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Le poisson et l'eau: la sécurité alimentaire et le poisson dans une communauté cotière de la République Dominicaine (par Richard W. Stoffle)

Bureau de recherche appliquée en anthropologie
Université d'Arizona
Tucson (Arizona), Etats-Unis

Résumé: Le présent exposé est consacré à la population de Buen Hombre, petit village côtier de pêcheurs et d'agriculteurs d'environ un millier d'habitants situé sur la côte nord de la République dominicaine, près de la frontière haïtienne. La population du village est confrontée aux divers problèmes, tant classiques que spécifiques, liés aux changements. A caractère parfois mondial et parfois local, les changements en question affectent le climat, l'économie et l'environnement du cadre de vie des villageois de Buen Hombre: ces derniers s'y préparent et s'y adaptent (1) en défendant le principe de la conservation des ressources et (2) en limitant l'accès à leurs ressources marines. Les succès rencontrés dans leurs efforts d'adaptation contribuent à résoudre les problèmes de sécurité alimentaire fondée sur le poisson.

Les problèmes de sécurité alimentaire fondée sur le poisson doivent nécessairement être examinés dans un cadre temporel et dans un cadre spatial. Les aspects spatiaux concernent l'éventail des relations d'ordre culturel établies entre la population et les ressources naturelles liées au poisson: ces relations forment des «paysages culturels» (Greider et Garkovitch, 1994; Tuan, 1977; Stoffle, Austin et Halmo, 1997). D'après Adam, (1998:55) le choix des perspectives temporelles associées à un paysage culturel est le point de départ de l'étude de la situation à un moment donné et de l'évolution dans le temps des interactions entre les ressources naturelles et les aspects humains.

Le choix d'un horizon temporel nous permet d'intégrer savoir scientifique et savoir quotidien, identité culturelle profonde et mécanismes de la nature.

Présentée dans une perspective historique, l'étude de cas consacrée à Buen Hombre donne au lecteur l'impression de découvrir les faits considérés et lui indique un point de vue plus large et plus complet. Amené ainsi à prendre connaissance des difficultés auxquelles se trouvent confrontés les membres de cette communauté côtière, le lecteur en arrive progressivement, à leur instar, à comprendre les implications de ces problèmes et à concevoir des solutions possibles.

Cet exposé examine les questions de sécurité alimentaire telles qu'elles se sont posées à la population du village de Buen Hombre de 1985 à 1995. Bien qu'il s'agisse d'un laps de temps très court, les nombreux changements intervenus sont représentatifs des principaux mécanismes temporels et spatiaux en présence. Les modifications à court terme du contexte économique et climatique sont des réalités courantes pour les populations du littoral dont la survie exige un ajustement permanent de leurs stratégies d'adaptation.

1. LE CONTEXTE

Les gens de Buen Hombre affectionnent généralement leur village d'où ils découvrent du regard l'océan au nord et les montagnes boisées dans la direction opposée (carte A). Trois récifs coralliens distincts de plus en plus profonds et éloignés du village sont parsemés d'herbiers constituant un écosystème riche de toutes sortes de nourritures, telles que algues, homards et poissons (carte B). Les marais de mangrove fournissent crustacés et coquillages, plantes médicinales et bois spéciaux qui résistent aux termites et plient sans se briser par vent fort. La forêt d'altitude contient des centaines de plantes naturelles utilisées pour se soigner, se nourrir et pour réaliser toutes sortes d'objets, depuis la construction de maisons, jusqu'à la fabrication de paniers. Sur les reliefs voisins du village, des centaines de sites archéologiques jonchés de tessons de poteries témoignent de la présence millénaire d'êtres humains dans ces lieux. Les traditions orales locales sont pleines d'interprétations concernant l'occupation de ces sites et la persistance de l'esprit des anciens occupants. Les cultures non irriguées sont situées dans une vallée, tandis que des chèvres pâturent sur les pentes inférieures de la plaine alluviale, au pied des montagnes. Des sols relativement fertiles portent des cultures. De fait, la population de Buen Hombre exploite un écosystème tropical richement varié.

Aujourd'hui, le village est dépourvu de source d'eau potable, les montagnes du littoral sont arides, alors qu'au début du XXe siècle la communauté avait accès à un certain nombre de bonnes sources et de résurgences intermittentes. Or, en raison du déboisement, seule subsiste une source d'eau saumâtre dont l'eau peut servir pour la toilette et la lessive et, en temps de pénurie, comme eau de boisson pour certains animaux d'élevage. Durant les années de fortes précipitations, l'approvisionnement en eau potable le plus proche vient des puits d'un village situé au sud, juste au-delà des montagnes. Depuis des générations précédentes, un enfant de chaque famille passait un jour ou deux chaque semaine pour aller à dos d'âne ou de poney chercher de l'eau de l'autre côté des montagnes. Pendant les années de sécheresse les puits voisins fournissent des quantités d'eau considérablement réduites et il faut utiliser l'eau de petits cours d'eau pollués éloignés de plusieurs km à l'intérieur des terres. Aujourd'hui, cet approvisionnement provenant de l'intérieur des terres est transporté par petites bouteilles par des jeunes gens à motocyclette, qui les vendent relativement cher.

Le climat est généralement tempéré, mais des ouragans font souvent des apparitions destructrices marquées par des trombes d'eau et des tempêtes de vent. Les précieuses eaux pluviales sont recueillies dans des citernes communautaires en ciment et dans citernes domestiques privées. De temps à autre, au cours des siècles derniers et depuis la création du village, un juste équilibre a manifestement été atteint entre les besoins de la communauté et ce que cet emplacement peut lui fournir.

La population de Buen Hombre est exposée à des menaces naturelles et humaines, qu'elle est en mesure de prévoir et auxquelles elle a réussi à s'adapter. La menace la plus fréquente est sans doute la sécheresse. Périodiquement, l'arrivée de la pluie au mauvais moment pour les cultures risque d'infliger des pénuries à court terme; sinon, une sécheresse affecte toute la région et la plupart des cultures périssent. Par ailleurs, les ouragans peuvent dévaster les cultures, les habitations et les infrastructures de transport. Le village est relié vers l'ouest et vers l'est par des sentiers pédestres, et vers le sud par la seule route viable qui franchit la montagne pour atteindre le village voisin et rejoindre la route bitumée vers les centres urbains. Or, il suffit de faibles précipitations pour rendre infranchissable la partie montagneuse de la route carrossable.

Carte A: Carte de la Republique Dominicaine, indiquant la côte nord et l'emplacement du village de Buen Hombre.

Carte B: Vue photographique en couleurs naturelles de la côte nord de la République dominicaine. On distingue à gauche Monte Cristi. Buen Hombre se trouve juste à droite du centre, là où le récif s'interrompt (courtoisie de l'Environmental Research Institute of Michigan)

Les menaces d'origine humaine auxquelles se trouve exposée la vie communautaire sont beaucoup plus difficilement prévisibles. Autrefois, le village de Buen Hombre comptait un grand nombre de personnes originaires d'Haïti, bien accueillies et appréciées par la communauté. Pendant les années 1950, le Gouvernement de la République dominicaine a estimé que les problèmes économiques nationaux étaient dus à la présence des Haïtiens. Des troupes gouvernementales se sont donc rendues dans les communautés voisines de la frontière pour vérifier que plus aucun Haïtien n'y habitait. Cette expérience a laissé ce que l'on peut appeler une «déchirure sociale» qui se manifeste aujourd'hui par une absence complète de discrimination raciale, allant jusqu'à la méconnaissance ou l'absence de réaction à des différences de couleur évidentes parmi les membres de la communauté. Le même Gouvernement de la République dominicaine a décidé de produire du sel à partir de l'eau de mer des mangroves de Buen Hombre. Aussi, les troupes ont-elles défriché les mangroves et créé de vastes marais salants, provoquant ainsi sur une superficie étendue une détérioration des terres et de l'écosystème; toutefois, l'isolement du village a contribué à l'échec du projet et en définitive, au retrait des troupes du gouvernementales. Il s'agissait là d'un exemple de menace pour la vie communautaire auxquelles la population de Buen Hombre s'est adaptée et a survécu; or, les changements imputables à l'organisation économique du monde contemporain représentent de nouveaux défis.

La population de Buen Hombre a été confrontée à plusieurs sortes de menaces non traditionnelles au cours des 20 dernières années. Des sociétés d'investissement en capital-risque ont embauché des enfants des rues de villes du littoral éloignées de plusieurs kilomètres pour venir travailler dans les récifs et utiliser illégalement des filets tirés sur les fonds sablonneux couverts de mousse de mer et au-dessus de récifs coralliens fragiles, tuant ainsi vraisemblablement des millions de petits poissons tous les ans et détériorant simultanément le milieu marin. Pour mettre en application des dispositions suggérées par le Fond monétaire international, le Gouvernement de la République dominicaine a supprimé les mesures traditionnelles de contrôle des prix des produits alimentaires de base, comme le sucre et le riz, de telle sorte que l'insécurité alimentaire est à présent le lot quotidien d'un grand nombre de personnes. Des touristes ont commencé à s'aventurer dans cet écosystème éloigné, ce qui a eu directement pour effet de modifier les prix et la distribution de ressources naturelles d'origine locale, telles que le poisson et le homard, tout en favorisant indirectement la suppression de mangroves pour y construire des villages de vacances et des hôtels de tourisme internationaux.

Pendant la période de préparation de cette étude de cas, les effets susmentionnés des activités menées de l'extérieur par différents systèmes mondiaux se sont combinés à une sécheresse locale prolongée, au point de compromettre la capacité des habitants de Buen Hombre à nourrir leur famille et à protéger leur écosystème. A partir de 1995, les villageois se sont livrés de plus en plus à des pratiques non durables de récolte des ressources naturelles pour pouvoir survivre. Surtout en période difficile, alors que de nombreuses ressources se raréfient, le poisson est synonyme d'eau et de nourriture. L'eau est certes synonyme de vie, mais le village n'a ni puit, ni source d'eau potable. Par ailleurs, si l'on n'a pas d'argent, il faut capturer du poisson et le vendre; l'argent ainsi obtenu permet d'acheter l'eau nécessaire à la cuisson du riz du repas: le poisson est alors synonyme d'eau. Cette formule lapidaire signifie que les économies n'existent pas isolément et en fait prospèrent ou périclitent en raison de leurs interconnections et des ramifications avec différents aspects de la collectivité plus vaste dans laquelle elles s'inscrivent; de fait, les effets involontaires peuvent avoir autant d'impact que les effets directs. C'est pourquoi, à toute fin pratique en période de pénurie, la vente du poisson fournit le revenu permettant d'acheter l'eau nécessaire, pour la boisson et pour la préparation des repas.

2. MÉTHODES

La population de Buen Hombre s'est associée à des chercheurs universitaires pour faire le récit de son adaptation à cet environnement côtier marin. Ce partenariat a été établi entre les trois principales organisations qui regroupent les activités communautaires. Il s'agit de l'association des pêcheurs, de l'association des agriculteurs et de l'association des femmes. Chaque organisation a été consultée officiellement chaque fois que les chercheurs universitaires proposaient de réaliser une autre étude consacrée au village. Aucune étude n'a commencé tant que la consultation n'a pas été entièrement menée à bien et tant que tous les participants n'ont pas été étaient satisfaits du rôle clairement défini qui leur incombait dans le cadre du travail envisagé.

Bien qu'il existe dans le village une fonction de chef de la communauté ou de maire, la plupart des prises de décisions courantes se font dans le cadre de discussions libres, sous l'égide de l'une de ces trois organisations. Chacune a ses propres membres, organise ses propres réunions et représente ses membres à l'échelle de la communauté, de la région et du pays.

