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Catégories de systèmes, dotations et stratégies des ménages


CATÉGORIES DE SYSTÈMES D’EXPLOITATION AGRICOLE

Afin de faciliter leurs comparaisons et d’intégrer les priorités de chacun d’entre eux dans une stratégie mondiale de réduction de la pauvreté, les 72 systèmes d’exploitation agricole identifiés dans les six régions en développement sont regroupés en huit principales catégories (voir chapitre 1 et annexe 2) d’après les caractéristiques décrites dans les chapitres 2 à 7. Ces huit catégories de système sont: i) les systèmes d’exploitation agricole irrigués; ii) les systèmes d’exploitation agricole à base de riz aquatique; iii) les systèmes d’exploitation agricole pluviaux des zones humides (et subhumides); iv) les systèmes d’exploitation agricole pluviaux des zones en pente et des hautes terres; v) les systèmes d’exploitation agricole pluviaux des zones sèches ou froides; vi) les systèmes d’exploitation agricole dualistes avec la présence simultanée de grandes exploitations commerciales et de petits agriculteurs; vii) les systèmes d’exploitation agricole mixtes à base de pêche artisanale côtière; et viii) les systèmes d’exploitation agricole urbains. Toutes ces catégories de systèmes sont, à l’exception du système dualiste, dominées par les petits producteurs.

La qualité des ressources de base varie énormément entre les catégories de système d’exploitation agricole et même au sein d’un même système. Les systèmes d’exploitation agricole pourvus d’irrigation ou de climats humides ont en général un potentiel agricole plus important que les systèmes de zones sèches. De plus, l’accès aux services agricoles - spécialement aux marchés - a une grande influence sur les possibilités de développement d’un système d’exploitation agricole. La figure 8.1 montre les relations existant entre sept des huit catégories de systèmes pour ces deux importantes variables.

Les aires de chaque catégorie de systèmes sont relativement importantes en raison de l’hétérogénéité des systèmes d’exploitation agricole qui les constituent et des différences entre les environnements des ménages agricoles à l’intérieur d’un même système. Pour cette raison, les systèmes dualistes, qui recouvriraient l’ensemble de la figure, n’ont pas été représentés.

Figure 8.1 Catégories de systèmes d’exploitations agricoles par dotation en ressource et accès aux services agricoles

Note: Le système “dualiste” d’exploitation agricole n’est pas représenté dans la Figure ci-dessus car il en dépasse les limites.

On peut observer sur la figure 8.1 (comme cela a été montré dans les chapitres précédents) que les catégories des systèmes irrigués, du riz aquatique et, dans une moindre mesure, celle du système pluvial humide ont une dotation moyenne en ressource relativement importante. Cependant, leur accès aux services agricoles d’appui et aux marchés varient beaucoup - de mauvais (vers le coin supérieur gauche de la figure, par exemple pour le périmètre irrigué de Gezira au Soudan) à bon (vers le coin supérieur droit, par exemple pour les zones irriguées de la basse vallée du Nil en Egypte).

En revanche, souvent en raison de la mauvaise qualité des infrastructures, les systèmes d’exploitation agricole pluviaux des hautes terres ont un accès limité aux services mais leur dotation en ressources peut varier, d’assez bonne (dans le coin supérieur gauche, par exemple dans le système d’exploitation agricole intensif des hautes terres en Chine) à faible (dans le coin inférieur gauche, par exemple dans le système d’exploitation agricole mixte de haute altitude des Andes centrales). Les systèmes d’exploitation agricole pluviaux des zones sèches et froides ont tendance à avoir de faibles ressources et un accès limité aux services (par exemple les systèmes pastoraux de toutes les régions). D’autre part, les systèmes d’exploitation agricole artisanaux côtiers ont souvent de bons accès aux services mais leur dotation en ressources de base varie, raison pour laquelle ce système se situe du côté droit de la figure. Finalement, les systèmes d’exploitation agricole urbains ont, de par leur situation, un bon accès aux marchés, mais leurs ressources de base est généralement très réduite.

Le tableau 8.1, comparant les huit catégories de systèmes d’exploitation agricole, indique les surfaces totales de terres, de terres cultivées et de terres irriguées, la population agricole et les surplus commercialisables. Les six systèmes[244] irrigués et à base de riz aquatique totalisent une population agricole de près de 900 millions de personnes et une surface cultivée d’environ 170 millions d’ha, dont presque les deux tiers sont irrigués. Il existe trois principales classes de systèmes d’exploitation agricole pluviaux de petits agriculteurs (en zones humide, de haute terre et sèche/froide), totalisant une population de plus de 1 400 millions de personnes et recouvrant environ 540 millions d’ha de terre cultivée. Les systèmes dualistes regroupent des exploitations de taille très différentes et abritent une population agricole de 190 millions de personnes sur une surface cultivée de 11 millions d’ha. Finalement, deux autres catégories de systèmes de petits agriculteurs, de moindre importance - quatre systèmes mixtes de pêche côtière artisanale et six systèmes urbains - totalisent environ 100 millions de personnes. Ces huit catégories de systèmes d’exploitation agricole sont décrites dans les paragraphes qui suivent.

