Previous Page Table of Contents


Land information in Benin, between legal pluralism and dispersal of institutions

Despite the turning point reached for democracy in Benin between 1989 and 1991, the current situation is still in some respects one of transition, particularly relating to land policy - decentralization has still not been achieved, rural land legislation has not yet been voted and there is no urban land legislation. Land information is obviously adversely affected by this situation, in particular with relation to the taxation System, legal validation, land protection, regional planning and economic development. This article sets out the legal framework and the legal procedures relating to the production of land information in Benin. It then deals with the complex methods of knowledge, recognition and translation of rights in the rural (rural land plan) and urban (urban land register) environments, and concludes by considering the current issues, in particular those relating to political and administrative decentralization.

Información agraria en Bénin: entre el pluralismo jurídico y la dispersión de las instituciones

A pesar del punto de inflexión alcanzado por la democracia en Bénin en 1989–91, la situación actual es todavía, en algunos aspectos, la de una transición, en especial en materia de política agraria, ya que no se ha conseguido la descentralización, no se ha votado todavía la legislación territorial rural y no existe una legislación territorial urbana. La información agraria sufre necesariamente los efectos de esta situación, tanto a nivel del sistema tributario, como de la ratificación légal, de la protección territorial, de la planificación regional y del desarrollo económico. El presente artículo presenta primeramente el marco y los procedimientos jurídicos relativos a la producción de la información territorial en Bénin; se tratan enseguida los complejos métodos de conocimiento, reconocimiento y traducción de los derechos en los entornos rurales (plan territorial rural) y urbano (registro territorial urbano), y se concluye con las cuestiones actuales, especialmente las vinculadas a la descentralización política y administrativa.

L'information foncière au Bénin, entre pluralisme juridique et dispersion institutionnelle1

P.-Y. Le Meur
Pierre-Yves Le Meur, Anthropologue, GRET, chercheur associé à l'IRD, Unité de recherche «Régulations foncières,
politiques publiques, logiques d'acteurs»

Malgré le tournant démocratique qu'a connu le Bénin entre 1989 et 1991, la situation actuelle est encore, à certains égards, une situation de transition, en particulier en ce qui concerne la politique agraire: la décentralisation est encore inachevée, la loi foncière rurale n'a pas encore été votée, et il n'existe pas de loi foncière urbaine. L'information foncière subit forcément les conséquences de cette situation en particulier au niveau des procédures de fiscalité, validation légale, protection territoriale, planification régionale et développement économique. Le présent article présente tout d'abord le cadre et les formes juridiques relatifs à la production de l'information foncière au Bénin. Il aborde ensuite les modalités complexes de connaissance, reconnaissance et traduction des droits en milieu rural (plan foncier rural) et urbain (registre foncier urbain), et se termine par les enjeux actuels, particulièrement liés à la décentralisation politique et administrative.

Le Bénin a vécu dans les années 1989–1991 une transition démocratique pacifique et innovante d'un point de vue institutionnel (Bierschenk et de Sardan, 1998; Banégas, 2003), Malgré ce tournant démocratique, la situation actuelle est encore à certains égards une situation de transition, en particulier en ce qui concerne la politique foncière: la décentralisation n'a pas encore été achevée, la loi foncière rurale n'a pas encore été votée, et il n'existe point de loi foncière urbaine. L'information foncière subit nécessairement l'influence de ce contexte particulier. Pour l'heure, il existe de nombreuses lacunes, typiques de certaines procédures qui varient de par leur complexité, les acteurs impliqués et leurs objectifs (fiscalité, validation juridique, protection territoriale, planification régionale, développement économique).

L'information est de nature composite dans la mesure où toute documentation élaborée constitue un savoir foncier définitif qui se rapporte à des objectifs spécifiques. En outre, l'information foncière a aussi une double nature, entre bien commun et ressource stratégique. De plus, mis à part l'information écrite, ceux qui s'intéressent au système foncier ont développé une base de connaissances extrêmement incohérente, hétérogène, souvent pas très formalisée ou claire, et destinée à des fins pratiques (par exemple d'évaluation et de résolution de situations conflictuelles). Or ce savoir contextuel est essentiel dans la gouvernance quotidienne du domaine foncier.

Cet article présente dans la première section le cadre juridique et les formes juridiques de production de l'information foncière au Bénin. Il traite ensuite des modalités complexes de connaissance, reconnaissance et traduction des droits en milieu rural (plan foncier rural) et urbain (registre foncier urbain), et analyse enfin les enjeux actuels, liés en particulier à la décentralisation politique et administrative. Cette dernière est amenée à modifier profondément le paysage institutionnel, qui avec la commune, constitue l'échelon clef de la procédure, et deviendra le lieu principal de centralisation et, dans le meilleur des cas, elle sera chargée de l'organisation cohérente de l'information foncière. Toutefois, les communes ne disposent pas encore des moyens et des compétences nécessaires. Il faut définir quels sont les besoins en matière d'équipement et de formation. Il faut prendre en considération deux structures, l'une «verticale» avec l'administration territoriale, et l'autre, «horizontale», avec les communes voisines et les programmes de développement et de gestion des ressources naturelles. La gestion des espaces périurbains apparaît comme l'un des enjeux majeurs de la question foncière et de la décentralisation.

La question de l'information ne ressort pas du domaine de la mécanique des fluides; elle est de manière intrinsèque une affaire politique et économique, renvoyant à des logiques de pouvoir et de contrôle du savoir. Elle est aussi une affaire d'institution, au sens où les institutions codent de l'information et organisent socialement la mémoire et l'oubli, pour paraphraser Mary Douglas (1987: 69). Enfin, l'information foncière suppose pour sa production et son inscription dans le temps des dispositifs de traduction mobilisant un ensemble hétérogène d'acteurs, d'idées et d'objets2.

UN CADRE LÉGAL ENCORE LACUNAIRE

Origines coloniales

L'appareil légal régulant la propriété foncière au Bénin est, comme dans les autres pays ouest africains, essentiellement d'origine coloniale. Il est par ailleurs extrêmement réduit3. Les premiers décrets coloniaux de 1904 et 1906 promouvant titres fonciers et propriété individuelle n'eurent qu'un impact extrêmement marginal. Basés sur le principe des «terres vacantes et sans maîtres», ils faisaient de l'État le propriétaire de toute terre non immatriculée, à l'exception de celles formant «propriété collective des indigènes» ou «détenues par les chefs les représentant», qui ne pouvaient être vendues ou louées qu'après approbation du gouverneur.

