FI:SCA/2001/6

 

CONSULTATION TECHNIQUE SUR LES CADRES JURIDIQUES ET LES INSTRUMENTS DE POLITIQUE ÉCONOMIQUE POUR L'AQUACULTURE COMMERCIALE DURABLE EN AFRIQUE AU SUD DU SAHARA

Arusha, Tanzanie, 4-7 décembre 2001

CADRE JURIDIQUE, RÉGLEMENTAIRE ET INSTITUTIONNEL POUR LA PROMOTION D'UNE AQUACULTURE COMMERCIALE DURABLE EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE

 


Table of Contents


 

RÉSUMÉ

Le présent document fait l'inventaire des éléments qui font la qualité d'une législation sur l'aquaculture. Il n'existe pas de modèle de législation idéale capable de favoriser l'apparition d'une activité aquacole commerciale durable. Une bonne législation en matière d'aquaculture doit porter sur de multiples facteurs et adopter des solutions choisies parmi un nombre limité de possibilités. Les textes législatifs régissant l'aquaculture dans un pays donné doivent donner à l'opérateur des droits assurés pour ce qui est de la conduite des opérations aquacoles, du lieu où l'exploitation piscicole est implantée, et de la disponibilité d'eau de qualité. Elle doit aussi établir une maîtrise de l'activité par un système de permis ou de licences qui servira de base pour assurer la durabilité environnementale de l'aquaculture, en contrôlant le caractère approprié des sites proposés pour les exploitations piscicoles et l'incidence potentielle de leur fonctionnement sur l'environnement. La législation ne doit exiger une étude d'impact sur l'environnement que lorsque les installations envisagées menacent de nuire gravement à celui-ci. La surveillance de l'environnement doit être étendue à l'utilisation d'espèces exotiques et de produits des biotechnologies, ainsi qu'aux problèmes de qualité de l'eau que peuvent engendrer les projets. Pour favoriser le développement d'une activité commerciale, le système doit être tel que les objectifs environnementaux puissent être atteints sans imposer des coûts inutiles aux pisciculteurs. Il est recommandé que les pays mettent en place une procédure unifiée pour délivrer les multiples autorisations qu'il faut habituellement réunir pour lancer une activité d'aquaculture, et procèdent à un filtrage initial des demandes de sorte que seules celles qui correspondent à des projets susceptibles de porter un préjudice significatif à l'environnement fassent l'objet d'une évaluation complète de leurs impacts. Les pays devraient aussi envisager de créer une agence indépendante chargée de promouvoir l'aquaculture et de suivre l'avancement de l'instruction des dossiers dans les différents services gouvernementaux


I. INTRODUCTION

1. Dans beaucoup de pays, l'aquaculture exerce un rôle déterminant dans l'économie nationale, la sécurité alimentaire et l'atténuation de la pauvreté. Ce rôle est susceptible de prendre un poids encore plus grand dans les années à venir en raison de l'accroissement constant de la population et de la demande croissante de vivres, y compris de poisson et de produits dérivés, qui en résulte.

2. Le Département des pêches de la FAO a lancé un programme visant à aider les pays en développement, en particulier ceux de l'Afrique subsaharienne, à élaborer et à mettre en _uvre des politiques favorisant l'apparition ou le développement d'une aquaculture commerciale durable. De nombreuses études ont été entreprises dans le cadre de ce programme. Certaines visent à réaliser une prospection systématique des conditions nécessaires au développement d'une activité aquacole commerciale durable, tandis que d'autres traitent des politiques de promotion de l'aquaculture commerciale, de la faisabilité économique de l'aquaculture commerciale, et des mécanismes des marchés et du commerce du poisson d'élevage en Afrique subsaharienne.

3. Un de ces études porte sur le cadre juridique, réglementaire et institutionnel nécessaire à la promotion de l'aquaculture commerciale durable, et en particulier sur les conditions de cet ordre qui sont nécessaires pour permettre à une aquaculture commerciale de se mettre en place dans les différents pays d'Afrique subsaharienne où les autres conditions autorisant le développement de cette activité sont réunies. L'objectif est d'aider les pays à se doter d'un ensemble de textes législatifs pour favoriser le développement de la pisciculture, tout en veillant à ce que les contrôles nécessaires pour préserver l'environnement soient en place. Bien que l'adoption d'un régime juridique réaliste ne soit en aucune manière une garantie que l'aquaculture commerciale verra le jour ou se développera, c'est là une première étape essentielle.