La communauté et l'écosystème côtier de Buen Hombre ont fait l'objet d'études consacrées aux aspects sociaux (Stoffle, 1986) et économiques (Rubino, Epler et Wilson, 1985) au cours de l'été 1985. L'Agence pour le développement international des États-Unis a financé une étude de l'opportunité sociale d'une nouvelle technologie qui faisait l'objet d'expérimentations préalables dans trois sites des Caraïbes. Expérimentée par le laboratoire des systèmes marins du Smithsonian Institute, cette nouvelle technologie concernait la culture des algues dans l'océan et leur utilisation comme produits d'alimentation animale pour différentes espèces marines élevées dans des cages immergées. A Buen Hombre les essais de mariculture ont été axés sur un crabe caraïbe (Mithrax spinoissimus). Jugée aussi étonnante que la «révolution verte», la technologie en question a reçu des organisations internationales le surnom de «révolution bleue», expression que nous avons reprise par la suite pour la désigner (Robino et Stoffle, 1989, 1990). Le Smithsonian Institute a sélectionné les récifs coralliens de Buen Hombre pour constituer l'un des sites d'expérimentation, parce que ses récifs figuraient parmi les plus appropriés des Caraïbes et constituaient l'un des derniers systèmes de récifs coralliens entièrement fonctionnels de tout le littoral d'Hispanola.

Des études ont été consacrées par la suite aux aspects sociaux et culturels en 1989, en 1990 (deux missions sur le terrain) et en 1991. Ces travaux ont poursuivi l'évaluation de l'adaptation de la population du village à cette nouvelle technique de mariculture, le cadre analytique étant néanmoins étendu à l'ensemble de la communauté (Stoffle, Hamlo et Stoffle, 1991; Stoffle et Halmo, 1992). Grâce à une étude financée par la NASA, une grande équipe scientifique interdisciplinaire a pu évaluer par imagerie satellite les répercussions sur l'environnement des pêches locales et non locales (Luczkovich, Wagner, Michalek et Stoffle, 1993; Michalek, Wagner, Luczkovich et Stoffle, 1993; Stoffle, Halmo, Stoffle et Burpee, 1994; Stoffle, Halmo, Wagner et Luczkovich, 1994). Ces travaux ont donné lieu à 284 interviews au total et l'observation participante a impliqué 174 personnes-jours.

D'une étude à l'autre, une légère extension du matériel d'enquête a réorienté les interviews de façon à pouvoir étudier de nouveaux aspects. Des travaux connexes ont été consacrés aux innovations agricoles en 1993-1994 (Burpee, 1995), à l'éthique de conservation autochtone en 1993 (Stoffle, 1994) et aux répercussions sur l'environnement des politiques d'ajustement structurel en 1995 (Greenberg, 1997).

Les nombreuses études ainsi réalisées au cours d'une décennie représentent l'un des plus vastes projets de recherche itérative en sciences sociales menés à bien dans les Caraïbes. Les membres de la population de Buen Hombre, tant individuellement qu'officiellement par le biais des trois associations villageoises ont contribué de façon décisive à l'identification des principales variables sociales, culturelles et environnementales qu'il convenait d'étudier et d'utiliser par la suite pour passer en revue et confirmer les résultats établis. Ces activités interdisciplinaires ont réuni des scientifiques oeuvrant dans des domaines aussi variés que l'écologie marine, la climatologie, la science des sols et la phytotechnie, l'anthropologie culturelle, et l'ethnohistoire. Enfin, les travaux réalisés ont traité de mieux en mieux les questions abordées grâce aux enseignements des résultats antérieurs et à l'écoute des populations directement concernées dans leur vie quotidienne.

3. LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE À BUEN HOMBRE

La sécurité alimentaire est une notion parfaitement définie par des études antérieures, bien qu'il soit difficile de savoir ce qu'elle signifie réellement pour une personne, une famille ou une communauté particulière quelconque. Bien que l'on sache beaucoup de choses sur la vie des habitants de Buen Hombre, il est difficile de se représenter par des mots ce que signifie l'insécurité alimentaire. On peut à cet effet citer un incident particulièrement remarquable relevé par un chercheur alors qu'il rendait visite un soir à une famille assez nombreuse de la communauté: la maîtresse de maison expliqua au chercheur qu'elle ne pouvait rien lui offrir à manger parce que son mari avait été malade, qu'elle n'avait pas pu pêcher ce jour-là et donc qu'elle n'avait pas de poisson à vendre: sans argent, ils ne pouvaient acheter leur ration quotidienne d'eau. Or, même si la famille disposait d'une quantité suffisante de haricots et de riz, elle n'avait pas d'eau pour préparer le repas. Ainsi, faute de pouvoir pêcher, ils étaient dans l'impossibilité de se nourrir, bien qu'ils ne manquassent ni de haricots secs, ni de riz.

Cette anecdote souligne l'importance de l'interdépendance des ramifications et des phénomènes inattendus propres aux économies locales, qui constituent autant de thèmes constamment évoqués dans ces lignes.

L'insécurité alimentaire peut provenir de difficultés à caractère plus durable. Une année, les agriculteurs de Buen Hombre furent encouragés à planter davantage de tabac par les agents de vulgarisation agricole de la République dominicaine. En fait, des champs furent entièrement plantés de tabac, qui normalement constituait l'une des nombreuses cultures de rente et de subsistance pratiquées. A la suite d'une saison pluvieuse et donc d'une récolte magnifique, les représentants du Gouvernement dominicain ont déclaré aux agriculteurs qu'en raison de l'importance des quantités produites leur tabac n'avait à présent aucune valeur dans l'immédiat. Même ce gouvernement partisan d'une politique de soutien des prix a été dans l'incapacité d'acheter la totalité de la production de tabac réalisée à sa demande instante. Près d'un an plus tard, la plupart des agriculteurs de Buen Hombre avaient l'entrée de leur maison remplie de tabac jusqu'au plafond. Les cultures de subsistance normalement pratiquées n'avaient pas été plantées et la population n'avait pas assez d'argent pour acheter les produits courants nécessaires. Des crédits - en temps normal difficiles à obtenir avaient été consentis par le gouvernement pour favoriser les plantations de tabac, mais à présent, les emprunts contractés s'étaient transformés en un endettement de plus en plus lourd des familles et de la communauté. Le village tout entier a dû faire face à des mois, et pour certaines familles à des années, d'insécurité alimentaire en raison de cet épisode.

Une autre forme d'insécurité alimentaire fait son apparition lorsque les gens pensent qu'ils détruisent leurs moyens de subsistance. Cela peut arriver aux agriculteurs lorsqu'ils observent le phénomène de l'érosion dans leurs champs et que tout le sol qu'ils ne pourront jamais posséder dévale les pentes vers la mer. Ils voient des champs autrefois fertiles se mettre à «produire de la roche», expression locale qui décrit bien les effets de l'érosion. Les pêcheurs ressentent sensiblement la même chose lorsqu'ils voient leurs collègues capturer un très gros mérou qui représente pour eux la «mère poisson» nécessaire à la production des nouvelles générations. Les pêcheurs assistent également à l'érosion de leur avenir et de celui de leurs enfants, lorsque des pêcheurs citadins utilisent des filets illicites et laissent une bande de 60 cm de large de petits poissons morts sur des kilomètres de plage. Les filets de ce type endommagent de manière notable les herbiers et les récifs coralliens. Lorsque des personnes informées de l'évolution à long terme des écosystèmes observent concrètement ce phénomène, elles s'inquiètent alors de ce qu'il adviendra d'eux-mêmes, de leur famille et de leur village. Si elles sont inquiètent ce n'est pas pour aujourd'hui, ni même pour la saison présente, mais pour toujours. En effet, les dommages infligés à la pêcherie ainsi qu'à l'habitat des poissons, de même que l'érosion des sols agricoles fertiles transformés en champs de rochers, sont irréversibles.

L'inquiétude de ces pêcheurs pour la sécurité alimentaire devient telle que rien ne saurait la réduire, même les brefs épisodes de rétablissement de bonnes conditions météorologiques, d'accroissement des récoltes et d'augmentation des captures en mer. La possibilité de prédire leur avenir les préoccupe: ils constatent en effet que les bases même de cet avenir sont compromises.

4. LE POISSON ET LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE À BUEN HOMBRE

D'après les études consacrées à la contribution du poisson à la sécurité alimentaire, son importance est mesurée par le pourcentage correspondant à sa contribution à la consommation totale de protéines animales des habitants d'une région (en général un pays). Par ailleurs, la contribution du poisson en tant qu'apport d'énergie dans le régime alimentaire global d'une population d'une zone donnée est une autre mesure intéressante. En outre, le poisson contribue à l'économie locale. Or, si l'on considère dans ces termes la situation de la République Dominicaine, le poisson y joue un rôle relativement restreint par comparaison à d'autres pays sur la base des deux premières mesures mentionnées ci-dessus (FAO, Comité des pêches 1995: Annexe 1-a). D'après ces mêmes mesures, la République dominicaine se situe entre Israël et le Royaume-Uni. Bien que les chiffres en matière de contribution économique ne soient pas disponibles, le poisson se classerait encore plus bas, dans ce pays producteur et exportateur de sucre, de tabac et de joueurs de base-ball. Si l'on considère conjointement ces différents indicateurs, le poisson contribue accessoirement à la sécurité alimentaire de la population de la République dominicaine.

4.1 Populations particulièrement touchées

En République dominicaine, deux groupes ne sont cependant pas bien représentés dans les statistiques nationales: les habitants des villages de pêcheurs et d'agriculteurs, catégorie de personnes pour lesquelles le poisson est important; les citadins pauvres habitant des villes voisines du littoral, également tributaires du poisson bon marché, ce qui n'apparaît guère dans les statistiques nationales.

Les pêcheurs de Buen Hombre modifient leurs méthodes et leurs emplacements de pêche, ainsi que les espèces ciblées en fonction de la saison. En hiver et au printemps, ils recherchent des poissons de premier choix parce qu'ils ont besoin d'argent pour se procurer de la nourriture et des médicaments. Pendant cette saison, les champs portent des cultures et les gens ont tendance à être plus souvent malades; durant cette période également, les pêcheurs surveillent les changements de couleur et le gonflement de l'abdomen des poissons, qui sont des indices de leur activité de reproduction. A cette époque, lorsqu'ils se rendent sur des emplacements de pêche au homard, ils s'abstiennent de capturer ceux qui n'ont pas encore pondu leurs oeufs. En été et à l'automne, les pêcheurs recherchent des poissons de deuxième et troisième choix et très peu de premier choix: les cultures leur procurent alors un revenu en espèces et ils veulent préserver les ressources de poisson de premier choix. Les trois catégories de poisson sont définies par le Gouvernement de la République dominicaine et correspondent essentiellement à différentes valeurs marchandes sur les marchés nationaux et internationaux.

L'association des pêcheurs tient des relevés des ventes de poisson; au moyen de ces relevés et des registres tenus individuellement par les pêcheurs, nos recherches ont permis d'évaluer à un pourcentage de 20 à 25 pour cent la fraction des captures conservées par les pêcheurs pour leurs besoins de subsistance au milieu de la période de sécheresse. Le tableau 1 indique, d'après les réponses à l'enquête fournies par 31 membres de la communauté de Buen Hombre, les quantités destinées à la consommation de subsistance, distribuées quotidiennement en août 1989. Puisque cette époque correspond au milieu d'une sécheresse de quatre années, il y avait alors moins d'animaux terrestres qu'en 1985, mais beaucoup plus qu'il n'y en aurait deux ans plus tard à la fin de la sécheresse. Les indications de ce tableau montrent qu'à cette époque les pêcheurs, comme les agriculteurs, pêchaient et nourrissaient leur famille et les autres membres de la communauté. Les agriculteurs disposaient environ du tiers des captures des pêcheurs et en consommaient la moitié avec leurs proches. Ils partageaient leurs captures avec d'autres parents, mais disposaient de très faibles quantités pour les autres membres de la communauté. Les pêcheurs par contre capturaient environ 8,3 kg de poisson par jour et répartissaient ces quantités à parts égales entre les membres de leur famille, les autres parents et les membres du village.

