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Gestion des ressources orientée sur une espèce et échanges de vues concernant la conservation des poissons coralliens: les pêches à petite échelle dans les îles Yaeyama (sud-ouest du Japon) par Tomoya Akimichi


Directeur du Musée national d’ethnologie (Osaka, Japon)

Résumé: Ce document décrit le système de gestion des poissons de récifs adopté par les pêcheurs, les fonctionnaires des pêches et les pêcheurs amateurs dans l’archipel de Yaeyama au sud-ouest du Japon. Les données correspondantes proviennent d’un travail de terrain mené en 1998 et en 1999, et de comptes rendus non publiés des réunions qui se sont tenues à l’Association coopérative des pêches (ACP) de l’archipel Yaeyama de 1995 à 1997 au sujet de la gestion des stocks de lethrinidés.

Ces réunions s’étaient fixées pour but de définir des mesures autonomes envisageables afin de protéger une espèce particulière de poisson empereur (Lethrinus mahsena), qui figure parmi les principaux poissons destinés à l’alimentation à Okinawa. Etant donné que ce projet se poursuit de façon informelle au niveau local, il offre un intérêt du point de vue des questions actuellement liées à la mise en oeuvre des systèmes communautaires de gestion des ressources. De plus, bien que cette étude de cas se rapporte exclusivement à une seule espèce de poissons de récifs, elle a vraisemblablement d’importantes implications pour la mise en oeuvre des systèmes communautaires de gestion des ressources dans d’autres pêcheries.

Les idées et pratiques décrites ci-après se réfèrent à des échanges de vues qui ont eu lieu entre pêcheurs locaux, fonctionnaires des pêches et chercheurs engagés dans des activités de gestion des pêches et des travaux de recherche, comme à des discussions avec des praticiens de la pêche à la ligne en tant qu’activité de loisir. Tout en renforçant la sécurité alimentaire, l’amélioration de la gestion de la ressource exige que l’on prenne soigneusement en considération le rôle des médiateurs, ainsi que les répercussions d’activités autres que la pêche proprement dite, telles que le tourisme et la pêche récréative, sur les programmes d’aménagement et sur leur mise en oeuvre.

Mots et concepts clés: Yaeyama; association coopérative des pêches; lethrinidés; banc ou concentration de géniteurs; gestion communautaire de la ressource; rôle des pouvoirs publics locaux; pêche récréative.

1. INTRODUCTION

Au cours des dernières décennies un certain nombres d’idées et de pratiques concernant la gestion communautaire des ressources, en particulier dans le secteur des pêches, ont suscité une attention croissante au niveau mondial, notamment dans divers pays en développement de l’Asie du Sud-Est et du bassin Pacifique (Ruddle, 1993). De fait, les travaux consacrés aux systèmes locaux de gestion communautaire des ressources mis en place dans ces régions en ont démontré clairement les avantages écologiques et socioéconomiques pour les communautés concernées, suffisamment pour justifier l’extension de leur application. La gestion communautaire des ressources peut également jouer un rôle précieux pour l’élaboration des décisions de développement durable, en modifiant les approches «descendantes» en vigueur au profit de programmes plus appropriés de gestion conjointe.

2. OBJET DE LA GESTION COMMUNAUTAIRE DES RESSOURCES: SASI ET ASSOCIATION ACP

Avant de décrire la gestion des poissons de récifs au Japon, examinons tout d’abord deux systèmes existant de gestion communautaire des ressources en Indonésie et au Japon: le sasi, pratique coutumière de l’Est de l’Indonésie et la Gyokyo ou association ACP (Association coopérative des pêches), une coopérative des pêches japonaise.

Pratiqué à relativement grande échelle dans l’est de l’Indonésie (Bailey et Zerner 1992; Akimichi 1995), le sasi est connu en tant que modèle type, non occidental, de système de gestion communautaire visant à réglementer l’accès aux ressources halieutiques au niveau communautaire. Les membres de la communauté ont la possibilité d’exploiter des ressources récifales telles que la bêche de mer, les troques, l’huître perlière lorsque l’ouverture du sasi (sasi buka) est déclarée par le chef de village. Les opérations de récolte se poursuivent généralement pendant environ une semaine. Une fois déclarée la clôture du sasi (tutup sasi) pour une à plusieurs années, la population n’est plus autorisée à récolter le poisson. Les profits retirés des ventes de la récolte sont répartis entre les individus et l’ensemble de la communauté. Le système du sasi est donc une solution communautaire permettant d’atteindre des objectifs tant de durabilité écologique que de justice socioéconomique.

Le système n’est cependant pas une solution parfaitement efficace au niveau inter-communautaire. Il ne permet pas, par exemple, de résoudre les conflits limitrophes entre communautés voisines, puisque les communautés respectivement responsables de leur sasi décident de leur propre calendrier d’ouverture et de clôture et en raison parallèlement de l’absence de droits sur le domaine maritime et de droits d’exploitation correspondants. De fait, des litiges territoriaux surviennent souvent entre communautés et peuvent dégénérer en actes de violence et en conflits. Comme je l’ai décrit dans une monographie sur l’archipel des îles Kai de Maluku (Indonésie) (Akimichi, 1995), les chefs des administrations locales de districts (camat), jouent un rôle important, puisqu’ils ont un pouvoir de décision face aux propositions des différents villages en matière d’ouverture du sasi. L’approbation ou le rejet d’une proposition est souvent décidé après prise en considération du caractère récurrent des conflits. De fait, dans un cas que je connais bien, le camat (chef de l’administration) a réussi à éviter des conflits de délimitation entre deux villages hostiles en écartant leurs propositions d’ouverture du sasi. Cela souligne la nécessité de l’intervention d’un médiateur, par exemple un camat, en tant qu’élément clé d’une réelle exploitation communautaire de la ressource.

Les associations coopératives des pêches (ACP) ou gyokyo (Gyogyo-Kyodo-Kumiai; voir Ruddle et Akimichi 1984) constituent une institution fondamentale en matière de gestion communautaire des ressources au Japon. Au Japon, les ACP ont assuré différentes fonctions dans le domaine des pêches: par exemple, mise en oeuvre de la réglementation et coordination des activités correspondantes, rôle de facilitateur pour le financement et la commercialisation des produits de la mer (Kaneda, 1980). L’ouverture et la clôture des zones de pêche côtière pour l’exploitation des ressources benthiques (par exemple ormeaux, oursins de mer, et algues marines) font également souvent l’objet de la réglementation et des décisions d’une association ACP.

Bien que les associations ACP jouent un rôle essentiel en matière de gestion communautaire, elles ne sont pas autosuffisantes. Ainsi, l’ouverture et la clôture des zones de pêche sont décidées au niveau de la communauté, en fonction des règles de l’exécutif de la pêcherie (Gyogyo-Ken Koshi-Kisoku) de chaque ACP. D’autre part, la réglementation des pêcheries (Gyogyo-Chosei Kisoku) au niveau des préfectures - cadre dans lequel plus de 50 associations ACP s’inscrivent en tant qu’institutions annexes - applique des principes tels que la taille minimale des ormeaux et la fixation d’une saison d’interdiction pendant la période de frai. Malheureusement, les conditions écologiques locales ne sont pas toujours prises en considération et le frai risque parfois d’intervenir effectivement avant ou après la saison d’interdiction correspondante.

Les administrations préfectorales et locales jouent donc souvent un rôle important en tant que coordinateurs du règlement des conflits entre associations ACP. Tel est particulièrement le cas quand le règlement de ces conflits est impossible par exemple, lorsqu’ils surviennent le long de limites d’administrations préfectorales, ou en cas d’implication de parties non membres de l’association ACP ou d’industries extérieures aux pêches. Ainsi, lorsque la promotion de la gestion communautaire des ressources est considérée comme un objectif souhaitable, il est impératif de prendre en compte les facteurs et les mécanismes extérieurs dont la présence est inévitable. Tel est justement mon intention dans ma présentation de la gestion communautaire de la ressource de poissons de récifs de l’archipel Yaeyama, en m’attachant en particulier au rôle joué à cet égard par les administrations locales.

3. L’ASSOCIATION ACP DE L’ARCHIPEL YAEYAMA

Il n’est pas étonnant que les pêches à petite échelle opérant sur les récifs coralliens du Japon continuent à jouer un rôle important au sein de l’économie locale. Par contre, dans l’archipel Yaeyama, situé à l’extrémité sud-ouest du Japon et constitué de 10 îles principales, la pêche côtière à petite échelle reste l’une des principales activités commerciales de la région (Ruddle et Akimichi, 1989). Les îles de Yaeyama forme une partie de l’archipel de Ryukyu qui s’étend de l’extrémité sud de Kyushu à l’île de Yoyaguni proche de Taiwan et se caractérise par son environnement subtropical. Sur le plan administratif, on distingue dans les îles Yaeyama, Ishigaki City, située sur les îles Ishigaki, ainsi que Taketomi-Town, qui comprend différentes petites îles notamment Iriomote, Taketomi, Kuroshima, Hateruma, Hatoma (Figure 1). L’île de Yonaguni, à l’extrémité occidentale du Japon, constitue la municipalité de Yonaguni-Town.