Des modifications de détail (Décrets de 1925, 1932) sont apportées sans remettre en cause les prémisses des mesures initiales et, fait significatif, les grands coutumiers supposés recenser tous les droits existants ne seront jamais vraiment opérationnels (voir Colonie du Dahomey, 1933). Le Décret du 15 novembre 1935 voit la disparition de l'expression «terres vacantes et sans maîtres»: «Appartiennent à l'État les terres qui, ne faisant pas l'objet d'un titre régulier de propriété ou de jouissance […] sont inexploitées ou inoccupées depuis plus de dix ans.» Il faut toutefois attendre le Décret du 20 mai 1955 pour que la charge de la preuve passe du possesseur à l'acquéreur.

L'indépendance du Dahomey acquise en 1960 ne change pratiquement rien à ce dispositif et la Loi foncière № 65-25 du 17 août 1965 reprend le canevas colonial (en particulier le Décret du 26 juillet 1932 portant régime de la propriété foncière en Afrique occidentale française, AOF): l'État est propriétaire de la terre et les «droits coutumiers» sont plus postulés que clairement définis. La constitution - «Loi fondamentale» du 27 août 1977, élaborée pendant la période radicale du régime militaro-marxiste dirigé par Kérékou de 1972 à 1990, ne mentionne plus les droits coutumiers. Des droits fonciers individuels ou collectifs (dans le cadre de formes coopératives promues par l'État) sont mentionnés, mais l'État reste le propriétaire du sol.

La Loi № 61-26 du 10 août 1961 avait entre-temps précisé, dans une logique visant le développement, «qu'après l'étude d'une région, le président de la République pourra par décret, sur le rapport du Ministre de l'agriculture et de la coopération en décider l'aménagement et la mise en valeur compte tenu de la vocation des sols et des débouchés offerts». Les périmètres d'aménagement rural ainsi définis sont déclarés «périmètres d'utilité publique». Cette loi (qui remplaçait le Décret colonial du 25 novembre 1930 portant régime de l'expropriation pour cause d'utilité publique) a servi de support à des projets agro-industriels (prolongeant des programmes coloniaux des années 50) de promotion du palmier à huile, fondés sur des expropriations et redistributions foncières et une coopérativisation forcée qui, au-delà de leur échec économique, ont durablement transformé le paysage agraire du sud du pays (Le Meur, 1995). Ils constituent actuellement des zones d'ombre en matière foncière, exemple typique de production d'informel et d'incertitude par intervention de l'État.

À côté des zones touchées par les déclarations d'utilité publique qui se sont initialement conformées au cadre légal existant, les années 70 et 80 ont été marquées par la création de fermes d'État qui se sont faites en toute illégalité, sur la base d'expropriations et de redistributions à des clients du régime (le système bancaire étatique qui allait totalement s'effondrer en 1988–89 est ici fortement impliqué). Ces exploitations ont en général été des échecs financiers et les anciens propriétaires et d'autres personnes ont peu à peu repris pied sur ces espaces avec la démocratisation, sans que la situation foncière ait pour autant été clarifiée d'un point de vue juridique. Le Ministère de l'agriculture, de l'élevage et de la pêche (MAEP) mène actuellement, avec le soutien de la FAO, des actions sur les espaces non encore réappropriés, avec l'idée de les faire immatriculer comme éléments du domaine privé de l'État, pour les céder ensuite à de jeunes exploitants agricoles, selon une logique observée ailleurs de non-considération des aspirations et des espaces d'action des «jeunes» qui ne se retreignent pas au domaine rural, et encore moins à celui agricole (Chauveau, 2005).

Les réformes en cours

Depuis le tournant démocratique de 1989–1991, ce sont les atermoiements puis la mise en œuvre non complétée de la décentralisation qui ont constitué l'élément central du paysage législatif (Lois № 97-029, 98-005, 98-007, 986034 du 15 janvier 1999)4. La commune est devenue un échelon central de la gestion foncière. La sous-préfecture a disparu en tant que sous-division administrative et c'est le département qui est à présent la circonscription administrative, sans personnalité juridique ni autonomie financière, ce qui n'est pas le cas pour la commune. Les compétences foncières de la préfecture (délivrance de permis d'habiter, certificats administratifs) ont été transférées à la commune qui reprend aussi à son compte la mise en place du registre foncier urbain.

Le MAEP s'est engagé, en concertation avec le Ministère de la justice, de la législation et des droits de l'homme (MJLDH) et le Ministère des finances et de l'économie (MFE), dans un processus de réforme législative qui trouve en partie ses origines dans un projet de développement, le programme de gestion des ressources naturelles (PGRN), dont l'étude de faisabilité de la Banque mondiale en 1992 souligne que cela doit être l'une des missions5. La Déclaration de politique de développement rural (MAEP, 2001) affirme que «la sécurisation des investissements nécessite la mise en place d'un cadre législatif approprié qui donne aux acteurs la pleine confiance aux structures, tant de l'encadrement que de promotion des différentes activités». Le Plan stratégique opérationnel (PSO: 58) précise que«en ce qui concerne le foncier (agricole, forestier, pastoral et halieutique), l'objectif reste d'adapter le droit traditionnel aux contraintes modernes, en utilisant (et en conservant) son dynamisme et son adaptabilité». Le processus est passé entre février 1999 et septembre 2001 par des enquêtes de terrain, et des séminaires ont été organisés sur le foncier rural pour recueillir des informations sur les réalités socioéconomiques et les préoccupations des acteurs du développement rural (agriculteurs, éleveurs, pêcheurs, propriétaires ou détenteurs coutumiers de terres, associations de développement, chercheurs, ingénieurs, juristes et cadres concernés). Sur la base des conclusions des séminaires et des études thématiques relatives à la question, un Comité d'experts nationaux a élaboré un avant-projet de loi portant le régime foncier rural sous le contrôle d'un Comité interministériel de suivi créé par le même arrêté, et sous la supervision conjointe des Ministères du développement rural (devenu le MAEP), du MFE et du MJLDH. Le projet de loi portant régime foncier rural a été adopté le 16 mars 2005 en Conseil des ministres.