Pêcheurs et agriculteurs vendaient une partie de leurs captures. Globalement, sur l'ensemble des 31 interviews, 42 pour cent des déclarants vendaient une partie de leurs captures quotidiennes: ces pourcentages étaient respectivement d'environ la moitié pour les pêcheurs (53 pour cent) et d'à peu près un tiers (29 pour cent) pour les agriculteurs.

En raison de la gravité croissante des effets de la sécheresse, les pêcheurs ont intensifié leurs efforts de pêche. Nos travaux démontrent qu'en dépit de cette intensification, les pêcheurs n'ont pas enfreint leurs principes traditionnels de pêche, continuant ainsi à protéger les stocks de poissons. A cette époque, les agriculteurs étaient de plus en plus tributaires du poisson en raison de mauvaises récoltes, à tel point qu'ils partaient à la nage vers le premier récif corallien pour tâcher d'extraire ce qu'ils pouvaient de son écosystème.

Une partie des quantités de poisson vendues de 1985 à 1989 a été destinée aux citadins pauvres. D'après les relevés de l'association des pêcheurs, environ 20 pour cent de la totalité des quantités vendues étaient constituées de poisson de troisième choix (voir figure 12.5, Stoffle, Halmo, Stoffle, William et Burpee, 1993:278). La plus grande partie du poisson de troisième choix était chargée sur les porte-bagages de petites motocyclettes et acheminée jusqu'aux marchés des villes: hormis une petite fraction distribuée aux personnes des villages d'agriculteurs voisins, le reste était transporté jusqu'aux centres urbains dans lesquels les gens travaillent pour être rémunérés en espèces ou par un système de troc et ne produisent pas leur propre nourriture. D'après les entrevues et les observations réalisées sur les marchés, ce sont les plus défavorisés parmi les pauvres qui consomment cette qualité de poisson. En effet, les citadins pauvres n'ont pas accès aux autres sources de protéines animales en raison de leur prix. Une autre explication vient du fait qu'à la suite du long trajet depuis le village de pêcheurs jusqu'au marché, sur le porte-bagage d'une motocyclette, on constatait une grave détérioration d'un produit d'ores et déjà classé dans une catégorie de qualité inférieure. Il s'agit en l'occurrence d'une source de protéines vendue à bas prix et consommée rapidement, en dépit de son état médiocre.

Tableau I: Répartition de la consommation de subsistance des captures quotidiennes de poisson (en kilogrammes) Buen Hombre (Août 1989) (N=31)

Répartition de la consommation de subsistance

N

Moyenne

Ecart-type

Ménages de pêcheurs

Consommation domestique

17

2,75

2,75

Quantités partagées avec les parents

17

2,65

2,76

Quantités partagées avec la communauté

17

2,88

3,46

Captures totales

17

8,30

8,05

Ménages d'agriculteurs

Consommation domestique

14

1,45

2,35

Quantités partagées avec les parents

14

1,00

1,84

Quantités partagées avec la communauté

14

0,70

1,20

Captures totales

14

3,15

5,25

Source: Travail sur le terrain de l'auteur (1989).

Ces observations mettent en évidence le fait que les mesures nationales de la contribution du poisson à la sécurité alimentaire ne reflètent pas nécessairement la situation de populations particulières, par exemple les habitants des villages du littoral, ou les citadins défavorisés.

4.2 Rôle du changement climatique

Les tentatives de modélisation des aspects humains de la modification de l'écosystème ont mis en évidence la multiplicité des variables humaines et naturelles dont dépendent les activités de pêche à Buen Hombre. Les épisodes à court et à long termes de changement climatique comptent parmi ces facteurs importants. Par temps sec et en période de sécheresse, les populations du littoral, ainsi que les citadins pauvres sont exposés à une dépendance accrue à l'égard du poisson. Autrement dit, lors des sécheresses graves, les conséquences sont pratiquement identiques pour les populations du littoral, producteurs de denrées alimentaires (aussi bien les agriculteurs que les pêcheurs) et les citadins pauvres, qui sont des salariés marginaux.

Examinons l'impact de la sécheresse de 1987-1991 sur la production de protéines animales, comme en témoigne la présence de chèvres. Au cours de la première année de l'étude en 1995, le village était envahi de chèvres. Les gens se plaignaient en permanence de l'intrusion incontrôlée des chèvres dans les champs et les jardins potagers. Aussi les consommèrent-ils délibérément, peut-être alors pour obéir à une réaction d'autodéfense. Le poisson était l'une des nombreuses possibilités d'approvisionnement en protéines et contribuait modérément tant à l'énergie nutritive globale qu'à l'activité économique villageoise. En 1991, le village manquait par contre de chèvres, comme de la plupart des autres animaux, notamment de chiens et de poulets. La population se nourrissait essentiellement du poisson capturé par les pêcheurs, ou incidemment par les agriculteurs. Pratiquement aucune autre source de protéines animales n'était accessible. Les agriculteurs en particulier devinrent tributaires du poisson pour assurer la teneur en protéines des repas familiaux. Les pêcheurs subissaient la pression exercée par des parents agriculteurs pour leur fournir des protéines sous forme de poisson, tandis que la sécheresse obligeait simultanément les pêcheurs à vendre une partie de leurs captures pour pouvoir acheter l'eau nécessaire à la préparation de leurs propres repas familiaux. En 1991, les ventes de poisson de troisième choix ont été très faibles.

On ne dispose pas de données systématiques concernant les citadins pauvres pendant cette période de sécheresse. Des observations participantes ont été réalisées à l'occasion de visites régulièrement effectuées pour s'approvisionner sur les marchés. Vers la fin de la période de sécheresse, les pêcheurs de Buen Hombre vendaient au comptant du poisson à valeur commerciale élevée et consommaient ou distribuaient la plus grande partie des quantités restantes au sein de la communauté. Pendant les épisodes de sécheresse, les effectifs des différentes populations animales de la région diminuaient brutalement, entraînant ainsi une limitation de l'approvisionnement des centres urbains en protéines animales et un renchérissement de ces dernières. Selon l'hypothèse des chercheurs de notre équipe, nombre de citadins pauvres sont devenus végétariens pendant les dernières phases de cet épisode de sécheresse et firent appel exclusivement aux protéines végétales par la force des choses. Par la suite et en ce qui concerne les citoyens pauvres, la part du poisson dans l'énergie nutritive et dans l'apport en protéines animales est sans doute effectivement tombée vers la fin de cette période de sécheresse.

4.3 Vers la conservation des ressources

La population de Buen Hombre possède une culture de la conservation des ressources. Les facteurs à l'origine de cette culture sont au nombre de trois: (1) les habitants de Buen Hombre vivent dans ce village depuis une longue période pendant laquelle ils ont appris à connaître leur environnement et ont tiré les enseignements de leurs propres erreurs, (2) ils ont le sentiment que la terre et l'océan, au voisinage de leur village leur appartiennent et (3) ils pensent que leurs enfants et petits-enfants y habiteront à l'avenir.

Avant de passer en revue les principes de conservation propres à la population de Buen Hombre, il est important de situer cette analyse dans le cadre d'un débat à l'échelle mondiale sur les fondements de la conservation des ressources. Mené par des chercheurs en sciences sociales et des spécialistes scientifiques des ressources naturelles dont les travaux sont axés sur la conservation des ressources, ce débat international présente en outre un intérêt éminent dans le cadre des échanges de vues entre gestionnaires concernés et gouvernements quant à l'action des pouvoirs publics touchant aux ressources naturelles. Une double interrogation se trouve au cœur de ces discussions: les populations veillent-elles effectivement ou non à la conservation des ressources naturelles qu'elles exploitent ou non, et par ailleurs continueraient-elles à les conserver si elles disposaient de nouvelles techniques de récolte? (Hardin, 1968) Pour certains, les populations sont foncièrement désireuses d'exploiter les ressources jusqu'à la limite de leurs possibilités; aussi lorsqu'elles cherchent à exploiter une ressource naturelle jusqu'au niveau limite d'utilisation, la seule solution consiste-t-elle à restreindre leurs modalités d'accès à la ressource et à l'habitat naturel nécessaire à sa survie. Dans ce type de situation, la création de réserves naturelles et de réserves marines spéciales est souvent recommandée.

Pour d'autres par contre, les populations tirent les enseignements et s'adaptent au fil des ans en fonction de leur erreurs et élaborent des pratiques durables d'utilisation des ressources naturelles (McCay et Acheson, 1987). La capacité d'adaptation progressive des groupes est une caractéristique intrinsèque de la notion de culture. En fait, la culture se définit par la manière dont un groupe humain s'adapte à son environnement. Pour la plupart des universitaires qui s'intéressent à la notion de «culture humaine», l'adaptation est le propre de l'homme. En règle générale, une population est d'autant plus adaptée aux ressources naturelle d'une région qu'elle y vit plus longtemps. Certains soutiennent qu'il conviendrait de parler non de préservation de ressources naturelles, mais de conservation «communautaire», c'est-à-dire fondée sur la population locale qui vit à proximité et utilise la ressource en question (West et Brechin, 1991; Western et Wright, 1994).

Cela ne signifie nullement que toutes les adaptations humaines sont bénéfiques pour les différentes composantes biotiques et abiotiques de l'écosystème. En fait, les sociétés humaines ne réussissent jamais à comprendre parfaitement les implications des utilisations qu'elles font des ressources naturelles de l'environnement. Toutefois, aucune société ne détruit délibérément et volontairement sa base de ressources naturelles essentielles au point de condamner les générations futures à dépérir.

On constate de graves erreurs d'utilisation des ressources naturelles lorsque les populations ignorent ce qu'elles font et lorsque leur survie quotidienne les expose à des contraintes telles qu'elles sont amenées à compromettre leur avenir. Récemment des universitaires ont laissé entendre que les progrès techniques modernes ont été adoptés par les utilisateurs des ressources naturelles, sans toutefois qu'ils en perçoivent les implications à très long terme. Ce problème conduit à évoquer ce que l'on a qualifié d'horizons ou de «paysages temporels» (Adam, 1998): pour que les répercussions sur l'environnement apparaissent pleinement, il faut parfois attendre un temps allant de quelques générations à plusieurs milliers d'années. D'autres travaux ont mis en évidence le fait que les populations font appel au milieu naturel pour assurer leur survie en raison de la rapidité des changements de politique économique (par exemple, des changements liés aux mesures d'ajustement structurel) ayant pour effet de supprimer les subventions alimentaires et risquant d'infliger des épreuves financièrement insurmontables aux membres les plus pauvres de la société (voir Greenberg, 1997 où figure un examen de cette question).

Si toutes les sociétés s'adaptent à leur environnement et sont foncièrement désireuses de ne pas compromettre les possibilités de vie offertes aux générations futures, quelles sont alors les sociétés dont les résultats sont les meilleurs à cet égard? Certains affirment que les populations des sociétés autochtones (ou traditionnelles) utilisent et protègent l'environnement mieux que celles des sociétés urbaines industrielles (Beckerman et Valentine, 1996; Nabhan, 1997). D'autres encore diront que les sociétés autochtones protègent simplement l'environnement faute des effectifs et des techniques susceptibles de le détruire (Martin, 1967). McGoodwin (1990:42) par exemple reprend ce point de vue en faisant observer que «...certaines populations de pêcheurs peuvent très bien ne jamais surexploiter d'importantes ressources marines pour la simple raison qu'ils ne sont pas en mesure de le faire et non en vertu de quelque principe de conservation». Il conclut: «la plupart des sociétés primitives ont eu un comportement «éclairé» uniquement parce qu'elles n'avaient ni les effectifs, ni les techniques qui leur auraient permis d'épuiser toutes leurs ressources alimentaires. Aussi la coexistence harmonieuse des populations avec la nature semble avoir été essentiellement un effet de leur inaptitude à surexploiter leurs principaux écosystèmes...» (1990:57-58).