Table 8.1 Comparaison des systèmes d’exploitation agricole par catégorie

Caractéristiques catégories

Irrigués des petits agriculteurs

A base de riz aquatique

Pluvial humide

Pluvial des hautes terres

Pluvial sec/froid

Dualiste (grand/petit)

Pêche artisanale côtière

Urbains

Nombre de systèmes

3

3

11

10

19

16

4

6

Surface totale (m ha)

219

330

2013

842

3478

3116

70

n.d

Surface cultivée (m ha)

15

155

160

150

231

414

11

n.d

Cultivé/total (%)

7

47

8

18

7

13

16

n.d

Surface irriguée (m ha)

15

90

17

30

41

36

2

n.d

Irrigué/cultivé (%)

99

58

11

20

18

9

19

n.d

Population agricole (million)

30

860

400

520

490

190

60

40

Pop. agricole/cultivé (p/ha)

2,1

5,5

2,5

3,5

2,1

0,4

5,5

n.d

Surplus commercialisables

importants

moyens

moyens

faibles

faibles

moyens

importants

importants

Source: Donnée FAO et avis d’experts.
Note: Surface cultivée pour les cultures annuelles et pérennes. n.d. = non disponible.

Les trois systèmes d’exploitation agricole irrigués des petits agriculteurs sont situés sur de grands périmètres irrigués où dominent les petits exploitants agricoles. Bien que cette catégorie ne totalise qu’environ 30 millions de femmes, d’hommes et d’enfants qui cultivent quelque 15 millions d’ha de terre irriguée, elle est importante en terme de sécurité alimentaire nationale et de revenus à l’exportation pour de nombreux pays. D’énormes investissements ont été réalisés dans les grands périmètres irrigués; cependant, la plupart d’entre eux se trouvent dans l’obligation d’améliorer l'efficacité de l'utilisation de l’eau au cours des prochaines décennies. De plus, beaucoup d’entre eux - particulièrement en Afrique subsaharienne, et en Europe de l’Est et Asie Centrale - ont de grosses difficultés financières. La durabilité de l’environnement pose aussi des problèmes dans un certain nombre de cas[245]. En dehors des grands périmètres irrigués et des systèmes de riz aquatique, la petite irrigation apporte un complément aux moyens de subsistance de millions de ménages agricoles en culture pluviale; cette petite irrigation est considérée comme partie intégrante du système d’exploitation agricole qui l’utilise.

Les trois systèmes d’exploitation agricole à base de riz aquatique de l’est et du sud de l’Asie, qui représentent une proportion importante des terres irriguées, abritent une population agricole d’environ 860 millions de personnes. La culture du riz entouré de diguettes est le trait caractéristique de ces systèmes; toutefois, on y pratique aussi la production d’une gamme importante d’autres cultures vivrières et de rente ainsi que l’élevage de poulets et de bétail pour l’autoconsommation et la vente. Ces systèmes dépendent de la mousson, mais près de 60 pour cent des terres cultivées sont équipées pour l’irrigation. Il reste relativement peu de pâturages ou de forêts - presque la moitié des terres est occupée par des cultures annuelles ou permanentes - et la pression démographique (5,5 personnes par ha de terre cultivée) sur les ressources naturelles de base est très forte. Ces systèmes, qui génèrent un certain niveau de surplus commercialisables, sont à la base de la sécurité alimentaire nationale de la plupart des pays asiatiques.

Les 11 systèmes d’exploitation agricole pluviaux humides sont basés sur la culture de tubercules, de céréales ou d’arbres, par de petits agriculteurs. L’élevage est souvent une composante importante de ces systèmes dont la population agricole totale est d’environ 400 millions de personnes. L’irrigation y est rare. La pression démographique sur les terres est généralement modérée (seulement 2,5 personnes par ha cultivé en moyenne), elle peut, cependant, être beaucoup plus forte dans certaines zones. Le développement des marchés est variable, moyen dans l’ensemble, mais les possibilités de développement futur sont importantes.