La loi prévoit en particulier l'institution pour chaque village d'un plan foncier rural (Art. 115) à la demande du chef de village après délibération du conseil de village (Art. 118). Il débouche sur l'établissement d'un certificat foncier qui est un «acte de constatation et de confirmation de droits fonciers établis selon la coutume ou les pratiques et normes locales (…)faisant foi jusqu'à preuve du contraire établie devant le juge» (Art. 121). Il est possible de procéder à l'immatriculation ultérieure d'un fonds de terre enregistré au plan foncier rural (Art. 130). Cette extension prévue par la future loi a été précédée d'une phase pilote dans le cadre du PGRN devenu PGTRN (T pour terroir).

Pour ce qui est de la production législative actuelle, un commentaire s'impose, assorti d'une hypothèse interprétative: on assiste depuis quelques années à l'émergence d'initiatives législatives émanant de différents ministères, sans toujours avoir été précédées de déclarations de politique publique ni avoir été coordonnées entre elles. Actuellement, certains remettent en cause le projet de loi foncière rurale sous prétexte qu'il n'y a pas de raison juridique de séparer le foncier rural, et qu'il faudrait par conséquent une loi foncière générale. Si le premier argument est juste, rien n'empêche de partir de l'existant (bientôt la loi foncière rurale) pour bâtir ensuite un cadre commun à l'ensemble du foncier (l'idée d'une loi urbaine est avancée depuis longtemps, sans effets concrets). L'environnement et l'aménagement du territoire sont également l'objet d'entreprises législatives et l'on peut se demander - c'est l'hypothèse annoncée - si la prolifération peu coordonnée de projets de loi n'exprime pas une évolution du dispositif du développement qui, tout en restant structurel dans l'économie politique du pays, tend à se concentrer sur les prérogatives régaliennes de l'État, en l'occurrence les domaines du législatif et de la décentralisation: en d'autres termes, la rente législative comme avatar de la rente du développement, phénomène qui renforce l'hétérogénéité de l'information foncière.

LES ACTES D'ENREGISTREMENT FONCIER: FRAGMENTS DE FICHIERS POTENTIELS

L'information foncière est disparate et fragmentaire. On doit distinguer différents types de données en fonction de leur mode de production. Les données primaires sont tout d'abord celles directement issues d'une procédure liées au dispositif d'administration foncière (textes législatifs, textes d'orientation et déclaration de politique nationale, titres fonciers, certificats administratifs, permis d'habiter, permis de construire, conventions de vente, cartes cadastrales, registres fiscaux, comptes rendus, actes, éléments écrits relatifs aux conflits fonciers). D'autres données primaires sont produites hors administration foncière formelle («petits papiers» et actes informels divers visant à valider au moins localement une transaction foncière), lettres de revendication et plaintes dans le cadre des conflits fonciers. Les données secondaires sont également de natures diverses. Elles partagent le fait d'avoir fait l'objet d'un traitement à partir d'informations primaires: bases de données statistiques, représentations cartographiques, information GPS, système d'information géographique (SIG), procédures complexes de production et de gestion de l'information foncière - registre foncier urbain (RFU), plan foncier rural (PFR) -, enquêtes et états des lieux divers, résultats d'enquêtes qualitatives et quantitatives incluant les études réalisées dans le cadre de projets de développement, textes scientifiques sur le foncier, textes et récits locaux relatifs au foncier, à l'histoire du peuplement, aux autorités traditionnelles.

Les actes légaux et para-légaux sont divers. Ils sont produits et stockés par des institutions elles-mêmes diversifiées et il n'existe pas - ou presque pas - de mise en cohérence ou en relation de cette information foncière dispersée. L'information foncière légale est reliée à l'information foncière géographique (photographique et cartographique) qui en constitue une base objective et un élément de preuve. Toutefois le lien entre les actes juridiques et les supports topographiques est variable. Ainsi, les conventions de vente validées par les autorités territoriales ne sont jamais accompagnées d'un plan parcellaire qui permette de localiser le fonds de terre de manière non ambiguë.

Le titre foncier est le seul document juridique conférant la pleine propriété privée d'un fonds de terre (et donc en principe la possibilité de vendre légalement un terrain). Les terrains non titrés constituent donc le domaine privé (au moins potentiel) de l'État, ce qui donne d'une certaine manière une base légale aux expropriations pour la création de fermes d'État sous le régime du PRPB (voir toutefois aussi la loi fondamentale de 1977 dont l'Article 28 permet à l'État de réquisitionner des terres urbaines et rurales sans indemnisation automatique).

La délivrance de titres fonciers est restée une pratique extrêmement marginale au Bénin, sans grand changement depuis la période coloniale. Seulement 1980 titres avaient été émis en 1906 et 1967 dans tout le pays et, J. Comby qui cite ce chiffre (1998: 11–12), estime qu'en 1998, il existait moins de 10 000 titres fonciers dans l'ensemble du pays (pour Rochegude, 2000: 13, guère plus de 5 000), dont 60 pour cent à Cotonou et 20 pour cent à Porto-Novo et plus de 10 pour cent à Abomey-Calavi, ville qui est devenue une banlieue de Cotonou à l'expansion galopante et peu contrôlée. Ainsi, 4 pour cent des ménages dans l'agglomération de Cotonou et moins de 1 pour cent dans le reste du pays posséderaient un titre foncier. Selon la Direction de l'urbanisme et de l'aménagement (DUA) du Ministère de l'environnement, de l'habitat et de l'urbanisme (MEHU), à peine 10 pour cent des terrains urbains disposeraient actuellement d'un titre foncier (Mako Imorou, 2004). Dans tous les cas, il faut remarquer que les zones urbaines sont à peine mieux dotées que les zones rurales en la matière.