Il a également été avancé que les populations qui vivent longtemps au même endroit trouveront les moyens de protéger les composantes des milieux naturels sur lesquelles ils risquent d'avoir une action dommageable. Si l'argument tend à démontrer que les sociétés autochtones protègent effectivement certaines composantes de leur environnement naturel, il reste cependant à expliquer leur aptitude à la conservation desdites ressources. Nous soutenons ci-après la thèse selon laquelle les trois facteurs liés à l'apparition d'une culture de la conservation des ressources dans le village de Buen Hombre correspondent aux fondements essentiels de ce type d'évolution dans n'importe quel groupe humain. En revanche, tout ce qui contribue à inverser ces mécanismes et donc à laisser les populations désemparées et vulnérables aux répercussions écologiques préjudiciables constitue une menace pour l'environnement.

4.4 Résidence prolongée - connaissances

Le facteur essentiel lié à l'élaboration d'une culture de la conservation des ressources est le temps passé par un groupe humain dans un milieu donné. Si l'on suit l'historique de l'adaptation, depuis l'arrivée dans un lieu jusqu'au stade de la conservation, on constate en principe une plus forte fréquence des erreurs d'exploitation des ressources dans la phase initiale. Les erreurs graves doivent en permanence faire figure de contre-exemple, pour convaincre les nouvelles générations de se comporter autrement. Au bout d'un certain nombre de générations, comme chez les Indiens d'Amérique du Nord, ces enseignements sont parfois intégrés à la culture populaire en termes de punition d'ordre spirituel pour les mauvais traitements infligés à une partie de l'environnement.

Le cadre naturel de Buen Hombre a subi plusieurs transformations depuis l'arrivée en 1492 du marin génois connu sous le nom de Christophe Colomb. En longeant la côte nord de l'île il a pu observer des plages blanches avec quelques tâches de mangroves, des vallées occupées par des constructions de type ranch, des quais couverts pour l'accostage de grandes embarcations, et enfin des prairies là où la limite de la forêt avait été repoussée plus haut sur le flanc des collines. Il n'y a dans ces descriptions aucune mention de gorges profondes ou de parties mortes des récifs coralliens. En 50 ans, les États nations complexes sur lesquels s'appuyaient ces grandes communautés de pêcheurs et d'agriculteurs du littoral ont disparu et en moins d'un siècle, la population autochtone a été éliminée. Etant donné que les Espagnols n'avaient pas l'intention de repeupler entièrement Hispanola, la plupart des anciens villages autochtones ont été abandonnés, puis réinvestis par le milieu naturel.

Vers la fin des années 1890, un petit groupe de cubains désireux de trouver un refuge et de prendre un nouveau départ quittèrent leur île et trouvèrent le site actuel de Buen Hombre, abandonné plus de 300 ans. A cette époque la côte nord de la République dominicaine était isolée et pratiquement déserte; les témoignages oraux des villageois les plus âgés évoquent un paradis luxuriant où les plantes cultivées poussaient extrêmement haut et où, les homards atteignaient la moitié de la taille d'un homme. Pendant les 50 premières années, la forêt pluviale a été régulièrement coupée jusqu'à ce qu'il devienne évident que les sources s'asséchaient, que l'érosion détruisait les terres agricoles et que le creusement des gorges abaissait la nappe phréatique. Pour la population de Buen Hombre, la coupe des arbres est responsable de l'assèchement du climat. Par ailleurs, la mer a fait l'objet de changements semblables, mais moins spectaculaires. Au cours des 50 premières années la plupart des gens vivaient confortablement de l'agriculture. Lorsque les techniques agricoles commencèrent à devenir infructueuses, ils furent de plus en plus nombreux à se tourner vers la mer pour trouver leur nourriture. Or, pour différentes raisons, notamment l'érosion des sols gagnant les herbiers marins et se déposant sur les récifs coralliens, la productivité des ressources marines commença bientôt à diminuer. Il y a 50 ans la vie est ainsi devenue beaucoup plus difficile.

A l'heure actuelle, les habitants de Buen Hombre assument pleinement la responsabilité des dommages qu'ils ont infligés à l'environnement marin côtier et n'en accusent aucunement le destin ou les dieux. Leur attitude consiste à dire à leurs enfants de protéger les sols qui subsistent dans les champs, de ne pas abattre trop d'arbres dans les collines, de défricher les mangroves de façon sélective et de protéger les ressources marines. Ils reconnaissent les erreurs de leurs grands-parents, ont adapté leur mode d'exploitation des ressources naturelles et enseignent à leurs enfants les leçons de leur expérience.

Peut-on décider qu'une période de 100 ans suffit pour connaître l'environnement? Cette question mérite d'être étudiée puisque la durée d'occupation d'un lieu pourrait devenir une mesure objective (ou un indice) permettant de déterminer si une communauté locale dispose au moins des éléments nécessaires pour élaborer une culture de la conservation des ressources naturelles. Dans le cas considéré il est incontestable que les pêcheurs de cette communauté connaissent bien l'écosystème marin. Des tests ont ainsi été administrés à différents moments au cours de l'étude de la NASA pour mesurer les connaissances des pêcheurs. Or, les vieux pêcheurs ont toujours obtenu des résultats excellents pour leur connaissance des animaux marins, des végétaux marins et des aspects abiotiques de l'environnement marin. Pendant plusieurs semaines à une certaine époque le biologiste marin de notre équipe de chercheurs a utilisé un scaphandre autonome pour plonger avec des pêcheurs locaux, dont la plupart peuvent plonger sans rien et rester ensuite au fond en compagnie d'un plongeur dûment équipé. Le biologiste marin s'entretenait ensuite avec un certain nombre de pêcheurs confirmés des observations du milieu marin qu'ils avaient faites ensemble. Les expérimentations ainsi réalisées l'ont amené à conclure que les pêcheurs qualifiés avaient des connaissances en biologie marine équivalentes à celles d'un doctorat. De fait, les pêcheurs de cette communauté se présentent eux-mêmes comme des «étudiants» du milieu marin et ont réussi le tour de force de devenir des experts dans le domaine de la biologie marine et des processus écologiques: il leur a suffit de 100 ans - mais ils continuent à apprendre.

4.5 Sentiment de propriété

La culture de la conservation est indissociable du sentiment de propriété, même lorsqu'il s'agit d'une conception traditionnelle ou non officielle de la propriété. Cette relation ne semble pas devoir faire l'objet d'un quelconque travail de recherche systématique, mais suscite plutôt une explication de bon sens. Les gens prennent soin de ce qui leur appartient. Ils investissent ainsi une énergie supplémentaire pour apprendre à connaître et à protéger leurs écosystèmes.

Au début du siècle dernier et dans différentes zones isolées de la côte nord, les gens pouvaient acquérir des terres inutilisées simplement en les occupant et en les mettant en exploitation. Ainsi a été institué le droit de propriété sur le périmètre marin côtier rectangulaire de Buen Hombre. Le territoire du village s'étend au sud, jusqu'à la ligne de crête des montagnes, à l'est et à l'ouest jusqu'à des limites généralement convenues avec les villages voisins et dans la mer, jusqu'au-delà du troisième récif. Tandis que l'usage coutumier définit la partie maritime de ce territoire, le Gouvernement de la République dominicaine prend note et reconnaît cette définition, mais revendique le droit de propriété ultime de l'État sur l'ensemble de ses ressources terrestres et maritimes.

La population de Buen Hombre réagit vivement en cas d'intrusion de tiers dans son domaine. Cette attitude s'est manifestée à deux reprises à l'époque où se déroulaient les travaux de recherche universitaires. Les membres d'un village voisin du sud avaient déboisé la forêt de leur côté de la montagne et étendu leurs activités de coupe au-delà de la crête dans le territoire de Buen Hombre et abattu une partie de la forêt. Par ailleurs, des pêcheurs citadins d'une ville située à l'ouest commencèrent à pêcher dans les eaux de Buen Hombre. Dans un cas comme dans l'autre, les dirigeants de Buen Hombre ont exercé un recours auprès des responsables de l'administration régionale, exigeant la reconnaissance du territoire du village et de leur droit d'interdire ces intrusions. Dans les deux cas, les autorités ont répondu en acceptant d'examiner la question, tout en rappelant à la population de Buen Hombre le fait qu'elle n'était pas vraiment propriétaire de la plupart de ses terres au sens juridique strict. Peu de gens de la côte nord possèdent effectivement des terres conformément à cette définition. Le Gouvernement de la République dominicaine ne reconnaît pas les droits de propriété ou d'utilisation de facto acquis après avoir vécu dans une région déterminée pendant une période prolongée. Dans d'autres endroits du littoral des villages entiers ont été récemment chassés sans dédommagement par l'installation d'hôtels commerciaux et de différentes infrastructures commerciales créées par des initiatives extérieures.

Faute d'un soutien officiel, les dirigeants villageois ont réagi en s'efforçant d'intimider les intrus. Puisque les habitants des villages situés au sud entretiennent certains rapports mutuellement avantageux avec les villageois de Buen Hombre, une forme de règlement global du problème posé par l'intrusion dans la forêt a été trouvé; les arbres étaient déjà abattus mais aucune autre coupe n'a été effectuée. Le cas des pêches illicites était sensiblement plus complexe. Les contrevenants bénéficiaient de moyens financiers officiels et, par ailleurs, du soutien d'une personnalité politique de la ville. Bien que leurs filets et leurs méthodes de pêche aient été proscrits pas le Gouvernement de la République dominicaine, les menaces de divulgation de cette situation eurent peu d'effet tant qu'elles ne furent pas assorties de menaces de violences. Le recours à cette solution devait avoir un double rôle: d'une part, l'affaire serait sans doute portée devant une haute autorité régionale et par conséquent hors de portée des relations politiques influentes de l'entreprise de pêche; la violence pourrait d'autre part s'avérer immédiatement efficace en chassant matériellement des eaux locales l'équipage de pêche intrus. En revanche, les pêcheurs de Buen Hombre se plaçaient ainsi dans l'illégalité et risquaient d'être punis pour leurs initiatives.

Pour certains, les membres de la communauté de Buen Hombre ne faisaient que protéger leurs intérêts: quelqu'un s'emparait en effet de leurs arbres et de leurs poissons et les privait par conséquent des possibilités d'en profiter. Cet argument n'a pas été invoqué lorsque les villageois ont examiné ces problèmes avec les membres de notre équipe de recherche. Par contre, les problèmes de conservation des ressources ont été soulevés. Un soir, un pêcheur est accouru en criant aux gens d'aller voir ce qui s'était produit sur le rivage:un grand nombre de villageois vinrent et constatèrent la présence sur des kilomètres d'une bande de 60 cm de large de petits poissons morts. «Ils sont en train de tuer notre avenir!» tel était le sentiment généralement exprimé. Suite à la découverte d'un morceau de filet illégal, les chercheurs ont été invités à le prendre avec eux et à porter le dossier devant l'administration nationale des pêches, dans la capitale du pays. Sur toute la côte nord de l'île il n'y a qu'un seul fonctionnaire des pêches censé généralement se contenter de faire appliquer la réglementation là où ont lieu les débarquements, dans le port régional de Puerto Plata.

