du fait de leur rôle de premier plan dans ces domaines, les femmes des communautés de petits pêcheurs qui participent aux activités de pêche jouissent d’ordinaire d’une indépendance, d’une autonomie économique et enfin, d’un pouvoir social et économique supérieurs par comparaison à celles qui n’y participent pas; de manière analogue, et toujours par comparaison à ces dernières, elles jouent souvent un rôle plus important dans les affaires communautaires. Qui plus est, puisque les femmes des communautés de petits pêcheurs consacrent habituellement une plus grande part de leur temps à la communauté que leurs homologues masculins qui travaillent en mer, elles établissent normalement des réseaux socioéconomiques locaux beaucoup plus ramifiés; ces réseaux leur facilitent la tâche en matière de commercialisation et de distribution des fruits de mer et, dans les communautés plus importantes, ils peuvent donner lieu à des relations de travail avec des personnes inconnues de leur mari et de leurs autres parents masculins.

Dans certaines communautés de petits pêcheurs où les hommes sont absents pendant des périodes prolongées, on observe également l’existence de ménages structurés autour de la mère. Il s’agit en effet de ménages organisés autour de la relation mère-enfant, dont les membres sont constitués généralement d’une femme adulte, de ses enfants, de sa mère et parfois de ses sœurs et de leurs enfants aussi. Ce mode d’organisation domestique survient normalement en tant qu’adaptation à des activités de pêche ayant pour effet d’éloigner les hommes adultes de chez eux et de leur communauté d’origine, pendant des périodes prolongées. En pareille circonstance, la gestion quotidienne des ménages et des affaires communautaires incombe aux femmes adultes une grande partie de l’année. Là encore, les femmes adultes qui vivent dans des ménages organisés autour de la mère, jouissent habituellement d’une autonomie personnelle et d’un pouvoir économique nettement supérieurs par comparaison à leurs homologues de la communauté vivant dans d’autres types de ménages.

Lorsque les femmes des communautés de petits pêcheurs travaillent également en tant que producteurs primaires de fruits de mer, elles opèrent alors normalement dans des eaux protégées, peu éloignées de leurs foyers et de leurs enfants. En pareille circonstance, leur production joue habituellement un rôle d’une importance primordiale pour couvrir une grande partie des besoins alimentaires de leur famille.

Dans la plupart des communautés de petits pêcheurs, on compte davantage de femmes que d’hommes qui travaillent dans des installations de transformation du poisson. Ces activités leur permettent de dégager des revenus en espèces d’une importance vitale pour l’entretien de leur ménage, cette contribution étant parfois plus substantielle, plus régulière et plus soutenue par comparaison à leurs parents de sexe masculin qui participent aux opérations de pêche. Par ailleurs, ce travail de transformation n’est sans doute pas aussi dangereux que la pêche en mer, mais s’effectue généralement dans des conditions malsaines où les accidents du travail et les maladies professionnelles sont choses courantes.

Les femmes participent largement dans nombre de cas à d’autres activités liées aux pêches, par exemple à la commercialisation et à la distribution, ce qui les amène à travailler avec des réseaux de clients, de négociants et d’autres intervenants, et à se déplacer pour livrer le poisson sur des marchés éloignés: cependant, le fait qu’elles s’absentent à cet effet expose souvent les autres membres de la famille à des situations difficiles, en particulier leurs enfants. En outre, les femmes ont souvent à leur actif d’autres tâches importantes en rapport avec les pêches: il peut leur incomber la responsabilité directe de rester en contact avec leurs maris lorsqu’ils sont en mer, de programmer des opérations d’entretien au retour des bateaux de pêche, d’acheter les équipements de pêche à remplacer et enfin, de prévenir les acheteurs potentiels quant aux prises qui seront bientôt débarquées.

Actuellement, la principale contribution économique des femmes dans la plupart des communautés de petits pêcheurs vient essentiellement des activités de transformation, de commercialisation et de distribution de poisson, mais à la faveur de la rapide évolution des conventions sociales quant aux rôles et aux activités professionnelles propres à chaque sexe, les femmes participent de plus en plus également à la production primaire. Ces modifications de la répartition traditionnelle des rôles selon le sexe risquent de contrarier certains membres des communautés de pêcheurs qui peuvent alors chercher à empêcher les femmes d’assurer ces nouveaux rôles et, à la limite de les exclure de leur rôle jusqu’à présent traditionnel dans le secteur des pêches. Or, en définitive, ces attitudes rétrogrades risquent d’affaiblir les communautés de petits pêcheurs, et d’altérer leur capacité à demeurer concurrentielles et tournées vers l’avenir. De fait, dans maintes communautés de petits pêcheurs, l’apport des femmes est d’une importance telle, qu’en son absence aussi bien la pêche que la vie quotidienne de la communauté seraient vraisemblablement pratiquement paralysées.