La conservation des titres fonciers est totalement centralisée à la Direction des domaines. J. Comby en soulignait en 1998 les dysfonctionnements: mauvais état physique des documents, manque de rigueur dans la tenue des livres, non localisation des plans des terrains adjoints au dossier (du fait de l'absence de cadastre). Ces dysfonctionnements sont des facteurs d'incertitudes et d'affaiblissement de la sécurité juridique «réelle» du titre foncier qui est constaté par différents services comme la DUA (MEHU) qui évoque l'absence de titres de propriété fiables et inattaquables.

Enfin, la mise à jour des mutations et transactions n'est pas automatisée, elle se fait très lentement, et probablement de manière lacunaire, sur la base de tournées de terrain des agents des impôts. Ce dernier constat montre aussi que le dispositif institutionnel ne facilite pas les choses avec une direction du cadastre logée à l'Institut géographique national (IGN), et donc rattachée au MEHU, alors que la Direction des domaines se trouve logiquement au MFE.

Le sanctuaire de la propriété privée que le livre foncier est supposé incarner présente donc des brèches, en particulier en terme de collaboration et de circulation de l'information entre les administrations concernées.

Permis d'habiter: entre valorisation informelle et transformation en titres

Le permis d'habiter, régi par la Loi №60-20 du 13 juillet 1960 et le Décret no 64–276 du 2 décembre 1964, est un droit personnel (non transmissible), précaire et révocable, permettant au bénéficiaire d'occuper un terrain en zone urbaine et appartenant à l'État. Cela implique une immatriculation préalable au nom de l'État. Contrairement au titre foncier, le permis d'habiter suppose une occupation permanente et une parcelle inoccupée pendant six mois peut être reprise sans indemnisation par l'adminis tration.

On observe que, dans la pratique, le permis d'habiter est devenu un pseudo titre de propriété, un «titre foncier au rabais» (Comby 1998: 13), certains détenteurs ne faisant sans doute pas la différence entre les deux. Tout d'abord, ne pouvant être hypothéqué (car ce n'est pas un titre de propriété), il peut toutefois être mis en gage, ce qui dans la pratique revient au même. Ensuite, on accorde des permis d'habiter sur des espaces (de facto des terrains coutumiers) qui ont fait l'objet d'un simple morcellement, sans lotissement formel avec immatriculation foncière au nom de l'État. Troisième point: alors que le permis d'habiter n'est théoriquement pas cessible, les terrains concernés par ces permis font l'objet d'un marché actif reconnu par l'administration qui, sur le mode de la «coutume administrative», contribue à une informalisation du jeu foncier (ils sont aussi fréquemment l'objet de ventes multiples). Enfin, l'archivage des permis d'habiter est lui-même très déficient, s'apparentant à une «conservation foncière de fortune» sur cahiers ou même feuilles volantes. Il est impossible d'avoir une idée du nombre de permis d'habiter délivrés dans le pays dans la mesure où une large partie est délivrée hors zones loties immatriculées au nom de l'État.

Selon le traité de l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA), seul le titre foncier permet d'accéder au crédit. Or la procédure de délivrance d'un titre est très longue et coûteuse (l'objectif étant de faire passer les frais d'immatriculation d'environ 500 000 à 100 000 FCFA). Le Gouvernement béninois a lancé en 2003 un projet pilote visant à préparer une réforme de la propriété foncière (réforme de la Loi № 65-25) visant à élargir l'accès à la propriété privée en organisant une conversion massive des permis d'habiter en titres fonciers grâce à une procédure d'immatriculation simplifiée et moins onéreuse (Mako Imorou, 2004). L'approche se situe à un niveau supérieur à celui de la parcelle et passe par la constitution d'une Association d'intérêts fonciers (AIF) qui regroupe tous les propriétaires de parcelles situées dans un périmètre donné et qui acceptent de mettre en commun leurs biens immeubles dans le cadre d'une procédure groupée de régularisation juridique (immatriculation du périmètre de l'AIF). C'est l'autorité locale qui définit les limites du périmètre à traiter, tandis que la Commission locale d'immatriculation est chargée de vérifier et de valider, par enquête publique îlot par îlot (réalisée par des géomètres privés et par l'IGN), les limites des parcelles concernées, l'identité des candidats à la propriété foncière et l'existence éventuelle de permis d'habiter relatifs à ces parcelles.

À l'expérience pilote (1 483 conversions de PH en TF, réduction de 1 an à 6 mois du délai de conversion) doit succéder le programme «Sécurisation foncière et résidentielle» piloté par le MEHU (DUA) et qui prévoit la délivrance de 10 000 TF en 2005, 15 000 en 2006 et 20 000 en 2007, la constitution d'un cadastre pour 10 communes et l'actualisation de la législation foncière et son application par le biais de la réforme du système foncier. La transformation des permis d'habiter en titres fonciers renvoie à des enjeux de sécurisation foncière, qui supposent des procédures améliorées de maintenance de la conservation foncière, mais aussi à des enjeux fiscaux qui constituent le fondement principal du Registre foncier urbain (voir infra).

Les lotissements: marchandisation foncièere et urbanisation informelle

Les procédures de lotissements constituent théoriquement des modalités de conversion de terres «coutumières» (par défaut) en terres à la fois immatriculées et aménagées (Décret № 635 du 20 mai 1955, Arrêté du 22 octobre 1996). Dans les faits, les lotissements s'apparentent souvent bien plus à de simples morcellements sans aménagement ni réservation d'emprise foncière pour une viabilisation ultérieure. Ils interviennent très fréquemment comme procédure de régularisation a posteriori d'un processus d'urbanisation commencé par le jeu des interactions marchandes entre acteurs privés. On distingue les morcellements de terrains coutumiers et les lotissements de remembrement; le premier, qui ne permet à l'acquéreur d'obtenir qu'un certificat de vente, apparaissant comme une étape préalable au second qui constitue la forme de «lotissement» la plus fréquente, à l'issue de laquelle l'ayant droit reçoit une simple «attestation de recasement» avec indication du nouveau terrain attribué dans le lotissement.

