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5. ÉVALUATION RAPIDE DES COMMUNAUTÉS DE PÊCHEURS À PETITE ÉCHELLE


5.1 Introduction

Pour les travaux de recherche mettant en jeu des communautés de petits pêcheurs on entend par «évaluation rapide», ou «évaluation rapide de la situation rurale», une méthode de recherche multidisciplinaire, semi-structurée et globale, conçue pour décrire et évaluer rapidement les principaux aspects de la culture locale, des besoins de gestion et des systèmes de gestion communautaire des pêches. En tant que méthode générale accélérée, elle peut s’avérer particulièrement efficace pour les gestionnaires des pêches dont l’activité doit s’inscrire dans les limites étroites de budget et de calendrier. Elle s’inspire fréquemment des méthodes liées à la notion «d’évaluation rurale participative», notamment de celles mentionnées au paragraphe 4.17 et peut par ailleurs être utilisée pour étudier de vastes régions géographiques et connaître rapidement les principaux besoins de gestion, tout en préparant les communautés de pêcheurs à des changements imminents des politiques et des pratiques de gestion. On trouvera ci-dessous une présentation des méthodes d’évaluation rapide appliquées à l’étude des communautés de petits pêcheurs.4

Les méthodes dites d’évaluation rapide permettent le cas échéant d’étudier avec profit les pratiques de pêche et la gestion communautaire locales. Dans nombre de communautés de petits pêcheurs on trouve fréquemment un double système de gestion des pêches: un système informel, conçu et mis en oeuvre par la communauté proprement dite, parallèlement à un système de gestion institué par les pouvoirs publics et à caractère plus formel. Les personnes venues de l’extérieur ignorent souvent l’existence du système informel, celui-ci n’étant pas toujours aisément observable ou compréhensible, de telle sorte que des difficultés peuvent survenir lorsque de nouveaux systèmes de gestion formels viennent s’y ajouter. Aussi, les systèmes «formels» conçus en haut lieu échouent-ils fréquemment, les pêcheurs locaux étant rarement désireux d’abandonner leurs propres systèmes. Une conception plus satisfaisante de la gestion consistera donc à s’appuyer généralement sur le système local ou à le compléter. Or, cette approche exige au préalable une connaissance du système local en question.

Les techniques d’évaluation rapide offrent des possibilités à cet égard en permettant de se faire une idée générale du système de gestion informel d’une communauté de pêche. Simultanément, elles peuvent rapidement mettre en évidence les principaux aspects culturels d’une communauté de pêche, les problèmes en présence et les besoins de gestion. Aussi, bien qu’elles ne se substituent pas à des études détaillées, les techniques d’évaluation rapide permettent de fournir à court terme des renseignements importants, tout en donnant des indications quant à l’orientation possible de travaux plus détaillés.

5.2 Sélection du site: première étape

La première étape de l’évaluation rapide des communautés de petits pêcheurs consiste à choisir le site. A cet égard, plusieurs règles doivent être observées:

(1) Il doit y avoir un groupe de chercheurs locaux - issus du secteur public, de l’université, du secteur privé et/ou des communautés de pêche - désireux de collaborer entre eux. Sans la présence dans l’équipe de recherche de personnes issues de la population locale, les chercheurs venus de l’extérieur s’introduiront difficilement au sein de la communauté.

(2) Les communautés de pêche locales et les responsables des pouvoirs publics doivent être désireux de travailler en coopération.

(3) La pêche doit figurer parmi les principales activités économiques des communautés étudiées.

(4) L’étendue de la zone étudiée doit permettre à une équipe de chercheurs de mener à bien le travail de terrain, aussi bien à terre qu’en mer, en une semaine environ. Il sera donc généralement préférable qu’une équipe de recherche s’intéresse à une seule et même communauté, et non à plusieurs dispersées sur une zone étendue. Il convient de mettre en oeuvre un nombre adéquat d’équipes dotées d’une organisation similaire lorsqu’il faut étudier des zones géographiques étendues ou un certain nombre de communautés.

(5) Les communautés de pêche doivent être accessibles.

5.3 Types d’information à obtenir

Outre les informations sociales et culturelles concernant les pêcheurs, les évaluations rapides de communautés de petits pêcheurs s’emploient d’ordinaire à obtenir simultanément d’autres types de renseignements. Parmi ces derniers peuvent figurer les caractéristiques biologiques et physiques de la zone géographique, les techniques employées pour récolter le poisson, les caractéristiques des systèmes de transformation et de distribution, les caractéristiques socioculturelles des personnes exerçant d’autres activités que la pêche au sein de la communauté et différentes informations plus générales sur cette dernière. L’évaluation rapide doit en outre fournir des informations sur l’organisation interne tant informelle que formelle de la collectivité étudiée et sur les organisations extérieures, les institutions et les personnes susceptibles d’avoir une influence en particulier sur les pêches. Les effets des risques naturels doivent également être étudiés.