La population agricole totale des 10 systèmes d’exploitation agricole pluviaux des zones en pentes et des hautes terres des petits agriculteurs dépasse 500 millions de personnes. Ces systèmes, pour la plupart diversifiés mixtes élevage et culture, furent orientés à l’origine vers la subsistance et la gestion durable des ressources. Cependant, ils se caractérisent de nos jours par une très forte pression démographique (en moyenne 3,5 personnes par ha cultivé) sur leurs très faibles ressources naturelles de base. La situation est encore aggravée par une forte pression du bétail sur les pâturages qui représentent les quatre cinquièmes des terres non cultivées. Le niveau d’intégration de ces systèmes aux marchés est souvent faible en raison du manque de route d’accès et d’autres infrastructures.

Les 19 systèmes d’exploitation agricole pluviaux des zones sèches ou froides à bas potentiel couvrent une superficie énorme - environ 3,5 milliards d’ha - mais n’abritent qu’une assez faible population agricole de petits agriculteurs - environ 500 millions de personnes. Les activités de base de ces systèmes à faible potentiel associent la culture et élevage ou des activités pastorales. Ils forment, en fait, des systèmes clairsemés et souvent dispersés de très basse productivité en raison des contraintes environnementales.

Les 16 systèmes d’exploitation agricole dualistes sont caractérisés par le contraste important existant entre les grandes exploitations, souvent commerciales, et les petites exploitations des petits agriculteurs. L’ensemble de ces systèmes totalise une population agricole de près de 200 millions de personnes sur une superficie cultivée de 400 millions d’ha situés dans des zones écologiques variées aux modèles de production divers. De tels systèmes sont courants en Europe de l’Est, en Asie centrale et en Amérique latine; on peut aussi en rencontrer en Afrique. A l’exception du système d’exploitation agricole irrigué de l’Europe de l’Est et de l’Asie centrale de taille moyenne à grande, ils sont tous essentiellement pluviaux.

Nous avons décrit quatre systèmes d’exploitation agricole mixtes de pêche côtière artisanale[246]. Les cultures y jouent un rôle important pour la sécurité alimentaire des ménages, mais la pêche côtière représente le principal moyen de subsistance, en particulier avec le développement rapide de l’aquaculture dans de nombreux endroits du monde. Les rendements des cultures sont souvent bas en raison de la faible fertilité des sols. Les quelques zones plus fertiles doivent souvent affronter des orages et des inondations comme c’est le cas dans la baie du Bengale. Beaucoup de ces systèmes associent une petite production de cultures arboricoles (noix de coco et noix de cajou par exemple) à l’élevage de petits ruminants, spécialement les chèvres, et de volailles.

Six systèmes d’exploitation agricole urbains dynamiques, orientés vers le marché, généralement axés sur une production animale et horticole intensive de haute valeur, ont été identifiés. En raison de l’urbanisation croissante du monde en développement, ces systèmes d’exploitation agricole devraient prendre de plus en plus d’importance dans l’avenir.

L’analyse de ces huit grandes catégories de systèmes d’exploitation agricole met en évidence de grandes différences dans l’importance relative des stratégies dont disposent les ménages pauvres pour réduire la faim et la pauvreté. Le tableau 8.2, préparé à partir d’avis d’experts, montre l’importance relative de ces stratégies pour les ménages; ces mêmes stratégies sont aussi celles du développement rural à plus grande échelle. Le potentiel relatif de leurs impacts amène à proposer un mélange optimal de ces stratégies pour combler le fossé existant entre les projections habituelles de réduction lente de la pauvreté et l’objectif de diminuer de moitié la faim et la pauvreté d’ici à 2015 dans chacun des principaux systèmes d’exploitation agricole.

Tableau 8.2 Importance relative des différentes stratégies de réduction de la pauvreté par catégorie de systèmes d’exploitation agricole

Stratégies de réduction de la pauvreté

Irrigués des petits agriculteurs

A base de riz aquatique

Pluvial humide

Pluvial des hautes terres

Pluvial sec/froid

Dualiste (grand/petit)

Pêche artisanale côtière

Urbain

Intensification

3,4

1,7

1,9

0,9

1,5

2,8

0,7

1,3

Diversification

2,9

3,4

2,7

2,7

2,3

2,0

2,5

2,7

Augmentation de la taille des exploitations

1,2

0,9

1,7

0,6

0,9

2,0

0

1,7

Augmentation des revenus hors exploration

1,9

2,8

2,2

3,0

2,2

1,8

4,2

3,6

Sortie de l’agriculture

0,6

1,2

1,4

2,8

3,1

1,3

2,6

0,8

Source:Avis d’experts.
Note: Le total des points pour chaque système de exploitation est de 10.