Les récifs coralliens de Yaeyama et de différentes parties de l’archipel de Ryukyu sont réputés pour leur extraordinaire biodiversité marine, qui dépasse celle observée dans d’autres zones tropicales et subtropicales, telles que les Philippines, la Nouvelle-Guinée, et la grande barrière corallienne (Masuda et al., 1984). On trouve par exemple 62 genres (espèces) de corail dans les eaux de Yaeyama, soit légèrement plus que dans la péninsule de Malaisie (60) et dans les eaux des Philippines (57). Qui plus est, les eaux côtières des îles Ryukyu (Shokita, 1988), contiennent quelque 2200 espèces différentes de poissons de mer.

Figure 1. Emplacement de la préfecture d’Okinawa

3.1 L’association ACP de Yaeyama depuis le milieu des années 1970

Malheureusement, ces différents écosystèmes de récifs coralliens sont à présent gravement menacés. Comme cela s’est produit dans beaucoup d’autres eaux tropicales partout dans le monde, les récifs coralliens des îles Yaeyama subissent actuellement une détérioration de l’environnement. Les sédiments de sol rouge déposés suite à l’utilisation des terres pour les besoins d’aménagements industriels résidentiels et agricoles ont gravement détérioré les habitats coralliens, à tel point qu’à l’heure actuelle près de 70 pour cent des récifs des îles Yaeyama sont signalés comme étant détruits ou pratiquement détruits (Agence pour l’environnement, 1995). Cela a eu non seulement pour effet de réduire la diversité de la faune sous-marine de cette région, mais il en a résulté en outre des conséquences gravement préjudiciables pour les moyens d’existence de la population locale de pêcheurs à petite échelle.

Cette détérioration de l’environnement étant devenue de plus en plus manifeste au cours des dernières décennies, les pêcheurs locaux des îles Yaeyama ont commencé à prendre conscience de la nécessité d’une certaine «gestion». Avant 1973 et peu de temps après, lors de la réintégration de Okinawa au territoire japonais, les pêches côtières de la région étaient pratiquées à petite échelle, étant intégrées à l’économie domestique, et se caractérisaient par l’étroitesse des liens économiques entre pêcheurs et acheteurs de poisson. La ville d’Itoman (île d’Okinawa), située dans la partie méridionale de la plus grande île de l’archipel est connue comme étant la patrie des pêcheurs les plus actifs et les plus qualifiés d’Okinawa (Ueda 1992). Ces pêcheurs particulièrement qualifiés d’Itoman, connus sous le nom d’ichimanah, ont facilité la diffusion de leurs techniques de pêche dans l’Asie du sud-est, dans d’autres parties de l’archipel Ryukyu et dans la partie occidentale du Japon. De fait, un grand nombre des pêcheurs à plein temps des îles Yaeyama et de différentes parties de l’archipel d’Okinawa sont des immigrants originaires d’Itoman, tandis que d’autres viennent de l’île de Miyako située exactement entre Yaeyama et la plus grande île de l’archipel d’Okinawa (Akimichi, 1984; Ruddle et Akimichi, 1989).

A Itoman, les femmes de pêcheurs vendent le poisson au détail et font également office d’acheteuses de poisson, dont elles font l’acquisition auprès de leur mari (Kato 1980; Akimichi 1984). De plus, à Yaeyama, les femmes des familles de petits pêcheurs ont généralement des boutiques de sashimi-ya (boutiques de poisson cru), de kamaboko-ya (boutiques de tourteaux de poisson frits) et travaillent également en tant qu’intermédiaires ou vendeuses au détail sur les marchés locaux et en ville. Ces dernières années toutefois, ce commerce de poisson à petite échelle a laissé la place dans une large mesure au système de commercialisation des associations ACP, selon lequel les débarquements de poisson sont vendus aux enchères sur les marchés au poisson de l’association ACP de Yaeyama. Cette évolution a donc eu pour effet de réduire considérablement l’importance des activités locales à petite échelle de vente de poisson à Yaeyama, tel qu’indiqué ci-après.

Autrefois, la distribution et la vente de poisson, ainsi que les activités de transformation de tourteaux de bonite séchés (katsuo-bushi) et de tourteaux de poisson frits, occupaient une place importante parmi les activités économiques d’Okinawa axées sur le poisson, et les associations ACP étaient moins en mesure d’exercer une influence sur ces secteurs qu’elles ne l’étaient dans d’autres régions du Japon. Autrefois, des règles informelles et des principes de liberté d’accès aux pêches avaient davantage d’impact que l’application formelle et les règles de limitation d’accès imposées par les associations ACP. Ainsi, les accords en matière d’utilisation territoriale, de négociation et de prévention des conflits entre pêcheurs, étaient choses courante (Akimichi, 1986). Les pratiques de pêche illicite, telle l’utilisation d’explosifs et l’empoisonnement au cyanure, étaient également combattues.

Or, une fois la région entièrement réintégrée dans le cadre japonais en 1972, les programmes destinés à favoriser la reprise économique au niveau régional et à centraliser les pouvoirs publics ont introduit de très grands changements dans l’organisation et le fonctionnement des associations ACP à Okinawa. Des programmes de développement des pêches côtières ont été lancés, prévoyant des investissements à grande échelle pour la construction de ports de pêche, d’installations modernes de débarquement, de systèmes d’entreposage réfrigérés et de fabriques de glace, et pour l’introduction de bateaux et de techniques de pêche nouvelles. Des aménagements de mariculture, destinés à produire d’algues marines, ont également été entrepris. Enfin, la production de poisson congelé de la région est à présent expédiée par avion au Japon.

Parallèlement à la mise en place de ces nouveaux programmes, une réorganisation institutionnelle des associations ACP a également été réalisée, pour stimuler le développement et améliorer la gestion des pêches côtières de Yaeyama. Ainsi, les associations ACP ont été habilitées à exercer une influence accrue auprès de chaque pêcheur, leur imposant l’observation de leurs réglementations, tandis que l’interdiction des pratiques de pêche destructives par l’Agence pour la sécurité maritime a été plus strictement appliquée. Plusieurs autres réglementations ont également affecté, dans une large mesure, les activités en mer des pêcheurs. De plus, il conviendrait de signaler qu’à cette occasion, un certain nombre d’autres projets ont été lancés pour développer l’industrialisation et les industries du tourisme.

Suite aux transformations techniques et socioéconomiques survenues dans les pêches des îles Yaeyama au cours des dernières décennies et en raison par ailleurs de la forte détérioration de l’environnement des zones côtières correspondantes, les pêcheurs comme les responsables des pêches ont compris progressivement la nécessité de mieux prendre en compte le problème de la baisse des ressources halieutiques et des différents risques pour leur environnement. Tout au long des transformations susmentionnées, les conflits entre pêcheurs, exploitants agricoles et aménageurs sont devenus de plus en plus intenses. Et compte tenu de l’importance des quantités de terre rouge et de pesticides déversés dans la mer, les pêcheurs locaux ont subi des perturbations de plus en plus importantes et se sont élevés de plus en plus vivement contre ces menaces écologiques qui compromettaient leurs moyens d’existence liés à la pêche.

3.2 La communauté de pêcheurs de Shiraho et l’association coopérative des pêches de Yaeyama

Le projet de construction d’un nouvel aéroport à Ishigaki, le long des récifs frangeant de Shiraho est également apparu comme une source de polémiques. Shiraho est une communauté côtière située au sud-est de l’île d’Ishigaki. A l’occasion des échanges de vues prolongés consacrés à l’examen de ce projet, défenseurs de l’environnement, organisations non gouvernementales, spécialistes des sciences de la mer et nombre des villageois de Shiraho se sont opposés à la construction de la piste d’atterrissage, étant donné qu’elle détruirait le précieux habitat corallien. En revanche, les défenseurs du projet d’aménagement ont fait valoir les avantages économiques potentiels escomptés de la construction d’une piste d’atterrissage, qui permettrait à des avions gros porteurs de se poser à proximité de Shiraho. Ils soulignaient notamment que le développement d’une puissante industrie touristique sur l’île éloignée de Ishigaki profiterait en définitive davantage à la région que la préservation du récif corallien.

Bien que ce projet d’aménagement ait été provisoirement suspendu, il met néanmoins en lumière une source de polémique concernant les droits sur les pêches et l’importance d’une gestion communautaire des ressources. En effet, la décision de remblayer ou non la mer pour réaliser le projet d’aéroport a été votée lors d’une réunion générale de l’association ACP de Yaeyama, réunion dont étaient exclus les représentants de la population locale de Shiraho, qui ne faisaient pas partie de ladite association. Or, une telle situation est évidemment inacceptable si l’on reconnaît la nécessité de respecter les droits et les sentiments de tous les habitants de Shiraho, et non uniquement les droits sur les pêches détenus par les membres de l’association ACP de Yaeyama.