4. Le rapport tiré de cette étude propose cinq monographies portant sur Madagascar, le Malawi, le Mozambique, le Nigeria et la Zambie, et sur les différents régimes législatifs, institutionnels et réglementaires qui y régissent l'aquaculture. Pour chacun des pays, on a cherché à déterminer dans quelle mesure le cadre juridique contribue au développement d'une activité d'aquaculture commerciale durable, et à recommander les changements qui permettraient de donner une base juridique assurée à son développement futur.

5. Bien que les conclusions soient spécifiques à chaque pays, elles portent sur des points qui sont valables dans toute la région. Les monographies qui dressent le bilan de la législation aquacole sont basées sur les textes législatifs et réglementaires nationaux qui étaient disponibles à la FAO, à Rome, début 2001. S'agissant du Malawi et de la Zambie, ces documents ont été complétés par des informations obtenues dans le cadre de missions effectuées dans ces pays en février 2001. Le présent document a été élaboré à partir de cette étude.

II. QU'EST-CE QUE L'AQUACULTURE COMMERCIALE DURABLE?

6. Toutes les études réalisées dans le cadre du programme susmentionné se sont conformées à une définition commune de l'aquaculture commerciale durable. Par souci de commodité, les définitions sont récapitulées ci-après, et les aspects qui revêtent une importance particulière dans l'évaluation des textes législatifs et des dispositions réglementaires qui régissent l'aquaculture sont spécialement mis en évidence.

Quand l'aquaculture est-elle commerciale?

7. Le Comité des pêches continentales pour l'Afrique (CPCA) définit l'aquaculture commerciale comme étant l'élevage d'organismes aquatiques ayant pour objet de maximiser les profits, effectué principalement par le secteur privé, sans aide financière directe de donateurs ou de sources gouvernementales. Cette définition souligne bien que l'objectif premier de l'exploitation commerciale est d'élever du poisson pour en tirer le bénéfice maximum, contrairement à l'aquaculture rurale1, qui veut que la majeure partie de la production soit consommée par le producteur et son entourage immédiat. Toutefois une exploitation de pisciculture n'est pas classée comme commerciale du simple fait qu'elle permet de vendre du poisson. Les caractéristiques qui font qu'une exploitation est véritablement commerciale résident dans la présence manifeste d'une orientation commerciale et dans l'utilisation d'une main d'_uvre salariée, en lieu et place d'un recours exclusif à la main d'_uvre familiale. Ces facteurs sont porteurs d'un potentiel d'atténuation de la pauvreté et d'amélioration générale des conditions de vie.

8. Cette définition met en évidence les caractères principaux de la pisciculture commerciale, mais ne masque pas le fait que l'aquaculture s'inscrit dans le continuum qui va des activités de stricte subsistance à l'exploitation d'entreprises authentiquement commerciales. Une exploitation ayant commencé à des fins de subsistance peut déboucher, si les conditions s'y prêtent, sur une petite entreprise artisanale. De façon générale, les conditions juridiques qui favorisent le développement de petites entreprises commerciales sont identiques à celles qui favoriseront les entreprises moyennes et grandes qui font principalement l'objet de ce qui suit.

La nature de la durabilité

9. La notion de durabilité peut prendre deux sens différents dans le contexte de l'aquaculture africaine: durabilité financière et durabilité environnementale. La durabilité financière d'une exploitation aquacole signifie que celle-ci doit offrir la perspective de bénéfices concurrentiels et un niveau stable de rentabilité à long terme. Du point de vue de la loi et des institutions publiques, la durabilité financière de l'aquaculture est un aspect de sa nature commerciale. Les conditions juridiques qui peuvent favoriser en premier lieu l'apparition d'une aquaculture commerciale doivent se maintenir dans la durée pour que l'activité puisse porter ses fruits sur le plan financier dans le long terme.