Les échanges de vues entre l'équipe de recherche et la population de Buen Hombre ont permis d'établir que le sentiment de propriété des ressources naturelles contribuait à l'élaboration de leur culture de conservation. Pour résumer, chacun protège ce qui lui appartient.

4.6 Occupation future

La protection des ressources naturelles pour le compte des générations futures est une préoccupation essentielle pour une population attachée à une culture de conservation. A une époque aux États-Unis, les convictions religieuses du secrétaire d'État à l'Intérieur, qui avait la responsabilité de la plupart des ressources naturelles appartenant à l'État, l'amenèrent à la conclusion selon laquelle la fin du monde surviendrait avant que sa propre existence ait atteint son terme. Aussi a-t-il consacré la plus grande partie du temps passé dans ses fonctions à vendre les ressources naturelles gérées par les administrations gouvernementales dont il avait la responsabilité. De l'avis général, ses convictions et son comportement étaient étroitement liés: pourquoi préserver lorsqu'il n'y a pas d'avenir?

Par contre, certaines tribus américaines autochtones ont des ressources naturelles et des services de planification qui sont chargés d'évaluer les répercussions sociales et environnementales potentielles de leurs initiatives de développement sur les membres de la communauté au cours des sept générations à venir. Ces dispositions sont davantage qu'une posture rhétorique et correspondent aux horizons temporels traditionnellement pris en considération par ces tribus.

La condition des sept générations porte sur une période plus longue que les exigences de la population de Buen Hombre, bien qu'il faille préciser à nouveau que ces derniers ne vivent pas à Buen Hombre depuis un millier d'années. Nombre d'indices tendent à prouver que plus une population vit dans une région, plus elle y projettera son mode de vie futur. Les américains d'origine autochtone sont généralement convaincus qu'ils ont vécu depuis toujours sur leurs terres, souvent appelées les «terres sacrées», et estiment par conséquent que leurs enfants y vivront également à tout jamais. Les implications de ces croyances du point de vue de l'utilisation des ressources naturelles et de l'élaboration d'une culture de la conservation semblent évidentes et expliquent vraisemblablement la plus grande force de ces valeurs observée par nombre de chercheurs parmi les populations autochtones qui continuent à vivre sur leurs terres d'origine.

5. PRINCIPES DE CONSERVATION ADOPTÉS PAR LES PÊCHEURS DE BUEN HOMBRE

Certaines analogies apparaissent si l'on considère ces réflexions quant à l'élaboration d'une culture de la conservation et si l'on examine conjointement l'organisation sociale actuelle des pêcheurs de Buen Hombre. A Buen Hombre la pêche est organisée sur le plan social et culturel et se trouve au centre des préoccupations de l'association des pêcheurs. Or, cette activité n'est pratiquée ni de façon aléatoire, ni hors de toute réglementation. En fait, la pêche est organisée comme une corporation professionnelle européenne. L'association est un milieu clos auquel les gens appartiennent ou non. Elle est dotée d'une hiérarchie formelle, dont chaque position comporte une désignation et un niveau de prestige propres. Bien que l'organisation possède très peu de moyens de production, elle contribue à réglementer la production en déterminant les activités de pêche.

5.1 Pour devenir pêcheur: attendre et apprendre

L'association de pêcheurs est organisée de telle sorte que plus une personne y participe longtemps, plus elle apprend et plus elle s'élève dans la hiérarchie. La notion de cycle de perfectionnement a été utilisée pour décrire la progression à travers les quatre étapes des activités de pêche: (1) apprentissage, (2) compagnonnage, (3) spécialisation, (4) travail à terre (Stoffle, 1986: 95-100). La participation à un équipage de pêche est une condition préalable pour être membre de l'association, bien que certains membres exercent leur activité «à terre», ce qui signifie qu'ils partent généralement à la nage depuis le rivage et plongent seuls. La participation à un équipage tend à se faire en tant que fils ou parent de sexe masculin d'une personne déjà membre de l'association. L'apport des jeunes réside dans leur énergie et dans leur empressement à affronter certains dangers, par exemple pour plonger la nuit dans des eaux infestées par les requins, à la lumière d'une torche tenue à la main depuis un bateau. L'audace est une des qualités particulièrement prisées chez un pêcheur. Nombre d'entre eux ont sur les murs de leur chambre des images représentant le grand requin blanc, d'autres l'ont en tatouage sur leur corps et d'autres encore se déclarent «fous de plongée».

Les pêcheurs utilisent généralement de petites embarcations en bois de fabrication manuelle. Quelques années encore avant la présente étude, nombre d'entre eux manœuvraient simplement leurs bateaux à la rame ou avec une godille unique, partaient tôt le matin pour aller aussi loin que possible, puis plongeaient avec un masque et des palmes, équipés d'un fusil-harpon artisanal et restaient sur les récifs la plus grande partie de la journée. Lorsque la brise de l'après-midi se levait, ils hissaient une voile artisanale à un solide mât en bois de mangrove et rentraient à la voile. Pendant la période de sortie à la rame et de retour à la voile, les pêcheurs utilisaient de simples lignes munies d'hameçons appâtés. Dans la soirée un autre équipage ramait jusqu'aux récifs, puis pêchait toute la nuit à la lumière de petits projecteurs alimentés par batterie ou à la lumière de simples lampes électriques. L'équipe de nuit rentrait le matin et remettait le matériel à l'équipe suivante.

Les hommes jeunes apprennent à plonger en profondeur, à retenir leur respiration et à attendre jusqu'à ce qu'un poisson sorte par un trou du récif. La rapidité est un atout précieux pour capturer des poissons pélagiques migratoires passant à proximité. Certaines conques sont consommées à bord des bateaux: une partie du coquillage censée favoriser la reproduction chez l'homme est extraite et consommée crue; tous les membres de l'équipage y prennent alors un plaisir évident s'assurant mutuellement des prouesses physiques et sexuelles accrues qui en résulteront.

En dépit de leurs bravades, ces hommes d'équipage ont par ailleurs de sérieuses obligations, que d'autres hommes du village ne seraient sans doute pas prêts à assumer. Ces derniers choisissent évidemment d'être agriculteurs et non pêcheurs. Les pêcheurs, contrairement aux agriculteurs du village, doivent travailler tous les jours. Ils ne prennent pratiquement jamais de jours de congé et si tel est le cas, c'est en général à la suite d'une période de très forte activité. La pêche peut s'avérer pratiquement impossible certains jours et à certaines époques en raison de la houle et du froid: même dans ces circonstances, les pêcheurs s'éloignent du rivage à la nage pour aller se procurer la nourriture nécessaire à leur famille et le revenu en espèces indispensable à l'achat des aliments de base et de l'eau. Pour la plupart des gens la faim n'est jamais très loin et dans une famille la résolution de ce problème incombe directement au père et à son fils aîné. Les femmes des pêcheurs contribuent cependant de façon très importante à la sécurité alimentaire en s'occupant de petits jardins potager, en élevant les enfants et en faisant pousser des plantes alimentaires et des plantes médicinales dans des petits pots. Elles préparent tous les repas au moyen du bois de feu qu'elles ont ramassé et participent aux échanges commerciaux et aux achats. Certaines épouses vont même pêcher, mais en règle générale elles restent à bord de l'embarcation en tenant la torche électrique pour les pêches de nuit, ou utilisent une ligne à main munie d'hameçons appâtés. La division des tâches à l'intérieur des familles de pêcheurs est encore plus marquée que dans les familles d'agriculteurs. Dans ce dernier cas, leur travail se situe à proximité du foyer, et la répartition des tâches entre les hommes et les femmes revêt un caractère généralement plus traditionnel.

5.2 Propriété accès limité

Les pêcheurs éprouvent un sentiment de propriété sur l'océan et ses ressources. Ils en limitent l'accès en s'entendant pour réserver aux membres de l'association des pêcheurs la possibilité de pêcher dans les eaux de Buen Hombre. Cette règle comporte les exceptions suivantes: les agriculteurs de Buen Hombre peuvent aller pêcher à la nage dans le premier récif, les parents de familles de Buen Hombre peuvent pêcher lorsqu'ils leur rendent visite, et enfin, les autres personnes qui respectent les règles fixées par les pêcheurs de Buen Hombre sont également admis. Bien qu'il soit difficile de contrôler l'accès physique à la partie maritime du territoire de Buen Hombre, la pêche exige des connaissances ésotériques qui ne sont pas partagées avec ceux qui ne doivent pas la pratiquer. Dans ce contexte, et compte tenu des techniques utilisées normalement par les pêcheurs, la possession des connaissances appropriées est essentielle tant à la survie qu'à l'efficacité de la pêche.

L'apprentissage commence lorsque les jeunes deviennent membres d'un équipage et que leurs aînés leur apprennent où pêcher et comment pêcher et comment assurer leur survie. Les membres plus âgés de l'équipage sont généralement des parents, mais en définitive le critère des aptitudes professionnelles est privilégié par rapport à celui du lien de parenté en tant que condition de participation. Les pêcheurs enseignent un certain nombre de choses et nombre des notions enseignées sont liées aux rapports avec l'environnement par le biais d'une représentation culturelle appelée référentiel ou paysage culturel. Les pêcheurs conçoivent un paysage culturel sous-marin dont les différents lieux sont autant de repères de navigation distincts et qui peuvent avoir été l'emplacement d'évènements antérieurs particuliers. Certains en raison des marées ou de la présence d'un grand requin blanc. Puisque la plupart des embarcations lieux portent même le nom d'un pêcheur chevronné. D'autres sont signalés comme étant particulièrement adaptés à certains types de pêche ou parce qu'ils comportent un danger, ou ne sont pas motorisées et que celles qui le sont ne sont équipées que de petits moteurs, le paysage sous-marin est tissé d'images mentales du régime général des marées, de la houle et des vents; les saisons et les évènements à l'origine d'une modification des courants et du régime des vents ont pour effet de multiplier ces images. Suite à la panne d'un moteur, ou en raison d'une tempête soudaine, un équipage peut être entraîné très loin en mer et échoué à des kilomètres sur un rivage éloigné. A cause d'une erreur de lecture d'un tableau de marées, un équipage peut s'échouer du côté le plus éloigné d'une longue formation récifale découverte par la mer sur le chemin du retour. Associé aux paysages terrestre et stellaire, le paysage sous-marin complexe permet d'obtenir un système à trois niveaux particulièrement sophistiqué de navigation et une cartographie des ressources naturelles. On ne saurait évaluer directement le temps qu'il faut pour faire l'apprentissage de ces différents paysages culturels, mais la plupart des pêcheurs réputés pour leur connaissance du métier ont au moins 20 ans d'expérience.

5.3 La transmission future des rôles entre générations

La population de Buen Hombre n'exprime pas la volonté de quitter sa communauté d'origine pour aller soit dans un village voisin d'agriculteurs, soit en ville. En fait, la plupart considèrent qu'ils habitent un lieu idéal si l'on fait abstraction des problèmes qui se posent et pour lesquels ils n'ont pas nécessairement une solution. Les pêcheurs sont particulièrement catégoriques quant à leur volonté de ne pas partir. Si l'on fait le bilan des sentiments à l'égard du cadre naturel et humain, les pêcheurs sont respectés par la communauté et par leurs pairs et estiment qu'ils mènent une existence digne de ce nom.

Jusqu'à une date récente, les pêcheurs voulaient que leurs fils exercent le même métier. Cette attitude est parfaitement adaptée aux familles dont les ressources alimentaires et la stabilité des ressources domestiques reposent sur le fait d'avoir un fils aîné qui pêche avec son père. Ce dernier se trouve dans une position privilégiée en tant que pêcheur expérimenté et membre de l'association des pêcheurs, pour inculquer cette culture à son fils en lui transmettant le savoir ésotérique touchant aux trois paysages culturels dont la connaissance est indispensable pour pratiquer la pêche. En définitive, le fils dispose des moyens de production requis, tant matériels qu'intellectuels pour occuper une position socialement prestigieuse au sein de sa communauté d'origine.