En vertu de la Loi sur les pêches, l’association ACP de Yaeyama détient les droits d’exploitation des pêches côtières et des eaux au voisinage de Shiraho. Ainsi, les droits sur les pêches revendiqués par les agriculteurs-pêcheurs locaux de Shiraho ne sont pas reconnus puisqu’ils ne pas affiliés à l’association ACP de Yaeyama (Kumamoto, 1999). Nous devons donc distinguer soigneusement entre les droits sur les pêches détenus par les membres de l’association ACP de Yaeyama et ceux revendiqués par les autres habitants de la communauté de Shiraho. De plus, il convient de noter que la plupart des pêcheurs à plein temps habitent Ishigaki, alors qu’un nombre relativement restreint réside dans d’autres communautés côtières des îles Yaeyama.

La question de la gestion des pêches de Yaeyama doit donc être scindée en deux: d’une part, la question de la gestion fondée sur l’association ACP, et d’autre part celle de la gestion locale de type communautaire. Il importe en effet de distinguer ces deux aspects, puisque l’accès aux ressources halieutiques dans le premier cas concerne la totalité des eaux côtières des îles Yaeyama (figure 2), tandis que dans le second elle concerne essentiellement la pêche à petite échelle et la récolte des coquillages, qui constituent des activités de subsistance, poursuivies sans attribution de droits de pêche par l’association ACP de Yaeyama. Ces contradictions intrinsèques propres aux pêches de Shiraho soulèvent des questions quant à la possibilité de conserver au Japon des droits de pêche localisés et coutumiers, dans le cadre d’un système juridique hiérarchisé et aussi quant à la possibilité de protéger les pêches vis-à-vis de la création de nouveaux aéroports. Or, jusqu’à présent la situation au voisinage de Shiraho semble indiquer que le modèle japonais d’association coopérative des pêches n’est pas toujours intégrable à une gestion communautaire des ressources et de fait, risque d’aller à l’encontre de ses principes mêmes et de ses objectifs.

Figure 2 - Archipel de Yaeyama - Zones de pêche considérées dans le cadre de la gestion de la ressource

4. PÊCHES À PETITE ÉCHELLE DE YAEYAMA ORIENTÉES SUR LES LETHRINIDÉS: CONSIDÉRATIONS ÉCOLOGIQUES

A Yaeyama, les activités de pêche orientées sur le poisson empereur (famille des lethrinidés) sont essentiellement à petite échelle. Elles utilisent généralement des navires de pêche de moins de trois tonnes, avec seulement un ou deux pêcheurs à bord pour procéder à la récolte. On trouve différentes espèces de lethrinidés dans les eaux des îles Yaeyama, essentiellement dans les eaux côtières. Le poisson empereur compte parmi les principales espèces destinées à l’alimentation à Okinawa, à l’instar d’autres poissons de récif, en particulier le mérou (famille des Epinephelidae), l’un et l’autre jouant un rôle économique important. Bien que la présente étude traite principalement des problèmes liés aux lethrinidés, il est possible d’en dégager des idées et des règles applicables à la gestion de différentes espèces de poissons de récif, notamment du mérou. De fait, cette étude peut apporter des éléments d’information dans le cadre des échanges de vues touchant à l’utilisation durable des poissons de récifs dans toute la région indo-pacifique.

Parmi les principales techniques utilisées pour capturer les lethrinidés figurent le piégeage, la pêche au trident, la ligne à main, la palangre de fond, le rabattage du poisson et les filets maillants (Kuchikura, 1975). Les pièges pour lethrinidés et pour les mérous, sont connus sous le nom de kane-tiirugwa qui signifie littéralement «pièges en fil de fer». Les grands pièges cylindriques plats en treillis, d’environ 2 m de diamètre et de 80 cm de haut, sont généralement fabriqués par les pêcheurs eux-mêmes. Les pièges sont délibérément camouflés au moyen de coraux, seule l’entrée demeurant ouverte de façon à attirer lethrinidés, mérous et autres poissons carnivores. Ils contiennent de préférence des appâts constitués de têtes et d’organes internes de bonites à ventre rayé. La bonite à ventre rayé est transformée en tourteau de poisson séché (katsuo-bushi) à Ishigaki; ensuite, lorsque les quantités excédentaires sont mises au rebut, l’appât est mis à la disposition des pêcheurs opérant au moyen de pièges. Une règle fixée par l’association ACP limite à 20 le nombre de pièges qu’un pêcheur est autorisé à utiliser. Pendant la période de frai des lethrinidés et des mérous, on choisit des emplacements de pêche de 8 à 15 brasses de fond, mais de 2 à 3 brasses seulement en été. Il convient de signaler que le caractère destructif de cette méthode de piégeage tient à l’utilisation de coraux vivants pour camoufler les pièges.

La pêche à la ligne des lethrinidés et des mérous est également une activité saisonnière. La technique employée en l’occurrence repose sur l’utilisation d’une ligne à main déposée au fond et munie d’hameçons appâtés. Il s’agit d’une activité nocturne particulièrement efficace de mars à mai, période qui correspond à la présence de bancs reproducteurs de lethrinidés et d’épinéphélidés. La technique en question utilisée alors est connue sous le nom de yuimi-sah, ce qui signifie «aller pêcher la nuit».

La pêche sous-marine au trident est également une technique couramment utilisée pour capturer les poissons de récifs. Lors de ma première visite à Ishigaki en 1971, 20 pêcheurs seulement venaient des îles Miyako, situées à environ 200 km au nord-est de l’archipel Yaeyama, pour se livrer à la pêche sous-marine au trident. Actuellement, ils sont beaucoup plus nombreux à utiliser cette technique. Les pêcheurs au trident opèrent la nuit, équipés de projecteurs étanches, selon une technique connue sous le nom de dentoh-moguri, ce qui signifie «plongée au projecteur». Elle s’avère particulièrement efficace lorsqu’elle cible des espèces diurnes qui se réfugient la nuit dans les trous et les crevasses des coraux.

Il y a quelques années, les plongeurs étaient limités par le temps qu’ils pouvaient rester sous l’eau en apnée et ne pouvaient pas passer plus de quelques minutes à la recherche de poissons au repos. Toutefois, au début des années 1980, de nouvelles techniques ont été adoptées permettant aux pêcheurs d’augmenter considérablement les quantités capturées. On peut citer notamment à cet égard les dispositifs d’éclairage reliés à une batterie à bord, et les équipements de plongée sous-marine autonome. Malheureusement, l’introduction de ces techniques récentes s’est traduite à de nombreux endroits par un épuisement de la ressource, la récolte des poissons empereur et des mérous étant facilitée par l’allongement des périodes de plongée, comme par l’emploi de projecteurs puissants et d’équipements de plongée autonome. Compte tenu du gain d’efficacité ainsi réalisé grâce à la possibilité de pratiquer toute l’année la plongée autonome, une majorité de pêcheurs ont adopté ces nouvelles techniques; le nombre total de ceux qui opèrent de cette façon a atteint en définitive une centaine.

La pêche par rabattage est sans doute la pêche la plus active dans les récifs de coraux. A Okinawa on distingue trois types différents de rabattage: pantatakah, chinakakiyah et agyah. A Yaeyama, chinakakiyah et agyah sont les plus fréquents. Le premier cible différents poissons de récifs, tandis que le second cible spécifiquement le fusilier (Caesio spp.) qui évolue en bancs importants. Les plongeurs opèrent généralement par groupes de moins de 10 lorsqu’ils utilisent la méthode dite chinakakiya, alors qu’ils forment des groupes de 30 à 40 quand ils opèrent selon la méthode de rabattage agyah.

Le rabattage selon la méthode chinakakiya utilise deux embarcations, chacune dotée d’un équipage de trois à cinq personnes. Un grand filet est déployé selon une forme semi-circulaire en U, dont le centre doit coïncider avec l’emplacement de relevage final du filet, et dont les deux extrémités sont fixées à de longues cordes. Les plongeurs rabattent le poisson depuis les hauts fonds vers les bas fonds ou le long d’un passage, au moyen de longues cordes lestées de pierres fixées à leur extrémité afin d’effrayer le poisson. Cette technique permet normalement d’obtenir une grande quantité de poisson, par un seul relevage de filets. Surtout à l’époque du frai, les passes à poisson sont très souvent utilisées; selon la profondeur d’eau on distingue deux types de passe: les passes en eaux profondes connues sous le nom de yugumuch, et celles en eaux peu profondes ou ninjabe. Par ailleurs, les rabattages ont lieu normalement la nuit.

En cas d’utilisation de filets maillants, il s’agit de filets en nylon, dont la longueur peut atteindre plusieurs centaines de mètres. Par ailleurs, il s’agit généralement de filets à trois nappes, sauf pendant la période de fermeture allant de juin à septembre. Les pêcheurs opèrent par groupe de 2, posant leur filet le soir, et le relevant le lendemain matin. Les bons lieux de pêche sont attribués pour la durée d’une campagne. Et pendant la période du frai, les emplacements préférés sont situés le long du récif et à l’intérieur des principaux passages.

Des palangres de fond munies d’hameçons appâtés sont également mises en place. La ligne a généralement deux à trois cent mètres de long, et la pêche est pratiquée habituellement par groupes de deux ou trois hommes. Les lignes sont déployées par 45 à 60 brasses, mais aussi sur des emplacements de frai peu profonds pendant la période de ponte.