Avec la décentralisation, le lotissement devient prérogative des communes et un enjeu central de mobilisation de ressources locales dans l'économie politique communale. C'est un instrument très puissant de conversion (ou de la régularisation de la conversion) d'espaces ruraux «coutumiers» en espaces urbains «immatriculés», producteur de «morceaux de ville» (Aboudou et al., 2003) et contribuant fortement à la marchandisation du foncier. Les études de cas réalisées à Parakou (Aboudou et al, 2003; Akobi, 2003) montrent bien à quel point ces procédures sont entachées d'irrégularités et sont souvent réalisées dans une grande opacité. En ce sens, elles ne se contentent pas de «régulariser» des processus d'urbanisation, elles les transforment, allant plutôt dans le sens des rapports de force existants et générant des conflits multiples dont les principaux types sont les suivants: problème de délimitation des propriétés et d'identification des ayants droit (et aussi conflits entre héritiers), erreur d'immatriculation des parcelles dans l'étape d'état des lieux, attributions illégales, taxations indues, manipulations diverses (par les notaires, les géomètres, les services administratifs) qui peuvent profiter de la méconnaissance des populations vis-à-vis des procédures légales (Aboudou et al., 2003: 29–37).

La question de l'information foncière se pose ici à deux niveaux:

Certificat de vente: formel ou informel?

Ce sont des actes effectués sous seing privé qui sont encore basés sur le décret colonial du 2 mai 1906 dans la mesure où la loi de 1965, enfermée dans une logique domaniale quelque peu autiste, ne prévoit pas de vente de droits pour des terrains ne disposant pas de titre foncier6. On retrouve ici encore un nouvel élément d'informalisation des relations foncières par les «coutumes administratives».

Le formulaire officiel se limite aux informations minimales: identité de l'acheteur et du vendeur («présumé propriétaire»), témoins, description sommaire (surface, forme) et éléments de situation de la parcelle, prix de vente. La localisation précise sur un plan est impossible et l'origine des droits du vendeur absente, ce qui ouvre la porte à toutes les remises en causes et à des conflits nombreux et difficilement solubles qui peuvent concerner les limites, la situation de la parcelle, l'identité du propriétaire et la réalité de l'achat. À cet égard, les lotissements constituent des événements pivots dans le déclenchement (ou la réémergence) de conflits.

Avant la décentralisation, le document pouvait être officialisé par la préfecture, la sous-préfecture ou la circonscription urbaine. Ce cachet administratif ne donne pas de force légale à l'acte, l'administration n'en garantissant en aucun cas le contenu (Hernandez et Tribillon 1994: 9). Au sens juridique, la convention de vente n'a pas de base foncière. Malgré tout, la signature d'un sous-préfet appuie une présomption de droit et constituera une ressource argumentative en cas de conflit. Elle est de plus nécessaire pour l'acquéreur s'il veut ensuite se lancer dans une entreprise d'immatriculation foncière (par le biais de l'acte ou certificat administratif, délivré par la préfecture - à présent par le maire - et initialement conçu comme outil de constatation de la propriété originelle coutumière d'un terrain (Hernandez et Tribillon 1994: 9).

L'archivage de cette documentation foncière est problématique. Avec la décentralisation, la délivrance et le stockage des conventions de vente (cela vaut aussi pour les permis d'habiter et les certificats administratifs) sont théoriquement passés à la mairie mais les conditions d'archivage sont encore précaires et le transfert n'a pas systématiquement été fait.

«Formalisation informelle»: les usages de l'écrit

Les paragraphes qui précèdent ont montré à la fois l'importance des phénomènes de marchandisation des relations foncières et les tendances à l'informalisation de procédures formelles. Or, à côté des actes de vente et des certificats administratifs, on observe une floraison de «petits papiers» dont l'importance a été mise en évidence dans de nombreux pays d'Afrique de l'Ouest (Lavigne Delville et Mathieu, 1999) sans qu'on ait encore une idée même approximative de leur poids relatif dans les transactions foncières.

Au Bénin, les pratiques populaires d'usage de l'écrit sont particulièrement répandues dans le sud du pays, en liaison avec une marchandisation ancienne des transactions foncières. H. Edja (2000: 87; voir aussi Mongo, 2000) montre que la fréquence des «petits papiers» et contrats écrits est variable selon le type de transaction: ils sont nombreux et anciens concernant les mises en gage et les ventes de terre, émergents pour les locations et les «contrats palmiers», absents dans les cas de métayage et de prêts de terre. Les interventions foncières dans le cadre du PGRN/PGTRN favorisent l'usage de l'écrit et constituent une étape vers une éventuelle formalisation (dépendant du vote de la loi foncière rurale). Enfin, les usages informels de l'écrit prennent aussi la forme de chartes ou conventions locales visant à réglementer par exemple la relation entre autochtones et migrants au centre du pays (Edja, 1999; Le Meu, 2002).

On retrouve donc, à un degré de formalité encore inférieur à celui décrit dans la section précédente, et selon une modalité en quelque sorte inverse, une logique de formalisation de l'informel - ou plutôt, de «formalisation informelle» - lorsque des transactions privées sont contresignées par des autorités publiques, le chef de village ou le maire. Ce sceau augmente leur force sans pour autant leur donner de validité juridique.

CHAÎNES DE TRADUCTION DU SAVOIR FONCIER

Parmi les formes recensées d'information foncière, certaines résultent de procédures complexes et finalisées. Il est important d'en analyser les modalités de production, modalités à la fois opérationnelles et conceptuelles. La différence de composition des chaînes de traduction, des configurations d'intéressement, d'alliance et de mobilisation (Callon, 1986) sur lesquelles elles reposent expliquent les divergences dans les résultats et les effets. Elles induisent en particulier de nouvelles formes de production de la distinction entre rural et urbain, là encore bien plus ancrées dans l'économie politique que dans le juridique ou dans des préoccupations d'aménagement du territoire qui amèneraient sans doute à repenser - au moins à expliciter - la relation, alors même que la question de la gestion des espaces périurbains est vécue comme très sensible par les acteurs concernés. Le thème de l'aménagement du territoire émerge toutefois actuellement, avec la Déclaration de politique nationale d'aménagement du territoire (DEPONAT) de novembre 2002 (MEHU, 2002) et la création de la Délégation à l'aménagement du territoire qui succède à la Direction du même nom tout en s'affranchissant de la tutelle du MEHU. C'est un établissement public supervisé par un conseil interministériel comprenant aussi des représentants des communes et de l'administration territoriale.