Le sentiment que les générations futures vivront au village et joueront des rôles semblables est important du point de vue de la pérennité des valeurs de conservation. Or, pour les pêcheurs de Buen Hombre et pour d'autres membres de la communauté l'avenir de leur écosystème marin côtier semble moins assuré qu'il ne l'était pour les générations passées. Aussi, quand on leur demande quelle activité ils souhaitent pour leurs enfants, si une majorité de pêcheurs continuent à préférer qu'ils suivent la même voie, beaucoup estiment par ailleurs que cela risque d'être impossible. En revanche, un certain nombre ont déclaré préférer des métiers qui amèneraient leurs enfants à quitter le village et à s'intégrer à la collectivité plus vaste que représente la République dominicaine, ou même à partir à l'étranger. Cela tend à démontrer que beaucoup de gens dans la population locale s'inquiètent pour l'avenir de leur communauté et quant à l'écosystème de Buen Hombre. Ils craignent que la communauté ne soit pas en mesure de s'adapter aux nouvelles menaces et ne puisse en venir à bout. Ils craignent surtout que la terre où ils ont vécu et l'existence qu'ils ont menée, pour laquelle ils ont acquis un savoir et élaboré des projets, soient sans lendemain.

6. DANGERS EN PRÉSENCE ET SOLUTIONS: AVENIR DE L'ÉCOSYSTÈME DE BUEN HOMBRE

La situation à Buen Hombre telle qu'elle est décrite ci-dessus prévalait jusqu'à la période de sécheresse de 1987-1991. Parallèlement à ce changement climatique, survint de façon indépendante une série de menaces particulièrement préoccupantes pour l'écosystème communautaire et d'adaptations du milieu ambiant. Certaines des menaces ainsi apparues, au demeurant dangereuses, figuraient parmi les différents problèmes d'ores et déjà pris en compte par les membres de la communauté. D'autres par contre étaient trop inédites et apparemment hors de proportion avec les moyens dont disposait la population de Buen Hombre pour qu'elle puisse les résoudre par elle-même. D'autres problèmes encore ont été résolus grâce aux nouvelles mesures adoptées par le Gouvernement de la République dominicaine.

Jusqu'à un certain point, la population de Buen Hombre en était alors réduite à se demander si elle devait continuer à appliquer à tout prix ses principes de conservation, ou si elle devait au contraire tirer le profit maximum des ressources, selon la ligne de conduite adoptée par d'autres, tout en ayant l'espoir que les ressources résiduelles éventuelles pourraient faire vivre la génération suivante. A un certain moment, on pouvait se demander si la population conserverait le contrôle des terres du village et de son écosystème marin.

6.1 La menace des pêcheurs venus de l'extérieur

On distingue deux types de pêcheurs venus de l'extérieur qui posent un problème à ceux de Buen Hombre: les pêcheurs citadins et les concurrents prospères des villages voisins.

Pêcheurs citadins

Déjà présente en 1985, la menace créée par les pêcheurs venus de l'extérieur a été considérée au cours des années qui ont suivi comme étant de plus en plus dangereuse pour l'écosystème et portant directement atteinte à la souveraineté du village. Pour ces raisons la NASA a financé un projet de recherche en 1988 axé sur les modifications observables des récifs coralliens, des herbiers marins et des forêts de mangrove. Ce projet avait notamment pour but de déterminer la possibilité de mesurer des impacts à court terme (sur une période de cinq années) sur l'écosystème. Des images de télédétection correspondant à deux périodes, des analyses de la nature et de l'état des fonds marins réalisées par un biologiste marin, et enfin des entrevues ethnographiques avec des pêcheurs concernant l'évolution historique de l'écosystème, ont constitué l'ensemble de données présentées à l'appui des changements observés. Les trois types de données ont été recueillies dans plusieurs emplacements témoins, de façon à pouvoir comparer les résultats obtenus. L'étude a établi que là où les pêcheurs citadins avaient poursuivi leur activité sur le territoire de Buen Hombre, un blanchiment des herbiers marins et des récifs coralliens avait été observé - signe extérieur témoignant directement de la destruction des herbiers et de la mort du corail.

Concurrents prospères des villages voisins

Un deuxième type de menace venue de l'extérieur est apparu immédiatement après la sécheresse de 1987-1991. Un parent d'un membre de la communauté a quitté un village agricole de l'intérieur pour venir pratiquer la pêche selon des méthodes non traditionnelles. Normalement une telle initiative n'aurait pas dû poser de problème, mais cette personne avait de l'argent - beaucoup d'argent à l'échelle de la communauté. Il remit en état ou remplaça des embarcations du village et les équipa de puissants moteurs neufs; il embaucha des hommes d'équipage pour travailler à bord, à raison de deux équipes par jour; il acquit en outre un compresseur, un casque de plongée et le matériel approprié. Grâce à ce nouvel équipement, ses pêcheurs se rendaient jusqu'au récif le plus éloigné et le plus profond (le troisième récif) et plongeaient à des endroits réputés rigoureusement inaccessibles ou qui avaient été délibérément maintenus hors des limites de pêche. Ils récoltaient les plus gros mérous et remplissaient leurs embarcations avec d'autres poissons de premier choix. Ils gagnaient de l'argent, mais détruisaient les bases de l'écosystème.

La suite des évènements n'a jamais été complètement élucidée bien que tout au long de cette période les équipes de chercheurs universitaires eussent été omniprésentes dans le village pratiquement tous les ans. Selon une première interprétation possible, les pêcheurs locaux avaient finalement acquis les techniques permettant de surexploiter les récifs et le faisaient délibérément; selon une deuxième interprétation, les pêcheurs villageois membres de l'association s'opposaient à ce que le nouveau venu opérât dans les eaux de Buen Hombre au moyen des techniques en question, mais estimaient n'avoir aucun moyen de mettre un terme à ses activités, puisqu'en vertu de leurs propres règles il avait parfaitement accès aux ressources halieutiques. En outre, dans la mesure où des pêcheurs de l'association participaient effectivement aux activités de l'intrus, ils y participaient en fait de façon involontaire, car celui-ci «éclipsait» leur marché. Avec une telle quantité de poisson de premier choix à écouler à Buen Hombre, le poisson de deuxième et troisième choix faisait l'objet d'un intérêt considérablement réduit. Aussi, les pêcheurs étaient-ils tenus, pour rester concurrentiels, de participer à cette nouvelle entreprise. Toutefois, rares étaient les pêcheurs de l'association qui avaient déjà plongé avec un compresseur. En fait, ils avaient eu autrefois accès à ce type d'équipement de plongée et décidé collectivement de ne pas s'en servir le jugeant dangereux aussi bien pour le plongeur que pour le poisson. Il s'avère par ailleurs que certains des plus gros mérous avaient été classés dans la catégorie de poisson qu'il ne fallait pas capturer, vraisemblablement suite à la prise de conscience de leur rôle biologique en tant que géniteurs des nouvelles générations de mérous.

6.2 La menace du tourisme

Le tourisme est devenu de plus en plus important à partir de 1985. Il en a été ainsi en raison d'une part, de l'amélioration considérable de la seule route desservant Buen Hombre et d'autre part, de la construction d'un hôtel international dans le premier grand village à l'ouest de Buen Hombre. Avant que la route ne soit améliorée, l'accès à Buen Hombre était possible soit par bateau le long de la côte, soit à cheval par la montagne. En 1985 il y avait quelques logements de vacances construits par des gens venus de l'extérieur, mais pour la plupart apparentés à la population locale et rarement présents. La nouvelle route améliorée reliait le village au monde extérieur, aussi bien par voiture que par camion et était praticable même par temps de pluie. Jusqu'à cette date rien n'était moins sûr que de s'aventurer en dehors du village lorsqu'il avait plu. Il y eut bientôt deux types de touristes, sources de menaces différentes pour Buen Hombre.

Les touristes internationaux

Au début des années 1980, des touristes internationaux commencèrent à fréquenter un hôtel à prix moyen situé dans un petit village à une trentaine de kilomètres à l'ouest de Buen Hombre du nom de Punta Rucia. Bien que ce village fut légèrement plus important et mieux relié par la route au monde extérieur que Buen Hombre, il avait connu auparavant un isolement comparable. Or, l'isolement de cet hôtel joint à l'absence de commodités courantes telles que électricité et piscines, a été le point de départ du développement de l'écotourisme. Les touristes venaient pour la plupart d'Europe, pour simplifier, et il était normal d'entendre parler allemand, français et espagnol dans l'établissement. Quelques canadiens le fréquentaient aussi, mais peu d'américains étaient attirés par ce lieu isolé.

La présence du nouvel hôtel fut à l'origine de trois phénomènes: le système d'adduction d'eau de Ponta Rucia fut modernisé au point de fonctionner correctement, la route de desserte fut bitumée sur toute la longueur depuis la côte jusqu'à la route nationale, et enfin les écotouristes recherchèrent des sites vierges pour pratiquer la plongée libre et la plongée autonome. Les deux premières améliorations des infrastructures eurent des résultats pratiquement immédiats: un grand nombre de touristes nationaux achetèrent des parcelles dans la forêt de mangrove voisine et construisirent des habitations. Les images satellitaires des changements observés par la NASA révèlent de façon frappante le déboisement des mangroves. Une troisième activité a été attestée par des observations: les touristes qui nageaient dans la baie détruisaient les récifs coralliens - fait confirmé par le gérant de la boutique de matériel de plongée de l'hôtel qui déplorait devoir passer de plus en plus de temps et consommer de plus en plus d'essence pour transporter les touristes jusqu'à des îles sablonneuses de plus en plus éloignées. Ce même gérant, ainsi que les pêcheurs de Punta Rucia, observèrent que dès qu'un grand nombre de touristes eurent commencé à nager autour des petits récifs coralliens de la baie, ces derniers cessèrent de produire des polypes: Le battement des palmes, le ramassage de petites quantités de corail, voire le seul contact de l'urine, risquent en effet de tuer les coraux fragiles. Une des petites îles de la région (Sand Key) avait simplement été visitée quelques années auparavant par des touristes à l'époque de l'étude réalisée par la NASA; or, les dommages infligés au récif corallien étaient suffisamment graves pour apparaître sous forme de tâches plus blanches sur les images de changement recueillies par la NASA.

Parmi les effets moins directs sur la pêcherie, il y eut une intensification de la demande de poisson de premier choix destiné au restaurant de l'hôtel et l'éviction des pêcheurs de Buen Hombre de certaines îles de sable où ils avaient opéré traditionnellement. La demande de poisson de premier choix avait stimulé l'activité économique des pêcheurs de Punta Rucia et au bout d'un an ou deux, ils furent en mesure d'acheter des embarcations plus importantes et des moteurs et d'aller pêcher plus loin et à plus grande profondeur des poissons de premier choix. Rapidement, ils franchirent la limite traditionnellement convenue avec les pêcheurs de Buen Hombre, et vraisemblablement avec leur village voisin à l'est. Ces incidents, joints aux visites quotidiennes de riches touristes dans les îles de sable, ont eu effectivement pour conséquence de chasser les pêcheurs de Buen Hombre de leurs zones de pêches de l'est du littoral. De plus, certaines indications tendent à démontrer qu'il en a résulté des répercussions préjudiciables, tant pour les stocks de poissons que pour les récifs coralliens.