Chacune des méthodes de pêche présentées ci-dessus a un impact spécifique sur les populations de poisson. Autrement dit, on peut observer de grandes différences du niveau de capture par unité d’effort (CPUE) selon les techniques mises en oeuvre, et en fonction de l’interaction desdites techniques avec le comportement du poisson. Par exemple, la pêche sous-marine au trident, avec un équipement de plongée autonome est la solution généralement retenue pour pêcher des lethrinidés en période post-frai. Etant donné que le poisson tend à demeurer inactif au cours de cette période, les pêcheurs au trident peuvent utiliser leurs lances avec une bonne efficacité. Par ailleurs, le rabattage, comme la pêche à la ligne et hameçon sont employés pour capturer les bancs de reproducteurs de lethrinidés. Enfin, lorsque ces derniers se déplacent des lieux de frai vers les lieux de repos post-frai, la solution des filets maillants est généralement retenue. Outre les méthodes susmentionnées, il y a lieu également de citer les pièges à poisson; ainsi, le nombre total de pêcheurs faisant appel à ces différentes techniques est-il voisin de 300 à 400.

Ces informations tendent à démontrer que les différentes étapes du comportement reproducteur des lethrinidés correspondent à certaines méthodes de pêche et à certains lieux de pêche. Or, la pérennité de la base de ressource de lethrinidés et de mérous est actuellement compromise en raison de l’augmentation des effectifs de pêcheurs et de l’intensification de l’effort de pêche par habitant. Pis encore, hormis la mortalité due à la pêche professionnelle, la pêche récréative a eu pour effet d’augmenter l’intensité globale de pêche et d’aller à l’encontre des intérêts des pêcheurs locaux. Ces pêcheurs amateurs louent des Yugyosen (bateaux de plaisance) amarrés à Ishigaki et dans différentes localités des îles Yaeyama, et utilisent habituellement la technique de la pêche à la ligne.

Outre ces Yugyosen, certains pêcheurs se sont inscrits en tant que guides de pêche récréative, pour des clients ciblant les lethrinidés. Dans un cas comme dans l’autre, les pêcheurs amateurs opèrent généralement par groupes comptant quatre à huit personnes à bord. D’après le recensement de 1996 réalisé par le Département de l’agriculture et des pêches de la Préfecture d’Okinawa, on compte 89 propriétaires de Yuugyosen à Ishigaki et 49 à Taketomi. Au niveau de l’ensemble de la préfecture d’Okinawa, l’effectif ainsi recensé à Ishigaki vient au second rang, immédiatement après le chiffre relevé à Naha, capitale de la préfecture d’Okinawa, qui compte 118 propriétaires de ce type d’embarcations. Il est donc évident que les eaux de Yaeyama présentent un intérêt certain pour les pêcheurs amateurs, de telle sorte que la gestion des ressources de cette zone n’est pas seulement l’affaire des pêcheurs locaux membres de l’association ACP de Yaeyama, mais aussi des administrations publiques locales et des membres du secteur privé.

Figure 3. Evolution des captures de poisson empereur (Lethrinus mahsena) à Okinawa

5. HISTORIQUE DU PROJET DE GESTION DU STOCK DE LETHRINIDÉS

Le présent chapitre contient un exposé détaillé du déroulement d’un petit projet lancé en 1995 dans le cadre de l’association coopérative des pêches de Yaeyama, avec pour objectif spécifique la gestion d’une espèce déterminée de poisson empereur (isofuefuki) (Lethrinus mahsena), appelée également kuchinagi à Okinawa. Préalablement à ce projet, une instruction de l’administration centrale a été adressée, par le Département des pêches (Suisan-Cho) à Tokyo, à chaque préfecture au Japon. En 1994, le Département des pêches avait lancé au niveau national un projet d’aide visant à promouvoir la gestion des stocks dans différentes pêches. Pour mettre en oeuvre ce projet, les différentes administrations préfectorales ont été invitées à élaborer des systèmes concrets de prise en charge des mesures de gestion dans les différentes pêches concernées ou pour assurer la gestion de certains stocks de poissons dans la limite des eaux territoriales préfectorales. Deux projets ont ainsi été adoptés pour la préfecture d’Okinawa, le premier étant l’actuel projet de gestion du stock de lethrinidés à Yaeyama et le second concernant sodeika, ou chipiloua commun, un grand calamar (Thysanoteuthis rhombus) présent au large de l’île principale d’Okinawa.

Au terme de consultations et d’échanges de vues suivis entre l’administration préfectorale d’Okinawa et l’association ACP de Yaeyama, un nouveau plan de gestion des lethrinidés a été défini. Ces parties se sont employées tout particulièrement à essayer de définir de nouvelles approches, en raison de l’échec passé d’un projet de gestion des stocks de mérous, lancé à l’origine par un groupe de pêcheurs de l’association coopérative de Yaeyama. Quelques années plus tôt, vu la tendance à la baisse des captures de mérous, les pêcheurs spécialisés dans ce type de pêche, ont convenu d’établir des lieux de pêche fermés et des saisons de fermeture pendant la période de frai: à l’instar des lethrinidés, la capture des mérous est très facile à cette époque (en avril et en mai) et fait appel à des techniques semblables aux techniques de capture des lethrinidés. Les règles ainsi instituées ont par conséquent été diffusées de façon informelle, tous les membres de l’association de Yaeyama étant censés les appliquer.

Or, le braconnage est malheureusement devenu une pratique répandue, aussi bien du fait de pêcheurs à plein temps membres de l’association ACP de Yaeyama que de pêcheurs amateurs, en dépit des mesures de conservation spontanément soutenues par les pêcheurs locaux, de telle sorte que le projet de gestion du stock s’est soldé en définitive par un échec. Telle est sans doute la raison majeure de l’accueil défavorable à la proposition initiale d’un autre schéma de gestion des stocks de lethrinidés. Toutefois, une autre raison a été liée à l’insuffisance des informations disponibles sur les stocks de lethrinidés, ce qui n’incitait guère les pêcheurs à entreprendre un projet axé sur la préservation des stocks.

Au cours des deux dernières décennies, les captures de mahsena (lethrinidé appelé également kichinagi) ont présenté des fluctuations, plutôt qu’une baisse régulière (figure 3). On a néanmoins observé sur plusieurs années, un épuisement inattendu d’une autre espèce de lethrinidé, taman (Lethrinus nebulosus) dans les eaux voisines de l’île principale d’Okinawa, ce qui a incité la population à envisager de nouvelles mesures de préservation. Il convient de signaler que ces deux espèces abondent dans les eaux d’Okinawa et figurent depuis longtemps parmi les principaux poissons destinés à l’alimentation humaine.

En 1995, les captures de poisson empereur dans les eaux de Yaeyama constituaient près de la moitié du total des débarquements de ces espèces provenant des eaux de toute cette zone. Les deux principales techniques utilisées étaient la pêche au trident en plongée autonome (production de 14,8 tonnes) et la pêche à la ligne et hameçon (12,8 tonnes) tandis que les palangres de fond (3,3 tonnes), les filets maillants (4,4 tonnes), le rabattage (2,7 tonnes) et les pièges (4,4 tonnes) présentaient une productivité moindre. Quant à la sélectivité de ces différentes techniques par rapport aux lethrinidés, elle était de 20,6 pour cent pour les pièges à poisson, de 19,3 pour cent pour les palangres de fond, de 18,4 pour cent pour les lignes et hameçons, de 16,0 pour cent pour le rabattage, pourcentages tous nettement supérieurs à ceux observés pour la plongée autonome (5,9 pour cent) et l’utilisation des filets maillants (4,4 pour cent). Evidemment, la pêche à la ligne et hameçon s’avère sélective vis-à-vis des lethrinidés et fortement productive, à l’inverse de l’utilisation des filets maillants dont la production est faible. Il convient par ailleurs de signaler la sélectivité des lignes de fond en dépit de la faiblesse de leur production, tandis que les pièges, la pêche au trident en plongée autonome et le rabattage ont une productivité élevée, malgré la grande diversité de la composition des captures ainsi obtenues. Le niveau de production et la sélectivité propres à chaque technique de pêche affecteront donc vraisemblablement l’attitude des pêcheurs vis-à-vis des futurs programmes de gestion.

Faute de pouvoir faire état d’une nette tendance à la baisse des captures de lethrinidés, les mesures existantes visant à assurer leur conservation étaient plus rares, se limitant essentiellement à une interdiction des filets à trois nappes pendant les mois de juin et de septembre. Quant aux pêcheurs désireux d’opérer au trident en plongée autonome ou à la ligne et hameçon à bord de bateaux de plus de cinq tonnes, ils étaient par ailleurs tenus d’obtenir une autorisation du gouverneur de la préfecture. Evidemment, ces deux mesures n’étaient pas conçues exclusivement pour protéger les populations de lethrinidés, mais davantage en tant que mesure générale visant à ralentir le processus global d’épuisement de la ressource. Dans ce contexte, les fonctionnaires des pêches et certains membres de l’association ACP de Yaeyama ont ressenti très nettement la nécessité de mesures de gestion, de sorte qu’un nouveau programme a été proposé en 1995.