Registre foncier urbain

Le Registre foncier urbain est un outil de gestion urbaine visant trois objectifs: i) fiscal, d'accroissement des ressources fiscales locales; ii) foncier, d'amélioration de la connaissance du patrimoine foncier et immobilier; et iii) aménagiste, de production et de gestion des données nécessaires à l'amélioration des infrastructures urbaines. Dans les faits, c'est l'objectif fiscal qui constitue le moteur de l'entreprise et les résultats ont effectivement été notables dans les villes où il a été mis en place. C'est d'ailleurs la complexité et la faible rentabilité de la fiscalité locale qui ont motivé à l'origine les premières expérimentations du RFU (démarrage en 1990 à Parakou) dans un contexte de décentralisation annoncée.

D'un point de vue technique, le RFU est un système d'informations foncières7 basé sur un «plan de repérage adressé» servant de structure à des fichiers thématiques attribuant à chaque parcelle les renseignements nécessaires au développement d'applications sur une couche de données ou sur un ensemble de couches (PDM 2000, PDM-SERHAU SEM, 2000). C'est la collectivité territoriale bénéficiaire (à présent la commune) qui a la maîtrise d'ouvrage et la délègue à une structure opérationnelle, la SERHAU SEM (devenue SERHAU SA). Du personnel temporaire de niveau BEPC est recruté pour les enquêtes foncières et fiscales ainsi que des géomètres privés pour l'adressage (positionnement de la parcelle avec coordonnées géographiques). Les photographies aériennes sont réalisées par des sociétés étrangères. Le financement est essentiellement extérieur (FED, FENU et AFD, DANIDA, etc.).

L'analyse des enquêtes foncières du RFU montre que la définition très technique de la procédure évacue la question centrale de la nature des données foncières utilisées et leur mode de «capture empirique». On apprend au détour d'un paragraphe que «la méthode d'enquête consiste à collecter les informations en posant très peu de questions aux occupants des parcelles» (PDM-SERHAU SEM 2000: 24). C'est d'ailleurs tout ce que l'on apprend sur le déroulement des enquêtes en lisant les brochures décrivant le RFU. De fait, deux questions sont au cœur de la procédure RFU sans avoir été pour autant l'objet de discussions très approfondies:

La réponse à ces questions passe nécessairement par une exploration de la procédure intrinsèquement complémentaire au RFU que constitue le PFR. À noter que cette complémentarité n'a pas été pensée comme telle dans les phases de genèse et de lancement des RFU et des PFR au début des années 90. Elle semble émerger, extrêmement progressivement il est vrai, du constat de bon sens de la collision permanente de l'urbain et du rural, collision productrice de l'enjeu flou que constitue le «périurbain».

Plan foncier rural

Le Plan foncier rural peut être défini comme une forme simplifiée de cadastre coutumier (Hounkpodoté, 2000; Edja et Le Meur, 2004). Il a été initié en Côte d'Ivoire vers la fin des années 80 et importé au Bénin sous une forme légèrement amendée. Il apparaît comme une solution alternative visant à combler un vide juridique (le cadre légal extrêmement lacunaire hérité de la colonisation) et à sécuriser les droits fonciers. Les opérations foncières autorisées par l'Arrêté interministériel du 11 janvier 1994 dans le cadre du PGRN doivent «favoriser la sécurisation des droits fonciers en milieu rural, l'utilisation rationnelle et durable du capital terre et l'émergence d'une législation foncière». L'objectif central explicitement retenu est donc celui du recueil et de l'enregistrement des droits coutumiers dans le cadre d'une opération pilote devant à terme être étendue à l'ensemble du territoire national (et -troisième finalité restée marginale - visant à informer les politiques publiques en matière d'aménagement rural et de développement agricole). Cette technologie institutionnelle combine topo-cartographie et enquêtes foncières dans une optique «participative» d'enregistrement contradictoire et public des droits coutumiers existants et reconnus localement.

L'information foncière produite par le PFR est de plusieurs ordres, cette pluralité renvoyant à la nature de l'opération, qui est à la fois procédure de connaissance et de reconnaissance des droits.

D'une part, les diagnostics fonciers et les lexiques (d'éventuels recueils de normes locales comme cela a été proposé [Le Meur, 2005]) produisent une documentation foncière à caractère qualitatif sur les enjeux fonciers, les modalités d'accès à la terre, les ayants droit et autorités concernées dans une localité donnée. D'autre part, les produits finaux de l'enquête sont un listing d'ayants droit et un plan parcellaire qui vont servir de base à l'émission d'un certificat foncier dont le projet de loi foncière rurale prévoit qu'il aura validité juridique «jusqu'à preuve du contraire» devant les tribunaux et qu'il pourra servir de base au lancement d'une procédure d'immatriculation foncière.

La situation actuelle concernant le PFR est transitoire. Le projet de loi (approuvé le 16 mars 2005 en Conseil des ministres) doit passer prochainement devant les députés, et c'est l'inscription de la procédure dans un cadre législatif qui lui donnera sa validité et permettra son extension à l'ensemble du territoire. En même temps, le passage de l'opération pilote à une couverture nationale ne va pas de soi; il ne s'agit pas d'un simple changement d'échelle car il suppose la mise en place d'un dispositif institutionnel particulier, une série d'améliorations techniques et la construction d'alliances permettant sa mise en œuvre concrète (ne serait-ce qu'à l'assemblée, puis en direction des élus communaux, des tribunaux, etc.).

Enfin, on note que la procédure PFR longtemps défendue par l'AFD et le service des opérations foncières du PGTRN est en train de se diffuser dans des cercles plus larges, en particulier vers des projets forestiers comme le PGFTR et le PAMF. L'un des points critiques de cette diffusion réside dans la bonne articulation avec les autorités décentralisées (la commune) qui sont responsables de la décision de procéder à un PFR au niveau villageois.