Touristes nationaux

A partir de 1985 de plus en plus de parcelles de terrain ont été achetées par des gens sans lien de parenté avec la population de Buen Hombre. Il s'agissait de citoyens de la République dominicaine, généralement issus de familles aisées des agglomérations les plus importantes. Désireux de pratiquer la pêche sportive, les touristes locaux introduisirent de nouveaux moyens à cet effet, notamment des embarcations équipées de moteurs puissants, de réserves d'essence adéquates et toutes sortes d'engins de pêche et d'équipements de plongée modernes. Ils introduisirent également des aliments de luxe, des boissons alcoolisées de grande qualité et des provisions de bière qui durent paraître illimitées. Ces nouveaux touristes offrirent de nouvelles possibilités économiques aux pêcheurs locaux et nombre d'entre eux commencèrent à proposer de servir de guides, pour les aider à pratiquer la pêche au gros poisson. Naturellement, aucun des pêcheurs locaux ne se trouvait en situation de leur imposer des limites de capture. En effet, vu le caractère passager et éphémère du phénomène touristique pour la vie quotidienne de Buen Hombre, il n'était pas d'emblée évident qu'il eut constitué une réelle menace pour les ressources et les écosystèmes marins locaux.

6.3 La menace des mesures d'ajustement structurel

De 1980 à 1990, le Gouvernement de la République dominicaine, fortement encouragé par le Fonds monétaire international, a promulgué une série de mesures d'ajustement structurel comportant notamment des réformes monétaires et modifiant la parité des changes (Greenberg, 1997:88). Le gouvernement a par ailleurs cessé de subventionner le sucre, la farine et les produits pétroliers, laissant ainsi les prix atteindre leur niveau mondial. L'essence est passée de 0,95 dollars EU à 1,60 dollars EU par gallon (Greenberg, 1997:88).

D'après Greenberg (1997:90), de nombreux indices tendent à démontrer que les mesures d'ajustement structurel ont altéré le niveau de vie des ruraux pauvres. Pour faire face à cette évolution en République dominicaine, les pêcheurs/agriculteurs comme ceux de Buen Hombre, en dépit de la rigueur de leurs principes de conservation, se sont tournés vers les ressources de la mer pour se procurer de la nourriture et assurer un revenu, notamment en intensifiant leur exploitation sur le premier système corallien. Par ailleurs, comme le signale Greenberg, l'évaluation des répercussions locales des mesures d'ajustement structurel sur l'environnement n'est pas simple et exige en outre une étude de la modulation introduite par les systèmes de commercialisation et les mécanismes complexes des ménages.

6.4 Solutions: dévolution de pouvoirs par le Gouvernement de la République dominicaine

Face à l'ampleur des menaces en présence, le Gouvernement de la République dominicaine a commencé à prendre conscience des dangers réels auxquels se trouvait exposé l'un des meilleurs systèmes coralliens de l'île. Il a par ailleurs admis officieusement son incapacité à surveiller de manière efficace le système corallien de la côte nord avec un seul fonctionnaire des pêches. Des réunions entre hauts responsables des pêches de la République dominicaine et différents responsables des pouvoirs publics ont eu lieu au village. Lors de ces rencontres, les données fournies par les travaux universitaires ont été associées aux images satellites de l'écosystème et aux témoignages des pêcheurs locaux, pour plaider en faveur du droit de la collectivité de Buen Hombre à faire appliquer la loi dans son propre écosystème. Les pêcheurs furent officiellement associés à des responsabilités publiques quand le Gouvernement de la République dominicaine délivra des badges à deux pêcheurs de Buen Hombre qui avaient été choisis par leurs confrères pour effectuer des patrouilles dans les eaux communautaires locales. Désormais, les pêcheurs de Buen Hombre étaient officiellement habilités à incarcérer les contrevenants, puis à les transférer au poste voisin de gardes-côtes au sommet de la colline, à la suite de quoi ils étaient passibles des sanctions prévues par la loi.

7. CONSÉQUENCES À TIRER DE L'ÉTUDE DE CAS DU POINT DE VUE DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE FONDÉE SUR LE POISSON

Les auteurs d'études de cas sont toujours harcelés de questions quant à la possibilité d'étendre les conclusions de leurs travaux à d'autres situations humaines. Cette question a été soulevée au cours des dix années qui ont suivi la publication par notre équipe de recherche d'une douzaine de rapports, d'articles et de chapitres consacrés à la communauté de Buen Hombre. Les membres de notre équipe sont revenus dans le même village pour mener à bien une recherche itérative, la communauté ayant perçu l'intérêt que présentaient pour elle les travaux en question. Nous sommes revenus sur place en raison de l'accumulation au fil des ans de nos observations et aussi à cause des fluctuations pendant cette période de différentes variables, telles que le climat et la politique économique. En axant une analyse longitudinale sur une communauté nous avons pu étudier le processus de changement au niveau des pêcheurs et avons été en mesure d'étudier les phénomènes parallèles affectant les autres membres du village.

Pour notre équipe de recherche, les observations réalisées à Buen Hombre illustrent les problèmes de sécurité alimentaire fondée sur le poisson auxquels se trouvent confrontées d'autres communautés rurales côtières. Buen Hombre est en effet représentatif de communautés côtières stables qui estiment avoir un droit de propriété sur leurs écosystèmes marins côtiers et qui pensent que leurs enfants y vivront et travailleront dans des conditions analogues pour les générations à venir. Cette situation devrait s'opposer à de nombreux égards à celle des populations côtières récemment établies, qui travaillent pour d'autres intérêts et n'ont donc aucune raison de croire qu'elles possèdent les ressources naturelles présentes dans leur environnement: elles s'attendent en effet à devoir à l'avenir quitter le lieu où elles se trouvent - vraisemblablement sous l'effet des mêmes forces qui les ont amenées initialement à s'y installer.

Nous sommes un peu moins certains de la validité de nos conclusions concernant les citadins pauvres, en raison du caractère moins systématique des enquêtes et des observations réalisées dans ce cadre. Nous pensons toutefois que des recherches ultérieures confirmeront nos conclusions dans leurs grandes lignes. Nous recommandons vivement la prise en charge des études effectuées dans ce sens: en effet, pour les citadins pauvres la sécurité alimentaire fondée sur le poisson est manifestement liée à l'évolution de la situation des communautés rurales côtières de pêcheurs et d'agriculteurs.

Des observations un peu plus directes permettent d'apprécier le caractère plus ou moins comparable de la situation qui prévaut à Buen Hombre. Dans le reste de l'île d'Hispanola, dans la partie francophone d'Haïti, différents travaux de recherche ont mis en évidence des similitudes et des différences. L'importance du cas haïtien tient au fait que plusieurs universitaires ont soulevé la question de savoir si les communautés locales cherchaient ou non à conserver les ressources marines. Les données concrètes témoignant des valeurs de conservation auxquelles souscrivent les pêcheurs voisins d'Haïti vont largement dans le sens de nos propres observations.

L'écosystème côtier d'Haïti, situé à moins de 65 km à l'ouest de Buen Hombre, a connu à toutes fins pratiques un véritable effondrement, comme en témoignent les données disponibles (Brass, 1990). Lors de travaux consacrés aux caractéristiques des débarquements, Brass a observé qu'il n'y avait plus de poisson de plus de 10 cm de long dans les captures. Ce fait a été confirmé par d'autres travaux sur les pêches effectués en différents points du littoral insulaire. L'ampleur du problème est telle que le Fonds mondial pour la nature a proposé la solution consistant à instaurer des zones d'interdiction des captures à l'intérieur de parcs naturels marins (Zacks, 1998).

Sous-évaluation du poisson dans les études de la sécurité alimentaire

Des anthropologues du Bureau de recherche appliquée en anthropologie à l'Université de l'Arizona (UOFA) ont été invités à réaliser une série d'études de la sécurité alimentaire sur tout le territoire d'Haïti (Woodson, 1997). Ces travaux ont été menés à bien au nord-ouest, au centre et au sud du pays (Baro et al., 1994; BARA, 1996a, 1996b, 1996c, 1997). Chacune des études réalisées a pris en compte des populations côtières, mais la compilation des statistiques recueillies a fait apparaître une faible contribution globale du poisson à la sécurité alimentaire (tant en pourcentage du revenu qu'en pourcentage de la consommation d'aliments). Pour les seules communautés côtières la contribution du poisson à la sécurité alimentaire augmente, bien que les chercheurs aient été surpris par le niveau étonnamment bas des chiffres relevés.

Les chercheurs de l'Université d'Arizona ont le sentiment que leur méthodologie générale d'évaluation de la sécurité alimentaire sous-évaluait l'importance du poisson dans le cas des villages côtiers de pêcheurs et d'agriculteurs. Ce résultat était peut-être imputable à la piètre situation des stocks de poissons à Haïti où les ressources marines ont actuellement et selon toute vraisemblance une importance réduite pour la sécurité alimentaire. Une autre cause possible de sous-évaluation de la sécurité alimentaire fondée sur le poisson pouvait être liée aux descriptions conceptuelles utilisées au stade de l'échantillonnage et de l'analyse. D'après les chercheurs ayant participé au projet haïtien, les observations recueillies constituent un phénomène parasite lié à la méthodologie de recherche, et non le signe d'un niveau non significatif de la sécurité alimentaire fondée sur le poisson. En particulier, dans un échantillon aléatoire de localités haïtiennes rurales, les zones côtières et les localités à prédominance de pêcheurs ont été forcément sous-représentées. Cela tient à la répartition de la population dans la zone échantillonnée et à la cartographie précaire de certains de ces établissements du littoral. Aussi, faut-il mettre au point des études axées spécifiquement sur les zones côtières et les localités dominées par la pêche, pour déterminer exactement la contribution du poisson à la sécurité alimentaire.

Principes de conservation observés par les pêcheurs haïtiens

Vers la fin de 1987 et au début de 1988, l'anthropologue Alexis Gardella a étudié les artisans pêcheurs et les méthodes de pêche à Haïti. Une des études réalisées a été consacrée au village haïtien de Luly (Gardella, 1988). Gardella a fait observer qu'en dépit d'une sophistication apparente, la pêche faisait appel aux mêmes méthodes artisanales et au même équipement que partout ailleurs à Haïti. Luly représente donc une sorte d'observatoire des méthodes de pêche utilisées dans ce pays.

Contrairement au village de Buen Hombre qui est particulièrement isolé, Luly est situé sur une route principale et directement relié aux marchés des métropoles régionales et de la capitale nationale. Le village se trouve à environ deux heures ou à quelque 90 km de la capitale. Avec une population d'environ 2000 personnes, Luly est pratiquement deux fois plus important que Buen Hombre.

Comme à Buen Hombre, la population de Luly escompte toujours que les jeunes deviendront des pêcheurs, tout en souhaitant qu'ils aient de meilleures possibilités d'accès à l'éducation et à d'autres métiers. Comme les pêcheurs de Buen Hombre, ceux de Luly doivent redoubler d'efforts pour soutenir la concurrence extérieure et pour continuer à extraire des quantités acceptables d'un milieu marin de plus en plus surexploité. Comme à Buen Hombre, ils exploitent à Luly une zone traditionnelle de pêche qu'ils partagent avec certains pêcheurs venus de l'extérieur et dont ils défendent l'accès aux intrus qui ne respectent pas les règles traditionnelles de pêche. Bien qu'aucune sanction n'ait été appliqué pendant la période des observations réalisées par Gardella, on peut citer l'épisode survenu dans un village voisin où des pêcheurs ont brûlé la maison et détruit le matériel d'un pêcheur venu de l'extérieur qui persistait à capturer des poissons d'une certaine taille que les pêcheurs locaux n'exploitent pas (Gardella, 1998:17). De plus, comme à Buen Hombre, l'envasement et la surexploitation ont détérioré différentes parties du récif corallien. Enfin d'autres pêcheurs, dont la sécurité alimentaire avait pâti de l'altération ou de la destruction de leurs écosystèmes marins, ont demandé et obtenu l'autorisation de pêcher dans les eaux territoriales de Luly.