10. La durabilité environnementale revient à ce que l'exploitation aquacole se fasse en respectant l'environnement. Il est par exemple admis que l'aquaculture doit être respectueuse de l'environnement et que le développement durable, d'un point de vue environnemental, suppose de respecter ce qui est le patrimoine des générations futures, de sorte que la contribution de l'aquaculture aux actifs qui leur seront transmis soit au moins égale aux actifs qu'elle crée pour les générations présentes. En ce sens il faut noter que l'aquaculture commerciale peut provoquer des dommages environnementaux qui se traduisent en coûts externes que doit supporter la société dans son ensemble. Aussi divers instruments, juridiques et autres, sont nécessaires pour limiter les risques ou pour éviter d'endommager les systèmes écologiques. Dans le présent document, le terme "durabilité" n'est employé que pour désigner la durabilité environnementale de l'aquaculture.

Le rapport entre l'aquaculture commerciale et l'aquaculture durable

11. En pratique, les deux facteurs que sont la viabilité commerciale et la durabilité environnementale sont inextricablement liés. La réglementation en matière d'environnement est un élément indispensable d'une bonne législation en matière d'aquaculture, mais si son application fait peser des coûts excessifs sur l'exploitant, l'aquaculture ne pourra être commerciale, ni au début, ni à plus long terme.

12. Ce danger ne peut être évité qu'en veillant à ce que la législation environnementale soit conçue pour atteindre précisément le but consistant à ce que les coûts totaux de l'entreprise aquacole, y compris ses coûts externes ou sociaux, ne dépassent pas les avantages qu'elle produit. Par ailleurs la législation environnementale doit être conçue et administrée de telle sorte qu'elle permette d'atteindre les objectifs environnementaux, tout en évitant d'imposer des coûts inutiles qui dissuaderaient d'entreprendre.

III. DÉFIS À RELEVER PAR LES PAYS D'AFRIQUE SUBSAHARIENNE

13. Le développement de l'aquaculture varie d'un continent à l'autre et le défi, en Afrique subsaharienne, est d'élaborer des approches du développement d'une aquaculture commerciale durable à la fois réalistes et réalisables dans le contexte social, économique, environnemental et politique actuel. La difficulté ne consiste pas simplement à favoriser la production aquacole, mais plutôt à créer une base ou un environnement qui facilite et appuie l'apparition et le développement d'une aquaculture commerciale durable.

14. Pour permettre une aquaculture commerciale durable, les gouvernements doivent, chacun pour leur part, avoir la volonté et la détermination d'orienter leurs politiques dans le sens d'un développement de l'aquaculture de ce type, et élaborer des programmes pour permettre à de telles politiques d'être efficacement exécutées, y compris dans et par les choix juridiques et institutionnels.

15. Ce faisant, les gouvernements doivent reconnaître dans l'aquaculture une activité économique spécifique, de préférence une entreprise ou une production de type agricole particulière, et examiner leurs structures juridiques et institutionnelles présentes pour s'assurer qu'elles répondent aux caractéristiques et aux besoins spécifiques de l'aquaculture.

16. L'une des principales difficultés dans cet examen, comme dans l'élaboration d'une législation, est qu'il n'existe pas de modèle tout fait de législation idéale en matière d'aquaculture capable d'encourager un développement à la fois commercial et durable. Une bonne législation doit traiter de différentes questions et adopter des solutions, dans un contexte social, économique et politique donné, à partir d'une gamme limitée d'options.

17. Chaque pays doit façonner son cadre juridique pour l'aquaculture à la lumière de son propre patrimoine juridique et des problèmes particuliers qui se posent à lui. Par exemple compte tenu des lois foncières en vigueur, il peut être problématique de garantir un droit assuré à la terre dans les pays où l'aquaculture continentale n'est pas considérée à parité avec les autres activités agricoles, ces dernières, étant perçues comme présentant une plus grande stabilité, bénéficiant d'un préjugé favorable. Un manque d'uniformité de ce type peut dissuader les opérateurs d'engager ou de développer une activité d'aquaculture. La reconnaissance dans la loi de l'analogie entre agriculture et aquaculture peut donc avoir un rôle fondamental.

18. Le fait que la législation aquacole s'inscrive dans le domaine juridique de l'environnement, des pêches ou tel autre domaine de la gestion de ressources naturelles n'est pas crucial à ce stade, où il s'agit de garantir que la loi induira le développement ou la naissance d'une aquaculture commerciale durable.