La fréquence de la pauvreté et de la faim est relativement faible dans les systèmes d’exploitation agricole irrigués, aussi les perspectives de diminuer de moitié la pauvreté existante sont-elles bonnes. On estime que les trois quarts de la diminution de la pauvreté viendront d’améliorations au niveau des exploitations (intensification, diversification et accroissement de la surface cultivée). Un bon tiers viendra de l’intensification de la production - les conditions de production sont si favorables dans ces périmètres que les accroissements de productivité proviendront d’une meilleure utilisation de l'eau, d’une meilleure gestion de la fertilité des sols et des cultures. La diversification, impliquant souvent l'exportation des cultures de rente par les canaux commerciaux existants, sera aussi responsable de 30 pour cent de la diminution de la faim et de la pauvreté. Néanmoins, les accroissements de revenu hors exploitation, locaux et provenant de migrations saisonnières, devraient contribuer à hauteur de près de 20 pour cent à la réduction de pauvreté.

Le développement des systèmes d’exploitation agricole à base de riz aquatiques se fera principalement par des améliorations au niveau de l’exploitation, qui contribueront pour 60 pour cent à la réduction de la pauvreté - particulièrement grâce à la diversification des cultures, à l’élevage et à la production de poissons. La transformation des produits au niveau de l’exploitation, qui est une diversification, permettra d’augmenter la valeur des productions et les revenus. Bien qu’inférieure d’un tiers à la contribution attendue de l’accroissement de revenus en dehors de la exploitation, l’intensification est aussi une stratégie importante (spécialement pour des pays comme le Cambodge et le Myanmar). L’importance du revenu hors exploitation reflète le poids de l’économie rurale hors exploitation en Chine, ce pays comptant presque la moitié des agriculteurs de cette catégorie de système.

Les cinq stratégies contribuent toute, d’une manière importante, à la diminution de moitié de la pauvreté des ménages des systèmes d’exploitation agricole pluviaux humides. Les deux stratégies les plus importantes sont la diversification qui devrait contribuer pour plus d’un quart à la réduction de la pauvreté et l’accroissement des revenus hors exploitation pour un peu moins d’un quart. Dans les systèmes agriculture-élevage, l’élevage jouera un rôle important pour la diversification; d’autre part la petite irrigation contribuera à la fois à l’intensification et à la diversification.

La contribution des améliorations au niveau de l’exploitation (40 pour cent) à la réduction de la pauvreté est plus faible pour les systèmes d’exploitation agricole pluviaux des hautes terres. Les principales stratégies de réduction de la pauvreté seront les accroissements de revenu hors exploitation et la migration (sortie de l’agriculture), dont la contribution est d’un tiers pour chacune de ces stratégies. La diversification, spécialement vers des produits de haute valeur avec des frais de transport et de commercialisation relativement bas, pourrait aussi contribuer à la réduction de la pauvreté de façon importante.

La contribution des différentes stratégies à la réduction de la pauvreté dans les systèmes d’exploitation agricole pluviaux secs/froids est semblable à celle des systèmes des hautes terres, en raison de leur faible potentiel agricole et de leurs mauvaises infrastructures de commercialisation. Le développement de l’élevage et de l’irrigation jouera un rôle important.

La réduction de la pauvreté des ménages dans les systèmes d’exploitation agricole dualiste proviendra des cinq stratégies, plus des deux tiers résultera des améliorations au niveau de l’exploitation. L'irrigation et le développement des marchés favoriseront l’intensification et la diversification. Les augmentations de la taille des exploitations contribueront pour un cinquième à la réduction de la pauvreté.

La réduction de la pauvreté des systèmes d’exploitation agricole mixtes à base de pêche artisanale côtière dépend beaucoup de l’accroissement des revenus hors exploitation et, dans une moindre mesure, de la diversification et de la sortie de l’agriculture.

La réduction de la pauvreté des systèmes d’exploitation agricole urbains dépend de l’accroissement des revenus hors exploitation, de la diversification et de l’augmentation des ventes.

INCIDENCE DE LA DOTATION EN RESSOURCES DES SYSTEMES AGRICOLES

Les niveaux de vie actuels ainsi que leur potentiel d’amélioration dépendent de la qualité des ressources naturelles et de leur disponibilité[247]. La meilleure évaluation des ressources de base d’un système d’exploitation agricole est la richesse moyenne en ressource des ménages agricoles représentatifs, mesurée selon leur potentiel productif à partir des technologies existantes. A quelques exceptions près, tous les systèmes d’exploitation agricole peuvent être classés de cette manière, en prenant en compte la taille moyenne des exploitations et la qualité des ressources naturelles. Quand on procède de cette façon, les ressources potentielles peuvent être considérées comme un continuum allant des systèmes des zones arides à ceux localisés dans des conditions fertiles et irriguées.