6. COORDINATION ET ÉCHANGES DE VUES LIÉS À LA GESTION DU STOCKS DE LETHRINIDÉS

Suite au projet de gestion du stock de lethrinidés lancé par l’administration préfectorale d’Okinawa, plusieurs réunions se sont tenues à l’association ACP de Yaeyama: trois en 1996 et deux en 1997. Pour étudier la faisabilité du projet, les pêcheurs membres de l’association ACP de Yaeyama, des fonctionnaires de l’administration préfectorale, des fonctionnaires des pêches de l’agence d’Ishigaki, des pêcheurs amateurs, ainsi que des personnes employées dans des boutiques de matériel de pêche de loisir, prirent part à ces réunions. Au demeurant, les participants auxdites réunions n’ont pas toujours été les mêmes tout au long de ces deux années, et au cours de la deuxième année deux autres pêcheurs locaux de l’île de Kohama et de l’île d’Iriomote de la municipalité de Taketomi ont assisté à la réunion en tant que représentants de la zone occidentale des eaux de Yaeyama, où se trouvent deux importantes zones de pêche de lethrinidés. Sinon, six délégués des pêcheurs qui avaient participé à l’organisation initiale des réunions en 1995 et qui représentaient six techniques de pêche différentes ont été désignés pour continuer à assurer ce rôle en 1997, tandis qu’il était convenu par ailleurs que deux fonctionnaires des pêches qui avaient participé aux réunions en 1995 les remplaceraient une fois sur deux.

La première année du projet en 1996, il y a eu trois réunions (les 3 février, 23 mars et 19 octobre), puis deux la deuxième année (en 1997, le 10 février et la dernière le 19 mars). Toutes les réunions susmentionnées ont eu lieu à Ishigaki et/ou au siège de l’association ACP de Yaeyama. Parmi les participants figuraient par conséquent six délégués des pêcheurs pratiquant six types différents de pêche des lethrinidés (pêche au trident en plongée autonome, lignes et hameçons, palangres de fond, rabattage, filets maillants et pièges à poisson), des spécialistes et des techniciens de la station expérimentale des pêches de la préfecture d’Okinawa, des fonctionnaires des pêches du bureau local d’Ishigaki et de l’administration préfectorale d’Okinawa et enfin, des vendeurs de matériel de pêche récréative.

Les échanges de vues lors des réunions en question ont été transcrits sous forme de comptes rendus avant de m’être communiqués. Les descriptions suivantes de ces réunions et des échanges de vues qui ont eu lieu, sont présentées ci-dessous de façon contradictoire afin de mettre en lumière les problèmes essentiels abordés lors des différentes discussions, et la façon dont les différents participants sont parvenus à l’accord final. Il convient de noter que les échanges de vues ont porté essentiellement sur les deux points suivants: (1) droits d’accès et degré général de moralité des pêcheurs professionnels et des pêcheurs amateurs; et (2)nombre et emplacement des sites des lieux de pêche fermés proposés, et des périodes de fermeture. Le premier type d’échanges de vues à porté essentiellement sur des questions de droit et de juridiction, tandis que le second a donné lieu à une confrontation du point de vue scientifique et du point de vue lié au savoir autochtone. Ci-dessous figure la présentation des doléances et revendications émanant des différents groupes de pêcheurs opposant pêcheurs professionnels et pêcheurs amateurs et enfin, formulées par les chercheurs en sciences de la mer, les administrateurs et différents pêcheurs locaux. Mon propos s’attache essentiellement à la cause de ces doléances et de ces manifestations d’hostilité et au cheminement suivi pour parvenir en définitive à une concertation.

6.1 Conflits opposant les différents groupes de pêcheurs

Ceux qui se livrent à la pêche aux lethrinidés n’ont pas toujours les mêmes idées quant aux répercussions des différentes techniques sur les populations de poissons. Puisque l’effort de pêche sera différent en fonction des techniques mises en oeuvre et variera en outre selon les différentes espèces ciblées, il en résultera de façon quasi inéluctable un antagonisme et des conflits entre pêcheurs ne faisant pas appel aux mêmes techniques pour exploiter la même espèce aux mêmes endroits. Par exemple, lors d’une des premières discussions, l’un d’entre eux a violemment critiqué d’autres pêcheurs qui, dans certaines zones de frai, avaient utilisé une technique de pêche particulière, et a exprimé des doutes quant à la possibilité de continuer à le faire dans les années futures aux emplacements en question. Or, un autre pêcheur a réfuté cette attaque en se déclarant pratiquement certain que ladite technique n’entraînait pas un épuisement du stock de poissons à ces emplacements particuliers, même pas pendant la période de frai et en réalité s’avérait particulièrement sélective.

A la suite de cet échange, le débat entre les participants est devenu encore plus vif. Les utilisateurs de pièges par exemple, ont déclaré qu’ils n’escomptaient pas capturer les mérous et les lethrinidés dans leurs nasses pendant la période de frai, même avec les appâts habituellement préparés pour les attirer. Ensuite, un autre pêcheur a soutenu qu’une interdiction de pêche ne devrait être imposée que pendant la période de frai, et en particulier à l’encontre des pêcheurs utilisant des techniques telles que le rabattage, les filets maillants et la pêche à l’hameçon; ils risquent en effet selon lui de réduire indûment l’effectif des espèces ciblées. Enfin, lors des réunions suivantes, l’examen des meilleures possibilités de mise en oeuvre d’une gestion des stocks a mis en évidence constamment les divergences d’avis entre les pêcheurs utilisateurs des techniques susmentionnées.

Après un certain temps consacré à ces discussions et ces échanges de vues, les participants ont estimé qu’ils devraient passer à l’examen des possibilités d’application des programmes concrets de gestion. Les fonctionnaires des pêches qui prenaient part aux réunions ont toutefois jugé prématurées et stériles ces distinctions, puisque la plupart des pêcheurs de l’association ACP n’étaient pas parvenus à un accord. Néanmoins, les représentants des plongeurs autonomes, des utilisateurs de pièges et des palangriers ont délibérément accepté l’introduction d’une certaine réglementation concernant les stocks de lethrinidés, notamment les interdictions de pêche pendant la période de frai. Les utilisateurs de filets maillants ont également approuvé en principe cette mesure, mais ont par ailleurs exigé que l’on informe en priorité les pêcheurs amateurs quant à l’importance du respect de l’interdiction de pêche pendant la période de frai. De plus, la plupart des pêcheurs présents aux réunions ont exprimé leur disposition générale à accepter un nouveau programme de gestion, bien que différents groupes continuent à s’opposer sur certains points de détail du programme proposé. Cette situation témoigne clairement de la complexité inhérente à la mise en place d’une gestion des stocks selon un principe de gestion communautaire des ressources, même pour une seule pêcherie et pour la gestion d’une seule et même espèce, néanmoins ciblée par différentes catégories de pêcheurs n’utilisant pas les mêmes techniques.

6.2 Pêcheurs professionnels et pêcheurs amateurs

Tout au long des premières réunions, les pêcheurs professionnels ont exprimé des opinions négatives à l’encontre des pêcheurs amateurs qui selon eux compromettaient la réussite potentielle de leur campagne de pêche. Les principaux arguments invoqués étaient les suivants:

(1) Les captures des pêcheurs amateurs représentent souvent les quantités supérieures à leur consommation personnelle.

(2) Les réglementations et les politiques adoptées par l’association ACP risquent de ne pas être observées par les pêcheurs amateurs, qui ne sont pas dans l’obligation légale de les appliquer, et tout particulièrement lorsque ces règles sont instituées de manière informelle.

(3) Dans certains cas, la pêche récréative est pratiquée pendant le week-end par des personnes qui occupent la semaine un emploi de fonctionnaire. De plus, certains des participants aux réunions, présents en tant que fonctionnaires de l’administration publique, pratiquent par ailleurs la pêche récréative pendant le week-end.

(4) Certains pêcheurs amateurs attirent le poisson de façon inadéquate au moyen de poissons-appâts.

(5) Les pêcheurs amateurs opèrent pendant les périodes de frai, contrairement à la plupart des pêcheurs professionnels qui s’abstiennent alors.

(6) Les pêcheurs amateurs sont dotés d’un meilleur équipement et d’appâts plus frais que beaucoup de pêcheurs professionnels et opèrent en groupes relativement nombreux (à raison de plus de trois personnes à bord), avant de rapporter le poisson chez eux et d’en faire cadeau. Ainsi, leurs captures potentielles de lethrinidés dans l’île d’Iriomote peuvent atteindre environ trois fois le volume des captures des pêcheurs professionnels.

(7) La baisse des quantités récoltées n’est pas seulement imputable à la surpêche des pêcheurs professionnels, puisque l’effectif total de ces derniers n’est pas important; elle est plutôt imputable à la pression exercée par les pêcheurs amateurs dont, en définitive, l’effort de pêche doit être réduit.