19. La loi traite le plus souvent séparément des aspects commerciaux et de la durabilité de l'aquaculture, mais les deux registres sont intrinsèquement liés. L'intégralité du cadre juridique de l'aquaculture doit "concilier les impératifs environnementaux et faciliter en même temps une activité aquacole efficace opérant dans l'intérêt commun de tous".

20. La protection de l'environnement est généralement prévue dans le cadre d'une législation distincte, qui ne se limite pas à l'aquaculture mais vaut pour de nombreuses formes d'utilisation des ressources. C'est ce qui a conduit plusieurs pays à imputer aux aquaculteurs des coûts significatifs, sinon excessifs, soit lorsqu'ils demandent les autorisations nécessaires pour entreprendre une activité aquacole, soit lorsqu'ils exploitent une entreprise d'aquaculture. Cet échec à concilier les deux aspects est par ailleurs source d'incertitude quand on envisage de créer une entreprise aquacole, car il est fréquent que l'on se trouve en présence de différents interlocuteurs pour obtenir la concession des autorisations et des droits voulus pour mener des activités d'aquaculture. En définitive, l'investissement commercial risque de trouver ce flou dissuasif.

21. La législation doit être appuyée par des institutions qui incarnent la spécificité de l'aquaculture et qui favorisent son développement responsable. L'application efficace des règles régissant l'activité aquacole est essentielle pour que le cadre juridique remplisse sa fonction en faveur du développement d'une aquaculture commerciale durable.

22. Il faut ici souligner qu'il ne suffit pas qu'un pays se contente, pour gouverner une aquaculture commerciale durable, d'adopter une législation propice. La législation doit être appliquée; il n'y a aucune alternative à des services d'inspection efficace et à un système de sanctions bien pensé. L'une des principales difficultés dans ce domaine est souvent de déterminer les modalités permettant d'établir un lien entre le processus de délivrance des autorisations et l'application efficace des règles relatives à l'exploitation au jour le jour d'un établissement d'aquaculture.

23. Mais rien ne remplacera non plus un service de vulgarisation efficace pour appuyer la création et le développement d'une aquaculture commerciale durable, ni une structure simple de participation des parties prenantes (individus et collectivités) à tous les niveaux décisionnels. Le défi pour les gouvernements est d'intégrer dans la législation aquacole des mécanismes permettant d'encourager et d'appuyer la participation de toutes les parties prenantes à la définition des objectifs de la loi, à l'identification des problèmes qui font obstacle à la réalisation de ces objectifs, à la définition des moyens permettant de surmonter ces problèmes et à l'adoption des dispositions institutionnelles, puis à la réunion des ressources nécessaires.

24. Ce choix d'un ou de plusieurs mécanismes dépendra certainement de l'environnement juridique et institutionnel, des processus décisionnels et de la capacité des groupes ou des organisations qui sont parties prenantes. Toutefois aucun de ces mécanismes ne doit être statique; ils doivent au contraire être flexibles et adaptables aux changements qui deviendront nécessaires avec le temps.

25. La législation aquacole sera d'autant plus stable et résiliante qu'elle sera légitime, et parce qu'elle sera reconnue pour légitime dans tous ses effets directs et indirects, elle sera d'autant plus facilement respectée.

IV. UN CADRE JURIDIQUE PROPICE

26. Dans la présente section sont d'abord présentées les dispositions juridiques nécessaires pour permettre à l'aquaculture commerciale de s'épanouir. Ensuite sont examinés les mesures de contrôle indispensables pour assurer la durabilité environnementale et le difficile problème qui consiste à faire en sorte que ces contrôles soient conçus de manière à ne pas dissuader les entrepreneurs de chercher à créer des entreprises commerciales rentables.

27. La législation doit au moins contenir des dispositions qui accordent à l'exploitant des droits suffisamment assurés à la terre et à l'eau nécessaires pour permettre de créer, de financer et d'exploiter un établissement piscicole dans le long terme. En outre, parce que selon la législation piscicole de la plupart des pays, le poisson n'appartient à personne jusqu'à ce qu'il soit pris, la législation doit établir que l'exploitant d'un établissement d'aquaculture jouit d'un droit exclusif sur les poissons qu'il élève dans les limites de son établissement. Tout bon régime d'aquaculture doit au minimum traiter des questions ci-après.