Les exemples de systèmes d’exploitation agricole dans les zones de faible potentiel sont: i) le système agropastoral mil/sorgho d’Afrique; ii) le système mixte pluvial de l’Asie du sud; et iii) le système mixte de haute altitude des Andes centrales en Amérique latine. Les systèmes d’exploitation agricole dans les zones à fort potentiel sont: i) tous les systèmes irrigués; ii) le système mixte céréales-racines de la savane humide de l’Afrique centrale et de l’Ouest; iii) le système de culture arboricole de l’Asie de l’Est et du Pacifique; et iv) le système mixte extensif des Cerrados et Llanos de l’Amérique latine. Le tableau 8.3 compare les différentes caractéristiques des systèmes d’exploitation agricole à fort et à faible potentiel.

Table 8.3 Comparaison des systèmes d’exploitation par potentiel de ressources

Caractéristiques

Fort potentiel

Faible potentiel

Nombre de systèmes

26

25

Population agricole (millions)

1 450

290

Surface cultivée/surface totale (%)

14

6

Surface irriguée/surface cultivée (%)

29

11

Population agricole/surface cultivée (pers/ha)

2,8

1,0

Source: Données FAO et avis d’experts.

Note: La surface cultivée se réfère à la fois aux cultures annuelles et pérennes. Neuf autres systèmes avaient un potentiel indéterminé ou mélangé (les systèmes urbains) et 12 autres des potentiels moyens.

Plus de 60 pour cent de la population agricole des régions en développement - soit quelque 1 450 millions de personnes - vivent dans des systèmes dont le potentiel d’accroissement de la productivité est, du point de vue des ressources, relativement fort. Les densités moyennes des populations des systèmes d’exploitation agricole des zones à fort potentiel sont généralement plus élevées que celle des zones à faible potentiel; les infrastructures économiques et sociales y sont meilleures. Cependant, ces zones doivent faire face à un certain nombre de difficultés; en fait, de nombreux facteurs socioéconomiques et environnementaux entravent leur développement agricole, l’extrême fragmentation des exploitations peut aussi être un problème. De plus, contrairement à ce que l’on pourrait penser, une proportion importante des pauvres et des affamés vivent dans des zones à fort potentiel.

Dans les systèmes d’exploitation agricole des zones à faible potentiel dont les pluviométries sont faibles ou irrégulières et la fertilité des sols réduite, les possibilités de développement agricole sont limitées, aussi les agriculteurs cherchent-ils plus à minimiser les risques qu’à maximiser la production vivrière ou le profit. Les zones à faible potentiel ont souvent à faire face à des risques plus importants, particulièrement en ce qui concerne la distribution et le volume de l’eau disponible pour les besoins agricoles. D’autres désastres naturels, tels que les attaques de criquets, peuvent aussi causer de sérieux dégâts. Malheureusement, les possibilités pour les petits agriculteurs d’améliorer leurs moyens de subsistances par des emplois hors exploitation sont dans ces zones à faible potentiel beaucoup plus restreintes que dans les zones à fort potentiel, en raison du faible développement des marchés.

La réduction de la pauvreté dans les systèmes à faible potentiel de ressources dépend donc souvent des migrations saisonnières ou permanentes à la recherche d’un emploi comme ouvrier agricole dans les systèmes plus riches ou en zone urbaine. La nécessité de trouver des moyens de subsistance de remplacement est frappante: la sortie de l’agriculture contribue à près de la moitié du potentiel de réduction de la pauvreté et l’accroissement du revenu hors exploitation à environ un quart. Dans les deux cas, la migration saisonnière ou permanente devra souvent se faire sur de grandes distances, parfois au-delà des frontières nationales. Néanmoins, l’intensification, la diversification et l’accroissement de la taille des exploitations ou des troupeaux - particulièrement axés sur le développement de l’élevage ou de l’irrigation - contribuent ensemble à environ un tiers de la réduction de la pauvreté. Le tableau 8.4 montre les relations existant entre les stratégies d’amélioration des ménages et le potentiel des ressources.

Table 8.4 Importance relative des différentes stratégies de réduction de la pauvreté pour les systèmes d’exploitation agricole à fort et à faible potentiel

Caractéristiques

Fort potentiel

Faible potentiel

Intensification

1,9

0,9

Diversification

3,1

1,4

Augmentation de la taille des exploitations

1,2

0,9

Augmentation des revenus hors exploitation

2,5

2,4

Sortie de l’agriculture

1,2

4,4

Source:Avis d’experts.
Note: Le total des points pour chaque type de système d’exploitation agricole est de 10.