CONCLUSION: DÉCENTRALISATION, SAVOIR FONCIER ET POLARITÉ RURAL/URBAIN

La production de l'information foncière n'est pas indépendante des institutions qui l'abritent et des enjeux et objectifs auxquels elle est supposée répondre. Le schéma linéaire allant de la production de l'information à la prise de décision, puis à son évaluation ne correspond pas à une réalité beaucoup plus diffuse, fragmentée, négociée. Pour commencer, la décentralisation politique est amenée à modifier profondément le paysage institutionnel. La commune, échelon clef de la décentralisation, devient le lieu principal de centralisation et - dans le meilleur des cas - de mise en cohérence de l'information foncière. Quatre questions structurent cet enjeu majeur: i) le transfert des compétences de la préfecture en matière de délivrance d'actes administratifs dans le domaine foncier; ii) l'archivage et la gestion de cette documentation foncière, affaire de stockage à la fois physique et informatique; iii) la gestion des procédures de lotissement; et iv) l'articulation entre le foncier rural et le foncier urbain et l'harmonisation des procédures de production et de gestion de l'information foncière (RFU et PFR). La gestion de l'information foncière se fera dans les communes, alors que celles-ci ne disposent pas encore des moyens et des compétences nécessaires. Il faut donc mener un travail de réflexion sur les besoins et d'appui en matière d'équipement et de formation. Deux articulations doivent être prises en considération: la première, «verticale» avec l'administration territoriale (préfecture) et la deuxième, «horizontale», avec les communes voisines (intercommunalité) et les programmes de développement et de gestion des ressources naturelles. Une troisième articulation naîtra de l'achèvement de la décentralisation avec les élections locales (niveau village et arrondissement).

Pour terminer, au-delà de l'information foncière matérialisée par des traces écrites (certificats et actes de tous ordres), les acteurs impliqués dans le jeu foncier ont développé un savoir extrêmement inégal, hétérogène, souvent peu formalisé ou explicité, orienté vers des fins pratiques (par exemple d'appréciation et de résolution de situations conflictuelles). Ce savoir contextuel est essentiel dans la gouvernance quotidienne du champ foncier, permettant d'interpréter des situations ou des revendications. Or, la continuité de ce savoir, la mémoire des institutions, n'est souvent pas assurée, en raison du fonctionnement de l'administration (instabilité du personnel, contrôle à des fins privées de l'information foncière, manque de moyens de conservation de l'information par l'administration foncière et la justice8) et d'une difficulté à l'intégrer dans des schémas formels de planification.

Enfin, la littérature sur le développement met souvent en avant les phénomènes d'exode rural et d'urbanisation comme représentant une tendance lourde partout dans le tiers monde. En réalité, ces processus sont composites et non linéaires. Ce sont souvent les pôles secondaires qui connaissent les développements les plus rapides et les flux de population sont changeants et réversibles. On assiste à des retours au village, à des migrations cycliques entre villes et campagnes et à des migrations intrarurales. Ces phénomènes rendent la distinction entre rural et urbain difficile à saisir, d'autant plus qu'elle n'a pas de fondements juridiques ou administratifs clairs au Bénin (contrairement par exemple au Sénégal où l'on distingue clairement les communautés rurales des communes urbaines) ni de délimitations administratives réelles. La problématique de la gestion des espaces périurbains devient pour ces raisons centrale (voir Gbaguidi et Spellenberg, 2004). Ce n'est pas une affaire de «périphéries» ou de «franges urbaines». Elle est au cœur de la question foncière car elle est transversale à un ensemble de distinctions qui informent les choix de politique publique sans être véritablement explicités. Le couple rural/urbain constitue la matrice d'autres binômes implicitement vus comme homologues - non agricole/agricole/moderne/coutumier, loti/non loti, imposable/non imposable -, qui renvoient quelque part à la distinction citoyen/sujet et aussi à celle, ancienne (mais renouvelée autour du couple ville/campagne), entre espace maîtrisé/humanisé et espace contrôlé de manière incomplète.

BIBLIOGRAPHIE

Aboudou, R, Joecker, C. et U. Nica. 2003. La gestion des espaces agricoles à la périphérie des centres urbains ouest africains. Le cas de Parakou au Bénin. Programme INCO ECOCITE, LARES et IfEAS, Document de travail № 21 de l'Institut d'anthropologie et d'études africaines, Mayence, Université Johannes Gutenberg.

Akobi, I. 2003. La marchandisation dans le processus de la transformation des terres agricoles en parcelles d'habitation: le cas de Komi Guéa à la périphérie de Parakou. Rapport de recherche, programme INCO ECOCITE, Parako, LARES.

Banégas, R. 2003. La démocratie à pas de caméléon. Transition et imaginaires politiques au Bénin. Paris, Karthala.

Bierschenk T. et J.-P. Olivier de Sardan (dir.). 1998. Les pouvoirs au village. Le Bénin rural entre démocratisation et décentralisation. Paris, Karthala.

Callon, M. 1986. Eléments pour une sociologie de la traduction. La domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc. L'Année sociologique 36: 169–208.

Callon, M. 1992. Réseaux technico-économiques et irréversibilités. Dans R. Boyer, B. Chavance et O. Godard (dir.) Les figures de l'irréversibilité en économie, Paris, Editions de l'EHESS, p. 195–230.

Chauveau, J.-P. 2005. Introduction thématique: les jeunes à la croisée des chemins. Afrique contemporaine 214(2): 15–35.

Colonie du Dahomey. 1933. Coutumier du Dahomey (Circulaire du 19 mars 1993). Gouvernement général de l'AOF, Porto-Novo, Imprimerie du gouvernement.

Comby, J. 1998. Réforme du droit foncier au Bénin. Etude de faisabilité. Cotonou, SERHAU-SEM.

Douglas, M. 1987. How Institutions Think. London, Routledge & Keegan Paul.

Edja, H. 1999. Colonisation agricole spontanée et milieux sociaux nouveaux: la migration rurale dans le Zou-Nord au Bénin. Kiel, Wissenschaftsverlag Vauk Kiel KG.

Edja, H. 2000. Les droits délégués d'accès à la terre et aux ressources naturelles dans le sud du Bénin, Paris-Londres, GRET-IIED.

Edja, H. et P.-Y. Le Meur. 2004. Le Plan foncier rural au Bénin. Production de savoir, gouvernance et participation. Document de travail de l'UR REFO 9, Montpellier, IRD.