A. Un droit assuré au foncier

28. Le pisciculteur doit se voir garantir un droit officiel assuré sur les terres sur lesquelles son établissement est implanté, au titre soit d'un droit de propriété foncière, soit d'un contrat de bail ou d'un instrument juridique analogue. Il suffit d'accorder à l'exploitant un droit juridique suffisamment assuré pour lui permettre de financer son établissement de pisciculture, de le faire prospérer pendant une période prolongée et d'exclure les droits de tiers sur le bien foncier en cause. Lorsque les terres sur lesquelles les opérations doivent être menées sont propriété de l'État ou sont situées en zone côtière, ou sont placées sous un régime foncier traditionnel, ce point revêt une importance particulière, parce que l'État peut avoir prévu d'exercer des restrictions sur la quotité de terres pour lesquelles il peut légalement accorder des droits de propriété privée.

B. Un droit assuré à de l'eau de bonne qualité

29. Le pisciculteur doit aussi obtenir le droit à un approvisionnement approprié en eau de bonne qualité et la faculté de protéger cet approvisionnement contre les prétentions d'autrui en application des règles juridiques raisonnablement assurées.

30. Là où l'aquaculture se pratique en cages ou en zone côtière, le pisciculteur doit avoir un droit sur l'étendue d'eau dans laquelle l'exploitation se pratique. Dans le cas d'établissements piscicoles où l'approvisionnement en eau est entièrement situé sur la propriété du pisciculteur, il est dans la plupart des pays facile de satisfaire à cette condition, sous réserve que la source d'eau soit protégée d'une éventuelle pollution par autrui.

31. Lorsque l'établissement aquacole tire son approvisionnement en eau d'un fleuve ou d'un lac, la législation doit assurer au pisciculteur un droit assuré à l'eau.

32. Par ailleurs, chaque pays doit s'être doté d'une législation sur le droit à l'eau qui stipule des règles claires de répartition de l'eau en période de pénurie. En l'absence d'une législation moderne sur l'eau, la question de l'insuffisance de l'eau dans un fleuve pour satisfaire tous les utilisateurs est souvent résolue en appliquant une des multiples variantes de la doctrine des droits des riverains, qui pour l'essentiel répartit l'eau entre les propriétaires des terres riveraines du cours d'eau et interdit tout détournement important. Ces systèmes garantissent rarement aux exploitants aquacoles un droit assuré à une quantité spécifiée d'eau, et leur utilisation de l'eau peut dans bien des cas être contestée par les autres propriétaires riverains, ainsi que par d'autres utilisateurs en période de pénurie.

33. Outre qu'il doivent pouvoir bénéficier d'un approvisionnement en eau approprié en volume, les pisciculteurs doivent pouvoir protéger leur source d'approvisionnement en eau contre la pollution par les activités concurrentes. Dans la pratique, cela signifie que tous les pays doivent être dotés d'un appareil juridique approprié pour lutter contre la pollution de l'eau, les actions nécessaires pouvant être mises en _uvre à la demande du pisciculteur.

C. Éviter les couûts inutiles

34. La législation aquacole peut faire peser des coûts significatifs sur les demandeurs qui cherchent à acquérir les droits nécessaires sur le foncier et sur l'eau, et le droit d'exploiter un établissement, ainsi que pour faire respecter les règles de protection de l'environnement. Il faut reconnaître que la conformité aux dispositions réglementaires peut entraîner des coûts significatifs pour les exploitants et que l'élévation de ces coûts peut être dissuasive pour le développement de l'aquaculture commerciale. Il importe donc d'étudier les moyens de réduire au minimum les coûts et d'éliminer les coûts inutiles tout en veillant à ce que les buts de la législation environnementale soient atteints.

35. On peut y parvenir par exemple en mettant en place une procédure unifiée de délivrance des multiples autorisations qu'il faut habituellement réunir pour lancer une activité d'aquaculture et en procédant à un filtrage initial des demandes, de sorte que seules celles qui sont susceptibles de porter un préjudice significatif au milieu naturel fassent l'objet d'une une évaluation complète de leur impact sur l'environnement, et en créant une agence centralisée ayant pour fonction d'agir dans les intérêts de l'aquaculture au sein des pouvoirs publics, et de suivre le cheminement des demandes d'acquisition de droits et l'approbation des opérations par les autres services de l'appareil public.