En revanche, pour les systèmes d’exploitation agricole des zones à fort potentiel, la réduction de la pauvreté dépend principalement de la diversification et des revenus hors exploitation, l’ensemble de ces deux facteurs contribuant pour près de 60 pour cent au potentiel d’amélioration. La contribution de l’intensification sera aussi importante, toutefois, elle peut, dans certains cas, être limitée par le morcellement des terres. Dans l’ensemble, les systèmes à fort potentiel représentent le principal espoir d’augmenter la production alimentaire, justifiant qu’une proportion importante des investissements ruraux soit destiné à augmenter la production vivrière globale.

INCIDENCE DE L’INTENSITÉ AGRICOLE ET DE L’ACCÈS AUX SERVICES

La gradation du niveau d’intensité de production existant dans les systèmes d’exploitation agricole, est étroitement associée à l’accès aux services d’appui à l’agriculture (voir tableau 8.5). Les systèmes à faible intensité - comprenant les systèmes d’exploitation agricole agro-pastoraux, pastoraux et dispersés - totalisent 350 millions de personnes; toutefois, leurs populations sont dispersées, le niveau d’utilisation des intrants est faible et ils dégagent peu de surplus commercialisables. Ces systèmes coïncident plus ou moins avec les zones à faible potentiel de ressources discutées ci-dessus.

Suivant les forces en présence, les systèmes d’exploitation agricole de moyenne intensité, ont évolué vers deux types distincts: le premier orienté vers la production alimentaire et le second, vers les marchés. Lorsque la pression démographique sur les ressources a été le facteur dominant, les systèmes se sont tournés vers la production vivrière intensive - tubercules, bananes plantains et céréales - souvent à l’intérieur d’un système mixte associant l’agriculture et l’élevage. Les systèmes de ce type couvrent plus de 2 000 millions d’ha et font vivre une population agricole d’environ 950 millions de personnes; ils incluent beaucoup de systèmes de grande pauvreté rurale. Le développement de ces systèmes passe, bien sûr, par un développement modéré de leur orientation vers les marchés en intensifiant l’utilisation d’intrants externes et en augmentant l’intensité culturale.

Table 8.5 Comparaison des systèmes d’exploitation agricole pour leur niveau d’intensification

Caractéristiques

Faible intensité

Intensité moyenne, orientée vers la production alimentaire

Intensité moyenne, orientée vers les marchés

Forte intensité

Nombre de systèmes

27

20

6

17

Population agricole (m)

350

950

100

1140

Surface cultivée/surface totale (%)

5

21

17

28

Surface irriguée/surface cultivée (%)

9

14

10

54

Population agricole/

1,0

2,1

1,0

4,8

surface cultivée (pers./ha)





Surplus commercialisables

faibles

moyens

importants

moyens

Source: Données FAO et avis d’experts.

Note: Surface cultivée se réfère à la fois aux cultures annuelles et pérennes. Deux systèmes n’ont pas été pris en compte dans cette classification.

Le nombre de systèmes du second type - intensité moyenne orientée vers le marché - est moins important; le développement de ces systèmes s’est fait principalement pour répondre à la demande de marchés immédiatement accessibles, soient locaux (généralement l’horticulture) ou internationaux (souvent fondés sur les cultures arboricoles et industrielles). Avec une population agricole de seulement 100 millions de personnes, ces systèmes sont moins importants pour leur potentiel de réduction de la pauvreté qu’en termes de gains à l’exportation.

A l’avenir, la sécurité alimentaire mondiale dépendra en grande partie des systèmes à forte intensité. Ces systèmes comprennent les systèmes irrigués et de riz aquatique (dont plus de 50 pour cent des terres cultivées sont irriguées), ainsi que les systèmes avec des ressources et des infrastructures relativement bonnes. En dépit d’une forte pression démographique (presque cinq personnes par ha cultivé) et de la petite taille des exploitations, ces systèmes sont très orientés vers les marchés; ils utilisent beaucoup d’intrants externes et d’irrigation, ce qui leur permet de générer un surplus pour la vente aux zones urbaines et aux marchés d’exportation.

Le tableau 8.6 montre l’importance relative des différentes stratégies. Les systèmes d’exploitation agricole à faible intensité ressemblent, du point de vue des sources de réduction de pauvreté, aux systèmes d’exploitation agricole des zones à bas potentiel (voir ci-dessus). Tandis que l’amélioration agricole (intensification, diversification et accroissement de la taille des exploitations) comptera pour environ 40 pour cent de la réduction de la pauvreté, les forces principales seront la sortie de l’agriculture et l’accroissement du revenu hors exploitation.