(8) Si trois emplacements de frai sur les huit principaux emplacements sont désignés pour faire l’objet de mesures de conservation particulières, l’intensité de l’effort de pêche des pêcheurs amateurs aux emplacements en question risque de provoquer un épuisement encore plus important.

La deuxième réunion, tenue en 1996, a accueilli quelque 150 personnes, notamment des pêcheurs de l’association ACP de Yaeyama et différents participants officiels. Les pêcheurs ont été classés en cinq groupes correspondant aux zones résidentielles à proximité d’Ishigaki City, les cinq groupes étant désignés comme suit: «Est-1»; «Est-2»; «Centre-1», «Centre-2» et «Ouest». Les différentes opinions formulées par les membres de chacun de ces groupes vis-à-vis des pêcheurs amateurs sont récapitulées ci-dessous (signalons néanmoins que les catégories résidentielles ne correspondent pas à des techniques de pêche particulières):

(1) Les possibilités de concertation avec les pêcheurs amateurs constituent le problème majeur.

(2) Il importe d’organiser des patrouilles de nuit, surtout pour empêcher les pêcheurs amateurs de s’introduire la nuit dans les zones protégées et de façon générale, il importe davantage de restreindre l’accès aux pêcheurs amateurs plutôt qu’aux pêcheurs professionnels.

(3) Le rapport entre le nombre de bateaux de pêche récréative et le nombre de bateaux de pêche professionnelle est d’environ 8 pour 2 ce qui signifie que les premiers sont beaucoup plus nombreux que les seconds, en particulier pendant la période de frai. Aussi les restrictions d’accès imposées aux pêcheurs amateurs permettraient-elles de résoudre la plupart des problèmes actuels de protection des stocks. De plus, il conviendrait non seulement de limiter la quantité de poissons susceptible d’être récoltée, mais aussi d’instituer une politique de fixation des prix régissant les emplacements de vente autorisés et les prix pratiqués.

(4) Les pêcheurs amateurs constituent le problème majeur des pêcheurs professionnels à la ligne, puisqu’ils gênent les activités de ces derniers et exercent une forte concurrence en matière d’exploitation des ressources et des zones de pêche. Il conviendrait de prendre les mesures appropriées pour empêcher les pêcheurs amateurs à temps partiel de compromettre l’activité des pêcheurs professionnels membres de l’association ACP.

Tout au long des échanges de vues qui ont eu lieu, l’hostilité des rapports entre pêcheurs professionnels et pêcheurs amateurs est apparue de façon manifeste; néanmoins, les premiers ont par ailleurs proposé des mesures constructives pour atténuer la gravité des problèmes que leur posent les seconds. Par exemple, un programme d’information sur les questions de gestion a été proposé dans le but d’informer les pêcheurs amateurs au sujet des problèmes des pêcheries et des politiques de gestion, au moyen de publipostages, de brochures et d’annonces dans les médias. Il a d’autre part été proposé d’inspecter les bateaux de pêche récréative pour s’assurer qu’ils étaient dotés des permis prévus et de recenser les pêcheurs amateurs en s’assurant la coopération des propriétaires de magasins d’articles de pêche. Des propositions moins radicales ont consisté notamment à envisager de charger certains pêcheurs de sensibiliser l’opinion aux projets de gestion du stock par des activités publiques. Des pêcheurs ont également demandé à ce que soit créée une association fédérée de pêcheurs amateurs qui établirait des liens plus étroits avec les pêcheurs et les autorités de gestion par comparaison à l’actuel club informel de pêcheurs amateurs.

6.3 Position comparée d’une part des pêcheurs et d’autre part des spécialistes de la science halieutique et des fonctionnaires des pêches

Les pêcheurs professionnels et les spécialistes de la science halieutique de l’administration préfectorale ont eu des échanges de vues à caractère plus technique et concret que juridique et éthique; il y eu par ailleurs un certain nombre de délibérations avant de parvenir à des accords quant à la fermeture de certains lieux de pêche pendant la période de frai. Les divers groupes de pêcheurs ont posé des questions concernant le rapport scientifique sur l’évaluation du stock de lethrinidés qui avait été établi par l’administration des pêches de la préfecture au cours de la période 1996-1997. Sur le point de savoir si la production d’isofuefuki (Lethrinus mahsen) avait augmenté, le fonctionnaire des pêches a précisé qu’il y avait certes eu un accroissement des niveaux de production imputable à l’augmentation de l’effort de pêche et/ou du nombre de pêcheurs, mais que le niveau de capture par unité d’effort (CPUE) avait diminué. La légère majoration du prix unitaire observée par ailleurs de 1995 à 1997 n’a pas été vraisemblablement liée à l’augmentation des captures. De plus, tandis que la présence de bancs de reproducteurs d’isofuefuki a été confirmée, un pêcheur a fait valoir les difficultés concrètes que comporterait la fermeture de certaines zones de pêche pendant certaines périodes afin de les protéger. Il a insisté sur le fait que l’imposition de périodes de fermeture plus générales, semblables à celles interdisant le samedi la pêche à la ligne et à l’hameçon des grands encornets (Thysanoteuthis rhombus) pourrait s’avérer plus efficace.

Quant au nombre d’emplacements de pêche qui devraient faire l’objet de mesures de réglementation, les pêcheurs se sont opposés initialement aux interdictions totales de pêche sur les emplacements de frai et ils ont par ailleurs cherché à réduire l’étendue des zones qui devraient faire l’objet de réglementation. Il y a eu ensuite l’examen de la question délicate du délai de rétablissement à prévoir pour un lieu de pêche après son exploitation pendant la période de frai. Le délai de rétablissement requis à la suite d’une exploitation par l’homme est une question intéressante à laquelle des éléments de réponse peuvent être trouvés aussi bien dans les travaux scientifiques modernes que dans le savoir populaire autochtone des pêcheurs (Akimichi 1984); lors des réunions, ni les pêcheurs ni les fonctionnaires des pêches n’ont pu répondre de façon catégorique, bien qu’un pêcheur ait suggéré une période de rétablissement de 10 ans. Les spécialistes des sciences halieutiques présents aux réunions ont par ailleurs demandé quel était le nombre d’emplacements de frai dans les eaux de Yaeyama; un pêcheur a répondu qu’il y en avait une vingtaine parmi lesquelles on pouvait distinguer 10 emplacements très importants. Les connaissances des pêcheurs concernant certains emplacements de frai se sont donc avérées extrêmement instructives pour les spécialistes des sciences halieutiques.

Les fonctionnaires des pêches ont constamment joué un rôle important en tant que médiateurs entre les pêcheurs professionnels et les pêcheurs amateurs, en s’efforçant de les amener à trouver un terrain d’accord. Au sujet de certaines doléances des pêcheurs professionnels à l’égard des pêcheurs amateurs, ils ont parfois pris fait et cause pour ces derniers en faisant observer que les pêcheurs professionnels s’étaient davantage exposés à des sanctions pour inobservation de la réglementation de la pêche au mérou. Par ailleurs, ils ont en outre fréquemment soutenu la thèse des spécialistes des sciences halieutiques selon laquelle la période de frai n’était pas synchronisée et n’intervenait pas au même moment à différents endroits. Enfin, au sujet du nombre d’emplacements de frai qu’il conviendrait de fermer à un moment donné - mesure à laquelle la plupart des pêcheurs sont restés opposés - les fonctionnaires des pêches ont proposé des solutions qui consisteraient à fermer les divers emplacements à des époques différentes, de manière à ne pas fermer simultanément la totalité des emplacements réglementés.

Même dans ces conditions, nombre de pêcheurs ont difficilement compris le bien-fondé de ces mesures de gestion inédites et rigoureuses. Evoquant certains emplacements de pêche par exemple, un pêcheur a déclaré que pendant la période de frai des poissons disparaissaient pour atteindre des profondeurs d’environ 100 m. Le fonctionnaire des pêches a reconnu qu’il était sans doute scientifiquement exact que les lethrinidés se retiraient vers des emplacements de frai plus profonds.

6.4 Échanges de vues concernant les moyens concrets de gestion des ressources

Les pêcheurs participant aux réunions ont finalement formulé les suggestions générales suivantes:

(1) Etude approfondie d’un seul emplacement de frai en tant qu’emplacement test.

(2) Afin d’obtenir une évaluation rapide des répercussions de la réglementation sur des emplacements spécifiques, tâcher d’appliquer une période de fermeture, plutôt que des restrictions spatiales.

(3) Il convient de tenir soigneusement compte des principes d’équité et de justice économique lors de la mise en place de toute réglementation.

(4) Un programme de mise en place doit être lancé, puis évalué deux années après.

(5) Un programme intermédiaire doit être lancé maintenant à titre expérimental, les décisions finales concernant ce programme devant être prises lors des dernières étapes du cycle de réunions.

(6) Hormis les mesures spatiales et temporelles, il convient d’envisager également une réglementation des techniques de pêche, de la taille des captures, de l’ouverture des mailles de filets, du nombre d’hameçons, et des systèmes de contingents.