Puisque les normes et les attentes touchant aux rôles des deux sexes ne cessent d’évoluer dans différents domaines culturels - surtout en ce qui concerne les femmes - on peut s’attendre à observer une évolution concomitante des caractéristiques traditionnelles observées jusqu’à présent dans la plupart des communautés de petits pêcheurs. Aujourd’hui, dans certains pays en développement de plus en plus de femmes travaillent à bord des navires de pêche en tant que membres de l’équipage, et dans certaines régions, les hommes sont de plus en plus nombreux à participer à des activités à terre liées aux pêches, activités jusqu’à une date récente réservées aux femmes. Or, en règle générale, les femmes de la plupart de ces communautés sont toujours censées jouer un rôle double, en conciliant au mieux leurs responsabilités principales dans le domaine domestique et leur participation aux activités liées à la pêche.

Les producteurs primaires sont parfois isolés socialement

Ce sont surtout les pêcheurs au long cours et ceux qui mènent des campagnes de pêche saisonnières loin de leur communauté d’origine, qui présentent fréquemment une structure dichotomique de leurs rapports sociaux. Cette dichotomie se caractérise par les liens étroits, la coopération et la camaraderie de ceux qui travaillent ensemble en mer, par opposition au caractère conflictuel, aliéné et superficiel des relations interpersonnelles avec les personnes restées à terre. Il en résulte souvent divers graves problèmes de société, liés notamment à l’instabilité et aux dysfonctionnements au sein des familles, à la drogue, à l’alcool et aux difficultés psychologiques, ainsi qu’à une aggravation de l’instabilité et des dysfonctionnements dans la vie communautaire en général.

Notes à l’intention des responsables des pêches concernant l’organisation sociale des communautés de petits pêcheurs

Dans les communautés de petits pêcheurs, les normes en vigueur d’organisation sociale, comme de rapports et de comportements sociaux, quelle que soit l’influence des normes propres à la société plus vaste dont elles font partie généralement, intègrent en outre des réponses adaptées aux besoins nés des activités de pêche. Autrement dit, les normes sociales d’une communauté de pêcheurs n’ont pas une origine arbitraire pour nombre d’entre elles et sont en fait des réponses à des besoins concrets. Par conséquent, les responsables des pêches désireux de réformer la gestion d’une pêcherie doivent en premier lieu apprécier à sa juste valeur l’éventuelle capacité d’adaptation propre aux normes sociales d’une communauté de pêcheurs, tout en s’efforçant d’anticiper les conséquences des réformes envisagées.

Toutes les cultures de pêcheurs à petite échelle possèdent des normes concernant le recrutement des groupes de pêcheurs et la division du travail, les distinctions les plus importantes s’effectuant en fonction du sexe et des groupes d’âges. Or, les responsables des pêches doivent être conscients de l’existence de ces normes, étant donné que, si la plupart autorisent une certaine souplesse, il y a par ailleurs des limites quant aux possibilités de modifications sans provoquer d’inutiles difficultés d’ordre social, économique ou autre.

En ce qui concerne par exemple le recrutement des groupes de travailleurs des pêches, lorsque les responsables des pêches envisagent de créer des programmes de formation et d’homologation dont les bénéficiaires seraient autorisés à participer aux activités de pêche, il leur faut au préalable déterminer quelles sont actuellement les normes de recrutement dans ce domaine. Ainsi, si les modes de sélection et de recrutement en vigueur privilégient l’importance des liens sociaux locaux, la mise en place de programmes d’homologation sous l’égide du gouvernement risque d’entraîner des changements désastreux au sein de la vie sociale communautaire et de s’avérer impraticable; en revanche, lorsque les modes de recrutement en vigueur sont davantage compatibles avec les systèmes de recrutement modernes, de tels programmes peuvent être bien accueillis, fonctionner sans difficulté et s’avérer effectivement bénéfiques pour la communauté.

La diversité et la grande importance du rôle des femmes dans les communautés de petits pêcheurs exigent par ailleurs qu’elles soient pleinement prises en considération dans l’élaboration des programmes visant à réformer les politiques et les pratiques d’aménagement. Dans certains cas les programmes conçus pour répondre à leurs besoins peuvent contribuer davantage à améliorer le bien-être des membres de la communauté que ne le feront les programmes axés exclusivement sur l’augmentation de la production ou l’amélioration de l’efficacité de la gestion des pêches.

Les responsables des pêches auraient également tout intérêt à ne pas promouvoir des pratiques et des politiques de gestion ayant pour effet d’isoler davantage les producteurs primaires des ménages et des communautés dont ils sont issus. A cet égard, les programmes incitant les pêcheurs à rester absents plus longtemps ou qui fondent les autorisations de pêcher sur le caractère à temps plein et non à temps partiel de cette activité, sont vraisemblablement mal avisés, les avantages éventuels obtenus en matière d’efficacité de la gestion et de la productivité étant largement compensés par une aggravation des problèmes sociaux au sein de la communauté. De manière générale, lorsque des pêcheurs à petite échelle opèrent lors d’une sortie en mer d’une seule journée et s’absentent rarement de chez eux plus longtemps, leurs rapports sociaux avec leur famille, leur ménage et leur communauté resteront d’autant plus satisfaisants.


Page précédente Début de page Page suivante