36. Un observateur expérimenté a noté à cet égard que même lorsque le secteur aquacole du pays est très petit, la création d'un comité national ou d'une agence unique permet d'éviter nombre des problèmes qui résultent du fait que les politiques concernant l'aquaculture sont traditionnellement réparties entre plusieurs branches des services gouvernementaux.

D. Système de permis ou de licences

37. La première étape dans la mise en place d'un système de contrôle des effets de l'aquaculture sur l'environnement consiste à exiger de l'exploitant qu'il obtienne un permis ou une licence avant d'ouvrir un établissement ou d'exploiter une entreprise commerciale. Peu importe que ce document s'appelle permis ou licence. Ce qui compte, c'est qu'il permette d'exercer les deux fonctions de base décrites ci-après.

38. Le permis doit donner aux autorités publiques la base juridique voulue pour exercer leur contrôle sur toutes les activités aquacoles et pour superviser leurs incidences environnementales. Du point de vue du pisciculteur, le permis doit représenter un droit assuré d'exploiter un établissement d'aquaculture pour autant qu'il se conforme aux prescriptions liées à la délivrance de ce document, aux textes législatifs relatifs à l'environnement, et à tous les codes applicables de bonne pratique aquacole.

39. La législation devrait idéalement confier l'administration du système de permis à une agence spécialisée plutôt qu'à un individu, et devrait éviter de confier à cette agence des pouvoirs de décision discrétionnaires.

40. Le système de permis devrait prévoir au moins les points ci-après:

(i) Évaluation du site et de l'impact sur l'environnement

41. Vu que l'implantation d'un établissement piscicole dans un site inadapté peut être désastreuse, le caractère approprié du site est une question qui doit être spécifiquement examinée par l'agence avant la délivrance d'un permis. Cette décision, qui intervient dans le cadre d'une demande de permis, permet également aux pouvoirs publics d'intégrer l'implantation des établissements piscicoles dans les plans d'aménagement des zones côtières et des rives des lacs.

42. Pour s'épargner d'avoir à examiner de près chacune des demandes de permis, les décisions relatives aux sites d'implantation peuvent être prises d'office si certaines zones ont au préalable été désignées ou classées comme étant propres à l'aquaculture. Si tel est le cas, l'autorité compétente peut se concentrer sur les mérites de la demande individuelle, plutôt que d'avoir à s'assurer que le site visé convient à l'aquaculture.

43. Dans certains cas, le site prévu pour aménagement aux fins d'une activité aquacole doit faire l'objet d'une étude d'impact sur l'environnement, qui prendra en compte toutes les incidences du projet sur l'environnement. Il importe par conséquent de déterminer dans quels cas une étude d'impact est nécessaire et obligatoire.

44. Quand une demande de permis arrive, la décision initiale de soumettre le projet à une étude d'impact doit être prise. La législation doit énoncer des critères explicites permettant de déterminer dans quelles conditions un projet proposé doit donner lieu à une étude d'impact. Vu qu'une telle étude complète peut entraîner des coûts élevés pour l'auteur de la demande, elle ne doit être réalisée que pour les projets qui présentent de véritables risques de dommages à l'environnement.

45. Les critères permettant de déterminer si de tels risques existent devraient se concentrer sur des facteurs tels la taille du projet proposé, la capacité de charge maximale du site, la décharge de déchets dans des zones sensibles, l'introduction d'espèces exotiques ou d'organismes génétiquement modifiés, et les éventuelles menaces encourues par des espèces rares ou menacées.2

46. Lorsqu'une étude d'impact est nécessaire, l'autorité doit refléter les résultats de cette évaluation dans la décision qu'elle prend d'accorder ou non un permis, et à quelles conditions.

47. Lorsqu'une étude d'impact n'est pas jugée nécessaire, la décision d'accorder ou non un permis doit être prise en application de principes explicitement formulés. Cette décision ne doit pas être laissée à la discrétion d'un fonctionnaire agissant en sa capacité individuelle. L'une des caractéristiques fondamentales d'une bonne législation en matière d'aquaculture est qu'il est essentiel que les décisions particulières d'octroi ou de refus de permis soient prises en fonction des principes explicites de la politique de développement.