Il importe de signaler qu'une étude et une analyse plus récentes (Zacks, 1998) de la pêche à Luly confirment l'existence d'un sentiment de propriété sur les ressources marines, mais non - bizarrement - le sentiment de la nécessité d'en restreindre l'exploitation. Zacks, (1998:115) soutient que les pêcheurs de Luly ne restreindront pas mutuellement leurs activités, puisque, selon eux, l'océan appartient à Dieu et qu'il est donc ouvert à tous. Zacks (1998:122) a néanmoins constaté des heurts violents entre pêcheurs de différents villages, mais en attribue la cause à des litiges concernant les engins de pêche et non à la crainte de dommages infligés à l'écosystème. Cependant, Zacks (1998:128) signale que les pêcheurs de Luly n'approuvent pas l'utilisation de certains engins et de certaines méthodes qu'ils jugent dangereuses, préjudiciables à l'environnement marin ou responsables de l'épuisement des stocks. Manifestement, la question de savoir si les comportements de pêche sont dictés par des principes de conservation des ressources ou par autre chose reste entièrement ouverte.

Le cas de Luly nous aide à mieux comprendre quelles conclusions générales peuvent être dégagées à partir du cas de Buen Hombre et par ailleurs, quelles conclusions s'y rapportent spécifiquement. Malgré les différences manifestes de langue, de culture, de taille de la population et d'intégration aux marchés nationaux, Lully et Buen Hombre se composent essentiellement de pêcheurs qui opèrent dans des territoires marins bien définis, qui limitent la taille des captures afin de protéger les espèces, qui préservent, au besoin par la violence, les ressources qu'ils exploitent et enfin, qui sont conscients des problèmes et des causes des dommages infligés à l'écosystème.

8. CONSULTATION DES POPULATIONS LOCALES

On entend par consultation un processus grâce auquel les populations locales qui ont des liens traditionnels avec des ressources naturelles, sont identifiées comme telles et invitées à participer aux discussions concernant lesdites ressources (voir Deloria et Stoffle, 1998). La consultation repose sur un choix fondamental de la part des gestionnaires des ressources naturelles, celui de prendre certaines décisions conjointement avec les populations locales. Or, la consultation peut impliquer différentes modalités de décisions conjointes: la population locale peut être invitée à prendre part à la définition des ressources à protéger; elle peut aussi être invitée à décider en commun des priorités à observer dans la protection des ressources culturelles; enfin, il peut leur être demandé de participer aux choix entre différentes pratiques de gestion, de façon à retenir les mieux adaptées à la protection des ressources culturelles dans le cadre de l'exploitation de différentes ressources. Les populations locales peuvent en outre être invitées à participer à la planification à long terme et à la surveillance des ressources naturelles.

D'après les universitaires dont les travaux portent sur la consultation (Cernea, 1991; Dobyns, 1951; Parenteau, 1988: 5-10) la qualité et l'efficacité d'un tel processus sont directement liées au niveau de partage du pouvoir décisionnel. Les travaux de Arnstein (1969) montrent que toute consultation peut être évaluée sur une échelle de 1 à 8, allant d'une participation sans aucun partage du pouvoir (autrement dit une manipulation), jusqu'à un partage de la capacité de négociation avec l'organisme responsable (c'est-à-dire un partenariat). La décision majeure dont la responsabilité incombe à un gestionnaire des ressources naturelles porte sur l'étendue du pouvoir décisionnel qui peut et doit être partagé avec les populations locales. Lorsque le domaine dans lequel le partage du pouvoir décisionnel est fixé, il convient de le délimiter précisément au début du processus de consultation pour que cet élément soit un facteur de la décision de la population locale de participer ou non.

8.1 Questions délicates

La collaboration avec les communautés locales de pêcheurs met en cause un certain nombre de sujets de consultation potentiellement délicats. Aussi les gestionnaires doivent-ils avoir particulièrement à l'esprit les préoccupations suivantes lorsqu'ils travaillent avec des pêcheurs ruraux des Caraïbes:

a. Respect de la souveraineté de la communauté;

b. Recensement des connaissances populaires;

c. Identification des individus et des groupes attachés à des valeurs de conservation des ressources;

d. Mise au point d'un partenariat local comportant un partage des pouvoirs.

8.2 Variables d'évaluation

Il ressort de l'étude de cas réalisée à Buen Hombre que les gestionnaires devraient s'intéresser en priorité aux variables suivantes, en ce qui concerne la contribution du poisson à la sécurité alimentaire:

a. Communauté

Etudier les liens particuliers en tant que consommateurs de poisson à l'intérieur des populations telles que les communautés côtières et les citadins pauvres habitant près du littoral.

b. Changement climatique ou phénomènes climatiques: La sécheresse risque d'aggraver fortement la dépendance à l'égard du poisson dans les régions côtières. Les ouragans ont localement des conséquences propres à bouleverser ces relations de dépendance.

c. Politique économique

Le fait de passer en peu de temps d'une politique de tarification sociale des produits alimentaires à une politique de libération des prix, risque de créer dans certaines catégories de la population un fossé infranchissable entre le coût de la nourriture et la possibilité de se la procurer. Lorsqu'il est impossible d'avoir un revenu monétaire assuré par un salaire, l'utilisation des réserves naturelles est alors indispensable.

d. Fonction de production

S'il est facile de comprendre la dépendance directe des pêcheurs à l'égard du poisson, il est sans doute étonnant de constater que leurs voisins agriculteurs sont parfois encore plus dépendants pendant les périodes de sécheresse et de crise économique.

8.3 Procédures et sujets

Il ressort de l'étude de cas de Buen Hombre que la délimitation des problèmes de sécurité alimentaire fondée sur le poisson doit faire appel à certaines procédures et considérer certains aspects. Il est essentiel d'éviter le problème de la généralisation excessive qui peut consister à amalgamer statistiquement les populations les plus tributaires de la sécurité alimentaire fondée sur le poisson, avec d'autres qui ne le sont pas autant. Les procédures à suivre à cet effet sont les suivantes:

a. Réaliser de façon professionnelle les recherches en sciences sociales

Il existe de nombreux types d'artisans pêcheurs. Certains récoltent simplement des ressources naturelles et d'autres veillent à leur conservation. Seul le travail d'étude entrepris et des recherches approfondies permettront d'identifier les types de pêcheurs en présence et leurs systèmes de valeurs concernant l'environnement.

b. Identifier les communautés côtières stables.

Les principes de conservation des ressources sont élaborés et mis en oeuvre par des communautés stables: présentes dans une région pendant des périodes prolongées, ces communautés ont acquis des connaissances sur leur environnement et estiment que les enfants de leurs enfants dépendront pour leur existence des mêmes ressources naturelles.

c. Prendre conscience du fait que les pêcheurs vivent souvent au sein de communautés d'agriculteurs

Il est essentiel de connaître la structure et la culture globale de la communauté à l'intérieur de laquelle les pêcheurs vivent, travaillent et distribuent le poisson.

d. Tenir compte de l'importance des petits poissons

Nombre de ceux qui étudient la sécurité alimentaire privilégient indûment les poissons de plus grande taille et de plus forte valeur commerciale. Or, il importe d'observer également la répartition des petits poissons (de troisième choix) qui assurent parfois l'alimentation des citadins pauvres.

9. PAYSAGES TEMPORELS ET PAYSAGES CULTURELS

Le présent exposé a commencé en faisant observer qu'il importait de concevoir simultanément l'intégration spatiale et la succession temporelle des phénomènes culturels. Cela fait apparaître que la sécurité alimentaire fondée sur le poisson est, à tout le moins, fonction de l'ensemble des relations énumérées ci-après: entre les pêcheurs et les autres membres de la communauté, ainsi que entre les pêcheurs et, respectivement, la technologie, l'écologie marine, le climat et enfin, les politiques mondiales. A un moment donné quelconque ces différentes relations forment le «paysage» culturel de la sécurité alimentaire fondée sur le poisson. A l'intérieur de ce paysage se posent des problèmes de sécurité alimentaire interdépendants, mais très différents, pour les pêcheurs proprement dits, pour les agriculteurs de leurs communautés et pour les citadins pauvres consommateurs de poisson. Le poisson n'est pas seulement un élément du régime alimentaire de ces différentes catégories de personnes: l'extraction de cette ressource pour les besoins alimentaires a des répercussions sur l'écosystème marin et risque d'en avoir pour les générations futures.

Si l'on considère successivement les différents «paysages», on se place alors dans une perspective de paysage temporel. Comme le fait observer Adam (1998:54)

Avec la notion de paysage temporel, je m'efforce d'étendre la notion de paysage, c'est-à-dire de développer une réceptivité analogue, à l'égard des interdépendances et des lacunes temporelles et de concevoir les phénomènes écologiques comme des entités temporelles complexes, propres à leur contexte spécifique.

Lorsqu'on applique la notion de perspective temporelle à l'examen de la sécurité alimentaire fondée sur le poisson, il importe de ne pas perdre de vue les trois horizons mentionnés plus haut de la sécurité alimentaire sécurité quotidienne, sécurité pour l'année en cours et sécurité permanente. Les pêcheurs qui mettent en balance les répercussions effectives de la satisfaction des besoins apparents propres à chaque horizon temporel, procèdent à un calcul de sécurité alimentaire. La sécurité alimentaire à un niveau donné consiste à prendre des décisions de pêche qui concilient les besoins propres à tous les horizons temporels; en effet, si la réponse aux besoins immédiats compromet la capacité des pêcheurs à répondre aux besoins futurs, l'insécurité habitera alors l'esprit de ceux qui vivent dans le paysage d'aujourd'hui.

Après avoir exposé cette analyse élaborée de la sécurité alimentaire fondée sur le poisson, il importe d'attirer l'attention sur le fait que ce thème a rarement été traité à autant de niveaux et dans un contexte aussi large. La plupart des études ont en effet été géographiquement limitées, étant axées uniquement sur les pêcheurs et tout au plus sur les autres ménages d'agriculteurs du village. Peu de travaux ont pris en considération les rapports de sécurité alimentaire des personnes situées dans le réseau commercial des pêcheurs, par exemple les citadins pauvres dont il a été question ci-dessus. Quant aux études qui ont pris en compte les aspects temporels de la durabilité écologique, du changement climatique, de l'emploi et du rôle des marchés, elles sont encore plus rares. Vu que les études concernant la sécurité alimentaire fondée sur le poisson ont rarement traité ces questions, est-il vraiment réaliste de recommander instamment qu'il en soit autrement à l'avenir? Pour répondre à cette question, il faut savoir si les études antérieures ont été limitées par la perspicacité de leurs auteurs, par les directives fixées ou par leur financement. Si la perspicacité des auteurs est en cause, alors les recherches récentes sur la notion de «paysage» ou de référentiel font apparaître clairement l'apport considérable que la prise en compte des aspects temporels et spatiaux peut constituer pour ces études; on ne saurait en effet envisager d'études plus complexes et plus intégrées. Si le problème vient des directives fixées, alors les contraintes imposées aux études antérieures par l'organisme de financement n'ont peut-être pas disparu, et toute évolution de la situation exige un effort majeur. Enfin, s'il s'agit d'un problème de financement, il faut alors présenter les arguments en faveur des engagements nécessaires en moyens financiers et en temps pour pouvoir mener à bien les études voulues. Par ailleurs, il incombe en outre aux chercheurs en sciences sociales de définir des méthodes pour procéder à des évaluations culturelles rapides permettant de recueillir les données spatiales requises et suffisamment économiques, de façon à pouvoir être répétées. Il est à souhaiter que la présente étude de cas réussisse à convaincre certains lecteurs de l'intérêt présenté par des travaux de recherche longs et détaillés.

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