L’appendice 7.2 à la fin du présent rapport donne des exemples des différents jeux de données susceptibles d’être recueillis à la faveur des évaluations rapides.

5.4 Recrutement et organisation de l’équipe de recherche

Etant donné que l’évaluation rapide des communautés de petits pêcheurs exige que la collecte des différents types d’informations soit promptement effectuée, il est indispensable que l’équipe affectée à cette tâche comprenne plusieurs chercheurs. Normalement, elle devrait comporter un spécialiste de la biologie marine ou halieutique, un spécialiste des habitats côtiers, un économiste, un sociologue ou un anthropologue, ainsi qu’un politologue. De plus, tel qu’indiqué plus haut, des chercheurs d’origine locale, qui connaissent bien la région étudiée, devraient y participer.

La plupart du temps, les responsables des pêches recruteront les différents membres de l’équipe de recherche, en tenant compte de l’avis des communautés concernées quant à sa composition globale. Ainsi, les membres des communautés de pêcheurs suggéreront éventuellement la participation de personnes issues de leurs rangs ou d’autres personnes de confiance qui selon eux connaissent particulièrement bien la région.

Quant à l’organisation générale d’une équipe, celle-ci devrait compter en principe de 5 à 8 membres: plus réduite, elle risque d’être dépourvue de certaines compétences importantes; plus nombreuse elle risque par contre de ne pas pouvoir travailler en collaboration de façon efficace et résolue. Avant de se rendre sur le terrain il convient par ailleurs de nommer à la tête de l’équipe une personne généralement responsable de la coordination et de la supervision des activités comme de la notification des résultats obtenus. Bien entendu, l’organisation concrète adoptée doit être souple, adaptée aux besoins particuliers de l’étude et ouverte aux préoccupations des communautés de pêche étudiées.

5.5 Méthodes de collecte des données

Une fois l’équipe formée, l’analyse des données auxiliaires doit intervenir en premier. Il s’agit de toutes les données recueillies auparavant, publiées ou non publiées, concernant la zone étudiée; il peut s’agir en particulier de cartes, de photographies aériennes, de relevés et de statistiques, et de différentes descriptions relatives à la région considérée.5 Les membres de l’équipe doivent analyser ces données de façon à se familiariser avec la communauté de pêche qu’ils se proposent d’étudier. Cette étape les aidera par ailleurs à formuler les questions appropriées lors de la collecte des données de base sur le terrain.

Une fois sur place, l’équipe procède à la collecte des données de base. Un certain nombre de techniques peuvent être mises en oeuvre, dont la plus efficace est celle des entretiens semi-structurés (voir la description de cette méthode au paragraphe 4.12 ci-dessus). Cette méthode convient particulièrement à la collecte de données historiques, à l’examen de sujets et de thèmes spécifiques, comme à l’élaboration d’études de cas. L’entretien de groupe est une variante de l’entretien semi-structuré. Cette approche offre conjointement une possibilité de collecte de données et de validation par la communauté. Elle s’avère extrêmement utile pour l’identification des normes sociales et des points de vues adoptés par la collectivité, les opinions et les sentiments collectifs et enfin, l’identification des groupes de défense d’intérêts catégoriels. Les entretiens de groupes permettent en outre de dégager davantage d’informations sur des thèmes spécifiques.

Le processus de collecte de données peut en outre inclure des activités participatives, établissement de diagrammes, classement par ordre de préférence, récits et portraits. Les diagrammes ou les graphiques sont des modèles qui transmettent l’information sous des formes visuelles aisément compréhensibles et facilitent les échanges de vues avec la population locale, comme la transmission des idées et des observations. Ils peuvent prendre l’aspect d’une représentation de l’espace, du temps, des flux et des processus décisionnels. Le classement par ordre de préférence est un jeu analytique qui sert à déterminer les préférences ou les priorité d’un individu ou d’un groupe. Il peut se présenter sous différentes formes. Un exercice de classement élémentaire peut consister uniquement à poser une série de questions simples, tandis qu’un exercice plus complexe peut procéder par une série de comparaisons binaires. Les récits et les portraits sont des descriptions succinctes des situations rencontrées par les populations sur le terrain, qui contiennent des informations difficiles à convertir ou à transformer en diagramme. Les membres des communautés de petits pêcheurs font souvent appel de façon privilégiée aux récits et aux portraits pour décrire leur mode de vie.