Une fois les observations ci-dessus dûment notées, des informations concernant les emplacements des lieux de frai ont été recueillies auprès de différents pêcheurs. Il est ainsi apparu qu’une majorité d’emplacements se trouvaient dans la partie occidentale des eaux de l’association ACP de Yaeyama, qui relève administrativement de Taketomi-cho; aussi, deux autres membres représentant la municipalité de Taketomi ont-ils été ajoutés au comité. Il a également été suggéré que l’instauration de la réglementation commence avant mars, puisque la période de frai commence généralement au début de ce mois. Une autre suggestion importante visait à contrôler les ventes de poisson pendant la période de frai pour empêcher les braconniers de vendre du poisson à des intermédiaires ou des grossistes pendant cette période.

Les délibérations ont porté ensuite sur la faisabilité des règles et des restrictions, sur les problèmes de juridiction et sur les objectifs de gestion. Bien que nombre des difficultés inhérentes à l’élaboration de nouvelles règles soient dues à la diversité des techniques de pêche, le fonctionnaire des pêches a néanmoins fait valoir la nécessité de garantir l’équité sociale, indépendamment des techniques mises en oeuvre. Par ailleurs, lors de la délimitation des emplacements de frai réglementés, les pêcheurs ont continué d’insister pour limiter autant que possible l’étendue des zones de fermeture. Néanmoins, le fonctionnaire des pêches a plaidé instamment en faveur d’une étendue suffisante pour garantir la réalisation des objectifs de préservation. Afin de délimiter ces zones, il a été recommandé d’utiliser des fanions et des bouées en guise de marqueurs. Toutefois, en raison de la multiplicité des emplacements de frai importants dans les eaux de Yaeyama, le problème posé par le mode de sélection des emplacements particuliers où la nouvelle réglementation devrait être mise en place, est resté au premier plan et différentes propositions à cet égard ont continué d’être avancées.

Parmi les six techniques de pêche couramment utilisées pour capturer les lethrinidés, la plongée autonome a été jugée la plus efficace, et par ailleurs, de l’avis général des différents participants, les pêcheurs en plongée autonome, en tant que groupe, devraient être peu enclins à accepter de nouvelles mesures de préservation. Toutefois, leur porte-parole a assuré les participants qu’il pourrait persuader la plupart des membres d’accepter de nouvelles réglementations, puisqu’il s’agit pour la plupart d’individus encore jeunes et assez souples dans leurs pratiques de pêche. Enfin, un pêcheur a proposé de désigner six emplacements en tant que zones de fermeture et d’appliquer conjointement de nouvelles règles de taille limite des captures.

6.5 Accord final

Vingt-trois personnes ont assisté à la réunion finale en 1997, notamment plusieurs pêcheurs amateurs et propriétaires de magasins d’articles de pêche. De plus, bien qu’un accord général ne se soit pas dégagé, des progrès notables ont été accomplis. On trouvera ci-dessous un résumé de plusieurs points importants retenus en conclusion de cette dernière réunion.

Par exemple, un pêcheur se remémorant ses expériences de pêche de lethrinidés avant le développement de la pêche récréative, a déclaré qu’il avait pu réaliser des captures atteignant 200 à 300 kg par jour, et que les bancs les plus denses se trouvaient habituellement par environ 30 mètres de fond. En outre, il avait parfois constaté la présence de poissons sur des hauts fonds, à environ cinq mètres de profondeur, juste au-dessous de la coque de son bateau. Ces indications tendaient globalement à démontrer qu’à cette époque le poisson était particulièrement abondant pendant la période de frai.

L’abondance du poisson et l’importance des captures réalisées autrefois était donc un sentiment répandu chez beaucoup de pêcheurs. Néanmoins, la tendance à la baisse des captures observée depuis lors les avait fait prendre conscience de la nécessité d’adopter de nouvelles mesures de préservation, par exemple, des interdictions de pêche à certains moments de l’année et pendant des périodes pouvant atteindre un mois. Sinon, la plupart des pêcheurs n’ont pas cessé d’écarter les suggestions de ce type, faisant état de la nécessité de gagner leur vie pendant les périodes de fermeture envisagées. De plus, un autre pêcheur a suggéré d’appliquer la réglementation sur toute l’étendue des eaux côtières d’Okinawa. Néanmoins, puisque les eaux côtières des îles Yaeyama constituent la principale zone de production de lethrinidés, cette proposition a été écartée par le fonctionnaire des pêches.

Les pêcheurs à la ligne et à l’hameçon, se sont également déclarés opposés aux mesures de préservation, déclarant que la fermeture de cinq ou six emplacements de frai les priverait de possibilités quant à la poursuite de leurs activités normales de pêche. En réponse, les autorités se sont employées à les persuader d’accepter les propositions, en déclarant qu’elles les aideraient à long terme, par des mesures d’accompagnement liées à la poursuite d’objectifs de durabilité, et en rappelant qu’entre temps ils pouvaient exploiter d’autres sites non réglementés.

Les pêcheurs professionnels ont formulé quelques propositions explicites quant à la réglementation de l’activité des pêcheurs amateurs. En dehors, du «Marine Club» aucune organisation ne pouvait parler au nom des pêcheurs amateurs de la région; d’après l’un d’entre eux, ce club n’avait été organisé que pour promouvoir les activités sociales, organiser des concours de pêche et fournir des informations générales à ses membres. Il n’existait non plus aucune organisation officielle pour les propriétaires de magasins de matériel de pêche. Toutefois, les propriétaires de magasins de matériel de pêche qui avaient assisté aux réunions ont accepté de coopérer pour l’application de la réglementation proposée, en informant les pêcheurs amateurs sur le programme de gestion en question et en les incitant à s’y conformer; ils ont accepté de plein gré de s’associer à cette initiative, en observant néanmoins qu’ils n’avaient aucun mandat officiel pour participer à sa mise en oeuvre.

Les pêcheurs ont ensuite demandé à avoir une occasion de préciser davantage leurs points de vues et leurs sentiments au sujet des pêcheurs amateurs et le fonctionnaire des pêches a accédé à cette demande. Ensuite, plusieurs mesures importantes ont été prises dans cette optique. D’une part, l’administration des pêches a rédigé une brochure soulignant la nécessité d’une gestion du stock de kichinagis, puis l’a distribuée dans les magasins de matériel de pêche récréative. La brochure faisait observer: «Préserver le kuchinagi, c’est l’affaire de tous!» et «N’en capturez pas trop!» Globalement cette mesure a semble-t-il été bien reçue des pêcheurs amateurs et du public en général. L’administration préfectorale a ainsi manifesté explicitement sa disposition à jouer un rôle accru en matière de gestion des stocks en s’adressant conjointement aux pêcheurs professionnels, aux pêcheurs amateurs et au public en général. Et puisqu’il devenait évident que le seul régime communautaire ne pouvait résoudre le problème de gestion, il a été admis de plus en plus que l’administration locale devrait jouer à l’avenir un rôle accru en matière de gestion de la ressource.

7. SYNTHÈSE

A partir de la série de débats et d’échanges de vues entre pêcheurs professionnels, fonctionnaires des pêches, pêcheurs amateurs et vendeurs de matériel de pêche, au cours des années 1995 à 1997, plusieurs résultats importants se sont dégagés en matière d’évaluation et de mise en place d’une gestion communautaire de la ressource. Bien que cette étude de cas ait porté sur une espèce particulière, l’expérience recueillie dans ce contexte ouvre de nouvelles perspectives quant à l’élaboration de programmes de gestion des pêches dans un cadre communautaire.

7.1 Savoir autochtone et savoir scientifique

Les échanges de vues entre fonctionnaires des pêches de Yaeyama et pêcheurs professionnels ont révélé que ces deux groupes détenaient deux types distincts de connaissances concernant les poissons de mer et de solutions concrètes pour leur gestion. Pour l’essentiel, le savoir des fonctionnaires des pêches était issu des connaissances scientifiques classiques et des traditions de gestion associées à leurs fonctions, tandis que le savoir autochtone des pêcheurs reposait plus souvent sur des traditions orales et sur leur considérable expérience de la pêche en mer et de la pêche sous-marine. Il était non moins clair par ailleurs que les possibilités d’application à une gestion moderne de la ressource offertes par les connaissance des pêcheurs, justifiaient leur respect et méritaient d’être sérieusement prises en considération (Johannes, 1978 et 1982). De fait, les connaissances autochtones étant étroitement liées au contexte local, elles sont susceptibles de faire apparaître des principes directeurs quant à l’élaboration d’une gestion communautaire des ressources (Bailey et Zerner, 1992).

Aujourd’hui, le comportement type des bancs de reproducteurs de lethrinidés est bien connu des pêcheurs, des fonctionnaires des pêches et des spécialistes de la science halieutique. En outre, les pêcheurs amateurs sont devenus de plus en plus informés au sujet des bancs de reproducteurs de kuchinagi et des bons emplacements de pêche, à la faveur des observations réalisées, des conseils dispensés par des amis, par les fournisseurs de matériel de pêche et parfois même de pêcheurs professionnels. Cela ne diminue pas pour autant l’importance du savoir autochtone des pêcheurs traditionnels, celui-ci couvrant non seulement les questions de frai, mais aussi toutes sortes d’autres sujets relatifs aux phénomènes de l’écologie marine. Autrement dit, de nombreux domaines restent à explorer de façon plus approfondie quant aux possibilités de mettre à profit ce savoir autochtone et quant aux indications concrètes qu’il est susceptible de fournir pour l’élaboration de mesures de préservation appropriées.