Gbaguidi, A. N. et U. Spellenberg. 2004. Bénin: Globalisation and land tenure changes in periurban areas. Dans G. Woodman, U. Wanitzek, et H. Sippel (éds). Local Land Law and Globalization, Hamburg, Lit Verlag, p. 81–151.

Hernandez, A. et J.-F. Tribillon. 1994. Contribution à un état du droit et des pratiques d'urbanisme et d'aménagement foncier. Cotonou, SERHAU SEM (MEHU).

Hounkpodote. 2000. L'opération pilote du Plan foncier rural au Bénin: acquis et perspectives. Dans P. Lavigne Delville, C. Toulmin, et S. Traoré (dir.) Gérer le foncier rural en Afrique de l'Ouest. Dynamiques locales et interventions publiques, Paris et Saint-Louis, Karthala-URED-Ministère des affaires étrangères, p. 225–238.

Latour, B. 2000. When things strike back: a possible contribution of science studies». British Journal of Sociology 5 (1): 105–123.

Lavigne Delville, P. et Mathieu, P. (dir.). 1999. Formalisation des contrats et des transactions: repérage des pratiques populaires d'usage de l'écrit dans les transactions foncières en Afrique rurale. Document de travail, Paris-Louvain, GRET-IED-UCL.

Lavigne Delville, P., Bernard, R., Déguénon, L., Edja, H., Le Meur, P.-Y. et Rochegude, A. 2003. Schéma d'action pour la mise en œuvre de la nouvelle politique foncière rurale au Bénin. Paris-Cotonou, GRET-PGTRN-AFD-GTZ (trois volumes).

Le Meur, P.-Y. 1995. Le palmier vu d'en bas. État, paysannerie et pouvoirs locaux au sud-Bénin.Politique Africaine,59: 82–101.

Le Meur, P.-Y. 2002. Trajectories of the politicisation of land issues. Case studies from Benin. Dans K. Juul, et C. Lund (éds). Negotiating Property in Africa. Portsmouth, Heinemann, p. 135–155.

Le Meur, P.Y. 2005. Amélioration des outils d'enquête socio-foncière du Plan foncier rural au Bénin. Paris-Cotonou, AFD-GRET-PROCGRN.

Le Meur, P.-Y. 2006a. Statemaking and the Politics of the Frontier in Central Benin. Development & Change, (à paraître)

Le Meur, P.-Y. 2006b. Governing Land, Translating Rights. The Rural Land Plan in Benin. Dans D. Mosse, et D. Lewis (éds). Development Brokers & Translators, Kumarian Press, (à paraître)

Ministère de l'agriculture, de l'élevage et de la pêche (MAEP) 2001. Déclaration de politique de développement rural. Juillet 2001, Cotonou, République du Bénin.

Mako Imorou, S. 2004. Sécurisation foncière et résidentielle. Direction de l'urbanisme et de l'assainissement, Cotonou, MEHU. (présentation power point)

MEHU 2002.Déclaration de politique nationale d'aménagement du territoire. Novembre 2002, Cotonou, République du Bénin.

Mongbo, R. 2000. Disponibilité en terres et régime foncier en milieu rural au sud Bénin. Dans P. Lavigne Delville, C. Toulmin et S. Traoré (dir.). Gérer le foncier rural en Afrique de l'Ouest. Dynamiques locales et interventions publiques, Paris et Saint-Louis, Karthala-URED-Ministère des affaires étrangères, p. 185–204.

PDM. 2000. Décentralisation, foncier et acteurs locaux. Actes de l'atelier de Cotonou, 22–24 mars 2000. Cotonou, PDM-Coopération française (MAE).

PDM/SERHAU. SEM. 2000. Système d'informations foncières et fiscalité locale en Afrique de l'Ouest et du Centre. L'exemple du Registre foncier urbain des villes béninoises. Les Cahiers du PDM №2, Cotonou, Programme de développement municipal.

Rochegude, A. 2000. Décentralisation, acteurs locaux et foncier. Cotonou, PDM-/SERHAU.

1 Cet article repose sur une étude effectuée en février 2005 au Bénin pour le compte de la FAO sur «L'information foncière au Bénin: production, stockage, utilisation», sur ma participation au programme d'appui à la mise en œuvre de la nouvelle législation foncière rurale (Lavigne Delville et al. 2003, Edja et Le Meur 2004; Le Meur, 2005) et sur des recherches en cours sur les liens entre foncier, politique, développement et mobilité dans le centre du pays (Le Meur 2006a).

2 Voir Callon (1986, 1992); Latour, 2000; voir Le Meur (2006b) pour une analyse du Plan foncier rural béninois selon cette perspective.

3 Comme le notaient deux experts en 1994, «il n'existe pas de loi foncière et domaniale en République du Bénin» (Hernandez et Tribillon 1994: 16). Le renouveau démocratique s'est limité à inscrire la reconnaissance de la propriété privée dans la Constitution de 1990 tout en reconduisant un appareil législatif d'origine coloniale.

4 À signaler aussi la Loi № 93-009 du 2 juillet 1993 portant régime des forêts (avec son décret d'application № 96–271 du 2 juillet 1996) qui distingue le domaine forestier classé (les classements sont en général d'origine coloniale) du domaine protégé, c'est-à-dire non classé.

5 Les éléments d'information qui suivent sont principalement issus de Lavigne et al. (2003) et Edja et Le Meur (2004).

6 J. Comby remarque d'ailleurs que «les formulaires de ces conventions de vente visées par l'État font officiellement mention d'une “vente en toute propriété” alors qu'elles portent toujours sur des terrains coutumiers» (1998: 14).

7 Un SIF est défini comme «un environnement qui regroupe une base de données relatives aux parcelles, ainsi que les procédures, les techniques, les équipements permettant de recueillir les données, de les mettre à jour, de les traiter, de les corréler en vue de produire et de restituer une information» (Alain Durand-Lasserve, cité par Jean-Pierre Elong Mbassi, coordonnateur du PDM, dans: PDM-SERHAU SEM 2000: 8).

8 D'où, entre autres, une difficulté à construire une jurisprudence, en particulier dans le domaine des affaires foncières à caractère souvent «coutumier».


Previous Page Top of Page