L’établissement de cartes locales ou de croquis est une méthode simple pour enregistrer sur papier les principaux caractères ou détails d’une zone en termes spatiaux ou géographiques. Parmi les principaux détails peuvent figurer les établissements humains, les infrastructures, les plans d’eau et parfois les particularités des eaux souterraines connues des pêcheurs. Ce type de cartes peut servir à localiser des ménages ou des groupes de ménages dans une communauté, à déterminer l’emplacement de groupes ethniques, de clans ou de familles, et à noter les régions particulièrement prospères. Il peut également servir à localiser des ressources marines, des zones de pêche, des équipements de pêche, des itinéraires de transport et des opérations de débarquement. Ces cartes ne sont pas nécessairement exactes, mais doivent être claires et il faut veiller à ne pas trop inscrire d’informations sur une seule carte. Si possible, il convient de les établir à partir des informations fournies par la population locale ou en demandant à des membres de la communauté de les établir eux-mêmes.

De plus, les membres des équipes d’évaluation rapide peuvent recueillir des données importantes, en faisant appel à certaines des méthodes énumérées ci-dessous:

(1) Les chronologies, qui servent à déterminer les événements passés jugés importants et l’ordre dans lequel ils se sont produits.

(2) Les calendriers, par exemple ceux qui indiquent les campagnes de pêche, les emplois saisonniers, les événements qui reviennent périodiquement selon un cycle rituel, ainsi que la disponibilité de produits alimentaires tout au long de l’année.

(3) Les chronologies partielles montrant comment une zone particulière a évolué dans le temps et permettant de mettre en évidence des phénomènes tels que les modifications d’utilisation des terres ou des pratiques de pêche.

(4) Les organigrammes fonctionnels, qui servent à décomposer et analyser les principales activités. Ces organigrammes indiquent les personnes participant aux différentes activités, ainsi que les autres possibilités disponibles pour mener à bien ces activités; ils permettent en outre d’amener les déclarants à cerner plus précisément et à expliquer les caractéristiques détaillées d’activités qu’ils pourraient sinon considérer comme évidentes et ne pas mentionner aux chercheurs extérieurs à la communauté.

(5) Les arbres de décision dont l’utilisation est intéressante pour mieux comprendre les stratégies communautaires de gestion de la ressource, et mettre en évidence les raisons justifiant l’adoption ou l’abandon de technologies particulières. Ils peuvent également servir à l’analyse des facteurs qui conditionnent les principales décisions de la population locale, tout en précisant leur importance relative.

(6) Les diagrammes de Venn, qui peuvent servir à illustrer les relations entre différents groupes et différentes organisations d’une communauté, identifiant ainsi les conflits susceptibles de les opposer et en précisant les rôles des individus et des institutions.

5.6 Notification des résultats et modalités d’intégration aux programmes de gestion

En règle générale, les membres d’une équipe d’évaluation rapide analyseront les données recueillies, résumeront les résultats obtenus dans un rapport succinct et diffuseront celui-ci aux autres membres de l’équipe, en les invitant à formuler leurs observations. Les membres de l’équipe peuvent aussi se réunir pour formuler des suggestions concernant l’organisation, la structure et la teneur du rapport final. Ensuite, le chef d’équipe sera normalement chargé de rédiger le rapport final et de le présenter aux responsables des pêches. Lorsque ces derniers sont désireux de mettre en oeuvre de nouvelles politiques et pratiques de gestion, elles doivent alors être explicitement liées aux principales conclusions du rapport final de l’équipe d’évaluation rapide.

5.7 Limites des évaluations rapides

Bien que la formule de l’évaluation rapide des communautés de petits pêcheurs puisse servir à évaluer pratiquement n’importe quel contexte lié aux pêches, elle comporte néanmoins plusieurs restrictions concrètes. Premièrement, les variables étudiées et les données recueillies sont nécessairement axées sur les pêches et ne peuvent aborder que de façon sommaire d’autres aspects de l’économie côtière, par exemple, l’agriculture, le transport maritime, le tourisme et les autres activités industrielles. Deuxièmement, la méthode est mieux adaptée à l’étude des villages ou des communautés et convient moins bien aux zones géographiques ou politiques plus étendues. Troisièmement, les résultats obtenus étant à caractère préliminaire, l’acquisition d’une connaissance approfondie et plus complète exigera par la suite des recherches plus détaillées.

5.8 Ouvrages de référence recommandés concernant les méthodes de réalisation d’évaluations rapides

Fox, P. 1984. A manual of rapid appraisal techniques for Philippine coastal fisheries. Manila: Bureau of Fisheries and Aquatic Resources Research Division.

Pido, M. D., R. S. Pomeroy, M. B. Carlos, et L. R. Garces. 1996. A handbook for rapid appraisal of fisheries management systems. Makati City: Centre international d’aménagement des ressources bioaquatiques.

Pollnac, Richard B. 1998. Rapid assessment of management parameters for coral reefs. Narragansett, Rhode Island: University of Rhode Island Coastal Resources Center.

Townsley, P. 1993. Rapid appraisal methods for coastal communities: a manual. Madras: Bay of Bengal Program.


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