48. Un permis peut être refusé pour différentes raisons. Celles-ci peuvent notamment viser ce qui suit: prévenir un impact négatif de l'aménagement proposé sur une zone sensible du point de vue de la conservation, éviter une sur-concentration d'installations dans une localité au détriment d'autres pisciculteurs, éviter un impact inacceptable sur les usagers de l'eau concurrents, ou ne pas autoriser les projets qui dépassent la capacité de charge maximale du site.

(ii) Maîtrise de la qualité de l'eau

49. La demande de permis est l'occasion idéale de traiter de tous les problèmes de qualité de l'eau que peut provoquer le projet d'aquaculture. Beaucoup d'activités aquacoles continentales sont menées sous forme de systèmes raisonnablement fermés d'étangs et sont peu susceptibles de poser des problèmes sérieux de pollution des eaux du domaine public. Toutefois lorsqu'il existe un risque de décharge de l'établissement piscicole, ou lorsque l'élevage se fait en cages, en particulier dans les cours d'eau peu profonds ou dans des eaux confinées, les effets de l'activité proposée sur la qualité de l'eau doivent être précisément pesés.

50. Le permis d'aquaculture ou le permis accordé au titre de la législation sur la qualité de l'eau doit énoncer les conditions spécifiques de sauvegarde permanente de la qualité de l'eau. Toutefois le pisciculteur qui opère dans les limites du permis qui lui a été délivré et conformément à la législation sur la qualité de l'eau et à tous les codes applicables doit être à l'abri de toute réclamation concernant la pollution de l'eau.

(iii) Contrôle visant les espèces exotiques ou les organismes génétiquement modifiés

51. L'examen de la demande de permis est également l'occasion d'appliquer les politiques nationales visant l'introduction d'espèces non-indigènes ou d'espèces génétiquement modifiées, ainsi que les mouvements transfrontaliers d'animaux aquatiques. Dans le meilleur des cas, la législation en vigueur interdira l'introduction d'organismes exotiques ou génétiquement modifiés sans approbation, et le processus de délivrance du permis est une occasion de s'assurer de l'observation de cette politique. Lorsque l'utilisation de telles espèces est prévue et qu'elle prête à controverse, le processus d'approbation peut justifier de réaliser une étude d'impact sur l'environnement pour cet aspect de la demande.

(iii) Application et respect des codes de bonne pratique

52. Le processus de délivrance de permis est étroitement lié à la mise en application efficace des codes de bonne pratique applicables à l'aquaculture. Dans un contexte idéal, la législation, assortie de règlements plus détaillés, énonce les normes générales de conduite des activités d'aquaculture. Les permis doivent énoncer les modalités spécifiques au site ou à l'exploitation. Une bonne législation prévoit de sanctionner tout manquement aux règles et aux règlements qu'elle établit, ou aux permis délivrés, et stipule les pénalités applicables.

53. Bien souvent ce type de régime juridique est complété par des codes de bonne pratique ou des directives techniques qui ne sont normalement pas juridiquement contraignantes, mais qui ont vocation de guider la conduite des activités aquacoles. Ces codes peuvent trouver une grande efficacité dans certaines circonstances, par exemple lorsqu'ils sont exigibles en application d'accords commerciaux ou lorsqu'ils sont demandés par les acheteurs qui exigent des preuves de conformité pour conclure des marchés.

54. Les codes de bonne pratique et les directives techniques permettent aussi aux pouvoirs publics de traiter d'un problème qui se pose dans le monde entier mais qui occasionne des difficultés particulières aux pays en développement. En effet la limitation des budgets peut faire que l'autorité compétente en matière d'aquaculture n'ait pas les moyens suffisants pour faire prévaloir les normes appropriées dans les activités aquacoles.

55. Une méthode permettant de s'assurer que le respect des normes appropriées est exigé des pisciculteurs consiste à inclure dans le permis une clause de respect des directives techniques et des codes de conduite établis. Dans le meilleur des cas, cette clause devrait figurer dans la législation ou dans les règlements en vigueur, de sorte que les règles applicables soient disponibles et connues de tous. Cette clause peut également être prévue par le permis, rendant celui-ci conditionnel, en attendant que des textes législatifs plus détaillés soient promulgués.