Table 8.6 Importance relative des différentes stratégies de réduction de la pauvreté par niveau d’intensité des systèmes d’exploitation agricole

Caractéristiques

Faible intensité

Intensité moyenne, orientée vers la production alimentaire

Intensité moyenne, orientée vers les marchés

Forte intensité

Intensification

1,2

1,7

2,7

1,6

Diversification

1,5

2,8

2,3

3,3

Augmentation de taille de l’exploitation

1,3

1,1

1,2

0,9

Augmentation des revenus hors exploitation

2,1

2,5

2,5

2,8

Sortie de l’agriculture

3,9

2,0

1,4

1,4

Source:Avis d’experts.
Note: Le total des points pour chaque type de systèmes d’exploitation agricole est de 10.

La réduction de la pauvreté dans les systèmes d’exploitation agricole de moyenne intensité dépendra presque à part égale des améliorations au niveau de l’exploitation et des moyens de subsistances de remplacement (accroissement du revenu hors exploitation et sortie de l’agriculture). Logiquement, la principale stratégie d’augmentation de la productivité de l’exploitation capable de réduire la pauvreté est la diversification vers des produits non vivriers. Les systèmes d’exploitation agricole à intensité commerciale moyenne ressemblent aux systèmes orientés vers la production alimentaire, sauf que les améliorations au niveau de l’exploitation contribueront pour environ 60 pour cent à la réduction de la pauvreté. Remarquons que l’intensification et la diversification joueront toutes deux un rôle important.

Les systèmes d’exploitation agricole à forte intensité ressemblent aux systèmes commerciaux, sauf que la diversification sera une stratégie relativement plus importante et l’intensification moins importante, probablement parce que des gains substantiels en intensification ont déjà été réalisés dans ces systèmes à forte intensité. La contribution des améliorations au niveau de l’exploitation à la réduction de la pauvreté sera d’environ 60 pour cent, le revenu hors exploitation devrait lui aussi jouer un rôle important dans cette réduction.

IMPORTANCE GLOBALE DES DIFFÉRENTES STRATÉGIES DE RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ

La description ci-dessus est inévitablement une simplification de la réalité, elle donne un aperçu sur les composantes de la stratégie mondiale les plus à même de réduire la pauvreté de n’importe quel type de système, et donc d’en déduire les approches - nationales ou internationales - qui justifieront le plus fortement les investissements. Les améliorations au niveau de l’exploitation seront globalement la principale source de réduction de la pauvreté et, particulièrement dans le cas des systèmes à plus fort potentiel, le principal moteur pour atteindre les objectifs de développement international de réduire de moitié la faim et la pauvreté. La diversification sera, parmi les stratégies d’amélioration au niveau de la exploitation, la principale source de réduction de la pauvreté; la contribution de l’intensification ne sera importante que dans un nombre plus restreint de systèmes. Néanmoins, intensification et diversification vont souvent de pair. Les revenus hors exploitation représenteront le principal moyen de subsistance de remplacement pour réduire la pauvreté, leurs contributions seront presque aussi importantes que celle de la diversification. Les paragraphes suivants examinent le rôle de chacune des cinq stratégies en ce qui concerne la réduction de la pauvreté.

Une intensification renforcée des modèles de productions pourra entraîner une réduction importante de la pauvreté dans quatre catégories de systèmes d’exploitation agricole (voir tableau 8.2). Elle sera la principale stratégie pour les systèmes d’exploitation agricole irrigués et dualistes. Elle sera moins importante pour les systèmes pluviaux humides et de riz aquatique, et peu importante pour les deux autres catégories de système. Comme on peut s’y attendre, elle sera d’importance moyenne pour les systèmes qui ont déjà un fort potentiel, mais, d’une façon surprenante, elle sera plus importante pour les systèmes d’exploitation agricole commerciaux de moyenne intensité que pour les systèmes d’exploitation agricole à base de cultures vivrières ou de faible intensité.

La diversification est considérée comme un moyen important de réduction de la pauvreté dans toutes les catégories de systèmes d’exploitation agricole. La diversification de l’exploitation accorde de plus en plus d’importance aux cultures de rente non traditionnelles - en particulier le maraîchage, les fruits, les épices et colorants, les produits de l’élevage et de l’aquaculture - spécialement ceux qui nécessitent beaucoup de main-d’oeuvre. De plus, la transformation et d’autres activités post récolte capables d’ajouter de la valeur aux produits sont des voies prometteuses pour l’avenir. Les systèmes d’exploitation agricole à forte intensité des zones à fort potentiel devraient être les mieux à même de réussir leur diversification.

L’accroissement de la taille des exploitations ne semble être une stratégie importante que pour les ménages pauvres des systèmes d’exploitation agricole pluviaux humides où la pression démographique sur les terres n’est pas très forte, et des systèmes d’exploitation agricole dualistes où le potentiel d’accroissement de la taille des exploitations est important. La plupart des autres catégories de système ont peu de possibilité, à court terme, d’étendre leurs zones agricoles; pour elles, l’accroissement de la taille se fera par fusion des exploitations. Néanmoins, la taille moyenne des exploitations des systèmes fortement intensifs de Asie de l’Est et, dans une certaine mesure, de ceux de l’Asie du Sud, a tellement diminué qu’un certain regroupement des terres peut devenir une nécessité pour la réussite des programmes d’intensification de la production. Il existe aussi des possibilités d’étendre les opérations agricoles des ménages urbains pauvres.