7.2 Conflits et concertation entre les différentes catégories d’intéressés

La fermeture des emplacements de frai favorisera les conflits entre groupes d’intéressés qui n’ont pas la même attitude vis-à-vis de la pêche. Par conséquent, bien qu’en règle générale il soit possible d’espérer que la gestion communautaire des pêches soit en mesure d’apporter des éléments utiles à l’élaboration de mesures de gestion efficaces, les conflits intracommunautaires risquent par ailleurs de demeurer latents ou d’introduire des complications dans cette perspective. Au fond, peu de communautés de pêcheurs sont constituées de groupes homogènes d’individus dont l’attitude vis-à-vis de la pêche est la même et qui recherchent la même espèce au même endroit et au même moment. De plus, comme on peut en conclure de l’exposé ci-dessus concernant la fermeture des zones de pêche, nombre de pêcheurs se caractérisent vis-vis de la ressource plutôt en destructeurs qu’en gestionnaire. La concurrence intracommunautaire dans le cas des activités de pêche est donc un phénomène très répandu partout dans le monde (voir Acheson, 1975; Akimichi, 1984 et Acheson et McCay, 1989).

Cependant, les mécanismes de négociation et de concertation interviennent par ailleurs fréquemment dans les conflits des pêches au Japon, le rôle d’intermédiaire étant dans nombre de cas assuré à l’origine par une association coopérative des pêches particulière - c’est-à-dire par une instance communautaire (Ruddle et Akimichi, 1984). A cet égard, il existe effectivement un conciliateur au sein de l’association ACP et celui-ci peut jouer un rôle important en intervenant dans les conflits et en veillant à la concertation des parties. D’autre part, lorsque le conflit s’étend au dehors et implique des communautés et des associations ACP voisines, il est possible d’organiser des réunions communautaires auxquelles participent conjointement des responsables de diverses associations, afin de trouver des solutions mutuellement acceptables. Par ailleurs, lorsque les conflits apparus concernent des ressources de pêche situées dans des régions chevauchant plusieurs juridictions administratives, les autorités de plus haut niveau peuvent jouer un rôle important de médiateur et de coordinateur; de manière analogue les gouverneurs de préfectures voisines contribuent souvent de manière décisive à la résolution de conflits transfrontières entre administrations préfectorales voisines.

Lors des réunions de Yaeyama auxquelles assistaient des pêcheurs, des fonctionnaires des pêches et des représentants des pêcheurs amateurs, les administrations des pêches ont joué un rôle décisif consistant à promouvoir l’acceptation de nouveaux projets de réglementation, à demeurer réceptif à l’état d’esprit des pêcheurs professionnels peu enclins à se plier à toute nouvelle mesure de gestion conçues en haut lieu, comme à l’état d’esprit des autres parties concernées par le déclin des ressources et enfin, à manifester leur volonté de laisser une chance à un nouveau programme de gestion. Les administrations des pêches ont dû, par ailleurs, surmonter l’obstacle considérable créé par le souci de la plupart des pêcheurs de ne pas divulguer leurs zones de pêche préférées, leur connaissance experte du comportement des poissons et l’importance de leurs captures. Ces informations seraient d’une importance décisive pour l’élaboration du nouveau programme de gestion et devraient par ailleurs être rendues publiques.

7.3 Tourisme et affairisme

Les pêcheurs professionnels de Yaeyama ont exprimé une ferme volonté d’exclure les pêcheurs amateurs des zones où ils opèrent. Or, il s’avère impossible d’éliminer la pêche récréative dans le cadre des politiques régionales générale de gestion du littoral, pour une meilleure gestion de la ressource, de même qu’il n’a pas été possible d’éviter l’industrialisation récente des projets de mise en valeur des terres et des aménagements touristiques. Tous ces éléments sont autant de facteurs externes qui ont un impact sur les pêches et doivent être pris en considération. Aussi, les communautés de pêcheurs ne peuvent-elles plus revendiquer une utilisation exclusive des eaux côtières.

On a pu observer au cours des deux dernières décennies une multiplication des conflits au sujet des ressources côtières entre les pêcheurs membres d’associations ACP et, par ailleurs, les plongeurs sportifs, les surfeurs, les personnes pratiquant le ski nautique, les collectionneurs de coquillages et même les ramasseurs d’épaves venus des zones urbaines. En particulier dans le cas des récifs coralliens au Japon, les conflits entre pêcheurs professionnels et plongeurs ont même abouti à des violences physiques, comme récemment dans les îles Miyako. Le problème posé par les conflits susmentionnés tient au fait que les eaux côtières et les organismes qui y vivent sont, en vertu de la Loi nationale sur les pêches (1989), exploités par les pêcheurs et les associations coopératives des pêches, alors qu’à présent, les citoyens pêcheurs et non-pêcheurs ont une idée très différente de l’utilisation et de la propriété des eaux marines. Or, la Loi nationale sur les pêches ne stipule certes pas que les associations ACP «possèdent» les eaux côtières et aucune règle ne définit la propriété des eaux marines, mais elle confère néanmoins des droits d’exclusivité, quant à l’utilisation d’eaux côtières et d’organismes marins particuliers, à certaines associations coopératives des pêches dont ils constituent les moyens d’existence. Ainsi, tandis que les pêcheurs des coopératives estiment que la mer leur appartient, pour différents types de non-pêcheurs (par exemple, baigneurs et adeptes de la plongée autonome, pêcheurs amateurs, ramasseurs d’épaves et personnes qui s’intéressent à la mise en valeur des terres), la mer appartient au domaine public.

A l’heure actuelle, ce régime juridique ambigu facilite donc les remises en cause émanant des citoyens non-pêcheurs qui demandent pourquoi les zones côtières sont ouvertes uniquement aux pêcheurs immatriculés et pour quelles raisons elles ne peuvent également être utilisées à d’autres fins par des personnes qui ne font pas partie des coopératives. L’exemple de Shiraho cité plus haut est une illustration parmi d’autres de ce problème.

Les pêcheurs membres des associations ACP justifient cette situation de façon simple: les personnes de l’extérieur doivent être exclues afin de garantir une utilisation responsable et durable des ressources halieutiques. Or, la question est plus complexe et d’autres nuances doivent être introduites. Dans le cas des îles Yaeyama par exemple, on peut distinguer deux groupes différents parmi les pêcheurs amateurs: le premier est constitué de résidents locaux, l’autres de touristes venus de régions plus éloignées. Or, il s’agit de distinctions importantes parce que la participation des membres de la communauté est essentielle pour la mise au point d’une gestion communautaire et des moyens concrets de la mettre en oeuvre. Or, pour l’heure, du moins à Yaeyama, ceux qui ne font pas partie de l’association ACP sont encore inorganisés, insuffisamment informés et individualistes. Néanmoins, la prise en compte de l’influence de ces éléments extérieurs à l’association ACP restera un élément majeur dans le cadre de l’élaboration de futures initiatives de gestion.

8. POSTFACE

En mars 1998, quatre emplacements de frai ont été déclarés réserves naturelles pour les besoins de la gestion de la ressource de lethrinidés pendant les mois d’avril et mai (Figure 4). Un des pêcheurs membres du comité m’a confié qu’il souhaitait certes qu’un plus grand nombre d’emplacements soient désignés en tant que sanctuaires à des fins de préservation, mais qu’il ne pouvait préconiser cette approche lors des réunions, parce que plusieurs de ses parents travaillaient également à la pêche et devaient conserver leur moyen de subsistance. Par la suite, en dépit de la désignation de ces quatre emplacements de pêche en tant que sanctuaires, un fonctionnaire des pêches m’a confié qu’ils semblaient strictement observés dans la journée, mais qu’il ignorait ce qu’il se passait la nuit et que, selon des sources qu’il ne pouvait divulguer, plusieurs cas de braconnage avaient été détectés. Aussi est-il difficile à ce stade d’affirmer avec certitude que l’instauration des sanctuaires atteindra le but recherché.

Un bateau de la garde côtière sous l’autorité de l’administration préfectorale a patrouillé dans les quatre zones fermées pendant la période d’interdiction de la pêche. Jusqu’à présent aucun cas de braconnage n’a été signalé, bien que les responsables de la garde côtière déclarent soupçonner un certain nombre de pêcheurs locaux. En guise de commentaire à cette déclaration, un pêcheur figurant parmi les défenseurs des mesures de conservation a fait observer que le principe de la gestion du stock de poissons n’était pas encore parfaitement compris de tous les pêcheurs et devait être maintenu.

Figure 4. Emplacement de quatre sanctuaires de poissons de récifs dans l’archipel de Yaeyama

Chaque site est indiqué par quatre bouées lumineuses jaunes, placées aux angles et une bouée lumineuse rouge au centre. La fermeture du sanctuaire depuis le 1er avril jusqu’à fin mai est instaurée depuis 1998 et jusqu’en 2003.

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