56. Il est bien admis qu'il faut faire preuve de discernement et qu'il faut veiller à ce que les directives soient appropriées dans un pays donné, et tiennent compte de ses besoins de développement, mais le risque est réduit lorsque des directives spécifiques à différentes régions ont été élaborées. Une fois un tel système en place, quantité de ressources administratives peuvent être épargnées si les codes de conduite appropriés sont cités en référence dans les règles applicables aux opérateurs à titre individuel.

57. Il convient de souligner qu'il ne suffit pas qu'un pays se contente d'adopter un code de conduite pour gouverner la pratique des activités aquacoles. Si un code de conduite doit remplacer des directives techniques, il doit aussi avoir force obligatoire. Cela est réalisable en incorporant dans le code de conduite ou dans les directives techniques un renvoi à la loi, et en énonçant les sanctions applicables en cas d'infraction.

58. Vu que même un système réglementaire parfait reste inopérant s'il n'existe aucune assurance que ses dispositions seront observées, le problème du contrôle du respect des règles ne doit pas être oublié. Pour faire appliquer les textes, rien ne peut remplacer la mise en place d'un corps d'inspection approprié, jouissant de pouvoirs appropriés de vérification et appuyé par un système de sanctions bien pensé, mais la lourdeur de cette fonction administrative peut être allégée si elle est associée à un système de permis. Les conditions prescrites permettent d'établir quelles informations les titulaires de permis sont tenus d'enregistrer et de tenir à la disposition de l'autorité compétente.

V. RECOMMANDATIONS

59. Les pays d'Afrique subsaharienne doivent de temps à autres ajuster leur rôle, leurs attributions et leurs activités pour relever les défis que pose le changement dans le domaine du développement de l'aquaculture commerciale durable. L'accent doit parfois être déplacé, et les pays devraient s'efforcer de se doter d'un appareil juridique et institutionnel qui prenne bien en compte le caractère spécifique des questions que pose l'aquaculture, et qui favorise son développement responsable.

60. Cet ajustement de leurs responsabilités suppose soit de mettre en place un cadre juridique détaillé pour l'aquaculture, soit de réexaminer le cadre juridique existant et le cas échéant de l'adapter.

61. D'une manière comme de l'autre, il sera nécessaire de façonner la législation à la lumière de l'environnement juridique et institutionnel du pays et des problèmes particuliers qu'il rencontre. Ce processus d'enrichissement ou de révision de la législation doit être guidé par la double ambition de développer l'aquaculture commerciale durable et de protéger l'environnement.

62. Il est recommandé que les gouvernements de la région portent une attention accrue au développement de l'aquaculture commerciale durable et cherchent assidûment à renforcer le cadre juridique dans lequel doit s'inscrire ce développement, ainsi que leurs capacités institutionnelles, en tenant compte de leur patrimoine juridique et des suggestions exprimées dans le présent document, ainsi que dans le document FI: SA/2001/Inf.5.

63. La présente consultation appelle l'attention sur l'ensemble des questions qui touchent au développement d'une aquaculture commerciale durable. En ce qui concerne les aspects juridiques, les pays pourraient recommander des concours plus spécifiques et plus pragmatiques, poursuivant des objectifs clairs, et rechercher une coopération et un appui des organes internationaux, régionaux ou sous-régionaux. Cette assistance spécifique et pragmatique dans le domaine juridique pourrait prendre la forme de projets d'assistance technique ou de consultations communes sur les manières de traiter de questions précises. Cette dernière solution présente l'avantage de permettre de s'enrichir de l'expérience d'autrui.

VI. PROPOSITION D'ACTION

64. La consultation est invitée:

- à affiner les idées présentées dans le présent document et le cas échéant à y souscrire;
- à identifier des actions qui, sous les auspices de la FAO, pourraient contribuer aux cadres juridiques de l'aquaculture dans la région, par pays ou collectivement.

 


1 Souvent aussi dite aquaculture de subsistance, ou aquaculture artisanale.

2 Le processus de détermination de l'opportunité de réaliser une étude d'impact peut aussi bénéficier grandement de la définition de critères uniformes pour une région particulière. Il apparaît que l'adoption de critères communs pour les projets d'aquaculture est en cours d'examen dans la région de la SADC. Ce processus pourrait favoriser une approche commune des pays membres de la SADC et les dispenser d'élaborer individuellement leur propre cadre de critères pour les études d'impact.