L’actuelle tendance à l’augmentation des revenus hors exploitation devrait continuer, particulièrement parmi les agriculteurs les plus pauvres. L’exploitation future de cette source de revenu est un facteur essentiel de la réduction de la pauvreté dans tous les systèmes; elle revêt une importance particulière dans les catégories des systèmes de hautes terres et des systèmes pluviaux des zones sèches ou froides. En raison de l’extrême division et du morcellement des terres dues à la pression démographique, les ressources en terres disponibles sont souvent trop faibles pour permettre aux agriculteurs d’adopter, d’une façon viable, les techniques agricoles modernes. L’ultime solution pour de nombreuses familles est de sortir de l’agriculture, de chercher un emploi de remplacement, entraînant souvent la migration vers les grandes zones urbaines ou l’installation sur des terres neuves (comme par exemple dans le système mixte extensif en Amérique latine ou dans le système mixte céréales-tubercules de l'Afrique de l'Ouest). Cette stratégie de sortie de l'agriculture est importante dans les zones où le potentiel est faible dans l’ensemble et où il existe peu de possibilités de compléter le revenu du ménage par un emploi local hors exploitation. Cette stratégie devrait devenir plus fréquente dans les catégories de systèmes d’exploitation agricoles pluviaux humides des hautes terres, des zones sèches ou froides et des systèmes mixtes à base de pêche artisanale côtière.

Bien que la sortie de l’agriculture soit plus fréquente dans les systèmes à faible intensité, les analyses régionales montrent que les autres stratégies des ménages dépendent peu du niveau d’intensité du système d’exploitation agricole. Intensification, diversification, accroissement de la taille des exploitations et revenu hors exploitation sont également importants dans les quatre niveaux d’intensification. Néanmoins, la diversification et l’accroissement du revenu hors exploitation devraient être généralement plus faciles à réaliser dans les systèmes à forte intensité, en raison d’un meilleur développement des marchés et des services, alors que l’accroissement de la taille des exploitations ne peut être réalisé que dans les systèmes à intensité plus faible[248].

Table 8.7 Principales initiatives régionales pour la réduction de la pauvreté

Afrique subsaharienne

Moyen-Orient et Afrique du Nord

Europe de l’Est et Asie centrale

Asie du Sud

Asie de l’Est et Pacifique

Amérique latine et Caraïbes

Gestion durable des ressources

Gestion durable des ressources

Amélioration de l’accès aux ressources

Amélioration de la gestion des ressources en eau

Accroissement de la compétitivité des petites exploitations

Gestion durable des ressources

Amélioration de l’accès aux ressources

Amélioration de la conduite de l’irrigation

Réorientation des services agricoles

Renforcement des groupes d’utilisateurs de ressources

Amélioration de l’accès aux ressources

Amélioration de l’accès aux ressources

Accroissement de la compétitivité des petites exploitations

Réorientation des services agricoles

Accroissement du développement des marchés

Réorientation des services agricoles

Amélioration des possibilités d’emplois hors exploitation

Accroissement de la compétitivité des petites exploitations

Réduction de la vulnérabilité des ménages

Amélioration des ressources humaines


Amélioration des infrastructures agricoles

Amélioration des ressources humaines


Réponse au SIDA

Rationalisation des politiques agricoles





Source: Initiatives stratégiques régionales présentées dans les chapitres 2 à 7.


[244] Un système d’exploitation agricole irrigué de la région Europe de l’Est et Asie centrale dont les exploitations agricoles sont relativement grandes est, dans le cadre de cette discussion, inclus dans la catégorie des systèmes dualistes.
[245] L’encadré 2.9 relate la mauvaise gestion de l’eau, les faibles niveaux d’intrants et de rendements du périmètre de Gezira. Certains des grands périmètres d’Europe de l’Est et d’Asie centrale, non viables, devraient voir leur taille réduite ou même être fermés.
[246] Le système d’exploitation agricole mixte côtier-plantation d’Amérique latine a été classé comme système dualiste.
[247] Jazairy et al 1992.
[248] On rappelle que l’accroissement de la taille des exploitations ne concerne que les petits agriculteurs. Des agriculteurs plus importants des systèmes plus intensifs pourraient agrandir leurs exploitations en achetant les terres des producteurs marginaux, cette possibilité ne concerne pas les petits agriculteurs.

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